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n° 12845Fiche technique21991 caractères21991
Temps de lecture estimé : 14 mn
12/09/08
Résumé:  Comment tout a foiré.
Critères:  nonéro mélo humour
Auteur : John Dough
Un goût de cendres



Après coup, on s’interroge, mais après coup, ça fait déjà beaucoup de coups, et un sacré tas d’années défilant les unes derrière les autres sans que je réagisse.



On est con, quand on est jeune ! Déjà que moins jeune, on est souvent encore con, et que vieux, on peut parfois être toujours con, mais alors là… Certains prétendent que le temps ne fait rien à l’affaire, et que quand on est con, c’est pour toute la vie, mais j’ai peine à y croire ! Et pourtant, j’ai été con ! Ah ! Ça oui !


Déjà, je me demande pourquoi je l’ai draguée. Je devais être soûl, ou quelque chose comme ça ! À vingt-deux ans, les bitures, j’en prenais ! Enfin, je ne sais plus, mais je l’ai draguée, et puis je lui ai roulé une pelle et je l’ai pelotée, et on a fini par jouer à touche-pipi. Pas tout ça à la file, quand même, mais dans un délai… disons… assez rapproché.


Je ne me cherche pas d’excuses, non, je cherche les raisons. Et tout d’abord, j’ai été lâche, voilà. Lâche. Josiane, je ne l’aimais pas vraiment, j’étais avec elle pour tromper l’ennui, ou un truc dans ce genre-là. J’ai jamais supporté de voir chialer une fille, alors le jour où j’ai fait le premier pas en sens inverse, et que j’ai vu ses yeux de cocker, je n’ai pas pu continuer. J’ai été lâche de ne pas avoir laissé tomber l’affaire tant qu’il en était encore temps, tant qu’on n’était pas fiancés !


Fiancés ! Quelle connerie ! Et tout d’abord, des fiançailles, ça n’engage à rien. D’ailleurs, elles sont faites pour être rompues, les fiançailles. Sans ça, on ne se fiancerait pas, on se suiciderait directement. Je veux dire : on se marierait directement. Le mariage, lui, il n’est pas fait pour être rompu ! Quoique…


Comme tout fout le camp, à l’heure actuelle, un mariage, ça devient si facile à défaire qu’on se demande finalement si c’est pas fait uniquement pour dépenser du fric en saletés de cadeaux, de logements, de fêtes, de disques-jockeys, de listes à la noix et d’alliances à la con !


Déjà que la belle-famille, la foutue belle-famille, c’était pas un cadeau ! Tous des enfoirés de mes deux, à commencer par les vieux, avec leur caravane à la mer et leurs kermesses aux moules, leurs foires aux boudins et leurs anniversaires en famille où ça se termine invariablement avec la vieille à la vaisselle et la moins feignasse de ses brus qui lui donne un coup de main ; puis le vieux qui roupille dans son fauteuil la gueule grande ouverte devant les résumés des matchs de foot, quand c’est pas à table sur sa chaise pendant que les autres tapent le carton ou jouent au poker avec du faux fric, parce que, avec des jetons, on peut flamber !


Et les beaufs… Et ça rigole, et ça picole, et ça rote à table à l’heure du dessert. Tout juste s’ils ne se lancent pas dans un concours de flatulences ! Quelle misère ! Oh ! Ils le font pas devant les gosses, qui se battent dans le bureau avec la console de jeux, alors ça suffit à leur donner bonne conscience…


Les beaufs… À commencer par l’aîné, que je ne supporte pas, avec son quatre-fois-quatre, ses bottes Aigle et sa pétoire quand il va chasser le lapin avec ses potes et qu’il revient la gueule bourrée et la gibecière vide. Et son frère à grosses moustaches et à gros bide qui pète aussi fort que sa Harley quand il se sent d’humeur taquine, avec sa grognasse qui rigole de ses feintes à deux balles, alors qu’elle ferait lieux d’aller se faire refaire le portail, vu qu’elle a des dents qui foutraient la trouille au plus brave des stalactites !


