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02/11/08
Résumé:  Ils se voyaient dans des hôtels de la périphérie.
Critères:  fh bizarre hotel nonéro -amourcach
Auteur : HugoH            Envoi mini-message
Les chambres

Ils se voyaient dans des hôtels de la périphérie. Près d’un parc ou d’un bois. Quelquefois, ils se rapprochaient du centre de la ville. Cela dépendait de certaines choses. Des affaires d’agenda. Ils évitaient les autoroutes, les zones industrielles, ce genre d’endroit. C’étaient des chambres doubles simplement agencées. Murs blancs / sable ; neutres. Il ne s’agissait pas de créer des souvenirs. Il s’agissait de baiser. Ils étaient d’accord là-dessus.


Quand le soleil filtrait par les persiennes, il regardait sa peau. Passait lentement sa main dessus. Elle se retournait, embarrassée. Et ils remettaient ça. Il la prenait sur le lit, sur la moquette, sur une chaise, dans la douche, sur le lavabo, contre la porte, contre l’autre porte, contre la fenêtre. Ensuite, ils s’effondraient sur les draps chauds. En sueur et satisfaits.


Ils s’étaient rencontrés dans un magasin de vêtements. Une de ces grandes enseignes du centre où les hommes et les femmes se croisent en se guettant du coin de l’œil sur une musique sensuelle que diffusent fort des haut-parleurs invisibles. Ils s’étaient croisés. Lui, vraiment, il appréciait ces endroits. Les frôlements. Il aimait deviner ce que les femmes tenaient dans leurs mains. Ça avait été rapide. Un regard, puis un autre. Elle portait une petite robe blanche bon marché mais qui lui allait bien. À la sortie du magasin, il l’avait attendue, une cigarette coincée au coin des lèvres. Lui en avait tendu une. Avait souri. Et maintenant ils baisaient dans des chambres. Des chambres qui ne leur appartenaient pas. Des chambres d’hôtel.


Quelquefois, elle regardait la ville au loin, tournait le dos à son amant qui s’étirait dans le lit. Ils ne laissaient pas la nuit les surprendre. Quand le soleil tournait vers l’ouest, qu’il allumait les tours, elle tirait les rideaux. Et chacun rentrait chez lui. C’était entendu. Pas de questions. Pas d’investissement. Pas de sentiments. Juste du sexe. Mais, se demandait-il, est-ce que « juste du sexe » existait ? Est-ce que « juste du sexe » était seulement possible ? Quand il pensait à elle le matin en se réveillant ou dans la journée au travail, il se sentait excité. Était-ce « juste du sexe », il n’aurait su le dire. Elle avait dit : « Je suis mariée, j’ai deux enfants, je travaille dans une agence de voyages, j’ai besoin de m’amuser ». Et il avait hoché la tête. Il la regardait dans le reflet d’une fenêtre, dans celui d’un miroir. C’était pareil pour lui, avait-il dit. Exactement pareil. Même situation. À peu de chose près. Mêmes enjeux. Elle avait paru rassurée et ils l’avaient refait.


Ils communiquaient par SMS, ou par mail sur des boîtes sans nom. Ils ne connaissaient pas l’identité de l’autre. C’était lui qui réservait les chambres. Lui qui payait. Il entrait le premier dans l’hôtel. Moquette épaisse, relents de café. Elle le rejoignait un peu après. Ces moments d’attente l’excitaient. Il se regardait dans une glace. Déboutonnait sa chemise. Se servait dans le minibar quand il y en avait un. Lisait les tarifs inscrits au mur.


Ils baisaient comme un couple adultère. Avec rage et sans inhibition. Ils y mettaient de l’entrain. Des mots. Des expressions de film porno. Des postures de pro. S’il avait pu, il aurait capturé ça sur son appareil numérique. Mais elle avait refusé. Il allumait une cigarette quand ils avaient fini. Il crachait la fumée vers le plafond. L’odeur qui régnait après leurs ébats, ce n’était pas possible. Il baissait la tête lorsqu’il quittait la chambre. Évitait le regard du personnel d’étage. Regardait ses chaussures en rendant les clés au réceptionniste.


