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Temps de lecture estimé : 24 mn
20/01/09
Résumé:  Il fait beau sur la vieille ville, j'ai une heure devant moi, je déambule au hasard des rues étroites... Souvenirs...
Critères:  amour nostalgie
Auteur : Patrik  (Carpe Diem Diemque)            Envoi mini-message
Le bustier

Le bustier


Collection Revebebe

Tout un monde d’éva..â..asion…

(air connu)



Il fait beau sur la vieille ville, j’ai une heure devant moi, je déambule au hasard des rues étroites, le long des maisons hautes, sur les trottoirs pavés. Tant de souvenirs sont liés à cette cité, presque un demi-siècle de ma vie défile au gré de ma promenade.


Fatigué, je m’assieds sur un banc dans un petit square et je laisse le soleil chauffer mon corps. Je regarde les toits rouges et pointus percer un ciel presque bleu. Une petite brise agite les feuilles des trois ou quatre arbres autour de moi. Je suis bien.


Derrière moi, j’entends des éclats de voix, des jeunes filles. Je tends l’oreille, il me semble bien que ce soit de l’italien. Je me retourne. Il y a là au moins une dizaine de jeunes filles d’une vingtaine d’années, accompagnées de deux adultes. C’est alors que je me souviens : Antonella, le printemps soixante-treize…



Soixante-treize : sept et trois, mes chiffres préférés. Ne me demandez pas pourquoi, c’est ainsi. Antonella, une bien belle et adorable petite femme, même si elle avait à peine vingt ans à l’époque, tout comme moi. Petite, c’est beaucoup dire : elle mesurait un mètre soixante-cinq environ. Mais quand je la voyais je ne pouvais pas m’empêcher de la considérer comme un adorable petit bébé poussé trop vite. Quand elle arrivait pimpante dans ses habits colorés, je ne pouvais pas éviter de songer à un délicieux bibelot à conserver avec soin. Bref, cette fille me faisait un effet fou, un étrange mélange entre amitié et amour. Maintenant je saurais quoi faire mais, quand on a vingt ans, on croit tout savoir et, en réalité, avec le recul, on ne sait pas grand-chose sur les relations homme-femme…


Antonella… Nella… Alors je me souviens de ce printemps soixante-treize…



--ooOoo--



Mai 68 était passé par là, les carcans de ma jeunesse avaient été pulvérisés, nous avions soif de liberté, d’utopie, de changement. Les anciens criaient à la décadence, les plus jeunes vivaient sans frein, oubliant toute une éducation stricte. L’université d’alors était une vaste cour de récréation, où l’herbe des pelouses tenait lieu de banc d’école, surtout en ce début d’après-midi…



Elle se plante devant moi, les mains sur les hanches, face au soleil, j’ai une magnifique vue d’elle, une image qui me restera des dizaines d’années après. C’est vrai qu’elle est ravissante, ma belle Italienne, avec ses yeux noirs, ses cheveux bruns bouclés, sa petite poitrine frémissante et ses hanches accueillantes ! Elle me houspille :



Je me lève et nous partons nous enfermer dans les sombres salles de cours. Arrivés à bon port, nous avons une certaine surprise en découvrant un papier scotché sur la porte. Nella ouvre grand ses yeux sombres :



Elle s’assied sur ses talons. Elle soupire :



Elle se relève, et moi je perds la splendide vue que j’avais de l’échancrure de sa chemise blanche. Oh, pas grand-chose à voir, mais j’avais au moins sous les yeux la naissance de son fin sillon… Antonella n’a peut-être pas beaucoup de poitrine, du quatre-vingt cinq B au maximum, mais j’adore les petits seins pointus… Surtout à travers une blanche chemise un peu large pour elle…


Je me souviens alors du temps où nous étions à l’école maternelle, elle et moi. Je n’aurais jamais songé à cette époque que… Non ! Vers ses douze ans, elle était partie en Italie. Loin ! Nous avons échangé quelques lettres, de plus en plus espacées. Parfois, au début, durant les vacances, elle venait faire un petit coucou dans le coin. Puis, un beau jour, elle est revenue faire son université… Le choc que j’ai eu en la revoyant !


