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Temps de lecture estimé : 6 mn
26/04/09
Résumé:  Déjeuner entre amies.
Critères:  humour
Auteur : Patrick D            Envoi mini-message
Ma chère Henriette

Une sodomie !


Vous m’entendez bien Henriette ! Voilà la nouvelle toquade de Charles : une sodomie !


Eh bien, figurez-vous ma chère que c’est à peu de choses près la même tête que vous que j’ai faite !


Ça vous gêne que je vous en parle ? Comment cela, ça vous gêne ? Vraiment ? À qui voulez-vous que j’en parle sinon à vous ? Depuis combien d’années sommes-nous amies ? Trente-cinq ans ? Au bas mot, oui certainement. Vous êtes la seule personne à qui je puis m’ouvrir de ces choses-là, Henriette.


Trente-cinq ans, si, si, souvenez-vous. Notre amitié date de ce jour où vous m’avez sollicitée pour votre association caritative Blanches Colombes. Oh, ma chère Henriette, vous m’avez immédiatement plu. Cet investissement, ce dévouement dont vous faisiez preuve, et dont vous ne vous êtes pas départie d’ailleurs, m’avaient réellement bouleversée ! Se démener ainsi pour permettre à des jeunes filles miséreuses de s’offrir un mariage digne de ce nom… Vous aviez fait vibrer ma corde la plus sensible. Je peux bien vous l’avouer aujourd’hui.


Allons, ne rougissez pas comme ça, c’est moi que vous allez mettre mal à l’aise, Henriette. Eh bien oui, cela fait trente-cinq ans maintenant ! Et deux ans plus tard, j’épousais Charles. Tout cela ne nous rajeunit pas…


Vous souvenez-vous de mon mariage, Henriette ? Quel beau mariage, ce fut ! C’est vous qui m’aviez renseigné ce château, n’est-ce pas ? Quel endroit somptueux ! Et cette robe que je portais ! Quelle merveille ! Savez-vous qu’il m’arrive encore de regarder les photos de ce jour ? Parfois, le dimanche après-midi lorsque Charles travaille, je m’installe dans le boudoir, derrière la fenêtre, au soleil et j’ouvre mon album. Croyez-le ou non, Henriette, il m’arrive de verser une larme. Tout ce faste, tous ces gens présents, ma robe merveilleuse… ça me gonfle encore le cœur.


Charles aussi était très élégant ? Euh, oui, aussi, bien entendu…


Voilà plus de vingt ans que cette fantaisie de travailler le dimanche lui a pris. Depuis la mort de papa, pour tout vous dire. Il prétend qu’il règne un calme sans pareil à l’usine ce jour-là, qu’il peut enfin se concentrer sur ses nombreux dossiers, expédier l’administratif. Soit. Mais plus jamais il ne s’est rendu à l’office. Ça me chagrine un peu. Encore heureux que vous m’y accompagniez Henriette, sans cela, j’aurais du mal à soutenir le regard de monsieur le curé. Je suis convaincue d’y lire le reproche de cette absence de Charles…


Ce travail l’accapare, c’est peu de le dire. La semaine, je ne le vois pratiquement pas, il dîne avec ses clients au moins trois soirs sur cinq. Le samedi, il golfe pour entretenir ses relations qu’il entraîne ensuite dans d’interminables discussions au club-house ; et le dimanche, il se prépare comme s’il avait rendez-vous avec un ministre puis, dès dix heures, pfuit, il file comme s’il avait le diable aux fesses ! Je me demande d’ailleurs pourquoi il s’échine à se raser, à se pomponner de la sorte. Il n’y a que lui à l’usine ce jour-là.


Parfois, vous savez Henriette, je me demande s’il ne m’a pas épousée par intérêt. Non, non, je ne pleure pas, j’ai une poussière dans l’œil, voilà tout. Mais vous avez raison, je ne dois pas penser de la sorte. Il est vrai qu’il n’est absolument pas responsable du fait que papa l’ait engagé dans son équipe. Encore moins du fait que papa soit décédé prématurément et qu’il ait dû reprendre les rênes de l’attelage. Fort bien, de surcroit. Il s’y entend en affaires, le patrimoine familial est entre de bonnes mains.


