Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 13402Fiche technique64581 caractères64581
Temps de lecture estimé : 37 mn
06/08/09
corrigé 12/06/21
Résumé:  Moi, ça m'arrive rarement de me taper une meuf au boulot, on peut même dire jamais sauf une fois mais celle-là je me la suis faite le doigt dans l'œil et un sombrero sur le nez.
Critères:  fh hplusag collègues plage boitenuit danser voyage amour jalousie noculotte fellation pénétratio -amourpass -amourcach
Auteur : Annie-Aime      Envoi mini-message
L'amour au boulot

Les infirmières troussent les patients, les profs se tapent les élèves, les douaniers se farcissent les touristes et plein d’autres comme ça. Putain de bordel de merde ! Ils en ont de la veine. Mon ex dit que j’suis pas malin, mais c’est vrai, elle a raison, mon boulot à moi il est tarte. Y m’arrive jamais rien et depuis mon divorce, j’ai pas eu grand-chose à croquer, même avant faut dire. Coup de bol, il y a pas longtemps j’ai fait la connaissance d’une fille formidable, et c’était pendant qu’on turbinait, vrai à 120 %. Elle veut qu’on se mette ensemble. Bon ! C’est un peu nunuche mais je vais raconter, ça me fera du bien de décompresser un peu. Regrets si ça vous plait pas, allez voir Bazouk, il vous consolera.


Ah oui ! Avant tout il faut que je dise, ma copine a plus de 18 ans et moi aussi. J’vous dis ça à toutes fins utiles parce que la dernière fois que je racontais mes bricoles avec une jeune fille (récit nº 13349), on m’a dit qu’elle avait pas l’âge et on m’a foutu en relégation, ouais, j’vous dis derrière les barreaux, en zone rouge, les « border-line » qui z’ appellent, avec les partouzards et autres queutards. Les amateurs ont dû se demander ce que je foutais là à les emmerder avec mes banalités. Surtout qu’on était sages et tout et tout. On mangeait que des gâteaux fourrés, c’est tout dire. Pourtant, j’avais choisi la couleur genre l’amour est dans le pré. Ouais j’avais bien coché la case « sage - tout public », des fois que des gamins auraient voulu s’instruire parce que l’histoire vous savez ça s’apprend et ça se refait pas. D’ailleurs j’sais pas comment y z’ont su parce que moi j’avais rien dit et la fille attention le numéro, des nibards et un beau cul, tout quoi, vous croyez que c’est possible qu’un morceau comme ça, il ait que 10 ans, ça va pas la tête ! Elle avait bien plus, moi j’vous dis, y z’y connaissent rien ceux qu’ont dit ça. Y en a même un qui m’a traité de nègre, raciste va ! Bon soyons sérieux, Zara était beaucoup plus âgé, un âge dans l’air du temps comme il était souvent. D’ailleurs, ses parents l’aimaient beaucoup et n’auraient pas permis une aberration (même si des connards en font, mais ce genre d’engeance y en a partout). Faut pas croire les apparences, l’amour filial c’est pas que chez les blancs. Et à tout prendre, chez les blancs les repères sont pas très différents… pour preuve cet illustre Britannique et sa célèbre pièce dont l’héroïne n’a pas 14 ans la première fois qu’on la demande en mariage. Évidemment, elle, personne va rien dire parce que c’est la « haute », une fille bien quoi.


Bon, c’est pas tout ça, mais j’suis sûr que vous avez autre chose à faire qu’à m’écouter bavasser et moi j’ai un récit à pondre. Allez, tchao, à la revoyure.






oooOOOooo




La classe affaires, c’est le pied. Je t’dis pas le luxe, mais c’est chérot le ticket pour poser son cul dans ce quartier. Faut pas croire, j’y campe pas souvent, ça dépend du client. Quand c’est moi qui paye, je voyage radin, en soute avec les autres paumés, là où les genoux écopent un max à force de caler le siège devant soi ; quant aux côtes, c’est le coin idéal pour les étriller avec le coude du voisin. Si t’appelles l’hôtesse :



Et tu la revois jamais. Là c’est pas le cas, t’es pas assis qu’on t’apporte le champagne. Ouais, vraiment c’est chouette de voyager dans ces conditions, sans compter que mon compte Flying Blue va engranger un paquet de points. Je cumule déjà l’équivalent de quoi faire dix fois le tour de la Terre, mais c’est égal, ça fait plaisir.