Oh oui, le choc ! Je suis tout songeur…



Elle me regarde, étonnée. Je ne sais pas si c’est à cause des films de Fellini ou si c’est pour la phrase en italien. J’avoue que je me suis mis à cette langue parce que Nella marmonnait souvent entre ses dents des choses que je ne comprenais pas. J’ai quelques bases, mais je sais que ce n’est pas la panacée.



Elle sourit, nous nous dirigeons vers le soleil, l’air printanier du dehors. Nous nous arrêtons sous un arbre. Elle tourne la tête vers moi :



Je la regarde, elle a son petit nez pointu dardé vers le ciel. Un peu plus bas, je constate avec une grande satisfaction que ses seins menus en font de même. Cette fille me rendra complètement fou à son insu… Intrigué, mais les yeux toujours rivés sur le mignon spectacle qu’elle m’offre, je lui demande :



Elle soupire, pince ses lèvres, le nez toujours au ciel, ses petits seins aussi :



Qu’ai-je à perdre ? Je hausse les épaules, elle ne me voit pas, son regard au lointain. Mes yeux quittent à regret sa poitrine et glissent sur son jean moulant. Elle a peut-être un peu trop de rondeurs sur les hanches, mais je ne suis absolument pas contre ! Me tirant de ma rêverie, je réponds :



Quand on est jeune, on a des fulgurances. Quand on est vieux aussi, mais on les range dans un coin de sa tête. Quoique…



Je m’adosse posément à l’arbre tandis qu’elle me dévisage, la bouche ouverte. Je continue :



Elle est perplexe, mais visiblement intéressée. Elle se dandine sur place, basculant d’un pied à l’autre. Parfois, elle me jette un rapide coup d’œil. Finalement, elle se décide :



Et je la prends par la main.


Sur le coup, je ne réalise pas, c’est au sortir du campus que je constate que sa main est toujours dans la mienne. Je stoppe sur place, rougissant comme un simple ado, regardant nos doigts emmêlés. Elle aussi, elle semble à présent réaliser la situation. Elle est décidément ravissante quand elle rougit ainsi. Je sais néanmoins que je ne dois certainement pas être plus pâle qu’elle. Je lui souris, je garde sa main précieusement entre mes doigts, elle esquisse, elle aussi, un sourire et nous nous enfonçons dans la ville.


Je connais cette ville depuis ma tendre enfance. J’ai souvent entendu parler du magasin « Bonheurs de Paris ». Si j’ai bon souvenir, même ma grand-mère y allait déjà, et je me demande si sa propre mère n’y allait pas déjà. L’actuelle propriétaire des lieux est une vieille dame de plus de soixante-dix ans qui a décidé de mourir à son comptoir comme d’autres veulent mourir sur scène. Elle est assez connue dans la ville, moi je ne l’ai jamais vue. J’ai eu affaire à sa fille - enfin, je le crois - les deux fois où je suis entré dans ce magasin, il y a une bonne année de ça, quand j’ai accompagné ma petite sœur qui ne voulait pas y aller seule. J’ai pu constater qu’il y avait un certain choix, et même des choses dont j’ignorais l’existence…


Nella est toute rouge quand nous entrons dans la sombre boutique de lingerie. Personne au comptoir. Elle lâche ma main pour aller fureter un peu partout. Moi je reste sur place, levant les yeux pour examiner les lieux. D’un coup, j’entends une voix me demander :



Entre-temps, Nella s’est approchée. Elle confirme d’une toute petite voix. La vieille dame la scrute de haut en bas, j’ai l’impression qu’elle lui fait subir un scanner aux rayons X. Puis, de sa démarche hésitante, elle s’enfonce dans l’arrière-boutique. Elle revient peu après, les bras encombrés de deux grosses boîtes qu’elle pose sur le comptoir.



La vieille dame, qui doit finalement avoir ses quatre-vingts ans, ouvre les boîtes. Nella ouvre de grands yeux et s’extasie. Je reconnais que ces deux bustiers sont en effet très jolis. Je tente même d’imaginer ce qu’ils pourraient donner sur ma Nella.



