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Temps de lecture estimé : 22 mn
27/05/09
Résumé:  L'héroïne, en l'occurrence la pimbêche, pardon Carole, dégoise son vague à l'âme et s'étale à longueur de pages. Trahit-elle son époux ? L'intention y était en tout cas.
Critères:  fh fplusag boitenuit danser travail amour cérébral revede nonéro -amourcach -regrets
Auteur : Annie-Aime      Envoi mini-message
Une petite amourette

C’est réglé comme du papier à musique, je débarque chez mes parents chaque matin vers huit heures depuis bientôt quatre ans et ce jour ne déroge pas de l’habitude. C’est une journée d’automne triste et froide, la météo annonce de la neige. Dans l’appartement, le chauffage tourne à fond, la température avoisine celle de l’équateur et la radio égrène les infos. Ma mère s’affaire à la cuisine, tandis que mon père dort encore. Un AVC survenu dans sa soixante seizième année, combiné avec une maladie d’Alzheimer, en ont fait un « bienheureux » grabataire, presque un « légume ». Par bonheur, notre famille bénéficie de l’assistance des personnels d’une association.

D’ordinaire, l’aide soignante arrive tandis que je procède aux préparatifs de la toilette. Ce peut être Brigitte, Évelyne, Françoise, Nicole, Judith ou quelques autres salariées de « l’Association », selon les hasards de la programmation.

Mais jamais, au grand jamais avant ce jour, cela n’a été un homme. L’infirmière chef accompagne le nouvel employé.



Les fossettes du jeune homme se creusent joliment, ce qui ajoute une note tendre à l’expression de son sourire, qu’il élargit encore tandis qu’il me tend la main. Je la saisis machinalement, par pur réflexe.



Ses yeux ont la couleur des lagons, un vert intense, lumineux, hypnotique.



L’accent porte la chaleur du midi. Je m’arrache à l’envoûtement.



Le minois est trop mignon, à croquer. Arnaud est beau comme le sont ces garçons délurés à peine sortis de l’adolescence, comme le sont ces statues de dieux grecs dont les visages, autant que les corps, sont divinement sculptés. Il trimbale une jeunesse désinvolte et dresse une dégaine svelte, nonchalante.

Sa beauté m’irrite, je le sens, en réaction parce que je n’y suis pas insensible, en superposition parce qu’elle ajoute une connotation superficielle, laquelle rime tout à fait avec mes a priori sexistes et ma conviction qu’un homme, a fortiori un mâle beau et jeune, ne peut pas égaler une femme pour ce genre de job. Par contrecoup, je suis injuste, désagréable, méchante même, et je le juge empoté alors que sa gaucherie n’est rien moins que normale pour sa première intervention chez nous.


Mes préjugés sont tenaces, résistent des semaines durant. C’est ma façon de nier l’attirance qui me porte vers ce jeune homme mais en mon for intérieur, je sais combien je suis partiale, combien je suis séduite. L’amour m’est tombé dessus, je suis amoureuse de ce gamin, de sa jeunesse, de son image. L’icône m’envahit, creuse sa niche dans les méandres de mon cerveau. Ce genre de toquades ne m’est pas familier, jamais je n’ai connu, j’erre en terre inconnue et me laisse berner.

L’ouvrage est démoniaque au point que je soupçonne Satan, et cherche le serpent mais c’est trop tard, il m’a déjà inoculé le venin. Ma conscience se rebiffe, lutte, convoque l’autodérision. Le ridicule ne m’échappe point et j’ai un peu la trouille du jeu interdit. Le garde chiourme de mes pensées attise les frayeurs, brocarde le grotesque tandis qu’un diablotin immisce son fiel et plaide l’innocuité sinon l’innocence. Depuis quand serait-il malséant de reconnaître et admirer la beauté ? L’argument ne me trompe pas, ma lucidité filtre le prétexte fallacieux mais en retour mon irritation grandit et j’en conçois plus d’hostilité.