Je me cale dans mon fauteuil de ministre et la mine faussement distraite, je regarde défiler les passagers qui embarquent. Huit heures de vol de Paris à Mexico City. J’aurai le temps de potasser mon dossier. Le boulot est de courte durée, mais bien payé. Il s’agit de vérifier la faisabilité d’un gros projet pour le compte d’une institution internationale.


Au village, là-bas chez moi, quand on me demande quel est mon gagne-pain, je ne sais jamais dire. Au début, j’expliquais un truc à rallonge du genre qui endort les gens, histoire de pontifier un peu sans paraître, puis un beau jour ça m’a fait chier et maintenant j’évacue :



Ce qui au demeurant n’est pas tout à fait faux, mais je vois bien qu’y me croient pas trop. Je fais gaffe quand même, il m’est arrivé une ou deux fois de parler de « mission », et depuis y en a qui croient dur comme fer que je trempe dans l’espionnage ou le trafic d’armes. Voyez ! C’est dangereux le métier.


Remarque, c’est pas autant difficile que celui de douanier. Il y a pas longtemps j’en ai appris de bonnes sur leur compte, j’étais sur un site avec un nom à confectionner de la layette, attends… ouais Revebebe, c’est ça. Ben le type y disait son calvaire. Le pauvre ! C’est immoral d’exiger autant d’un fonctionnaire honnête. Ça m’a bouleversé. Depuis, je ne les regarde plus avec les mêmes yeux ces oiseaux-là.


Bon revenons à nos moutons, ces foutus documents ne sont pas clairs, pas suffisamment à ma guise. Je lis et relis cherchant entre les lignes une synthèse lumineuse. Que n’ai-je une boule de cristal ou un Bazouk ? Une pelote d’angoisse niche au creux de mon estomac. Elle se fait un peu plus lourde au moment de l’atterrissage. Pas de panique, le client a dit qu’on m’attend. Des types vont me briefer.


Ma piaule est réservée au Marriott. Le gus qui m’accompagne depuis l’aéroport désigne la délégation, une dizaine de personnes regroupées à part dans le hall de l’hôtel. Le chef, un Irlandais dans mes âges, s’avance à ma rencontre. Je le reconnais à la voix, nous nous sommes parlé plusieurs fois au téléphone.


Les autres, une escouade de jeunes loups, coiffure irréprochable, costume sombre, chemise claire, cravate impeccable et souliers vernis, défilent devant nous, mais je suis bien incapable de mémoriser quoi ou qui que ce soit. Un seul, Steven, un Texan, retient un peu plus mon attention parce que je ne comprends strictement pas un traître mot de ce qu’il me dit et que les autres s’esclaffent à l’envi en voyant mon masque d’incompréhension.


Parmi tous ces hommes, seulement deux représentantes du sexe dit faible, pareillement embrigadées, en tailleur strict. Pour sévères qu’elles soient, les tenues ne masquent pas pour autant cette aura de féminité d’une femme qui veut plaire. L’aînée des deux, ma cadette de quelques années tout au plus, transpire une sensualité obsédante, soulignée par le contraste de sa taille étonnamment fine au regard d’un bassin bâti pour enfanter. Et ce cul ! L’expression « à faire damner un saint » ne m’a jamais tant parlé. Méfiance tout de même ! Lors des salutations, cette gente dame a esquissé une espèce de sourire dont la froideur ne m’invite pas du tout à baisser la garde.


La deuxième demoiselle porte la grâce de la jeunesse. La tenue austère ne dépare pas son corps svelte dont l’élégance me charme à l’instar de ces représentations de reines antiques. Il me plait d’évoquer Néfertiti ou Cléopâtre. Sa coiffure n’est pas aussi sage que celle de sa consœur. Des mèches rebelles échappent du chignon et ajoutent une note coquine à l’attrait du joli minois. Chez elle, le sourire est plus spontané, presque engageant, mais quand même pas au point de me donner des idées. Au demeurant, la différence d’âge me parait un handicap rédhibitoire.


