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Temps de lecture estimé : 28 mn
13/06/08
Résumé:  Une jeune fille vivant en ermite rencontre une créature fabuleuse.
Critères:  jeunes forêt amour cérébral revede init fantastiqu merveilleu -fantastiq -contes
Auteur : Maegwïn  (La rêverie est plus douce que le réel)            Envoi mini-message
La Dernière Prophétesse

Son nom était Shalvarya. D’où venait-elle, nul ne le savait. Rescapée d’une guerre, orpheline à l’âge de six ans, elle avait été recueillie par la famille royale d’Irlidhea. Par-delà les morts de la Bataille de l’Oasis, le roi Lenapiën avait trouvé la vie, dans la personne de cette petite fille.



Mais l’épouse de Lenapiën, Valenirdigea, avait perçu de façon obscure la fierté que cette phrase portait. Ne pouvant avoir d’enfant, le couple royal avait pris Shalvarya comme leur fille :



La petite fille avait esquissé un sourire. Peu de temps après, alors que les blessures de la guerre avaient été pansées, alors que la paix était revenue sur le monde d’Asgaïa, la petite Shalvarya avait fait son entrée à la cour d’Irlidhea. Elle était une enfant joyeuse, d’une intelligence vive, et malgré son jeune âge, son éducation avait déjà paru des plus éclairée.


Pourtant, jamais elle n’évoquait son passé, jamais elle ne soufflait mot de ce qu’elle avait vécu avant la guerre, de l’endroit où elle était née, des gens qui l’avaient élevée. D’où venait-elle, nul ne savait. À l’exception d’elle-même. Parfois seulement, des mots étranges sortaient de sa petite bouche. Une dame de compagnie clama un jour que Shalvarya avait affirmé :



Mais la petite fille avait toujours refusé de répéter cette phrase, et nul ne put approfondir ce mystère. Parfois encore, ses yeux devenaient vitreux, et c’est avec sa petite voix d’enfant qu’elle prononçait des paroles semblant surgies du fond des âges, comme des prophéties que nul ne comprenait.


Mais la plupart du temps, Shalvarya avait l’air d’une enfant normale, jouant à se poursuivre avec les jeunes nobles de son âge, construisant des cabanes dans le jardin de printemps du palais royal d’Alkavalen, façonnant des épées de bois squelette et se révélant une escrimeuse émérite. Ses tuteurs se disaient fiers d’elle, ses précepteurs la félicitaient souvent et bien vite elle sembla même pouvoir se passer d’eux.


Pourtant, jamais elle ne parut faire vraiment partie de ce monde. Ses camarades de jeu la prenaient davantage comme une meneuse du groupe que comme l’une des leurs, et gardaient en toute circonstance une certaine déférence à son égard.



* * *



En grandissant, ses admirateurs furent nombreux, mais toujours elle garda cette distance qui laissait à penser que la compagnie des hommes comme des femmes n’était pas faite pour elle. Alors que les jeunes princes et les duchesses nubiles commençaient à compter fleurettes, Shalvarya, elle, restait seule, à toiser les couples d’un œil bienveillant, les regardant se former et se défaire au gré du jeu des sentiments.


Elle passa de plus en plus de temps dans la bibliothèque du palais, dévorant des ouvrages de sciences occultes, de biologie druidique, de psychologie transcendantale. C’était là des grimoires que seuls les plus grands lettrés pouvaient appréhender, mais dont elle pouvait néanmoins faire de longs exposés alors même qu’elle n’était âgée que de onze ans. Bien vite, les rayonnages pourtant fournis de la bibliothèque d’Alkavalen ne purent apaiser sa soif de connaissances, et Shalvarya en vint à voyager, découvrant les universités de Kalid Zarad en Xeniliss et conversant ainsi avec les plus grands professeurs de l’Archipel.


La grande bibliothèque de Zahaknadïnn dans l’Empire d’Orlaeve devint plus tard son terrain de jeux et d’apprentissages, et ses parents royaux usèrent de leur influence pour lui donner accès au précieux manuscrit de la poétesse Keïdhness, sage parmi les sages, prophétesse contestée autant que vénérée, vieille de treize mille ans. Mais deux sortes d’écrits semblaient passionner Shalvarya plus que tout. Les uns étaient consacrés à la grande guerre des dieux. Les autres dévoilaient les secrets de la race des dragons.