Il me faut quelques semaines pour trouver l’équilibre et une certaine quiétude, sinon la sérénité.


Ridicule ? Je le suis en effet de m’enticher de la sorte d’un gamin d’au moins dix ans mon cadet, d’autant qu’on n’attend pas ce genre d’errements d’une mère de famille, mère de trois filles adorables et magnifiques dont l’aînée est déjà une ado délurée.

Suis-je à ce point vulnérable pour m’amouracher ainsi ? Ô mon époux, pourquoi me délaisses-tu ? Où sont nos vertes années ?

Mon Dieu, qu’il est loin le temps de l’insouciance, le temps quand notre bonheur se nourrissait d’un rien, qu’il suffisait d’être ensemble et le reste du monde disparaissait.

Chéri, ne mesures-tu pas le temps qui passe ? Oh pardon ! Tu n’as pas de temps pour la métaphysique, tu vas au foot entraîner la relève. M’aimes-tu encore ? Mais oui, bien sûr, rétorques-tu du ton un poil impertinent dont tu ne te dépars jamais. Naturellement, ce n’est pas la réponse que j’attends et, à vrai dire, je ne sais plus ce que j’espère. Un sursaut peut-être qui ferait voler en éclat le carcan de cette routine périlleuse, funeste même dans laquelle notre amour est en train de sombrer.


Les questions existentielles résonnent plus fort que jamais depuis que mon âme s’est noyée dans les yeux aux couleurs des lagons, et la polémique intérieure n’en finit pas de me tirailler, si bien que je me réfugie dans l’hyperactivité pour tromper le vague à l’âme et oublier les atolls autant qu’Éros.

Mon rêve ressurgit quand je m’y attends le moins, m’emporte vers quelque contrée paradisiaque et me berce d’utopies au point que la frustration n’en est que plus grande quand la censure de mes inhibitions vient mettre bon ordre et me rapatrie impitoyablement aux motifs des obligations familiales, de la morale, de la fidélité, du boulot ou bien je ne sais quoi encore.

Mes rêves ne sont-ils pas innocents ? Sans doute pas tout à fait, sinon pourquoi la culpabilité me turlupinerait-elle autant quand mon imagination plonge, tête première, dans les eaux limpides du Pacifique.

Bizarrement les zélés censeurs qui siègent en collège aux abords de mon cervelet, taisent leurs subtiles arguties quand je torche la merde de papa en compagnie d’Arnaud.



Une prémonition me souffle qu’il arrive. C’est lui ! Il toque, c’est sa frappe, je la reconnais. Mon cœur bat plus fort, la tête me tourne, la joie m’enivre. Arnaud rapplique, vif, fougueux, enthousiaste comme à son habitude.



J’entends tout, je retiens mon souffle, je devine qu’il pose ses clés, ses affaires, ôte son blouson, avant de me rejoindre dans la chambre.



Nos relations sont désormais cordiales. Je me prête docilement à la procédure, m’émeus de la pression de sa main sur mon épaule, goûte le contact de sa joue contre la mienne. Des attouchements brefs, innocents qui sont pour moi autant de perles de bonheur, dont la chaleur ravive ma flamme. Je rêve de le retenir, n’ose pas, il s’éloigne, se dirige vers le lit médicalisé.



Nous parlons volontiers de choses et d’autres tandis que nous prodiguons les soins. J’apprends qu’Arnaud est amateur du ballon rond.



Inexplicablement, sans que je le sente moindrement venir, je ne veux pas et ne peux pas parler de mon époux avec Arnaud. Je dois vaincre mes réticences pour terminer ma tirade.



Mon embarras croît davantage. Il me déplait d’apprendre qu’il rencontre mon conjoint.



Le sang afflue, enflamme mes joues, je baisse la tête pour cacher mon trouble. Tout bien considéré, le doute me convient très bien, il me déplairait d’essuyer une nouvelle rebuffade ou pire, d’apprendre qu’il vit avec une femme.