Aucune des deux ne porte d’alliance. Elles-mêmes de leur côté scrutent les indices, rapides, sagaces, sans avoir l’air d’y toucher. L’examen est presque indiscernable, trahi par des riens imperceptibles pourtant je les devine tandis que l’une et l’autre me toisent de haut en bas, chacune à sa manière. Je ne me leurre pas, ce n’est pas de l’intérêt pour ma petite personne mais l’habitude et la curiosité.


Dans ce monde dont les codes sont standardisés, je suis un sujet d’étonnement, une sorte d’extraterrestre. Même dans mon milieu, je passe pour un original, alors c’est tout dire. En tout cas, je n’ai jamais brigué de concours d’élégance et c’est aussi bien parce que je n’ai aucune chance. La vue de ces jeunes hommes autour de nous, habillés comme des princes, suffit à m’en convaincre.


Le lendemain, première séance formelle de travail, nous sommes au siège de l’entreprise, un groupe agro-industriel, lequel sollicite un crédit, chiffrant plusieurs dizaines de millions de dollars US. Ça fait quand même un paquet de pognon. Au programme du jour : présentation de la société, des activités, du projet, des pontes et des principaux responsables de l’encadrement. La salle est vaste, nous sommes une trentaine de personnes. Le déploiement est en rapport avec l’importance de l’enjeu.


Tous sont en tenue « amidonnée », tirés à quatre épingles.

Moi, je ne mets ce genre d’accoutrement que pour les noces et les baptêmes. J’avais pas prévu de tels événements et mes fringues sont du genre passe-muraille, d’autres diraient « cool », avachies juste ce qu’il faut et un peu lustrées aux articulations. Ben alors j’ai tout faux, car ici c’est pas très classe. Tout au contraire ! J’ai plutôt la désagréable impression de passer pour un « moujik ». Et puis zut ! Après tout ne suis-je pas un péquenot auvergnat ? Pourquoi le nier ? N’ai-je pas une petite ferme en Auvergne ? N’empêche que je détonne comme un chien errant parmi une nichée de Dalmatiens.

L’Irlandais m’entraîne parmi la docte assemblée. Mes brodequins massacrent le parquet.


La tournure des événements me désoriente assez. Toute cette armada m’impressionne et je suis bien incapable de retenir ou même de comprendre les titres et le rôle de chacun des membres. Je suis mal à l’aise mais ne m’en laisse pas conter pour autant et réponds coup pour coup, avec la même conviction, quel que soit mon interlocuteur, le balayeur de l’étage ou le PDG de la boite. Non ! Là, je charrie, mais on n’en est pas loin.


Des nénettes, j’en vois, celles de la délégation, et d’autres de l’entreprise, nous discutons mais je n’ai pas le cœur ni la tête à badiner. Moi qui d’habitude frémis d’aise à la vue d’une silhouette féminine et fais la roue comme un paon à la moindre opportunité, me voilà terne, sans ressort et sans plus aucun esprit pour marivauder.


Le soir, tout ce beau monde se sépare à des heures pas possibles, et je dois encore bosser quand je rejoins la chambre, alors pas question de batifoler.

C’est tout juste si je me connecte une petite heure sur le site dont je vous ai parlé, Rêve de layette, histoire de me détendre. Tiens, ce soir justement, j’ai lu un récit qui m’a remué, comme c’est pas croyable. La Pervenche, l’auteure, elle m’a baladé de belle façon, que je sais plus où j’en suis. Sur le coup je note sec, mais j’ai du remords : ça vaut plus. Ouais, il faut le dire, heureusement qu’il y a ce site. Il est géré par un encadrement hors pair et c’est plein d’auteurs dignes du Goncourt ; ça vaut la première classe, c’est fou ce que ça me requinque, j’oublie chaque fois le boulot et les soucis.

Ouais, assez des congratulations, je poursuis mon récit.


Le cirque dure trois jours au terme desquels les types et les nanas rejoignent leurs pénates, les uns à Washington DC, les autres où bon leur semble tandis que moi, je suis vanné, mais je dois encore bosser une bonne quinzaine de jours et pondre un rapport dont l’acceptation conditionne ma rémunération. L’enjeu est pour moi tout à fait considérable parce que j’ai besoin de thunes. Mon ex m’a mis sur la paille.