Quand il allumait sa cigarette, il était temps de parler. Mais tout était si cadenassé, si balisé qu’il était impossible d’obtenir une confession, si minime soit-elle. Plusieurs fois il lui avait posé des questions sur son mari. Elle avait dit : « Je ne veux rien savoir de ta femme. Ni de tes enfants. Il n’y a rien entre nous. Je n’existe pas. Et tu n’existes pas ».

« Je ne veux rien savoir », avait-elle répété, « je ne veux rien savoir. Ne me demande rien ».


Il s’interrogeait. Roulait sur le lit en jouant avec des savons minuscules et emballés dans de jolis papiers. Elle partait la première. Et tandis que le jour mourait, il rentrait en taxi. Les grandes tours du centre brisaient la pluie. Depuis la vitre arrière, il observait les nuages s’amonceler sur la ville. Elle portait son alliance, une petite bague ronde et dorée. Il lui disait qu’il ne préférait pas porter la sienne. Elle lui disait qu’elle s’en moquait, que ça ne la regardait pas.


C’était un drôle d’été. Un été de merde. Quand le ciel ne se déchirait pas sous des trombes d’eau tiède, quand il ne se zébrait pas d’éclairs, la chaleur revenait à l’abordage, étouffante, épuisante. Les après-midi s’allongeaient. Ils transpiraient. Dans les draps froissés, ils laissaient de l’eau. Il plongeait sa tête dans l’oreiller, respirait un long moment. Les heures passaient. Pas plus de quatre. Il la regardait fumer une cigarette devant les rideaux ouverts. Était-elle belle ? Il l’ignorait. Cela dépendait. À certains moments, elle était à couper le souffle, à d’autres, elle lui semblait terriblement banale.


Le temps passait, leurs rencontres se rapprochaient. Il tentait de lui parler. Son travail. Ses impressions sur leur relation. « Quelle relation ? » rétorquait-elle en avançant vers lui. Tout juste concédait-elle à admettre que son boulot à l’agence ne l’excitait guère.


Elle avait une cicatrice courte et incurvée sur le bas du dos. Un grain de beauté sur la joue gauche et sur l’intérieur de la cuisse droite. Ses yeux étaient clairs mais l’un des deux avait une teinte légèrement différente. Elle avait trois couronnes et une jolie langue. Ses cheveux, quand elle les détachait, bouclaient légèrement sur ses épaules. Il y avait aussi cette autre entaille longue et fine à l’aine. Ses mains étaient sèches. Elle les lavait souvent. Mettait de la crème dessus. Il la regardait fumer à la fenêtre. Se cachait pour observer les détails, se servait des fenêtres, des miroirs, de la télévision éteinte. Regardait son cul. Il aimait la regarder.


Quand le mois de juillet tira sur sa fin, il lui demanda si elle ne voudrait pas venir dîner avec lui. Ou déjeuner. Peut-être qu’ils ne travaillaient pas loin l’un de l’autre en fait. Ou prendre un café. Juste pour voir.



Elle se rhabilla.



Elle s’approcha, passa une main sur son torse, embrassa son ventre. Il s’excusa. Ils remirent ça. Dans la ville désertée, ils baisèrent.


Tandis qu’elle prenait sa douche, il allumait la télé quelquefois. Des bandeaux de nouvelles affolantes tournaient sous des images brutes. Le temps passait vite. Ensuite, elle lui prenait la télécommande des mains, coupait l’image. « Qui ça amuse ? Toi ? »


Ils n’existaient pas. La pluie coulait sur les immeubles de verre. Puis la chaleur revenait. Il mangeait avec des collègues à midi dans le quartier d’affaires. Des milliers d’hommes et de femmes arpentaient une gigantesque esplanade devant de larges jets d’eau. Souvent, il se surprenait à la chercher du regard. Il y eut des feux d’artifice. Des week-ends prolongés. Des moments où ils ne se virent pas. Des plages plus ou moins longues. Il feintait, tentait de duper.



Mais il aurait voulu dire « à cause de toi ». Cela aurait bien sonné à ce moment précis. Mais était-ce seulement la vérité ? Il n’en avait pas la moindre idée.