L’amour que je ressens pour Arnaud est totalement insensé et assurément unilatéral. Je n’ai pas d’illusion, mon sentiment n’est pas payé de retour, ne peut pas l’être. D’ailleurs, je ne le cherche pas et ne le veux pas, car cet amour doit rester platonique. C’est mon secret, mon plaisir et mon calvaire tout à la fois. Je me laisserais écorcher vive plutôt que de l’avouer, plutôt que de mettre en péril l’avenir de mon ménage, de ma famille, de mes filles.


L’amour adultérin n’est pas pour moi, ma résolution se veut inébranlable au nom de la loyauté, laquelle toutefois n’exclut pas une certaine mauvaise foi parce que le pragmatisme, plus que la morale, dicte ma décision. Non pas que je manque de moralité mais j’en mesure la futilité et les limites et je brasse la confusion alors que le devoir de prudence lui, ne tolère pas les tergiversations.

C’est du moins ce dont je veux me persuader car il règne un grand désordre dans ma caboche, à tel point d’ailleurs que même l’inconcevable, l’inacceptable fermente aussi. Cela ne dure jamais plus qu’un instant, pendant lequel flashe la perspective d’une liaison et d’autres trucs de ce genre tout aussi peu catholiques. Ouais, ma tête est une sacrée pétaudière.


Personne ne peut imaginer combien ma passion gouverne ma vie. Le plus difficile est de jouer la comédie, de garder profil bas.

Quand d’aventure on parle d’Arnaud avec une collègue à lui, mon conjoint, ma mère, mes amies ou qui que ce soit, il me faut trouver le ton juste et observer une certaine distance pour dissimuler mon sentiment. La même réserve est pareillement censée prévaloir quand je suis au contact d’Arnaud si je ne veux pas être devinée. En règle générale, je m’en tire assez bien, sauf que je ne peux pas m’empêcher de jouer les coquettes.

Le régime draconien et les footings épuisants que je m’impose depuis quelques mois commencent à porter des fruits, les kilos superflus s’évanouissent, ma silhouette s’affine, mon ventre est presque plat.

Dans le même temps, ma garde robe connaît une révolution fondamentale sous l’impulsion de mon amie Marie-Noëlle, dont j’ai sollicité les conseils éclairés, parce qu’elle est infiniment plus talentueuse, plus moderne, plus piquante, plus délurée que je ne suis.

C’est fou comme un rien peut changer une femme. Une nouvelle coiffure, une jupe plus courte, des talons plus hauts, et me voilà une autre que l’on mate comme si je venais d’arriver. L’œil, un brin concupiscent, d’Arnaud me récompense de tous mes efforts et, en prime, je me régale de la convoitise de tous ces mâles, dont mon très cher époux lequel semble redécouvrir mes avantages.


Mon époux n’est pas seul, maman aussi mesure la révolution mais elle, à l’encontre du premier, pressent mes motivations, n’aime pas du tout et me le dit. La fine mouche est perspicace, se fait inquisitrice, surveille nos opérations au demeurant strictement professionnelles ou peu s’en faut. Je vois son manège. Peut-être croit-elle au lupanar autour des couches de papa.


Par contrecoup j’ai quelque peu modéré mes velléités d’élégance et mon jeu de séduction n’en est que plus hypocrite mais je garde l’affût envers et contre tout. Rien n’est visible. Maman espionnerait-elle qu’elle en serait pour ses frais.

Vrai ! Pas d’attouchements si ce n’est quelques effleurements involontaires. Non ! Ma luxure est exclusivement cérébrale. Je fais pâture et me repaît des œillades subreptices du jeune homme, lesquelles sont comme autant d’éclairs, autant de dards vecteurs de volupté, laquelle perfuse délicieusement dans ma tête, mes chairs, mes entrailles et tout mon corps.