L’autre gonzesse, par contre, celle au vaillant traqueur de gibier, c’est la seule que je supporte encore. Et pour commencer, elle dit jamais de conneries, parce qu’en général elle la boucle du matin au soir. Elle bosse en silence à son ménage et à ses gosses, et c’est encore elle qui se lève pour aider la vieille pour la vaisselle : pas feignante, ça non ! Pas très futée non plus, mais pour marier un con comme mon beauf, faut pas avoir inventé la poudre, ça c’est sûr !


Oui, j’étais bien tombé, tiens, avec eux ! Et avec Josiane aussi, par corollaire ! Au début, elle était gentille. C’est pas pour dire qu’à la fin, elle devenait méchante, non, puisque c’était plutôt moi qui montrais les crocs, mais bon… Au début, je l’ai trouvée rigolote, essentiellement parce qu’elle m’aimait bien, et qu’elle m’admirait, et qu’elle me trouvait génial… C’est con, parfois, une fille ! Comme moi, en fait… Je vous parle d’une histoire à la con, en quelque sorte.


Josiane, c’était pas qu’elle était contraire, mais j’aurais parfois préféré le contraire, et pourtant je ne suis pas difficile, oh non ! Sans ça, j’aurais pas marié Josiane, faut pas me prendre pour un con !


Et pour commencer, je ne savais pas qu’elle était pucelle. Elle m’avait l’air plutôt délurée, quand même ! J’ai eu l’insigne honneur de la déflorer, sans me douter qu’elle prenait ça au sérieux. Par chance, on n’a pas dérapé, et j’ai toujours insisté pour qu’elle prenne sa pilule, sans ça…


Josiane n’était ni belle ni moche, mais je la trouvais marrante. Elle riait facilement. Elle était un peu ronde, avec des beaux nichons qui remplissaient bien mes mains, et à chaque fois que je voulais lui faire faire quelque chose qu’elle ne connaissait pas - elle ne connaissait rien - elle s’écriait « Oh ! Non ! Oh ! Non ! Qu’est-ce que tu fais là ? » pour montrer qu’elle ne voulait pas, mais comme moi je voulais, on le faisait tout de même et c’était parfois rigolo !


Le problème, avec moi, c’est que j’ai jamais aimé m’incruster, alors le temps a passé avant que je rencontre la belle-famille, et Josiane et moi on était déjà bien en route, alors j’ai laissé aller. Faut dire que l’autre abruti n’avait pas encore son quatre-fois-quatre et sa pétoire, et son con de frère sa Harley, ses grosses moustaches et sa panse à bière, alors j’ai jamais pensé qu’il y avait péril en la demeure, d’autant que le père avait une bonne cave, la mère une bonne bouille et moi une bonne dose d’optimisme.


On a eu des bons moments - en tout cas pour moi - comme une des rares fois où j’ai bien voulu aller passer un week-end à la mer dans la caravane des beaux-parents. Il faisait pas terrible, question météo, alors on a passé beaucoup de temps au pieu, et je me disais :



Toute la famille y allait, dans cette roulotte à la noix ! J’imaginais la scène, quand les uns et les autres occupaient les lieux et profitaient d’un moment de loisir, d’une sieste ou d’un réveil de pleine forme pour forniquer à l’aise. Limite, ça me dégoûtait, parce que je les voyais tous plus porcs que moi, ce qui n’était pas peu dire. Au moins changeait-on les draps de temps à autre !


De toute façon, dans cette putain de caravane, le matelas n’était bon à rien : ni pour roupiller, ni pour baiser. C’était mal de dos assuré, ou mal de reins, ou mal de cul, ou de genoux…


Dans le living - cinq mètres carrés - il y avait une table à roulettes avec des allonges pliantes montées sur des charnières, et un soir j’ai foutu Josiane à plat ventre dessus pendant que je la tringlais par derrière, tout en me demandant si les roulettes qui faisaient des va-et-vient allaient laisser des traces sur le plancher, mais les pieds du meuble se sont dessoudés et Josiane est partie en avant alors qu’elle était en pleine extase, alors elle s’est pincé la peau du ventre dans les charnières.


Au lieu d’aller au septième ciel, elle était tombée bien bas, et sur le moment elle m’en a voulu, parce que je lui ai dit que j’y étais pour rien si elle était trop lourde pour la table, tout en précisant quand même que c’était une foutue table de merde qui se serait écroulée même si j’y avais enculé une mouche !