Un jour, cela fut particulièrement intense. Il n’en revenait pas.



Mais il savait que ce n’était pas si simple. Elle semblait détachée. Il joua du doigt sur sa cicatrice au bas de son dos.



Elle passa sa robe. Il la vit dans le reflet de la porte en verre d’un meuble. Il la regarda s’habiller. C’était pathétique cette attitude. À japper comme un chien en laisse. Il n’avait pas prise sur elle. Rien du tout. Nada. Le vent. Elle dit : « À bientôt ». Ferma la porte. S’enfonça dans le couloir sombre. Il se leva, la guetta par la fenêtre. Un parapluie recouvrait son imperméable et ses talons hauts. Aucune prise. Aucune putain de prise. Mais qui es-tu, bordel ? Il s’habilla à la hâte, courut dans le couloir, courut sur le trottoir. À sa suite. La pluie le trempait. Il marchait au jugé, bousculant des gens. Il espérait la voir. Mais il ne la vit pas. Il avança encore un long moment tandis que les rues se garnissaient. Brava la foule. La fendit en son cœur.


Août s’éteignait. Il y avait quelque chose d’électrique dans l’air. Désormais, ils se retrouvaient dans des hôtels qu’ils connaissaient déjà. Quand elle prenait sa douche, il fouillait son sac. Mais il était presque vide. Des cachets, des bonbons mentholés, un paquet de cigarettes, de quoi se maquiller. Un portable. Toujours éteint. Il fouillait ses poches. De la monnaie. Quelques titres de transport. Pas de papiers. Suspectait-elle qu’il l’espionnait ? Il l’imaginait prenant ses précautions avant de le voir, soupirant de lassitude à l’idée de rejoindre cet amant gauche et envahissant. Il la suivait. Lorsqu’elle partait, il la suivait. Des gestes lourds. Des filatures d’amateur. Au bout d’un moment, il reculait, laissait tomber de peur d’être repéré. Mais déjà, il savait qu’elle rentrait dans le nord de la ville. Et qu’elle ne prenait jamais de taxi. Elle semblait ne se douter de rien. Ni qu’il la suivait. Ni qu’il songeait à elle le soir en s’endormant. Il lui était difficile de mettre un nom sur cet étrange sentiment. Si elle lui en avait dit plus, juste un peu, ils n’auraient fait que baiser. Et maintenant, il se sentait harponné. Bêtement. Il s’enhardissait. Marchait à une dizaine de mètres d’elle. Si elle s’arrêtait, se retournait, remontait ses bas, s’allumait une cigarette, il pivotait, plaquait son regard sur une vitrine. Son reflet le dévorait. Quand il ne pleuvait pas, le verre de la ville devenait un miroir gigantesque.


Il découvrit où elle habitait. Ce soir-là, une puissante bouffée de chaleur lui monta au visage. C’était un petit immeuble ancien et mal entretenu. Un escalier de métal en lézardait le béton usé. Elle était entrée quelques minutes plus tôt. Il attendit. Guetta la lumière qui allait s’allumer. Paria sur un étage puis sur un autre. La famille de sa maîtresse devait déjà être rentrée. Quelques appartements étaient éclairés. La plupart des fenêtres étaient ouvertes. Des effluves de repas s’échappaient dans le ciel. Il y avait une douce rumeur. Des gamins jouaient avec un ballon dégonflé sur le trottoir d’en face. Un groupe de jeunes passa devant lui. Il fit mine de téléphoner et détourna le regard. Il était déçu. Si près du but, il n’arriverait pas à savoir où elle vivait exactement. Avec du temps encore, il y parviendrait. Mais cela aurait été tellement mieux ce soir. La teinte du ciel. Le jour qui mourait. Tout cela lui convenait bien. Il s’apprêtait à partir lorsqu’une lumière fit soudainement se dévoiler un appartement au quatrième étage. Puis il la vit. Qui ouvrait les fenêtres, qui allumait une cigarette. Il recula lentement, le cœur battant. Plongea dans l’obscurité. La regarda. Observa ses bras nus. Elle se retira puis une autre lumière éclaira la pièce attenante. Et ce fut tout. Il attendit. Une heure. Deux heures. Il attendit sur un banc. La nuit était tombée maintenant et il ne voulait pas rentrer chez lui. L’obscurité l’enveloppa et il resta ainsi captif un long moment.