Les dragons, peuple fier, n’étaient pas étrangers au royaume d’Irlidhea. La grande Hsiayïn des jungles du sud était notamment une amie du roi Lenapiën, et sa lignée avait toujours été proche de la dynastie régnante du royaume d’Irlidhea. Du reste, la dragonne en vint à passer de longues heures en compagnie de Shalvarya. Souvent elles restaient sans rien dire, à se regarder l’une l’autre ; d’autres fois la dragonne mettait la jeune fille à l’épreuve, crachant sur elle son souffle enflammé pour l’entraîner à s’en défendre par la puissance de sa magie ; d’autres fois elle laissait Shalvarya escalader son dos, pour lui faire découvrir le monde des nuages.


Lenapiën considérait avec bonheur cette amitié respectueuse, son épouse Valenirdigea en éprouvait quelque jalousie. Mais la dragonne Hsiayïn prodiguait à la reine des paroles apaisantes, et quoique seconde mère pour la jeune Shalvarya, jamais elle ne dit mot contre celle qui avait en premier adopté la petite fille.



* * *



Celle-ci grandit encore. À l’âge de quinze ans, elle était devenue une belle jeune fille que les princes du monde ne se lassaient pas d’admirer. Sa peau de porcelaine était vantée dans les chansons des bardes, sa poitrine menue mais joliment rebondie suscitait l’émoi des peintres et des sculpteurs, les formes de sa taille et de ses hanches délicates éveillaient les rêves les plus doux. Toujours on la voyait marcher comme l’on danse, arpentant aussi bien les temples du savoir que les forêts du Nord, pieds nus et sans atours, sa chevelure d’or pâle coiffée négligemment.


Le Seigneur Ténébreux lui-même en vint à demander sa main. Ce fut le seul pour lequel Shalvarya hésita, mais là encore, son refus poli et sans malice résonna aux oreilles de celui qui était l’un des plus grands monarques du monde d’Asgaïa.


Son désir était ailleurs, et son regard toujours se portait vers la jungle du sud. Sa volonté demeurait de vivre, ainsi que Hsiayïn, l’existence sauvage de la race dragonne. On lui avait raconté dès ses premières années à la cour d’Irlidhea que les Iluudaeris, peuple de ses pères, provenaient de cette forêt vierge. Mais enfant adopté, elle connaissait ce peuple légendaire pour lui être étranger. C’était moins les arbres que ses vrais habitants qui intéressaient la jeune Shalvarya.



Pourtant, la jeune fille insista tant que la grande dragonne accepta de l’emmener avec elle. Hsiayïn était sage et savait bien que la jeune humaine aurait passé outre son refus, pour gagner le territoire des dragons de la jungle par ses propres moyens. Shalvarya fit ses adieux à son père, et embrassa tendrement sa mère qui pleura.



Aussi, une fois de plus, Hsiayïn prit Shalvarya sur son dos, et vola plus haut que jamais, plus loin que le royaume du roi Lenapiën, plus loin que l’Archipel ou que l’empire de l’Est et ses bibliothèques. Elle vola par-delà l’océan, son Vol Flamboyant la portant plus vite que les vents, plus vite que le son lui-même, jusqu’à atteindre enfin la jungle équatoriale.


Alors seulement, la dragonne Hsiayïn se reposa au milieu des arbres luxuriants, et Shalvarya partit à la rencontre de son nouvel habitat. La jeune fille avait connaissance des dangers de la jungle. Ils étaient grands, mais elle ne les craignait pas. Son destin l’avait amenée là où nul humain n’avait sa place, et pourtant telle était la sienne, sur le territoire des grands dragons d’émeraude. La jeune fille s’éloigna tout d’abord du fief de Hsiayïn, non sans lui avoir promis de revenir tantôt pour quérir ses conseils.



* * *



Au commencement, Shalvarya ressentit la faim. Assouvir ce besoin était facile de là où elle venait, mais à présent, cela devenait l’une des grandes tâches de sa nouvelle existence. Bientôt, elle devint chasseresse, courant parmi les arbres en quête de grands lézards ou de griffons des jungles qu’elle faisait cuire ensuite par des invocations du Grand Esprit du Feu.