Tiens ! Je parle d’enculer… Croyez-vous que Josiane se laissait enculer ? Que nenni ! Enfin, pas tout de suite… Vous n’imaginez pas le temps qu’il m’a fallu pour la convaincre (en un seul mot) ! Mais j’ai toujours été patient, ce qui n’est pas nécessairement une qualité, parce que sans ça je me serais tiré vite fait avant de la marier, la Josiane !


On était bien mariés depuis six mois quand j’ai enfin réussi à la persuader de me sucer un peu. Ça n’a l’air de rien, mais six mois, ça compte dans la vie d’un homme. Déjà que l’existence est misérablement courte, alors si ça prend six mois - et je ne compte pas la période avant le mariage - pour réussir à se faire tailler une petite pipe par sa chérie, où allons-nous ?


Elle me disait :



Et de partir dans tout un discours sur l’apparence de la bête, son œil de cyclope, et sa façon de vous regarder de travers comme si elle se préparait à vous cracher à la figure… Regarder de travers ? Il est bien droit, mon engin, nom d’une pipe (le mot est peut-être mal choisi) !



Et là, elle trouvait plus rien à dire, sauf qu’elle pensait que je lui léchais la fente pour qu’elle me suce le chibre, mais c’était pas cent pour cent vrai, auquel cas j’aurais jamais proposé de l’enculer !


Non, simplement, si elle trouvait pas ma bite appétissante, je pouvais en dire autant de sa cramouille, hein, entre nous ! Vous avez déjà vu une cramouille ? C’est flasque, ça bave, c’est plein de lèvres mais ça n’a même pas de conversation. Et je ne vous parle pas des poils ! Ah, mais si, parlons-en ! Parce que je la léchouillais, et qu’elle aimait bien malgré tout, mais que souvent je me retrouvais avec un poil de minou sur la langue ; alors un jour je lui ai dit qu’elle pourrait tout de même faire un peu de toilette.



Je lui ai roulé une pelle histoire de lui refiler l’objet du délit et de lui faire comprendre que sa moule ne sentait pas seulement la moule, mais qu’en plus elle n’était pas parfaitement nettoyée. Elle a fini par recouper un peu, puis beaucoup, mais ça piquait, alors j’ai insisté et elle a tout rasé, en se plaignant par la suite que ça piquait aussi !


J’ai commencé à suggérer de l’enculer quand elle a commencé à parler d’arrêter sa pilule. Non que j’espérais qu’en explorant l’autre trou ça allait arranger le problème, ni que j’espérais lui faire croire qu’elle pourrait tomber enceinte par là aussi (j’aurais eu plus de chance de lui faire avaler ça - dans tous les sens du terme - avec la pipe, à mon avis), mais j’essayais d’obtenir quelque chose en échange d’autre chose.


Pendant plusieurs mois, on a un peu tergiversé, puis j’ai dit oui pour le gosse, alors elle a dit oui aussi pour la sodomie, mais sans engagement sur l’avenir, ce qui était malhonnête de sa part : le gosse, une fois en route, c’était pour longtemps, pas vrai ? Alors, si je m’engageais sur le futur, elle devait le faire aussi !


Mine de rien, j’ai contrôlé son comportement. Je savais quand elle avait ses ragnagnas, alors je comptais les jours et je faisais mon possible pour me la mettre sous le bras pendant ses soirées les plus chaudes. Jamais de ma vie je n’ai eu autant de grosses fatigues, de lourdeurs d’estomac et de maux de crâne.


Après tout, c’était de bonne guerre : pourquoi la migraine ne pourrait-elle pas être un contraceptif masculin également ? J’évoquais mon boulot, je trouvais un tas de trucs urgents à faire dans la maison, je bossais tard le soir histoire d’être fatigué à l’heure de se mettre au pieu… Évidemment, ça ne pouvait pas durer comme les impôts, et à force de ramoner Josiane par tous les trous, même si j’essayais généralement de décharger de préférence dans son cul, elle a fini par tomber enceinte, et c’est là que ça a commencé à vraiment foirer.