Mes radars, mon sonar et tous mes sens sont en alerte. Je devine quand le mâle lorgne mes seins dans l’échancrure du décolleté tandis que je me penche pour les soins. Je l’imagine quand il reluque mes fesses tandis que je m’affaire pour ceci ou cela ou bien pour rien, simplement parce que je le veux bien.


Ces menus plaisirs, somme toute assez innocents, font mon bonheur et pimentent ma vie. Ils ne surviennent guère qu’une ou deux fois la semaine, lors des services d’Arnaud, dont l’arrivée est fonction du planning établi par l’infirmière chef, laquelle navigue à vue pour satisfaire des besoins en partie imprévisibles et assez variables d’un jour à l’autre. Il résulte que les usagers ignorent qui va débarquer pour les soins. C’est en quelque sorte, chaque jour la surprise. On s’y fait.

C’est dire la tombola, l’espoir qui chaque matin me tient en haleine. La récompense n’en est que plus douce quand d’aventure l’être aimé franchit le seuil.


Mon amourette pour Arnaud me tient compagnie, me réchauffe le cœur et me distrait. Je ne saurais plus m’en passer, mais ma débauche est nécessairement mesurée, mes désirs réglementés et mes débordements contrôlés, car il est primordial de ne pas bouleverser ma vie riquiqui et codifiée de petite bourgeoise.

J’aime mon mari et mes filles, pas question de bousculer mes priorités pour Arnaud. Bobonne je suis, bobonne je reste jusqu’au bout des ongles et y compris dans mes égarements. Le temps s’écoule paisiblement et mon sentiment va son chemin de même manière.


Cette passion que je voue au jeune homme n’est pourtant pas aussi inoffensive que je crois. Un beau jour, plutôt mauvais d’ailleurs, des nuages perturbent mon ordonnancement paisible et la jalousie me donne à connaître sa morsure.


Ce jour là, une coïncidence maligne fait que Magali, ma fille aînée, m’a accompagnée alors qu’Arnaud est de service. La différence d’âge n’est pas si importante et les deux jeunes gens se découvrent des affinités, cultivent une complicité dont je prends ombrage. Un tel synchronisme est rare, j’y vois la main du malin dont les griffes déchirent mon âme et mon cœur. Les affres du supplice me tourmentent et persistent tout le jour et la nuit suivante aussi. « Pitié Mon Dieu ! », imploré-je sans être entendue.


Du moins, croyais-je ne pas être entendue mais le Très-Haut ne réagit qu’à son heure. Le lendemain, la destinée m’adresse le signe d’espoir qui va clore ma convalescence. L’ange charitable délègue l’infirmière chef, laquelle livre l’information providentielle à l’occasion d’un contrôle inopiné.



Dans ma petite tête, le déclic est quasi instantané. Les visites de l’être aimé sont effectivement plus fréquentes depuis quelque temps. Le rapprochement avec mon auguste personne triomphe, quand bien même mes suppositions seraient injustifiées.

Un espoir fou naît dans mon cœur autant que dans mes tripes et prend son essor. L’exaltation s’empare de tout mon être. Je frémis, je tremble, je suis tétanisée, je ne me contrôle plus qu’à grand-peine.

Se peut-il qu’il m’aime ? L’idée enfle, s’impose, devient conviction. Je lutte, cherche à contrer cette joie illusoire autant qu’illicite. En vain ! Le bonheur défendu me submerge, que mon cœur seul ne peut contenir. Quelle journée magnifique !


Le printemps resplendit, les verts dominent : les verts tendres des feuillages immatures, les verts sombres des épicéas et autres résineux, les verts léchés des pelouses fraîchement tondues et les verts chatoyants des prairies ondoyant sous la brise, lesquels cependant n’égaleront jamais la nuance sans pareille des yeux merveilleux de l’amour de ma vie.

