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Temps de lecture estimé : 19 mn
13/12/08
Résumé:  Après le debriefing de la première simulation, je suis convoqué pour un nouvel essai.
Critères:  couleurs collègues médical telnet nonéro sf
Auteur : TomaN7            Envoi mini-message

Série : L'arbre des possibles

Chapitre 02
Chapitre 2

Note de l’auteur : cet épisode fait partie de la série « L’arbre des possibles », veuillez lire le chapitre précédent avant celui-ci. Il n’y a pas d’érotisme, donc si c’est ce que vous cherchez, passez votre chemin.




Chapitre 2



Comment ça c’est tout !



Je savais bien que ce debriefing allait me saouler. Je fais face au colonel, dans son bureau. Il vient de lire mon rapport.



Le colonel a mis fin à l’entretien en me félicitant du succès de ma première simulation. Je lui ai fait remarquer que ce n’était pas une réussite puisque celle-ci n’est pas exploitable… Il m’a assuré que c’était déjà bien plus que les précédents essais, qu’il était ravi d’avoir enfin trouvé la bonne personne. Il m’a donné rendez-vous pour un nouvel essai la semaine suivante. Nous nous sommes salués.


--ooOoo--


Le soir même, le son de la clochette de Messenger m’a annoncé le début de conversation avec Hanane. D’habitude c’est moi qui la contacte, j’ai été ravi qu’elle me précède cette fois-ci. Elle était curieuse de savoir comment s’est passé le debriefing ; je lui ai raconté. Nous avons longtemps parlé de notre expérience, puis nous avons naturellement bifurqué vers notre vision du futur. Elle est beaucoup moins pessimiste que moi ! Je me rends compte que la vénération d’un être supérieur a au moins l’intérêt de donner l’espoir d’un futur meilleur.


Nous n’avons pas du tout la même façon de penser. Mes raisonnements scientifiques, associés à mon mal-être permanent et mon impression de vivre dans une époque qui ne me correspond pas, ne peuvent qu’amener des scénarios tous plus noirs les uns que les autres. Au contraire, Hanane voit la volonté d’Allah dans toutes les épreuves de la vie, pour forcer l’humanité à s’élever et ainsi toujours améliorer l’âme humaine.


Évidemment, je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire que son Allah était bien sadique de vouloir les génocides et autres atrocités de l’histoire. Je l’ai regretté dès que ma phrase fut validée. J’étais sûr qu’elle allait crier au blasphème et que ça allait mettre fin à notre discussion, voire à notre amitié. Mais non, elle m’a renvoyé un argument : elle croit à la bêtise de l’Homme autant qu’à son libre-arbitre. La faiblesse de la plupart serait la cause des dégénérescences des épreuves divines. Je suis plutôt d’accord avec elle, mais pour moi l’Homme n’a pas besoin d’intervention divine pour être imbécile et exploser la tête de son prochain.


Le sujet glisse peu à peu, elle me demande à quoi je me rattache vu que je ne crois ni en Dieu ni en l’Homme. Je lui réponds que je crois en la science, que je préfère profiter de la vie et ne pas me poser de questions. Pour elle c’est le meilleur moyen de ne pas faire tout ce qu’on a à faire dans une vie. Mais qu’est-ce que j’aurais à faire de plus ? Je ne crains pas la sentence divine, personne ne m’oblige à faire quoi que ce soit ! Elle a cette fois du mal à comprendre mon point de vue. Elle me fait la remarque que cet état d’esprit je-m’en-foutiste laisse libre cours à la débauche, elle ne voit pas l’intérêt de fiche sa vie en l’air au nom de la liberté totale. Non, fiche ma vie en l’air, quand même pas, je ne suis pas suicidaire ! Oui, je bois des fois jusqu’à en être malade, oui je couche avec des femmes que je ne connais pas et que je ne reverrai jamais. Et alors ? Je m’évade ! Je m’éclate ! Qu’y a-t-il de mal à ça ?