Ils ont vu à l’échographie que le gosse avait une drôle de bobine, et à quatre mois, il y a eu des complications et Josiane l’a perdu. Franchement, je serais malhonnête de dire que je n’en ai pas été peiné : je me faisais à l’idée d’être papa, et puis Josiane était tellement contente, que jamais je n’avais eu le plaisir de baiser autant ! Faut dire que sa gynéco - je l’aurais embrassée, sur le coup - lui avait dit qu’il n’y avait pas de problème, et qu’elle pouvait continuer à faire l’amour autant qu’elle le souhaitait.


Moi, je fantasmais sur son ventre arrondi et ses lolos qui gonflaient, alors le môme était shampouiné plus souvent qu’à son tour. S’il ne fallait que ça pour qu’il soit chevelu, il serait né avec une tignasse à la Jimmy Hendrix, parole !


Après la perte du petit, Josiane n’a plus été la même. Je comprenais, mais ce n’était pas ma faute si ça avait foiré, et si elle ne pourrait plus en avoir. J’ai été gentil, mais ça ne suffisait pas. Josiane devenait chiante. Elle ne supportait plus rien, et insistait de plus en plus pour passer du temps avec sa foutue famille, cette foutue belle-famille qui me sortait justement par les trous du nez !


La seule utilité que j’aie jamais trouvée à avoir deux beaufs, c’est au moment où j’avais des gros meubles à déménager, chose qui arrivait souvent, parce que Josiane avait attrapé la manie de vouloir changer les meubles de place. C’était à chaque fois pire qu’avant, vu que sa seule motivation était de changer pour changer, pas pour améliorer.


J’avais trente-trois ans et aucune perspective d’avenir, à part celui de grimper mon calvaire année après année. On ne baisait presque plus, et je me demandais à quel moment on allait finir par faire chambre à part. Je n’avais le courage de rien : ni de faire l’effort d’être vraiment agréable pour tenter de la reconquérir, puisqu’en définitive je n’avais jamais fait grand chose pour ça ; ni l’envie de la larguer, de divorcer, de ficher le camp et de tenter de refaire ma vie.


On avait la maison, pas trop moche, dans laquelle j’avais pas mal bossé, avec un chouette jardin, qui aurait été bien pour les gosses, et c’était ça qui chamboulait Josiane. Moi, j’avais mon boulot, ma routine, quelque chose de rassurant, même si j’avais bien souvent recours à la branlette pour évacuer mon trop-plein de foutre.


Souvent, on s’engueulait. Pour des conneries. Et c’est vers cette période-là que Josiane a rencontré l’autre con. Enfin, je dis « l’autre con », mais je ne devrais pas, parce qu’il a quand même fini par me débarrasser de ma femme, ce qui au bout du compte était plutôt positif, mais qu’est-ce que j’ai eu comme emmerdes !


Tout d’abord, je ne me doutais de rien, j’ai juste remarqué que Josiane s’absentait plus souvent de la maison sous des prétextes futiles, et puis elle est devenue carrément insupportable, et on s’engueulait quasi tous les jours. J’étais loin de me douter que j’étais cocu, sinon je m’y serais pris autrement. Pour en finir, elle est allée trouver le juge, les flics, un avocat et je ne sais plus trop qui, ni dans quel ordre, mais je suppose que c’était l’avocat en premier parce que pour vous pondre des emmerdes, ceux-là, ils sont fortiches.


Josiane a déposé plainte, en disant qu’elle ne voulait plus vivre « avec ce mec-là » - moi en l’occurrence - qui la maltraitait, la méprisait et faisait preuve de cruauté mentale à son égard. Pour faire bonne mesure, le juge a ordonné l’éloignement en attendant de tirer l’affaire au clair, et je me suis retrouvé à la rue. Oui, à la rue ! Un mois de délai pour quitter le domicile conjugal et aller établir mes quartiers ailleurs, alors qu’on vivait sous le régime de communauté des biens. Bref, ce qui était à Josiane était à moi et vice-versa, alors il fallait diviser tout ça dans la foulée du divorce.