Toujours, elle prit garde de préserver l’Harmonie. Elle éleva des prières aux esprits des bêtes pour quérir auprès d’eux l’autorisation de prendre une de leurs créatures, ôta la vie des animaux trop faibles pour survivre, et tua seulement parmi les espèces abondantes. Lorsque sa faim était apaisée, Shalvarya s’asseyait, écoutant en souriant la musique de la forêt, emplissant ses narines des parfums sauvages, observant la lumière dansant dans le feuillage. Elle se construisit un repère de branches entrelacées et dormit sur des tapis de feuilles.


Quand elle ne chassait pas, la jeune fille se perdait dans ses méditations, tentant de communier avec la Nature foisonnante et de ressentir l’âme de cette terre. D’autres fois elle marchait, ou courait sur les branches, partant dans des explorations qui l’amenaient toujours plus loin, toujours plus profondément vers les plateaux où naissaient tant de fleuves.


Sa vie demeurait simple, son existence sauvage, et d’aucun aurait pu dire qu’elle vivait pauvrement, sans autre vêtement que sa seule peau nue. Pourtant nul regret ne venait assombrir son esprit. La solitude était pour elle une douce compagne. La princesse Shalvarya apprenait plus ici que durant ses années dans les terres humaines. L’insidieuse parole de son Destin en marche semblait en cette époque s’être faite silencieuse.


Shalvarya en vint à croire qu’elle vivrait ici le reste de ses jours. Puis elle repensa à sa vie à la Cour. La promesse qu’elle avait faite revint à son esprit. Elle devrait retourner un jour en Irlidhea, que ce soit en monarque, conseillère ou prêtresse. Peut-être son destin ferait d’elle une reine ou bien détruirait-elle ce royaume paisible. Elle n’avait que quinze ans et pourtant elle savait que, par elle, viendraient de grands événements. Par le feu et l’épée, magie et énergie, des prophéties occultes, elle en était le centre.


L’espace d’un soupir, son esprit bouillonna et sa grotte de branches vola en mille éclats. L’eau de son cœur atteignit ses yeux gris et ses larmes coulèrent. Shalvarya venait de se souvenir de ses origines. Ses yeux d’enfant avaient vu la Bataille de l’Oasis, les corps tombés et les chairs lacérées. Aux sources de la guerre, il y avait sa naissance. Le sacrilège primordial retentit dans son âme comme le glas assourdissant de son ancienne quiétude.



Plus qu’elle ne l’entendit, elle perçut cette pensée et, l’instant d’après, un rugissement rauque résonnait dans la clairière. Il était aisé à Shalvarya d’en saisir l’origine. En cette circonstance, elle aurait pu éprouver de la colère à être ainsi perturbée dans ses pensées. Elle aurait pu vouloir laisser couler sa peine dans les larmes et maudire cette présence d’avoir été témoin de son désarroi. Pourtant il n’en fut rien. Cette rencontre était écrite en quelque endroit de son cœur et, par-delà les larmes, Shalvarya esquissa un sourire.


Un éclat miroitant renvoya la lumière du soleil perçant à travers le feuillage. Une créature agile traversa les airs comme une flèche dorée, fondant sur la jeune fille, tel un oiseau de proie. Celle-ci n’amorça pas même un geste pour s’en protéger. Son trouble précédent faisait encore frapper son cœur dans sa poitrine à un rythme effréné, mais c’était une autre émotion qui l’étreignait à présent.



Le dragon d’or écarta largement ses ailes pour ralentir son allure, se posant au milieu de la clairière ombragée. Comme il se tint debout, à deux pas devant elle, sa tête dépassait la jeune fille confiante. Il n’était pas très grand, signe de son jeune âge, mais ses yeux exprimaient une profonde expérience.



À ces mots, Shalvarya perdit quelque peu son sourire et abaissa son regard. Devant elle, son destin était en train de s’accomplir et elle ne pouvait s’en défaire. Cette voix intérieure se fit entendre encore, en une question perfide :



Shalvarya ne connaissait que trop bien la réponse.



Shalvarya réfléchit. Ainsi, ce dragon inconnu paraissait la comprendre. Elle aurait pu en être surprise, mais une voix en elle susurrait à son cœur qu’il devait en être ainsi. Ce n’était pas là la voix du Destin, mais une parole plus douce, chaude et réconfortante.



En un instant, il déploya ses ailes et s’éleva au-dessus du sol. Le feuillage ne bruissa pas alors qu’il le traversait, ainsi qu’il était une créature prodigieuse amie de la nature.