Nella s’empare du bustier, elle le plaque sur elle. Au moment où elle passe devant moi pour se diriger vers la cabine, elle s’arrête un court instant et me regarde d’un air étrange. Elle détourne la tête puis disparaît sous le rideau. Je n’arrive pas à déchiffrer l’expression qu’elle vient d’avoir à mon égard. Je suis perplexe.


La vieille dame s’approche de moi. Elle me sourit d’un air convenu. Je suis un peu mal à l’aise. Pour donner le change, je lui demande :



La vielle dame me contourne à petits pas puis se présente face à moi :



Elle tourne la tête vers la cabine, dodeline de la tête puis me regarde à nouveau en souriant :



Et elle s’éloigne à petits pas. Je la vois qui parle à travers le rideau à Nella, mais je n’entends pas ce qu’elles se disent. Puis la vieille dame entre dans la cabine. Alors j’attends. Étrange personne que cette vendeuse. J’ai un peu peur de comprendre ce qu’elle a voulu me dire avec son histoire de mille ans. Pour être précis, je ne comprends que trop bien !


Puis la vieille dame ressort. Toujours son petit sourire. J’ai parfois l’impression d’être une petite souris face à un gros matou narquois… J’en ai la confirmation la seconde suivante.



Elle m’entraîne vers la cabine où se cache Nella. Le rideau s’agite. Je vois les pieds de ma « jeune amie » faire du surplace. On dirait qu’elle hésite à sortir. D’un coup, elle lance :



Quelques secondes passent, puis le rideau s’ouvre.


Toute ma vie, enfin jusqu’à maintenant, j’ai eu cette vision en tête. J’ai tenté de la revivre, mais je n’ai jamais réussi totalement. J’y suis parvenu partiellement. À présent que j’ai presque le triple de l’âge que j’avais à l’époque, je me dis, là maintenant assis sur mon banc, que ce fut la plus grosse émotion de ma vie.


Nella, ma Nella de cette époque, j’y songe encore et encore. Mais, hélas, tu ne seras plus jamais cette Nella-là, celle de mes vingt ans à peine. Tu as disparu d’abord dans une autre femme, puis… puis… Mes yeux se brouillent.


Oui, quelques secondes passent, puis le rideau s’ouvre.


Le choc, mon cœur qui bondit, Nella si belle, si ravissante, ses épaules dénudées, ses bras libres, ce bustier qui magnifie son adorable corps de jeune femme, l’orée de ses seins délicats, le noir de la matière luisante qui contraste avec la douceur satinée de sa peau. Oh ! Nella, ma Nella… je ne pouvais pas détacher mon regard de ton corps, de l’arrondi de tes hanches moulées dans ton jean, de ton bustier qui épousait ton ventre délicatement courbe, de tes seins ajustés dans les balconnets sombres. J’aurais alors voulu être peintre, sculpteur, ou plus simplement photographe pour immortaliser cet instant, mon émoi, mon désir.


Cet instant… mon émoi… mon désir…


Nella… Je n’ai jamais su trouver les mots pour décrire exactement ce que je ressentais. Seule ton image à ce moment précis est restée en moi, gravée à jamais. Plus tard, bien plus tard, je tenterai de photographier, avec d’autres femmes, avec des modèles, cet instant magique. Je n’obtiendrai chaque fois qu’une pâle copie. Une bien pâle copie.


Je me souviens de la suite…


La vieille dame me regarde en souriant, Nella se tortille sur place, totalement cramoisie. Et moi, je dois avoir une curieuse expression. C’est la vendeuse qui débloque la situation :



Je cligne des yeux, je reviens sur terre. Je bafouille :



La vieille dame sourit un peu plus, Nella devient encore plus rouge pivoine. Et moi, je suis comme fasciné, hypnotisé. Cette fille me rendra fou, complètement marteau ! Son charme est totalement ensorcelant ! C’est ma sorcière bien-aimée qui arrive à me sortir de mon état second :



Je tourne autour d’elle, contemplant chaque centimètre carré de son bustier, chaque pli, chaque parcelle de sa peau si attirante.