Bah, à tout prendre, c’est la partie la moins désagréable du boulot. Mon programme est tracé. Je vais flairer à droite, à gauche, et m’intéresser à tout un tas de trucs comme ceci, comme cela, à ma guise dans le délai imparti. Il est également prévu que je visite des établissements industriels et commerciaux un peu partout dans le pays, dans les environs de Mexico City et à León, Guadalajara, Saltillo, Matamoros et Ciudad Madero. Rien que la besogne habituelle, que je sais faire.


Tout aurait été dans l’ordre des choses ordinaires si avant de partir, le team leader ne m’avait pas fourré deux experts stagiaires dans les pattes. Au moment, je regimbe un peu pour la forme, parce qu’il me prend par surprise et qui plus est, à rebrousse-poil, mais au fond de moi-même je ne suis pas mécontent d’accueillir ces compagnons, surtout la jeune femme dont j’ai évoqué la plastique fort agréable plus avant dans ce récit. J’imagine que sa présence égaiera notre long périple laborieux.


Dans la foulée, mon persécuteur croit nécessaire de mettre les points sur les « I » et pour faire bonne mesure, il m’explique deux ou trois petits trucs – j’aime bien ce mot, il est truculent – concernant mes conclusions attendues. Naturellement, ce ne sont que des recommandations, mais les ordres transparaissent en filigrane. En retour, j’ai grande envie de demander au monsieur si dans son immense bonté il veut bien aussi rédiger mon rapport, mais je n’ai pas le culot. Il faut dire que la langue de Shakespeare m’est moins familière que celle de Molière. La spontanéité en prend un coup quand on n’est pas doué pour les langues. Le résultat est insidieux, ça me châtre, et un castrat, comme les ministres, ça ferme sa gueule. Je ferme ma gueule.


Les langues de vipère sont sans doute plus agiles, elles vont dire que je ménage mes intérêts. Et alors ! Quand bien même ! Qui d’autre le fera à ma place ? En plus, ce n’est même pas vrai. Na ! Dans des circonstances semblables, il m’est souvent arrivé de me rebeller. Dans le milieu, je passe pour n’en faire qu’à ma tête, alors ! Hein ! Basta ! Non, le truc – ah ce mot sublime, le truc qui a plus que tout désamorcé ma résistance, c’est la nana, la jeunette, qui a rappliqué pour dire son contentement d’être de l’expédition, et du coup j’ai ravalé le sermon que je m’apprêtais à débiter malgré mon langage imagé. Un bien mauvais pidgin cela dit.


L’entreprise a bien fait les choses, accompagnateurs de première classe, hébergements et moyens de locomotion de premier ordre. Quand cela est compatible, nous intercalons des intermèdes culturels et touristiques. Les experts stagiaires sont ravis. Casey est un jeune homme de racines néerlandaises, placide, très gentil et bien de sa personne, originaire de Trinidad et Tobago. Il vit ordinairement à Washington DC, tout comme sa collègue Christine. Celle-ci est de nationalité belge. Elle ne me laisse pas indifférent, tout le contraire, mais j’ai bien quinze ou vingt ans de plus qu’elle et les rares sourires dont je suis gratifié ne me semblent plus aussi avenants qu’au premier jour.


La raison ne m’échappe pas. Notre séduisant accompagnateur brille de mille feux et éclipse d’un seul coup le modeste ascendant dont je tirais bénéfice. C’est un jeune Mexicain, élégant, beau, extrêmement brillant, parfaitement à l’aise en anglais et en français autant que dans sa langue maternelle. Le charme latino subjugue tout le monde, et moi itou. Plus que tous les autres, la jeune femme n’a d’yeux que pour lui, et sans en prendre conscience, du moins c’est ce que je veux croire, elle m’utilise comme faire-valoir afin de se faire mousser.


Pour éblouir, la demoiselle m’asticote, me bassine, et tente de percer ma « méthodologie » comme elle dit. Sans surprise, la néophyte n’y comprend absolument rien, si bien qu’elle n’est pas loin de croire à mon incompétence.



Comme si cela m’était nécessaire pour des process quelconques que je connais au moins depuis que ma mère m’a sevré. Autant dire que ça fait un bail. « Ma mie ! Oublie-moi, s’il te plait », pensé-je en serrant les mâchoires sans répondre.