* * *



Ainsi, une fois de plus, Shalvarya resta seule. Toute chose avait un sens. Son destin était-il de revoir le dragon d’or ? Créature fabuleuse, compagnon éphémère, ce dragon, quoique jeune, avait déjà en lui l’âme d’un grand penseur. Il était le savant, le sage de sa race, il était l’esprit fou qui marche en méditant. Il était le Destin. Mais il n’était pas que cela. Il était la puissance toute empreinte de grâce, et davantage encore. D’une étrange manière qu’elle n’aurait su décrire, Shalvarya se sentait touchée au plus profond de son cœur comme de son esprit. Un sentiment nouveau emplissait sa jeune âme. Une révélation apportait sa lumière dans sa vie autrefois primitive.


Le dragon était parti, mais pour un temps seulement, et la solitude trouvait dans cette rencontre un doux achèvement. Le dragon d’or était retourné vers le désert qui l’avait vu naître, cela était un fait, mais un autre fait trouvait son évidence dans ce que ressentait la toute jeune fille. À présent leurs esprits seraient toujours unis. Peut-être cela avait-il été voulu des Grands Esprits, peut-être même en avait-il toujours été ainsi.


La jeune fille repensa à toutes ses lectures. Son savoir était grand, mais trouvait-il un sens dans les battements de son cœur ? La magie, les pouvoirs de l’esprit, la plus grande sagesse elle-même, tout cela semblait vain. Il y avait autre chose à présent dans sa vie. La voix du Destin, si puissante soit-elle, ne trouvait point d’écho dans le bouillonnement de son âme.


Un trouble profond s’était emparé de son esprit avant la rencontre avec le dragon. C’était un autre trouble qui étreignait Shalvarya désormais ; néanmoins, la question demeurait la même. « Que dois-je faire ?  » se demanda-t-elle. « Ou plutôt, que dois-je faire de ce que l’on a fait de moi ?  »


À cela, la réponse lui vint, portée par son intuition comme une feuille morte qui virevolte au vent pour s’écraser au sol, ou comme s’impose un rêve. « Cela, je dois le découvrir par moi-même.  » Le roi Lenapiën, les plus grands sages du passé comme ceux du présent, le dragon d’or lui-même, n’auraient pas énoncé d’autres paroles. C’est néanmoins dans l’espoir de revoir la lumière illuminer son esprit que Shalvarya se mit en marche pour aller retrouver la dragonne Hsiayïn.


Elle ne la trouva pas. Hsiayïn était partie pour une quête quelconque, peut-être volait-elle sur le royaume d’Irlidhea dans les pays humains à la rencontre des grands maîtres suprêmes du monde d’Asgaïa dont elle faisait partie, peut-être accomplissait-elle sa propre destinée par un chemin ou un autre. C’est dans un ancien temple dédié à un dieu à jamais déchu que Shalvarya attendit.


Alors qu’elle explorait les ruines et les colonnes, les autels impies et les statuaires morts, un souffle enflammé la recouvrit soudain. Comme tant d’autres choses, elle ne le craignit point. Son corps était endurci, son esprit aguerri, sa magie affermie par sa longue expérience des mœurs de la dragonne.



La dragonne arpenta lentement le temple désolé, hochant parfois la tête ainsi qu’elle inspectait l’endroit de leur rencontre.



La dragonne Hsiayïn gronda encore avec amusement.



Sur ce, elle s’éleva loin au-dessus du sol, et tournoya un instant plus haut que les arbres et le temple, son regard croisant celui de la jeune fille. Celle-ci la suivit des yeux un long moment, tentant par cette vision de prolonger les paroles de sa sage amie.



* * *



Durant de longs jours, elle marcha dans la jungle. Elle ne s’arrêta pas à la clairière qu’elle avait occupée tantôt. L’heure n’était plus à la méditation.


Bientôt les arbres s’éclaircirent, les herbes devinrent rases. C’était ici le règne des insectes géants, des grands griffons du sud, des créatures féroces. C’était ici le règne des vents brûlants des steppes, des tempêtes de sable, et des roches acérées. Des hommes vécurent ici avant de repartir toujours plus loin au sud, par-delà le désert, vers les landes, les pics volcaniques, les grandes îles australes.