Là, je crois que j’en ai un peu trop dit ! Nella me regarde, yeux grands ouverts, bouche qui l’est tout autant. Et moi, je me demande comment j’ai pu me laisser aller ainsi. Je fais quoi, moi maintenant ? Je confirme et je me prends un gadin d’enfer ? Je me rétracte tant bien que mal et je sauve les apparences ?


Le temps semble suspendu. Même si mes yeux sont rivés sur ceux de celle que j’aime, je vois bien du coin de l’œil que la vieille dame semble s’amuser de la situation. Il y a des jours où on aurait mieux fait de ne pas se lever. Je me demande même si j’ai bien fait d’être né, mais ça, je n’y suis pour rien, c’est la faute à mes parents ! Quand je pense qu’il y a moins d’une heure j’étais tranquillement allongé sur l’herbe en train de me dorer au soleil, libre de tout souci, peinard, l’âme heureuse…


Bon, là j’ai un problème à résoudre d’urgence. Si nous restons figés comme deux statues, nous ne sommes pas sortis de l’auberge, loin s’en faut. Je cherche quoi dire, quoi faire. C’est Nella, d’une voix mal assurée, qui relancera le mouvement :



J’ai choisi mon camp, advienne que pourra :



Je m’approche d’elle, je pose mes mains sur ses épaules nues, son contact est comme électrique, elle frémit elle aussi. Bien que terriblement troublé, je continue sur ma lancée :



Elle reprend tant bien que mal un air sérieux, je n’aime pas trop ça. Je sais que ça annonce quelque chose de pas triste. Elle énonce d’un ton presque docte :



Là, elle blêmit. Avec le recul, je reconnais que j’y vais un peu fort, mais ça sort tout seul. Plus j’y songe, plus je sais que c’est vrai, que c’est ce que je désire au fond de moi. Il est étrange qu’on se connaisse finalement si peu soi-même.



Ça, en effet, c’est un argument parfaitement valide, d’une logique sans faille ! Oui, parce que… Quelque chose en moi me dit que, finalement, ma situation n’est pas si désespérée que ça. Si ma tendre Nella est incapable d’aligner des arguments solides, alors qu’elle est totalement cartésienne quand elle le veut, ça signifie qu’elle est troublée bien plus qu’elle ne le veut.


Ceci étant, je commence à avoir des problèmes avec mon self-control… Rien que de sentir sa peau si douce, si chaude sous mes doigts…


Non, il ne faut pas, je ne dois pas !


Non, contrôle-toi !


Je l’attire à moi et je l’embrasse. Elle ne résiste pas, elle semble se couler contre moi. Ses lèvres sont si douces, si sucrées, son souffle chaud me chavire, sa langue mouillée m’électrise. Un long baiser, comme un moment d’éternité…


Elle s’écarte un peu de moi, nos lèvres se séparent, elle me regarde fixement. Franchement, j’ignore quelle va être sa réaction… Une claque ? Une insulte ? Un reniement ? Autre chose ? Nos yeux sont toujours rivés l’un à l’autre, elle me demande d’une voix qui se voudrait ferme :



Sans doute, mais je constate néanmoins que nous sommes toujours l’un contre l’autre, elle dans mes bras, et que je n’ai toujours pas reçu de claque.



Je la sens complètement mollir entre mes bras. Elle est à moi, je ressens ça au plus profond de mon être, c’est impossible à décrire, c’est une évidence. Je la serre précieusement contre moi, elle ne résiste toujours pas, nos corps s’épousent ; tendrement, je caresse ses cheveux bouclés. Sa respiration qui était saccadée se ralentit, s’apaise…



Alors je l’embrasse à nouveau, tout heureux. Un long baiser partagé ! Oui, elle veut de moi, ses mains me le disent, ses lèvres me l’avouent ! Je suis comme fou, je plane par-dessus les nuages, ailleurs et en même temps si présent avec elle, son corps, sa chaleur, sa saveur, son parfum, tout d’elle ! Je ne pourrais jamais me lasser de l’embrasser ainsi ! L’embrasser, la serrer contre moi, à moi, en moi !