Le souffle du vent dépouille les pommiers en fleurs et dissémine alentour le tapis des pétales. Les tulipes déploient en grand leur corolle pour un ultime salut tandis que les iris dressent leurs panaches parés de couleurs majestueuses. La palette de l’arc en ciel défile devant mes yeux et participe de la fête pour égayer la journée mémorable, les violets ardents et les mauves tendres, les jaunes innombrables et les blancs immaculés, les rouges agressifs et les bleus satinés, celui des myosotis et celui des pervenches. La vie est belle ! Les lilas et les glycines embaument les senteurs entêtantes, aphrodisiaques.


Ce soir, pour la première fois, j’imagine être dans les bras d’Arnaud pendant que mon époux me fait l’amour. Mon enthousiasme est décuplé. Un orgasme d’une intensité inédite et d’une durée inégalée me propulse sur une orbite stellaire au milieu de la voie lactée.


De ce jour, la « tierce présence » dont le talent fait merveille, fraye de plus en plus dans la couche nuptiale. Je la convoque pour orchestrer les rapports conjugaux, lesquels reprennent la vigueur et la chaleur qu’ils n’auraient jamais dû perdre, pour le plus grand plaisir de mon époux autant que le mien.

Le succès endort mes scrupules, ma conscience rebelle est muselée, privée d’arguments puisque Martial y trouve son compte. Pour être hypocrite, le prétexte n’en est pas moins efficace. La « tierce présence » s’enracine, le génie de mes pensées ne me quitte plus, lui seul peut me conduire à l’orgasme. Je me pâme sous les caresses de ce compagnon fidèle. Je l’invite à partager mes entractes solitaires que je multiplie à l’envi sans plus pouvoir m’en passer. Mes journées sont languides et mes nuits torrides.


Si j’en étais restée là, tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes mais ne voilà-t-il pas qu’il me vient l’envie inconcevable de quitter le monde virtuel, d’affronter la réalité, de tout avouer à Arnaud, de déclarer mon amour, de confesser mon désir, mon appétit, ma faim.

Je perds la tête et suis prête à me vautrer à mon tour dans la fange, dans cette duplicité que j’exècre chez les autres. La chair est faible, je veux Arnaud mais ne veux pas perdre Martial pour autant.



Je caresse l’idée, pèse le pour et le contre, refoule les craintes, démolit les doutes. La valse-hésitation dure des jours et des jours avant que je me décide. Oui ! Je veux, je vais tenter ma chance. C’est décidé, « l’Association » m’en donne l’occasion. Elle organise une petite fête sans prétention pour réunir tout son monde, le personnel et les usagers, comme les aidants familiaux.


Mon cœur bout de tout ce que je vais dire à Arnaud, ma pauvre tête n’en peut plus d’avoir tant récité la leçon, d’avoir tant astiqué la prose aussi bien que les vers et la diction autant que l’intonation.

Et ce n’est pas tout ! Le coiffeur ne jure que par moi, la manucure ne connaît que moi, sans parler du bijoutier auquel j’ai abandonné une bonne partie de mes économies. Je me fais belle pour Arnaud, rien que pour Arnaud.

Mille fois, pas moins, j’ai passé ma tenue en revue, des heures j’ai expérimenté mes sandales à talons « d’échassiers » et « j’vous dis pas » le maquillage, le rimmel, le mascara et autres onguents dont nous, les femmes, faisons trop souvent usage.


C’est sûr, je vais bégayer tant la fébrilité m’étreint, il faut que je me calme. Les écoliers chantent « bientôt les vacances » et la venue de l’été. Le soleil brille dans le ciel et dans ma tête quand je me prépare à déclarer ma flamme.


Arnaud est en compagnie de ses collègues féminines. Mon impatience pousse la vapeur, je le rejoins au pas de charge sans plus me contrôler et le hèle en même temps, sans prendre le temps de respirer.



Le ciel me tombe sur la tête. Je reste sans voix, bouche ouverte à gober les mouches.