Comme l’immobilier avait flambé, je n’avais pas de quoi acheter autre chose, ni racheter sa part de la bicoque dans laquelle j’avais trimé pendant près de dix ans, et il a fallu vendre. Et devinez quoi ? C’est l’autre enfoiré, dont j’avais été trop con pour flairer la présence, qui s’est porté candidat pour racheter l’affaire, et ils se sont installés peinards tous les deux dans ce qui avait été mon chez moi !


Je me suis quand même retrouvé avec un bon pactole, mais sur les entrefaites la boîte où je bossais a fait faillite, et on a viré tout le monde et mis la clé sous le paillasson.


J’habitais un petit appartement en ville, que j’avais pris en location, et j’aurais peut-être pu rebondir et partir sur de bonnes bases, mais j’ai benoîtement vivoté là-bas pendant quelques mois, sans rien foutre sauf picoler et aller aux putes de temps en temps.


Un jour, je me suis dit :



Alors j’ai essayé de me ressaisir. Avec un pote, on a monté une petite affaire de location de vidéos, et ça marchait pas mal.


C’est là que j’ai rencontré Suzy. Une chouette nana, mais un peu déjantée. Qu’est-ce qu’on s’est marré, elle et moi ! Putain ! Elle était chaude comme une baraque à frites ! J’avais fini par déménager pour prendre un petit trois-pièces au-dessus de la boutique, et c’est là qu’on se retrouvait, Suzy et moi, pour de mémorables parties de jambes en l’air.


Mais l’extase n’a duré qu’un peu plus d’un an : tout d’abord parce que la location de films, ça devenait dur à cause de la concurrence d’Internet, et surtout parce que mon pote avait fait des conneries en puisant dans la caisse tout à son aise, alors le fric a commencé à manquer.


C’est à ce moment-là que Suzy s’est fait coffrer pour détention de drogue. Je savais bien qu’elle sniffait de temps en temps, mais rien de grave à mon avis, mais une bande de salauds à qui elle devait apparemment pas mal de fric ont estimé le contraire, alors un soir ils se sont pointés chez moi et ils ont tout démoli.


Résultat des courses, j’avais plus un rond, mon pote s’était barré et Suzy était au gnouf. J’ai tout largué pour me tirer à la campagne, et je vivote à présent à proximité d’une ferme, où je fais des petits boulots. Enfin, quand je dis « petits boulots », c’est rapport au salaire qu’ils me valent, parce que question dépense d’énergie, ils ont tendance à me transformer en carpette à la fin de la journée.


Maintenant, j’ai plus rien à moi. J’ai pas de femme, j’ai pas d’enfant, j’ai pas d’avenir. Jusqu’à hier, je pensais n’avoir même plus de passé, mais celui-ci a brusquement ressurgi, alors que je venais de terminer ma journée à la ferme, assis devant un pot de café et un bout de pain. Le journal du matin traînait sur la table, et j’ai commencé à le feuilleter distraitement. Souvent d’ailleurs, le patron me le laisse en fin de journée : les vieilles gazettes me servent à allumer le feu de bois dans la masure que j’occupe non loin de la ferme.


Dans la rubrique nécrologique, il y avait un faire-part avec une photo de Josiane.


J’ai regardé les dates et, sans réfléchir, j’ai demandé ma journée, le lendemain, pour me rendre à l’enterrement. C’était con, parce que je n’avais strictement rien à foutre là-bas. Je suis resté bien à distance, engoncé dans les fringues les moins minables de ma maigre garde-robe, je n’ai parlé à personne, et personne n’a pris garde à moi.


Évidemment, j’ai beaucoup maigri, j’ai le dos un peu voûté et je porte la barbe. Pas de quoi m’identifier au premier coup d’œil ! J’étais là comme une ombre. J’ai vu qu’on embarquait le cercueil vers le crématorium. J’ai eu tout à coup un pincement au cœur. C’était un peu comme si on devait brûler les dernières traces de mon passé.


Comme je n’avais plus rien à faire, j’ai marché un peu en ville, dans les rues, mais je ne m’y sentais plus chez moi. Finalement, j’ai repris l’autobus, puis le chemin de la ferme.


Dans la bouche, j’avais comme un goût de cendres.