C’est alors que je me souviens que nous sommes dans une boutique de lingerie avec une spectatrice aux premières loges…


Doucement, je me retourne vers la vieille dame. Ses yeux pétillent, elle s’amuse visiblement. Nella réalise, elle aussi, la situation, elle veut s’écarter de moi, mais je la maintiens contre moi, lui laissant néanmoins un peu d’espace. Elle est mon bien le plus précieux, je ne la laisserai pas partir ainsi. Après un bref toussotement, je dis :



Nous nous regardons, son expression est d’abord très étonnée, puis elle s’adoucit. Quelque chose dans ses yeux change, je ne saurais dire quoi mais, au fond de moi, j’en suis heureux. Très heureux, sans doute, l’homme le plus heureux du monde.


Avec Nella toujours serrée contre moi, je paie. Dans ma main, sa chemise blanche, celle qui me laissait entrevoir bien des espérances… Nos bras autour de la taille, nous déambulons sans but réel dans la ville, sur ses anciens trottoirs pavés, le long de ses hautes maisons aux toits pointus, nous nous dévorons de bisous, de caresses, peu importe les gens autour de nous : nous sommes seuls au monde.


Seuls au monde, nous le sommes aussi dans mon petit studio. Nous sommes agenouillés sur le lit, face à face, et j’admire celle que j’aime, si mignonne dans son bustier qui révèle ses épaules, qui magnifie si bien ses seins menus, sa silhouette… J’ai une envie folle de la dévorer de baisers, partout, sur les moindres parcelles de sa peau dévoilée, je veux tout découvrir d’elle, tout explorer, tout avoir, tout posséder !


Ce n’est pas la première fois que j’ai l’immense plaisir d’avoir une jeune fille dans mon lit (ou dans un autre), mais aujourd’hui c’est particulier : il s’agit de celle que je veux garder jusqu’à la fin de nos jours. C’est la première fois que je ressens cela, et ça me panique un peu.


Je me souviendrai longtemps de ce moment : elle face à moi, son corps qu’elle me prêtait, son corps qu’elle me donnera par la suite, jour après jour… Ses yeux dans les miens, nos doigts entremêlés, notre souffle court, l’attente de nos lèvres, de notre peau, de nos chairs, cette chaleur d’être près d’elle, d’être contre elle, d’être en elle…


Cette joie indicible de la posséder tout en étant complètement à elle… Elle, tout mon univers, ses paysages tout en courbes, son cou dans lequel je me noie, ses seins menus que je bois, son ventre que je dévore, son nid dans lequel je me réfugie… Lui faire l’amour avec tant de tendresse et d’abandon, je n’y aurais jamais cru…


Comme je n’aurais jamais cru à ces moments de folie, de sa chair à moi, de mes mains vagabondes, de ma bouche vorace, de ses cheveux si soyeux, sa peau délicate et savoureuse, cet océan de douceur, de tendresse, et moi, si anguleux et incisif par rapport à elle…


C’est pourtant la réalité de ce moment magique, ce sera aussi la réalité palpable et tangible de bien d’autres jours et mois…



ooOoo



Dieu qu’elle est belle dans son bustier blanc ! Entourée de mousseline vaporeuse, une véritable petite fée, ma fée rien qu’à moi. Un homme en noir déclame que nous nous engageons pour toute une vie devant un dieu auquel je ne crois pas, mais auquel elle tient beaucoup. Moi je n’ai d’yeux que pour elle, si belle, si rayonnante, si divine. Elle, ma propre religion.


La journée sera longue, tant de mains à serrer, tant de mots à dire. Je me suis uni à ma Nella et, toute la journée, tout le monde a passé son temps à me la prendre ! Les heures s’écoulent interminablement. J’ai simplement hâte que nous ne soyons plus que deux, elle et moi !


La fameuse nuit de noces est une fumisterie ! Comment voulez-vous décoller au septième ciel un nombre interminable de fois quand vous avez vécu une journée harassante, tout en étant le point de mire d’une foule de personnes ? Franchement ? Nous avons néanmoins fait un gros câlin, juste avant de sombrer dans les bras de Morphée ! Sans plus !