Ma désolation est grande. Le grand marionnettiste mélange les ficelles et se joue de moi. Un alchimiste démoniaque lui donne un coup de main. L’alambiqueur, maître des cornues, emmêle les fioles, combine les élixirs, perfusant dans les cœurs de traîtres sentiments, qui de la déception, qui de l’espoir et qui d’autres je ne sais quoi, ici et là, au hasard ou de manière erratique ce qui revient au même, mais toujours de façon incompréhensible pour le commun des mortels. Seigneur ! Pourquoi donc n’ai-je plus ta faveur ?


Ben oui, je suis présomptueux, il m’arrive de m’adresser directement à Dieu. C’est pas que je sois vraiment croyant, non. En tout cas, pas à la mode traditionnelle, mais j’ai peur du vide, j’ai le vertige et j’imagine égoïstement qu’il existe une entité suprême pour nous ramasser quand on se casse la gueule, laquelle entité en définitive régente tout ce bordel, bien mal à vrai dire si l’on compte les cadavres indus. Bon, c’est pas clair, mais on va pas faire une psychanalyse. Hein !


N’empêche que cette fille est une emmerdeuse. Plus d’une fois, ma patience est mise à rude épreuve. Une fois, la moutarde me monte au nez. Je finis par craquer, je me lâche et lui corne haut et fort mon irritation dans les trompes.


Imbécile que je suis ! Ma réaction est excessive. Je n’ai jamais su parler aux femmes. Mademoiselle boude derechef et ne me cause plus pour l’éternité. C’est terriblement long la perpétuité, diablement dur aussi. Pitié, mon ange ! Les mots ont dépassé ma pensée. Pour sûr ! Je ne supporte pas que nous soyons fâchés. Et par-dessus tout, je veux rester en piste même si mes chances sont égales à celles d’un bourrin sur un champ de courses.


Le lendemain encore, j’abjure à nouveau ma goujaterie, implore la réconciliation. Sans succès ! Les jours passent et je suis triste. Le soleil ne brille plus avec autant d’éclat. Ma réaction est singulière, je n’avais RIEN, et maintenant qu’on m’en a privé, ce rien me manque. J’en viens à regretter les piques.


Nous quittons Guadalajara et atterrissons à Monterrey.


Quant à notre jeune guide qui suscite tant d’enthousiasme, d’autres tâches l’appellent.



Suis-je hypocrite ? Non… oui peut-être… non, non… je ne sais… Au diable ! Aucune réponse n’est obligatoire. J’ai le droit d’avoir mon jardin secret.


À Monterrey, un honorable sexagénaire le remplace. C’est un vieux routier aux traits burinés et plein de cicatrices. L’homme m’annonce avoir vécu et étudié à Montpellier. Il dit connaître l’occitan, et saperlipopette, il le parle, et bien mieux que je ne le baragouine. Eh bien ! Ça m’en bouche un coin. Je n’imaginais pas tomber par ici sur un gars capable de citer Mistral en version originale.


Nous visitons le site de Saltillo puis cinglons vers Matamoros. Le mutisme de ma Wallonne préférée est un peu moins déterminé. Je me réjouis à chaque embellie et renouvelle mes regrets. La cabocharde ébauche un sourire, entretient mes espérances… Au fait ! Qu’ai-je donc à espérer ? Pas grand-chose… Nigaud va, que crois-tu ? Mes pensées plongent dans la mélancolie. C’est dur de vieillir !


De son côté, Casey ne prend pas parti. Du reste, il n’en est pas capable. Ce garçon est tellement affable qu’il en est totalement inoffensif, inodore et transparent. Au demeurant, le jeune homme a d’autres préoccupations. Il est amoureux et projette de s’échapper le temps du week-end, vers une petite ville au Texas, où l’attend sa « Juliette ». Ce « Roméo » prévoit de nous rejoindre plus tard à Ciudad Madero.


Le samedi après le déjeuner, notre accompagnateur si talentueux, amoureux du célèbre poète provençal, nous largue, Christine et moi-même, dans un l’hôtel à Cd Madero, une commune de la conurbation de Tampico.


Enfin ! Un long week-end de repos. Ça fait longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Je vais pouvoir souffler et sacrifier à mon passe-temps favori : la sieste. Ah, la sieste ! Quoi de plus sacré ? Je m’apprête à la faire quand Christine frappe à la porte de ma chambre.