Si seulement, il n’avait pas de ces toquades ! Avant la dernière en date, celle dont je vous parlais tout à l’heure, voilà qu’il s’était mis en tête d’élever des araignées exotiques ! Ma chère Henriette, je me suis retrouvée avec des terrariums, des bocaux en verre, des plantes ad hoc comme disait Charles, tout un fatras innommable ayant coûté une petite fortune, partout dans la cave de la maison ! Et des bestioles immondes, effrayantes, poilues, grotesques, gigantesques ! À n’en plus finir ! Charles tentait de me convaincre que cet élevage était absolument sans risques mais je ne dormais plus tranquille ! Jusqu’au jour où en me maquillant dans la salle de bain, je suis tombée nez à nez avec une de ces créatures répugnantes !


J’ai tellement hurlé dans le téléphone, cette malencontreuse rencontre m’ayant pratiquement rendue hystérique, que Charles a tout lâché sur-le-champ et est revenu à la maison à toute vitesse. Dans l’heure qui suivait, des spécialistes sont venus nous débarrasser de toute cette ménagerie, j’avais été catégorique !


Et je ne vous parle pas de la fois où il avait rêvé de s’adonner à la cuisine chinoise. J’en ai contracté une intoxication alimentaire carabinée. Je suis restée clouée trois jours au lit, à boire des potions infâmes et à m’appliquer des onguents graisseux sur des éruptions cutanées hideuses. Et tant d’autres lubies encore… Je pourrais vous en parler des heures durant.


Et voilà que maintenant, monsieur a rêvé de pratiquer la sodomie !


Prenez encore un peu de ce gâteau, Henriette. Il est fait maison, au bon beurre, pas une saleté de grande surface. Pourquoi souriez-vous ? Ah non, je n’ai pas vu Le dernier tango à Paris. Je ne suis pas cinéma, vous le savez bien.


Non mais Henriette, vous vous rendez compte ? Une sodomie. Je n’en reviens pas. Et vous verriez les trésors d’ingéniosité qu’il déploie pour me rallier à sa cause : « des sensations sans pareilles, ma chérie, je ne vous dis que ça » ou autres « une fois que vous y aurez goûté, vous ne pourrez plus vous en passer, je vous le garantis ! » Sans relâche ! Il tente de m’avoir à l’usure mais je ne cèderai pas, ça c’est moi qui le garantis ! Et puis après, il tente aussi de me rassurer : « vous ne ressentirez aucune douleur, vous verrez, nous serons prudents, délicats, nous procèderons par étapes. » Par étapes ?


Et pourquoi pas une fellation tant que nous y sommes ? Excusez-moi Henriette, je suis consciente d’être un peu grossière mais c’est que cet énergumène me met pratiquement hors de moi, voyez-vous ? Parce qu’il faut bien vous dire, tant que je suis dans les confidences, que la fellation, ce rustre a aussi tenté de m’y amener ! Eh oui, je vous assure ! Mais cela, c’était au début de notre mariage, j’étais encore jeune et un peu inconsciente alors j’avais consenti à tenter cette expérience lubrique. Mais quand j’ai eu ce… cet attribut malodorant, veineux en bouche, j’en ai attrapé le hoquet, des haut-le-cœur ! Et je l’ai recraché à une vitesse fulgurante !


Je pensais pourtant avoir été claire cette fois-là. Je pensais réellement m’être bien fait comprendre. « Plus de perversions malsaines d’aucune sorte mon ami » lui avais-je dit. Sous peine de divorce. Je reconnais qu’il a pu se tenir coi près de trente ans, mais voilà qu’il remet ça à présent.


Oh, ma très chère Henriette, je vous demande pardon de m’être montrée si familière, si vulgaire avec vous mais il fallait que j’en parle à quelqu’un. Et vous êtes ma seule vraie amie. Merci de m’avoir écoutée, je me sens un peu soulagée.


Vous êtes vraiment une amie, une femme exceptionnelle ! Je ne comprends pas que vous ne vous soyez jamais mariée. Oui, je sais, vous êtes extrêmement occupée par vos bonnes œuvres mais tout de même, une perle comme vous. Enfin, j’espère que nous aurons encore longtemps l’occasion de déjeuner ensemble le dimanche.


Oui, oui, je sais, ne vous mettez pas en retard, allez, filez, je vous embrasse.


Quelle femme merveilleuse cette Henriette ! Et courageuse. Oh oui ! Voilà aussi plus de vingt ans qu’elle travaille le dimanche. Quelle dévotion ! Et puis, elle est toujours tellement soignée, tellement élégante. Quelle chance j’ai d’avoir une amie comme elle !