Les larmes ne sont pas loin, que je ne pourrai pas longtemps retenir. Je salue tristement tout le beau monde et aussitôt qu’il m’est possible, tourne les talons traînant ma contrariété et le gros chagrin à mes basques jusqu’en un recoin secret où je largue mon fardeau et les pleurs.


On ne m’y reprendra plus à m’illusionner de la sorte.


Un tel choc n’est pas sans conséquence. Les répercussions physiologiques sont nombreuses : je me traîne, j’ai mal à la tête, je ne dors plus, je ne mange plus et n’ai plus goût à rien. Le toubib diagnostique une asthénie nerveuse et me colle une pharmacopée hallucinante.

Ma mère s’inquiète, les filles sont tracassées, les collègues au boulot me regardent avec suspicion comme si j’étais contagieuse, Martial mon époux se lamente et supporte plutôt mal le sevrage. Je baise plus. Bernique !

Il me faudra plus d’un mois pour me remettre. Depuis l’incident, mon comportement vis-à-vis du jeune homme est redevenu banal, normal comme il aurait toujours dû être.


Pourtant, un jour, un peu avant l’Assomption, le soleil brille à nouveau avec plus d’éclat. Le matin de ce jour heureux, Arnaud est de service.



De mon côté, je n’en ai point, je le dis et expose brièvement les autres déterminants à mon interlocuteur.



Je suis indéfectiblement crédule. Indécrottable ! Les films de ma médiathèque onirique prennent la couleur sépia. C’est nouveau, parce que ces derniers temps j’étais plutôt condamnée au noir et blanc.



Ma question était évidemment idiote, gauchie par mes arrière-pensées. La réponse d’Arnaud est honnête en toute hypothèse mais je n’y vois que sa disponibilité nouvelle. Les lumières les plus vives illuminent mes neurones, rouges, bleues, jaunes et vertes. La fantasmagorie défile en couleur. Mes espoirs reprennent de l’élan, plus vibrants que jamais. Quelle conne je fais !


Les antidépresseurs et autres cochonneries filent à la poubelle. Me voilà de nouveau fringante, mais pas nécessairement vaillante, pour ces choses de la chair, auxquelles il me faut néanmoins sacrifier pour me concilier mon cher époux. J’ai quelques remords à l’abuser et en rajoute pour qu’il y trouve son compte.

C’est ma manière à moi de réparer quand je me sens coupable et du coup mes remords sont un peu moins vifs.



Voilà, c’est chose faite, nous serons de la fête. Dans la foulée, Marie-Noëlle reprend du service. Elle et moi écumons les boutiques à la recherche de la robe fabuleuse, digne d’Aphrodite. Au terme d’un bon millier d’essais, ou peu s’en faut, nous dénichons enfin une robe longue, absolument divine, dos nu, glamour à souhait et sexy. Banco ! Mes économies sont à nouveau mises à contribution.


Idiote que je suis, je n’ai pas résisté au plaisir des confidences et, au cours de nos pérégrinations marchandes, j’ai confié mes tourments à mon amie, laquelle se gausse de mes tergiversations.



Sa vision de l’amour est simple, charnelle, et ses recommandations en la matière, sont de même couleur, vigoureuses et gaillardes. Pour Marie-Noëlle, l’accouplement est une thérapie naturelle, indispensable pour une bonne hygiène physiologique et mentale, qu’elle célèbre aussi souvent que possible et en variant ses partenaires autant que les circonstances le permettent. Quand à ce qui concerne le cas « Arnaud », ses conseils se résument à trois mots « allumer, baiser, fuir » lesquels, selon elle, caractérisent autant de phases dont chacune est impérative.


Enfin, nous y voilà. Ce soir fatidique, je m’alanguis devant mon miroir, évalue la gambette, scrute la fesse et tantôt la poitrine. Des spartiates à semelle légèrement compensée et talons démesurés étirent ma silhouette, allongent la jambe. Ma poitrine joue librement, balance harmonieusement au rythme du mouvement. Le tissu léger dessine le téton, épouse la fesse dont aucune marque disgracieuse ne dépare le galbe émouvant, au point que Martial s’imagine que je ne porte rien sous ma robe.