Cette terre était faite de forces, de courants telluriques, de magie indomptable, et les seigneurs des hommes, race à la peau d’ébène, y avaient fait leur fief dans un passé lointain. Mais c’était là surtout la terre des dragons d’or. Dans le sable échauffé par un soleil cuisant, dans les dunes cuivrées, dans les rochers profonds, ils construisaient leurs aires. C’était là que la jeune fille voyait sa quête s’achever ou que tout commençait.


Elle l’appela. Ce ne fut pas un cri, à peine un murmure qui ne troubla guère les créatures alentour. Son appel vibrait de la passion qui habitait chaque battement de son cœur, mais sa voix s’était faite plus douce que jamais.



Comme une ombre furtive cacha un instant la lumière du soleil, une allégresse encore jamais connue emportait l’âme de la jeune fille. Shalvarya vit ainsi le dragon d’or descendre du ciel pour se poser près d’elle.



Shalvarya ne pouvait s’empêcher de sourire. Qu’importe son destin, qu’importent ses questions, seul comptait à présent le désir de son cœur. Toutefois, un curieux trouble venait l’habiter, bien différent de ceux qu’elle avait vécus auparavant. Devant ce fier dragon, plus noble et majestueux que tous ceux de sa race, elle ne trouvait que dire. Ils restèrent longtemps à se toiser l’un l’autre, comme pour s’habituer à leur présence mutuelle. Puis le dragon parla encore de sa voix profonde que la jeune fille avait appris à comprendre.



Shalvarya sourit à nouveau. Elle se sentait heureuse, son cœur était en paix. Une pulsion étrange s’empara de son être et elle avança d’un pas, pour venir se blottir contre le flanc du dragon. Celui-ci l’enlaça de ses bras, et étendit une aile protectrice, tel un bouclier pour la protéger des assauts du soleil.



Pour la première fois depuis trop longtemps, Shalvarya éclata de rire. C’était un rire clair, un rire de bonheur, alors que tout nuage avait disparu de son esprit autrefois tourmenté.


Dans les jours qui suivirent, ils se virent souvent, et toujours ce même sentiment envahissait son âme. La jeune fille avait connu les dragons, en la personne de Hsiayïn, mais ici elle découvrait bien plus encore. Le dragon d’or était bien différent, Arhaïngahn était plus proche d’elle, plus enjoué, plus indulgent peut-être. Il était également plus jeune que cette dragonne alliée de la couronne d’Irlidhea, mais Shalvarya savait qu’il n’y avait pas que cela. Aucun lien au monde n’était plus puissant que celui qui les unissait à présent. Et pourtant, Shalvarya pressentait confusément qu’il pourrait se renforcer encore.



* * *



Parfois, le dragon d’or s’envolait au loin, en quête de proie ou de solitude. Shalvarya savait que cette race était ainsi faite, libre et indépendante, et elle respectait cela. Dans ces instants, elle se mettait elle-même en chasse ou en exploration. Parfois également, elle s’allongeait sur le sol de sable, regardant le ciel toujours bleu, écoutant la chanson des vents. Le temps était venu alors de mettre en relation ses nombreuses lectures avec ses visions, ses songes et ses rêves.


Lorsque le dragon Arhaïngahn revenait, ils dormaient côte à côte, puis elle lui faisait part de ses réflexions, et c’est alors qu’il lui posait des questions, qu’il parlait de ses propres rêves, qu’il la réconfortait aussi, bien souvent. Dans les fréquents moments où elle se trouvait seule, une brume insidieuse venait assombrir l’esprit de la princesse Shalvarya. Bien qu’elle éprouvait quelque difficulté à l’admettre, elle connaissait déjà l’issue de sa quête, et cela lui faisait peur.


Dans ces douloureux instants où son cœur se serrait, et qui demeuraient encore trop fréquents, elle avait de la crainte. Crainte de l’avenir, crainte de son destin, crainte peut-être aussi du dragon d’or lui-même, ses peurs étaient liées, et toujours la tourmentaient. Mais Arhaïngahn revenait alors, et sans prononcer même une seule parole, il la rassurait, par sa présence bienfaisante.



Toujours Shalvarya se sentait poussée vers le dragon et aimait cet émoi. Et cependant, elle ignorait si elle devait l’accueillir ou le rejeter. Il faisait partie du destin que ses créateurs avaient tracé pour elle, mais elle gardait l’espoir d’avoir encore le choix. Cette lutte incessante entre diverses parties d’elle-même l’épuisait toujours plus. Cependant, il n’était pas dans sa nature de fuir. Ce combat qu’elle menait devrait bien prendre fin.