Ce n’est pas sa vision de la vie et de la liberté. Pour elle, l’esprit et l’âme sont ce qui fait l’essence d’un être humain, et qu’en toute occasion ces deux vecteurs doivent prendre le dessus sur le corps. En me laissant aller aux plaisirs corporels, je fais tout le contraire… Je suis d’accord en ce qui concerne l’importance de l’esprit, puisque je veux toujours en apprendre davantage ; mais nous ne sommes pas que pur esprit…


Je conclus en écrivant « Mais qu’est-ce qui m’a pris, je viens de parler de philosophie, et en plus j’avais plein de chose à dire ! ». Elle m’envoie en retour un bonhomme qui se bidonne en se roulant par terre. Sympa ce smiley… Elle doit y aller, me souhaite une bonne soirée, et m’envoie un petit nounours qui me fait un geste de la main… Je souris béatement alors que le bip de sa déconnexion retentit.


--ooOoo--


La semaine suivante, je me rends au centre pour une nouvelle simulation. Toujours le même procédé : pose des électrodes de l’EEG pour suivre les élucubrations électriques de mon cerveau, transfusion qui me fait planer et enfin injection pour m’endormir tout à fait. « Tout cela n’est pas dangereux pour ta santé », m’a assuré Hanane. C’est elle la spécialiste, et elle a toute ma confiance.


Je retrouve les sensations étranges de la précédente fois : mes membres s’engourdissent, mon cerveau devient passif, une voix me lit des informations que je ne peux comprendre, en s’éloignant de plus en plus. Je me sens bien, je plane, déconnecté de la réalité, je ne pense à rien, mon esprit se vide. Et enfin je m’endors…


Je marche dans la rue. Qu’est-ce que je fais là ? Où vais-je ? J’ai amené mes filles à l’école et je suis de retour chez moi. J’ai deux filles adorables, elles ont six et dix ans. Elles sont toute ma vie, j’ai décidé d’arrêter de travailler pour les élever, ma femme a une suffisamment bonne situation pour me laisser ce choix. Ah oui, j’ai une femme magnifique aussi !


Je passe par une bouche de métro qui crache son flot de travailleurs pressés. Je récupère un des quotidiens gratuits entassés, je le lirai chez moi. Il fait anormalement doux pour cette fin d’automne. La ville grouille, fume, vocifère. Je lève les yeux vers le ciel, pas de nuage, mais pourtant ce n’est pas un bleu éclatant, c’est un bleu triste, virant sur le gris. La pollution parisienne…


Je suis enfin chez moi. Les klaxons, les moteurs débridés crachant leurs vapeurs nocives commençaient à me prendre la tête. Retrouver le calme de mon appartement est un soulagement. Je m’assois dans un fauteuil, tourne les deux premières pages de pub pour accéder à la une. Pas de photo, juste une illustration. Tête de mort sanglante avec le sigle jaune et noir du nucléaire. Effrayant.


C’est vrai, je m’étais promis de ne plus lire l’actualité. Trop de violences, trop de massacres, trop de villes rayées de la carte dans le ping-pong nucléaire actuel. Troisième guerre mondiale. Une guerre de lâches. Pas de combat. Une guerre press-button de dirigeants cloîtrés dans leurs bases souterraines, bien à l’abri de toute attaque. Une guerre de négociations qui n’aboutissent jamais.


Cela a débuté par un bombardement dit chirurgical des USA contre Bagdad. Un coup de semonce. Les gendarmes du monde, devant leur incapacité économique à déclarer une véritable guerre en Irak, ont voulu saboter son régime dictatorial. Mais qu’est-ce que le retrait précipité des troupes occidentales aurait pu amener d’autre qu’une nouvelle dictature, encore plus répressive que le régime de Saddam Hussein ? Pour réparer leur erreur, ils n’ont rien trouvé de mieux que ce bombardement honteux qui a tué des centaines de civils.

Sauf qu’on s’est rapidement aperçu quel soutien matériel avait le régime. Les États-Unis ne sont pas prêts de l’oublier. Personne ne se doutait que l’Iran avait fini par mettre au point son missile nucléaire très longue portée. Pas très efficace par rapport aux autres puissances nucléaires plus matures, mais tout de même suffisamment pour faire plusieurs dizaines de milliers de morts d’un coup.