Mais au matin, pardon, à midi, quand nous nous sommes réveillés… nous avons, je pense, plus que rattrapé le temps perdu ! Oh, certainement la matinée la plus… torride que j’aie pu vivre avec ma Nella ! Même si par la suite nous avons fait « pire »…


C’est fou quand on est amoureux ce qu’on peut faire de folies avec son corps ! Après coup, vous réalisez que vous avez parfois dépassé les bornes de la bienséance commune ; je dirais même que, si vous lisiez pareille chose dans un récit, vous vous diriez en vous-même que l’auteur exagère un peu beaucoup sur les bords. Mais non, même pas.


Ce fut le cas pour notre « matinée de noces »…


Je n’aime pas les mots dans ces cas-là, ils ne sont pas capables de décrire exactement toutes ces impressions, ces sensations féeriques et torrides. Je ne sais plus où j’avais lu que faire l’amour, c’est le moment où l’homme se sent dieu, ce qui expliquait pourquoi nombre de religions avaient créé le péché de chair. Je suis peut-être athée, mais Nella est ma déesse aux yeux sombres.


Ce jour-là fut un grand fleuve impétueux dans lequel nos corps roulèrent jusqu’à plus soif, brisés, cassés, laminés, mais toujours recommençant, perpétuellement, inlassablement. Ce jour-là, je fus le plus grand conquérant du monde, brassant des guerriers innombrables, ravageant de vastes contrées, régnant sur un empire voluptueux.

J’ai pris toutes les villes de cet empire, ses mégalopoles, j’ai asséché tous ses lacs miroitants, j’ai défié les nuages, je me suis brûlé au soleil dont j’ai pris tout le feu, j’ai embrasé la lune pour qu’elle soit un nouvel astre irradiant.


Oui, j’ai tout pris, toujours et encore, encore et toujours. Tout !


Inlassablement, tout, sans rien laisser derrière moi. Comme si demain allait ne plus exister…



--ooOoo--



Un jour, un carrefour avec des feux rouges, un chauffeur assoupi, un gros camion contre une petite Fiat. Puis le ciel et son dieu pour ma Nella. Et aussi les ténèbres sur cette terre pour moi.


Je suis passé d’un coup du paradis sur terre au vide de l’enfer…


Je vous assure que l’enfer, ce ne sont pas les flammes, le four rougeoyant, le chaudron bouillant. Non, c’est le désert glacé, sans chaleur, vide, immensément vide…


Si vide…


J’essuie une petite larme furtive. Malgré le temps qui est passé depuis toutes ces années derrière moi, si lointaines, je ne m’y suis jamais fait. J’essaie d’enfouir tout ça au fin fond de mes souvenirs, fermés à double tour. Mais, parfois, il suffit de peu pour que…


Lentement, je me lève de mon banc. Ulla, ma toute nouvelle femme, mon nouveau soleil, a certainement bientôt fini sa séance de kiné. Je consulte l’heure à tout hasard. L’affichage me confirme ce que je savais déjà. Le groupe d’Italiennes est loin à présent… Quittant mon passé, je reviens au présent, refermant à double tour la porte de mes souvenirs…


Nella, Ulla… même rime, mais deux femmes aux antipodes l’une de l’autre. C’est la solution que j’ai trouvée pour me guérir de mon véritable premier amour. Il m’aura fallu presque quinze ans pour tourner la page. Je sais toujours parler italien, je me suis mis assez vite à l’allemand ; assez étonnée quand même, ma nouvelle femme apprécie mes efforts en la matière, et elle me récompense souvent de très jolie manière ! Ça va faire un certain temps que j’ai quitté les rivages simplistes du « Ich liebe dich ». Je m’aventure même dans la poésie, sans être trop ridicule à ce qu’on m’en dit. À moins qu’on ait pitié de moi…


Nella, Ulla, avant, après, mes deux femmes, mes deux seules femmes…


Maintenant je sais qu’il y a toujours un après.