Tous deux s’étreignirent une nouvelle fois. Shalvarya pouvait sentir le corps chaud du dragon d’or contre sa peau nue. D’aucun aurait pu croire que les écailles dures et acérées de la race dragonne meurtriraient la peau fine d’une si jeune fille, mais il n’en était rien. Elle aimait ce contact. Elle aimait écouter les lents battements du cœur d’Arhaïngahn, elle aimait ressentir son souffle chaud contre sa nuque, elle aimait le parfum singulier de cette créature qui comptait parmi les plus hautes de toute la Création.



Shalvarya émit un nouveau rire, les tourments de son esprit trouvant encore la paix dans la voix douce et grave du jeune dragon d’or. Alors qu’il la tenait serrée entre ses bras, Arhaïngahn étendit ses ailes pour prendre son envol. Comme il atteignait le ciel, la jeune fille l’enlaça plus fortement encore. Alors qu’il survolait le grand désert du Sud, les landes de Slalok et les îles australes, pas un instant elle ne craignit de choir dans le vide. Elle demeurait confiante.


Le dragon lui montra maints paysages, les cimes enneigées des montagnes de l’Est, les abîmes profonds, les criques isolées, tous décors splendides que l’on ne peut atteindre que par la voie des airs. Cependant, Shalvarya souvent fermait les yeux. Blottie contre ce corps puissant qui l’enlaçait, elle savourait enfin des rêves agréables. Elle n’avait pas besoin de voir ces tableaux de la Mère Nature étendus sous son corps pour en connaître la beauté. Le monde tout entier était beau dans son cœur, ainsi qu’elle percevait une nouvelle fois la musique harmonieuse de l’univers.


Dans son âme apaisée autant que flamboyante, cette musique n’avait pour autre rythme que celui, lent et fort, qu’elle entendait frapper dans son oreille de la poitrine d’Arhaïngahn. En écho à ses songes, une pensée vint doucement caresser son esprit. Elle ressemblait à cette musique, tout en étant plus intime au dragon, et son image mêlait la tête d’Arhaïngahn au propre visage de Shalvarya, comme si une émotion unique étreignait leurs deux êtres.



Ainsi énonçait le dragon de cette manière si propre à son espèce et que seule Shalvarya pouvait comprendre. Elle aurait pu répondre, et son murmure malgré les vents violents sifflant contre leurs corps aurait été compris.



Shalvarya connaissait les secrets des pouvoirs psychiques. Elle communiqua sans entrouvrir les lèvres, et son doux sentiment pénétra et emplit le cœur du dragon d’or. Sa chaleur le fit pousser un cri, et ce rugissement était de l’allégresse.



Ainsi volaient-ils tous deux, serrés l’un contre l’autre, leurs cœurs et leurs esprits réunis en un seul, dans l’invincible communion de leurs sentiments mutuels. Parfois encore, Shalvarya rouvrait ses yeux, pour perdre son esprit dans le regard de saphir de son ami. Une nouvelle pensée lui vint, une curiosité candide effleura sa jeune âme.



De nouveau, la jeune fille leva ses yeux vers lui, et de toute son âme elle formula un vœu. Son amant entendit son souhait intrépide, l’accueillit, l’accepta, le partagea enfin. Sa langue de dragon caressa son visage, avant de pénétrer ses lèvres entrouvertes. Cet étrange baiser que les druides incultes auraient condamné pour être contre-nature fit battre encore plus fort leurs deux cœurs unis.


Leurs âmes demeuraient dans l’état le plus pur, alors qu’ils se donnaient cette douce caresse. Ils partageaient encore ces sensations nouvelles, projetant l’un vers l’autre leur tendre ressenti, leurs cœurs et leurs esprits infiniment liés. Le dragon ressentait ces mains le parcourir, ces mains de jeune humaine ingénue et avide qui découvrait autant qu’elle faisait découvrir. Sa longue queue serpentine l’enlaça plus encore, donnant d’autres caresses, d’autres sensations, d’autres émotions qu’ils partageaient encore par le lien de leurs cœurs.