Vengeance immédiate : Bagdad anéanti, puis Téhéran. Là, le monde a bien vu l’efficacité militaire occidentale : les morts se sont comptés par millions, ces villes sont transformées en une terre en ruine irradiée pour des générations. L’attaque a eu l’effet inverse de celui escompté. La Chine et la Russie y ont vu l’occasion de mettre fin une fois pour toute à la suprématie américaine. Bien entendu, l’Europe ne pouvait pas laisser tomber ses intérêts économiques avec les USA. Et c’est parti pour une nouvelle guerre mondiale…


Tout cela me dépasse, je ne veux pas le savoir. Je préfère le prendre avec légèreté, comme si c’était une bonne blague. Je ne regarde plus la télévision, je n’écoute plus la radio, je ne surfe plus sur l’Internet. Tous ces médias sont saturés d’articles ou de programmes tous plus déprimants les uns que les autres.


Je profite des instants de bonheur avec ma petite famille. J’inonde les trois femmes de ma vie d’amour. Je ne vis que pour elles, tout le reste n’a plus d’intérêt, tout le reste me rendrait fou furieux. Chaque soir, chaque matin, je fais l’amour à ma femme. Voir la jouissance dans ses yeux, voir toute l’innocence dans ceux de mes filles permettent de donner du sens à ma survie.


Saut de plusieurs heures. Impression désorientante, étourdissante.


Je suis de nouveau dans la rue, je reprends le chemin inverse de celui de tout à l’heure, je ne suis plus très loin de l’école primaire. Des parents d’élèves sont agglutinés devant la grille. Comme à mon habitude, je ne me joins pas à eux, je reste un peu en retrait. Je n’ai surtout pas envie d’entendre leurs conversations. Quelques minutes plus tard, des enfants commencent à sortir, et puis mes filles viennent me rejoindre.


  • — Alors, c’était bien cet après-midi ? Vous avez fait quoi ?
  • — Moi j’ai fait de l’écriture, dit la petite.
  • — C’est bien, tu t’es appliquée j’espère !

Hochement de la tête.


  • — Et moi de l’histoire ! ajoute l’ainée.
  • — L’histoire de quoi ?
  • — L’In-qui-si-tion, dit-elle en détachant les syllabes de ce mot nouveau. Ils brûlaient des femmes qui n’avaient rien fait, ils étaient barbares à l’époque !
  • — Bah, ce n’est pas mieux aujourd’hui…

Regard de stupeur de ma fille.


  • — Je plaisante, bien sûr ! Allez, on rentre !

Quand nous arrivons dans notre rue, le grande me demande si elle peut aller voir une de ses copines qui marche devant nous. Évidemment, la petite veut la suivre. Je donne mon accord, elles se mettent à courir. Gigantesque explosion. Je crie en voyant la carcasse d’une voiture déchiqueter leurs petits corps. Je ne m’entends pas, mes tympans ont explosé pendant la déflagration, du sang coule de mes oreilles et de mon nez. Des radiations brûlent l’ensemble de mon corps. Je ne souffre pas longtemps mais affreusement.


Je ne suis plus qu’un cadavre carbonisé perdu dans le néant.


--ooOoo--


Houa ma tête ! J’ai mal partout. Au moins je suis encore vivant… Il me semble bizarre de ne pas être intégralement brûlé… Mais non, bien sûr, ce n’était pas la réalité ! Pourtant je me sens si mal ! Que s’est-il passé, elle a foiré leur simulation ? Et puis quelle horreur cette vision, encore pire que la précédente ! Je ne peux me défaire de la vision des cadavres de mes filles adorées, je reprends un coup de stress, mes yeux se brouillent de larmes.


Non, ce ne sont pas mes filles ! Je n’ai pas de filles, elles n’existaient pas. Le personnage qui est mort les aimait, mais ce n’est pas moi, lui non plus n’existait pas. C’est une pure invention de mon esprit déprimé ! Mais comment oublier ça si vite ? Se rattacher à la réalité de l’instant, voilà ce que je dois faire. Reprendre possession de mes sens, c’est le plus facile, je réfléchirai plus tard.