C’est l’un des fantasmes récurrents de mon époux. Autrefois, il m’a maintes fois supplié et par deux fois j’acceptais, il y a longtemps de cela, mais il a chaque fois tout gâché. Il ne tient pas la longueur. Son humeur vire à l’aigre quand l’épreuve se corse, c’est-à-dire quand les circonstances deviennent un tant soit peu excitantes.

Il souffre d’un naturel jaloux qu’il ne sait pas surmonter. Aujourd’hui, j’aime autant ne pas susciter sa jalousie si bien que je le laisse vérifier. Évidemment, il ne peut qu’être déçu, quand il découvre le shorty presque imperceptible mais, du moins, je m’épargne la scène désagréable, laquelle éclaterait immanquablement à un moment ou à un autre si je laissais divaguer son imagination.


Notre table réunit quelques footeux et leurs épouses. Marie-Noëlle est présente avec son ami André, de même que Julien lequel est célibataire.

C’est le plus proche et le plus vieil ami de Martial. Ils étaient déjà grands copains avant même que je connaisse mon mari au temps du lycée. J’aime bien Julien. C’est un garçon timide, serviable, fiable, sur lequel on peut compter en toutes occasions, à toutes heures du jour et de la nuit.

Il m’a souvent dépanné quand les gamines étaient plus jeunes, à tel point que ce n’est pas moi ni Martial, mais lui qui a eu le bonheur de guider les premiers pas de la dernière. L’exploit est imprimé en gras et surligné comme il se doit dans les annales de la famille, dont Julien fait naturellement partie en raison du mérite et de l’ancienneté sinon par lignage.


La salle est bondée et l’ambiance surchauffée. Comme d’habitude, nos hommes tètent plus qu’ils ne devraient, moi aussi, la tête me tourne un peu.

Après le repas, Marie-Noëlle et moi ne quittons plus la piste. Danse avec nous qui veut, Julien, André ou tartempion, peu nous importe. L’alcool, la musique et la frénésie stimulent nos nerfs, survoltent nos esprits. Je m’enivre de rythme et m’étourdis de rocks endiablés pour oublier l’attente.

Je ne vois toujours pas Arnaud et guette en vain. L’animal se montre bien après minuit. Il me fait un signe amical en arrivant sur la piste. C’est un de ces moments où le DJ pilote à vue pour ranimer l’ambiance et tonne périodiquement « changez de cavalière ! ». Je manigance pour me retrouver dans les bras de l’être aimé et joue d’emblée le grand jeu.



Arnaud m’enserre la taille tandis que je me pends à son cou et colle mon corps contre le sien sans plus de pudeur que si nous formions un couple d’amants aguerris. Sans délai aucun, je poste mon pubis à l’affût de l’émoi que je rêve de susciter, et ondule langoureusement du bassin d’une manière sans équivoque.

Il n’est pas dans ma nature d’être autant dévergondée, je dois me faire violence et ma précipitation en est l’expression, mais le premier pas franchi, la suite vient toute seule. Le mâle se dégèle, sa main descend sur ma chute de rein, son souffle caresse la naissance de mon cou, une turgescence de bel aloi palpite tout contre mon ventre.

La stratégie marche à merveille, que me recommandait Marie-Noëlle. Je n’imaginais pas le faire bander si vite. Le désir du mâle aiguillonne le mien. Ma raison déraille, je deviens folle, oublie la prudence, me fais plus chatte et presse ma joue contre sa poitrine dans l’échancrure de la chemise ouverte.

Les battements de son cœur rapportent à mon oreille le récit de notre idylle, tandis qu’une tension diffuse tourmente mollement mon bas ventre dans lequel fulgure de temps à autre une onde brutale, dont le supplice modèle ma torture à l’image du plaisir.