Shalvarya sentit cette chaleur bouillonnante émanant du dragon, et cette autre chaleur qui lui faisait réponse, celle qui envahissait son être tout entier, pour s’exprimer enfin en un calme murmure.



Arhaïngahn penchait toujours sa tête vers elle, ses bras tendus afin de mieux la contempler, et sa longue et fine langue parcourut à nouveau la nudité offerte de la princesse Shalvarya, la transportant alors de doux frissonnements. Il caressa ainsi ce corps svelte et gracile alangui dans ses bras, éprouvant la chaleur des courbes harmonieuses, effleurant doucement la pointe de ses seins, descendant sur son ventre jusqu’à se perdre enfin dans son intimité.



Son âme réclamait cette présence en elle. Elle voulait avoir chaud, elle voulait se perdre, elle voulait oublier tout ce qu’elle connaissait. Enfin le dragon d’or la serra contre lui, faisant glisser son corps contre sa peau d’écailles. La jeune fille sentit le désir du dragon sur son hymen intact, et elle serra plus fort le corps de son amant, comme pour s’obliger l’un l’autre à ne faire qu’un. Déjà par la pensée, Arhaïgahn pénétrait son esprit, et Shalvarya le laissa explorer jusqu’à ses plus intimes souvenirs. Leurs tendres sentiments étaient mis en commun dans l’union de leurs cœurs quand il la prit enfin.


Ce fut une chaleur brutale autant que douce, des caresses suaves autant que vigoureuses. Il n’y eut point de douleur, il n’y eut point de souffrance, tout juste quelques gouttes de sang se perdirent dans l’immensité du ciel. Les entrailles inviolées de la jeune princesse reçurent le dragon d’or dans le plus pur délire de ses sens enfiévrés. Ses yeux se refermaient parfois afin de mieux ressentir ses sensations extrêmes ou alors se rouvraient pour contempler encore le visage adoré et le torse puissant.


Son regard vacillait pendant de longs instants, ainsi que tout son corps emporté dans les cieux. Des vagues sensuelles la parcouraient encore et encore et toujours, exaltant tant et plus sa jouissance enflammée, lui arrachant ainsi les plus tendres soupirs, les gémissements doux et des cris si profonds qu’ils emplissaient l’espace. Son corps se cambrait et son cœur battait vite, et plus vite encore, empli du sentiment étrange et inconnu de cette flamme charnelle envahissant son âme, mêlée de l’émotion plus intense que tout, et qui avait pour nom son amour pour lui.


Ces douces sensations furent encore partagées jusqu’à atteindre ensemble le violent paroxysme. Comme son dragon d’or exhalait un cri rauque, sa brûlante semence se répandant en elle, son cœur et son esprit, son corps avec son âme, son être tout entier connut enfin l’extase. Foudroyée, elle crut devenir folle, elle crut que son essence se dispersait dans l’univers, elle crut mourir, elle crut être morte et puis tout disparut.



* * *



Quand elle reprit conscience, le monde avait changé. L’air avait un parfum qu’elle n’avait plus connu depuis déjà longtemps. Elle ne se trouvait plus au-dessus des nuages, mais était entourée d’un paysage sylvestre. Brusquement apeurée, elle regarda autour d’elle, et reconnut les arbres hauts, fins et élancés du jardin de printemps du palais royal d’Alkavalen.


Son esprit semblait vide, ainsi que les visions qui l’avaient toujours habitée avaient dès lors entièrement disparu. Il n’y avait plus de rêve, plus de prophéties. En était-elle libérée, ou bien était-ce une malédiction ? L’espace d’un soupir, elle se vit seule, revenue à l’époque de sa solitude, et une larme unique courut sur sa joue. Mais une douce pensée l’effleura à nouveau, une pensée lointaine, ainsi que son amant s’en était retourné dans le désert du Sud.



Shalvarya se sentait plus en paix que jamais, plus jamais elle ne connaîtrait les tourments de son âme. Un large sourire s’ouvrit sur ses lèvres. Plus jamais elle ne serait seule.


Lorsque le roi Lenapiën la retrouva, son esprit aiguisé perçut cette présence nouvelle qui habitait le corps de sa fille adoptive. Il ne s’agissait point de l’esprit du dragon d’or, et pourtant son sang même y était présent. La jeune Shalvarya, maintenant jeune femme, abritait en son sein le fruit de son union avec Arhaïngahn.