Il se rendit régulièrement en bas de chez elle. Et jamais il n’y eut dans son appartement d’autres lumières que celles de ces deux pièces. Quand ils se voyaient à l’hôtel, il tentait de lui poser des questions. Avec le temps, elle se laissait un peu aller. Son mari travaillait pour une compagnie aérienne. Il achetait des pièces, des choses complexes qui composaient les gros porteurs. Elle avait deux garçons, deux jumeaux. Ce genre de choses. Il n’en apprit pas plus. Elle fermait les yeux. Quand ils couchaient ensemble, elle avait les paupières closes. Il scrutait ses traits fins. Se demandait si elle prenait vraiment du plaisir. Son visage était fermé. Menteuse. Putain de menteuse. Il brûlait de lui jeter ses mensonges à la figure mais il se serait trahi et ne l’aurait plus revue. Il avait son nom. Sur la boîte aux lettres, il avait pu le trouver.


Il rentrait dans son immeuble. Montait au quatrième étage, écoutait aux portes. Elle était seule. Il y avait de la musique. Quelque chose d’assez moderne.


Au milieu de septembre, il réalisa que leur histoire durait depuis trois mois. Il le lui dit, lui offrit une rose. Elle dit :



Il se mordit l’intérieur de la bouche pour ne pas la gifler.


Un matin, il l’attendit devant chez elle. Il s’était levé tôt. Sa mallette en cuir lui pesait. Puis elle sortit. Marcha d’un pas rapide. Entra dans le métro. Il y avait du monde. Il faisait encore chaud, l’été jetait ses dernières forces et même l’aube ployait sous son joug. Il entra dans la même rame, se dissimula derrière deux formes imposantes. Lui n’était pas grand. Elle descendit quelques stations plus tard avec la presque totalité du wagon. Le quartier d’affaires. Tout le monde travaillait dans le quartier d’affaires. Il y avait des sans-abri sur une plaque d’aération. Il y avait des restes de fast-food sur l’escalator. Il s’installa à une terrasse de café puis à une autre puis encore une autre. Elle lui avait parlé d’une agence de voyages, mais elle entra dans une grande surface culturelle. N’en ressortit qu’à midi puis y retourna jusqu’à dix-huit heures. Entre-temps, il avait appelé son responsable pour l’informer qu’il ne viendrait pas aujourd’hui. Quand elle quitta son travail, elle alla boire avec un homme et une femme. « Mensonge », murmura-t-il, excédé par cette journée d’attente. Mensonge. Le pire c’est qu’il allait souvent dans ce centre, mais dans la petite tenue des caissières, si c’est ce qu’elle était, il ne l’avait jamais vue. Ou jamais remarquée.


Plusieurs fois par la suite, il faillit lui dire. Mais lui dire quoi ? Qu’il savait qu’elle n’avait ni mari ni famille, qu’elle n’était pas ce qu’elle prétendait être ? Qu’il l’avait suivie toutes ces semaines comme un misérable, un pitoyable éconduit ? Elle fermait les yeux et il regardait son profil dans un miroir. Jouait avec sa fausse alliance à elle de temps à autre. Toujours, elle se dégageait, comme s’il la brûlait. Il la regardait partir mais ne la suivait plus. Il se rhabillait. Passait sa chemise, lissait sa cravate et la posait dans sa mallette vide. Puis il rentrait. Prenait un taxi. Penchait la tête pour observer les gratte-ciel. Dans un quartier du sud de la ville, il entrait dans un petit immeuble mal entretenu, montait trois étages. Ouvrait la porte de son studio. Rangeait son costume. Rangeait sa cravate. Plaçait côte à côte ses chaussures qu’il cirerait plus tard. Et puis, quand il aurait dîné, il ouvrirait les fenêtres Tant que l’été serait là, il ouvrirait les fenêtres. Allumerait une cigarette. Regarderait les grandes tours du centre et toutes ces lumières. Jusqu’à ce que la nuit les emporte.