Le DJ gueule à nouveau dans son micro « changez de cavalière ! ». Je n’ai nullement l’intention de laisser la place mais la gamine est déterminée.



L’humiliation absolue ! Je suis anéantie et abandonne la place, la queue basse pour plagier l’expression des mâles, laquelle au demeurant ne rend qu’imparfaitement compte de mon état. Je suis écrasée, défoncée, livide, au bord de la syncope, mes jambes sont en coton et je crains fort de ne pas tenir la route. Marie-Noëlle vient à mon secours, me prend dans ses bras, dans lesquels je me réfugie. Nous dansons étroitement serrées, tandis que je rage en silence et pleure doucement sur son épaule.


Plus tard, le miroir me renvoie l’image d’une harpie, paupières gonflées, yeux rougis et les joues zébrées par les coulées du mascara, debout face à Marie-Noëlle, laquelle s’affaire, nettoie, essuie avec douceur et tente de me redonner une apparence humaine. De temps à autre, des spasmes me secouent encore mais cela tient plus de la réaction nerveuse que du chagrin. D’ailleurs, mes larmes ne sont déjà plus si abondantes et mes sanglots ont perdu en intensité.



OoooOOOoooo




En dépit de mes résolutions, j’avoue que mon cœur bat très fort et ma fébrilité est grande la fois suivante quand Arnaud est à nouveau de retour pour les soins à mon père.



Le tutoiement et le ton marquent une familiarité inhabituelle.



Je suis prête à fondre comme si tout était oublié. Il me faut faire effort pour simuler l’indifférence.



Bingo ! Tout ce qu’il ne fallait pas dire. L’évocation de la donzelle me ramène sur terre, me remémore l’humiliation, me rappelle mes intentions. Mon masque n’en est que plus impassible et mon mutisme plus hostile. Je ramasse la couche encaguée et tourne les talons sans mot dire, en vue d’évacuer ma rage plus que la merde.


Au retour mon humeur est plus calme. Lui n’a rien remarqué, il reprend le fil de son idée.



L’initiative autant que les propos me déconcertent et sans doute ai-je un moment de flottement pendant lequel Arnaud s’empare de mes lèvres. La douceur du baiser et ma faiblesse font que l’espoir ressurgit sans pour autant effacer le souvenir des offenses. Dans ma tête, la cohabitation discordante me torture et fait de moi une girouette, incapable de se décider tandis qu’Arnaud poursuit son avantage. Mon attitude ambiguë l’encourage, sa langue s’immisce, sa main s’égare, explore le sein, visite la fesse. La caresse m’amollit davantage et peut-être me serais-je totalement abandonnée si je n’avais pressenti la venue imminente de ma mère. Ma réaction est brutale dont il ne comprend pas de suite la raison. Je marque la distance.



Maman ne semble pas avoir rien remarqué et en tous cas n’en montre rien. L’intermède est salutaire, je récupère mon sang-froid et mes esprits.



Douce vengeance ? Non, l’annonce de mon refus me donne moins de plaisir que je n’escomptais. De surcroît, ma décision n’étouffe pas du tout mes tiraillements et regrets mais du moins les tergiversations sont désormais vaines. L’arrêt est officiel et je suis trop fière pour me dédire. Quoi qu’il en soit, cette toquade devenait pour moi trop compliquée, trop dangereuse. Elle ne me conduirait manifestement à rien sinon à m’exposer à de nouvelles avanies pour prix du mensonge et de la trahison envers les êtres qui me sont chers.



OoooOOOoooo



Le soir même, je m’ouvre d’une crainte beaucoup plus fondamentale avec mon conjoint.



Pauvre Martial ! Décidément, il est incorrigible et il ne comprendra jamais rien aux femmes. N’empêche qu’avec son fantasme, il m’envoie belle et bien dans les cordes. Mon approche fait long feu. Je me venge.



Mon avertissement n’est pas tout à fait innocent. Après tout, n’a-t-il pas été sur le point d’être cocu.