La belle est méconnaissable, métamorphosée en touriste insouciante. Sa chevelure fauve cascade harmonieusement sur les épaules. Un paréo court ceinture ses hanches et un haut maintenu par de fines bretelles couvre sa poitrine menue mais néanmoins très féminine. La taille est nue, divinement soulignée par une mince chaînette dorée. Une fantaisie orne joliment la cicatrice en forme de cavité sise au centre du ventre remarquablement plat. Mon regard ébloui se perd un bref instant dans l’éclat de la pierre sertie dans ce nombril attendrissant.



Balade ou baignade, je m’en fous, pourvu que ce soit avec elle. Mon cœur déborde de reconnaissance. Il y a belle lurette que je n’ai été aussi fébrile.




oooOOOooo




La suite est très classique. Qui ne connaît pas ? Moi ! Moi tout seul mais je m’en fiche. Je suis sur mon nuage et vis l’instant, c’est tout, sans même penser au suivant, parce que j’en suis simplement incapable. Mon âme baigne dans le bonheur absolu, hors du temps, à des années-lumière de tous ces vils appétits terrestres. Je suis amoureux.


Le garçon de l’hôtel a raison, nous sommes bientôt en vue d’une immense plage de sable blanc. Paradoxalement, elle semble presque déserte, la saison sans doute. Des parasols en feuilles de palmiers ou quelque chose dans ce genre sont alignés en bordure du rivage. Les eaux sont calmes, colorées de reflets vert sombre avec par moment des étendues à dominante turquoise. Un jeune garçon dépose des matelas et encaisse la location de notre refuge ombragé.



Son dévouement me chiffonne un peu, j’insiste, en vain puis vais mon chemin tandis qu’elle prend la position du lézard. Je ne suis pas certain d’avoir encore envie de me baigner, je suis même sûr que non, mais je ne sais comment reculer sans être ridicule. À tout prendre, j’aurais préféré rester près de Christine et admirer son corps bronzé et nu, tout juste vêtu d’un petit bikini dont la couleur claire contraste avec le hâle.


L’eau est délicieuse, un peu fraîche mais c’est ainsi que je la préfère. En temps ordinaire j’y serais resté des heures mais aujourd’hui c’est pas pareil, des forces supérieures altèrent bigrement mon discernement lequel ne se compare même plus à celui d’une limace, autant dire le zéro absolu. Je me languis, piétine d’impatience, compte mentalement. Je ne peux quand même pas revenir si vite, ce serait bouffon, loufoque. Allez, on recommence : 1, 2, 3… jusqu’à 100, mais à 98 je n’y tiens plus et rapplique dare-dare auprès de celle dont je me languis.



Je me fiche royalement des sodas. Le bikini a muté et triomphe en mono. Je n’ai d’yeux que pour ces tétons arrogants qu’elle exhibe sans vergogne. Les nichons sont plutôt petits mais bien plantés, fermes, fiers. L’aréole, au demeurant assez claire, ne se distingue guère que par une différence presque insignifiante dans le grain de peau. Seigneur ! Mon propre appendice dit préhensile ne serait-il pas plus expert pour cette « tartinade » ? Batifolage sonne beaucoup mieux, mais sans doute est-ce prématuré. Je rêve, je fantasme, je m’égare tandis que Christine beurre et re-beurre ces seins qui m’hypnotisent.



Nous n’étions pas vraiment amis, il n’y a pas si longtemps.



Je me ratatine sur ma paillasse tout en digérant ma déception. Nous rôtissons de concert tantôt de dos, tantôt de face, enfin surtout elle parce que moi j’ai pas mal à faire pour camoufler mes poussées de désir intempestives si bien que je suis bien plus souvent à plat ventre.


De temps en temps, je m’échappe pour aller me rafraîchir, mais toujours seul. J’avoue que cela ne laisse pas de m’étonner, cet attrait pour la plage qu’ont certaines femmes alors qu’elles ne mettent pas même un pied dans l’eau. Quant à moi, mes bains fréquents n’y changent rien, je crois que je suis cuit à point, si bien que j’envisage de traiter la daube. Christine me devance.