Je commence par respirer profondément. Je sens mon souffle gonfler mes poumons, je commence à percevoir des odeurs. L’odeur des draps propres, l’odeur d’une chambre d’hôpital, et aussi une autre odeur plus subtile. Je me concentre, je la connais cette odeur, je l’aime, je la trouve rassurante. Une odeur de femme, chaude et enivrante. Mélange indescriptible de parfum passé et de sécrétions hormonales.


Nouveau sens en éveil : l’ouïe. Premier son entendu, le doux ronronnement d’une personne endormie à ma gauche. Puis le bruit mécanique d’appareils médicaux, et d’autres, plus lointains, non identifiés, des bruits de la nuit. Est-ce bien la nuit d’ailleurs ? J’ouvre les yeux. Ouch ! Vif éblouissement, je les referme. Éblouissement d’une lampe de chevet allumée et, oui, nous sommes bien en pleine nuit. Où suis-je d’ailleurs ? Qu’est-ce que je fais là ? Non ! J’ai dit que je ne devais pas réfléchir ! Ne surtout pas repenser à tout cela, ou plus tard, quand je serai complètement reposé.


Le toucher maintenant. L’aiguille de la perfusion est toujours plantée dans mon poignet droit. Je suis en caleçon et tee-shirt. Un pied froid est contre ma cheville gauche, mais je ne le repousse pas. Ma main gauche est entre ma cuisse nue et celle de cette femme dans mon lit. Je déplace doucement mon bras jusqu’à être en contact avec son genou enveloppé de jean’s, pose délicatement le bout de mes doigts puis remonte en effleurant très lentement sa cuisse.


Nouveau tissu en contact avec mes doigts. Un tissu plus fin, plus lisse, plus soyeux. Je sens le jean’s en dessous alors que je remonte toujours aussi lentement le long de sa cuisse, je perçois le relief de broderies. Je me heurte maintenant au cuir d’une fine ceinture à travers sa robe. J’arrête là ma remontée, je sais que je serai en contact avec sa peau à travers le fin rempart de tissu, je ne veux pas toucher cette peau, pas comme ça, alors qu’elle est endormie. Je ne veux pas voler cette première caresse.


J’ouvre une nouvelle fois les yeux, en détournant mon regard de la source lumineuse. Nouvel éblouissement, moins franc. Ma vue n’est pas nette. Je me redresse, reste assis sur mon lit, essaye de focaliser mon regard, n’y arrive pas. Tant pis. Je me penche pour atteindre l’interrupteur de la lampe, j’éteins. Soulagement pour mes yeux, épuisement pour le reste de mon corps. Je m’allonge à nouveau.


Mes yeux toujours ouverts s’habituent peu à peu à la pénombre, je commence à percevoir des formes dans ma chambre. Un cadran lumineux m’informe qu’il est trois heures et demie du matin. J’ai envie de me mettre sur le côté et de finir ma nuit avec dans mes bras cette femme que j’aime. Mais non, la perfusion me retient de le faire, je ne sais pas s’il y a assez de longueur, j’ai peur de l’arracher pendant la nuit.


Et puis, qu’est-ce qui me permet de prendre cette femme jusqu’alors inaccessible dans mes bras ? Je ne veux pas voler nos premiers câlins, je ne veux pas voler nos premiers baisers. J’arrange les couvertures afin qu’elles nous bordent tous les deux, prends sa main et m’endors, heureux d’être à ses côtés.


--ooOoo--


Je ne dors pas longtemps, mais tout de même suffisamment pour laisser le jour se lever. L’aube se montre à travers les rideaux tirés. Je me sens beaucoup mieux, j’ouvre les yeux : pas d’éblouissement cette fois, tout est net. J’ai faim. D’ailleurs quand ai-je mangé la dernière fois ? Pas depuis hier matin, si ce n’est plus si j’ai été dans le coaltar plusieurs jours ! Après ces pensées existentielles, je me rappelle le plus important : la présence de la femme que j’aime tout près de moi.