En un éclair, la gazelle bondit à mon côté, son tube à la main, puis me chevauche alors que je suis mi-redressé sur un coude, me plaque au sol face contre terre. J’enregistre les séquences de l’action mais ne réalise pas vraiment la finalité avant d’avoir le fauve sur les reins, car l’assaut tient plus du félin que de l’antilope. La belle se fait chatte pour oindre mon dos, négligemment assise à califourchon, les jolies fesses tantôt posées sur mon cul.


Oubliée la brûlure ! Dieu suspend le temps. Merci Seigneur ! Elle m’a tutoyé. Tant de bonheur d’un seul coup. Je bois du petit lait, et mobilise les radars, les sonars, les lasers et tous mes sens. Mes muscles tressaillent tandis que les mains délicates s’activent, d’abord à la taille puis à droite, puis plus haut, et parfois rebroussent chemin pour recommencer. Une paume experte épouse l’épaule, aborde le bras, et s’égare sous l’aisselle. Hi ! Hi !



Les doigts badins cheminent vers la nuque, s’affairent de part et d’autre et remontent au niveau des tempes. Pas un coin n’a été omis. Tout est soigneusement enduit, deux fois, trois fois, autant qu’il est nécessaire.


Le torse plié à me toucher, l’espiègle approche ses lèvres de mon oreille. Ses tétons caressent mes omoplates. Mon corps tout entier frissonne de la tête aux pieds.



Mais je n’en dis pas plus parce que ma gorge est salement nouée, presque autant que mes entrailles. Mon désir est si lancinant qu’il en est douloureux. Et cette foutue érection est passablement encombrante, elle me condamne à l’immobilité parce qu’il me faut la dissimuler. La peste soit de ces tabous hérités d’une éducation désuète. Cette manifestation honteuse n’est pourtant pas tout à fait résorbée quand ma charmante voisine se manifeste à nouveau.



Tant pis pour ma façade, me voilà à pied d’œuvre face à son verso. Je me jette à l’ouvrage et y mets tout mon cœur. Jamais auparavant je n’avais mesuré à ce point ma sensibilité tactile. Je sais tout, je connais tout depuis la hauteur, la longueur, la largeur, l’épaisseur, la teneur, la douceur et je ne sais quoi encore. Mes neurones tournent en boucle sans plus pouvoir ni vouloir s’échapper. Cette vie, cette chair, ce sang dont je pressens les frémissements, tout cela m’enivre. Je m’échine sur l’épine dorsale et prends repos sur la flottante. Ne puis-je grimper l’échelle costale ? Mais si ! Qu’est-ce donc ? Tendre, doux, enivrant.



Le ton de la réplique porte plus d’invites que de réprimandes. C’est à ce moment seulement que je comprends que j’ai encore toutes mes chances. Je vais faire un carton. Sacré tiercé en perspective d’autant que je suis seul sur la ligne de départ.


Je n’ai pas vraiment le temps d’exploiter mon triomphe. Christine a ce genre de réaction imprévisible qui me déroute, elle se redresse, prend ma main et me tire vers l’océan. Le phénomène est si puissant, si rapide que je me retrouve en train de nager vers le large avant même d’en avoir pris conscience. Ouais, je sais, ces temps-ci, je suis un peu lourd au niveau des synapses, le courant passe mal. Faut pas m’en vouloir, j’ai des raisons objectives.


Bon, bref, ma nageuse préférée se débrouille comme un chef, mais sur ce terrain aussi, elle n’est pas de taille à m’en remontrer. Je me contente de papillonner tout autour et m’en retourne pareillement quand ma sirène bien-aimée prend le virage à 180 ° et s’en revient vers le rivage.


N’ai-je pas foiré une occasion d’accélérer les choses ? Je n’en sais rien. Plus jeune, je n’ai jamais su quand était le bon moment. Aussi loin que je me souvienne, c’était toujours les filles qui faisaient le premier pas. Je me remémore très clairement ces instants magiques, préludes au temps de la gloire quand l’espace se contracte et que le temps s’arrête. Quand une mélodie divine envoûte les âmes et que les cœurs s’affolent. Oui, le souvenir de ces émotions est encore très vif en ma mémoire, mais je me sens aussi gauche qu’à vingt ans et incapable d’en pressentir le divin avènement. Je sais que cela va arriver, c’est tout. Quand ? Je ne sais.