Je rapproche le support de perfusion et me tourne vers elle. Seule sa tête tournée vers moi dépasse des couvertures. Son voile le plus fin a glissé pendant la nuit, laissant apparaître une oreille et quelques fines mèches frisotées. Ses cheveux sont toujours couverts par son bonnet de tissu blanc cassé, mais la racine de ses cheveux noirs tirés en chignon est visible au-dessus de son front dégagé. Les traits paisibles et l’insouciance de cette femme endormie ont quelque chose de touchant par rapport à son habituelle sobriété.


Je passe mon bras gauche au-dessus de son ventre, empaume doucement son épaule. Je me rapproche un peu, son visage est tout proche du mien. Je détaille ses fines paupières fermées et leurs irrésistibles petites rides d’expression, j’ai envie de goûter son petit nez, d’embrasser ses lèvres finement ciselées. Je pose des petits baisers le long de sa tempe, sur sa joue si douce, puis derrière son adorable oreille.


Je la sens frissonner, elle se réveille peu à peu. J’ajoute quelques bisous sur son front puis pose ma tête en observant ses paupières qui s’ouvrent doucement.



Elle se dégage violemment, se précipite hors du lit, attrape sa veste, l’enfile rapidement. Hébété, je la regarde s’enfuir de ma chambre sans se retourner. Je l’entends prononcer ces mots alors qu’elle disparaît :



--ooOoo--


Je reste perplexe, me demandant ce qui s’est passé dans sa tête pour réagir ainsi. En tout cas, je n’ai rien à me reprocher, je n’ai pas du tout abusé de la situation. Peut-être aurais-je dû la réveiller de façon moins tendre ? Ça n’aurait pas changé grand-chose à mon avis, c’était simplement le fait de se retrouver dans le même lit que moi… Pourquoi d’ailleurs ? Elle n’y a pas été mise de force ! C’est peut-être pour cela qu’elle s’en veut, d’avoir eu ce moment de relâchement, de s’être endormie à côté de moi…


Alors que j’étais assis, en train de choisir les mots à prononcer au retour d’Hanane, une interne est venue aux nouvelles :



Je le fais lentement, j’ai un peu mal partout, mais j’arrive tout de même à rester debout et à faire quelques pas.



La douche m’a fait un bien fou, mais rester debout est tout de même assez fatigant pour moi. Je suis sur mon lit placé en position assise, l’interne ne tarde pas à revenir avec le petit déjeuner annoncé.



Je n’ai pas eu à attendre beaucoup avant la visite suivante, juste le temps de déjeuner tranquillement. Levasseur est venu me voir dès neuf heures. Après l’habituel « Ça va ? Oui, ça va… », je lui fais remarquer :



Nous nous serrons la main. Le colonel me promet à nouveau la visite d’Hanane d’ici peu. En effet, une demi-heure plus tard elle arrive en m’apportant mon ordinateur. Elle s’est changée depuis sa fuite. Que sa tenue est triste ! D’habitude, les couleurs vives de son voile et de sa robe égayent sa veste sombre, mais là non, elle est habillée tout en noir. Comme pour se punir de l’écart de cette nuit, ou pour se protéger de nouvelles tentations.



Elle paraît vraiment gênée.



Je me lève et m’approche d’elle.



Mais elle ne me repousse pas. Je la prends tendrement dans mes bras, elle se laisse faire quelques instants puis se laisse aller et me serre de toutes ses forces. En pleurant, elle répète plusieurs fois qu’elle m’aime, je lui réponds à chaque fois que je l’aime aussi. Je l’emmène vers le lit, elle ne veut pas me lâcher pendant que je l’y dépose en position couchée. Nous nous allongeons en nous serrant toujours autant.



Elle ne me répond pas. Nous restons quelques instants soudés, mais je vois qu’elle n’est pas à l’aise, elle sursaute à chaque bruit dans le couloir, comme si le fait d’être dans mes bras lui était interdit, comme si ça allait la déshonorer d’être surprise dans mon lit.



Un ange passe. Je romps ce silence gênant :



Elle rougit en baissant légèrement les yeux.



Le ton détaché que j’ai pris pour dire ça la fait rire. Mais elle se reprend vite, rire de ces choses ne semble vraiment pas autorisé par son éducation.



C’est bien ! Les couleurs de son visage apportent un peu de gaieté à l’austérité de sa tenue.



À suivre.