Parfois cependant, je doute de ma fortune. Sommes-nous bien sur la même longueur d’onde ? Elle comme moi ? Mais oui ! C’est écrit, notre destin est tracé. Cette certitude, ou quasi-certitude, me donne une pêche d’enfer et la sérénité. Elle calme mon impatience autant que la flambée dans mon dos. Du coup, chaque seconde devient autant de perles de plaisir qui pavent ma voie vers l’échéance inéluctable. Puis l’instant d’après, le doute surgit de nouveau…


L’après-midi tire à sa fin, Christine se sèche, enfile son top sur la poitrine nue, enroule son paréo et d’un mouvement habile, élégant, elle se débarrasse de la culotte humide. Je fais à peu près de même, du moins c’est mon dessein parce que ma façon ne se compare en rien à la sienne. La mienne est empruntée, banale, insipide tandis que sa licence est glorieuse, magnifique, formidable. Elle persille notre complicité de conjectures coquines lesquelles phagocytent mes neurones et ne me lâchent plus. C’est étrange, comme une action anodine en soi peut avoir de telles répercussions. Je bande comme un âne et ça se voit.


Et rien à faire, la pression ne relâche pas. Naturellement, Christine finit par remarquer ma fièvre pour le moins truculente à un moment où ma vigilance est prise en défaut. Je suis en train de payer nos glaces à une échoppe en chemin. La réaction de l’effrontée est extravagante, elle rit, elle se tord, elle glousse et s’esclaffe, postillonnant les arômes aux quatre coins du quartier. L’hilarité est communicative et nous finissons dans les bras l’un de l’autre. Oui, nous nous embrassons. Un baiser sage, ou plutôt un bécot maladroit et baveux aromatisé à la vanille, à la pistache, au chocolat et à la fraise. C’est bref, rapide, mais suffisant pour sceller notre entente. Une entente gaie, pétillante, sonore, passablement savoureuse, parfumée et barbouillée. Nous gambadons et roucoulons tout au long du chemin, bras dessus, bras dessous.


À l’hôtel, Christine m’arrête à la porte de sa chambre, et se hissant sur la pointe des pieds, pose un bec collant sur mes lèvres qui ne le sont pas moins.





oooOOOooo




Christine est éblouissante. Elle a revêtu une petite robe sexy à fines bretelles, taillée dans un tissu fluide à reflet métallique, coupée à mi-cuisses. Le dos est nu. Le décolleté plonge jusqu’au nombril, mais son audace est tempérée par une broche qui le pince sous la poitrine.


Le taxi nous conduit à ce restaurant qu’on nous a recommandé. Dans la voiture, ma Dulcinée reprend le fil de la conservation un peu trouble que nous avons engagée quelques instants auparavant. Elle garde un souvenir ému de cette érection qui la flatte et je sens qu’elle veut me faire dire ce genre de niaiseries qu’on lit dans ces romans qui suintent un romantisme suranné.



Parce qu’après tout, il ne me coûte rien de lui avouer qu’elle me plait, que je l’aime telle qu’elle est, tout entière, avec sa beauté, ses qualités, ses défauts et son caractère de cochon.



Mais je ne sais pourquoi, je pressens autre chose et soupçonne que la gourgandine cherche peut-être à flatter son ego et à savoir si je soupirais déjà pour elle, tandis qu’elle convoitait l’autre « bellâtre » (je n’ai pas envie d’être juste).


C’est terrible ! Je suis amoureux, le monde est beau et il faut encore que je salisse tout. Quel sale con je suis, mon ex a raison, je ne suis pas capable d’avoir en tête autre chose que des pensées tordues.



Je place volontairement la barre très près du cul, pour éviter de m’enliser dans ce marais fleur bleue dans lequel elle semble vouloir m’embourber.



Puis brusquement, la pupille s’illumine à nouveau. La joie remodèle les traits du minois adorable. Son rire éclate clair, franc, léger. Il résonne dans l’habitacle, rebondit sur mes tympans et ragaillardit mon cœur un moment épouvanté. Cette saute d’humeur imprévisible me déroute, mais la suite me trouble encore plus car l’effrontée n’en reste pas là. Un mouvement preste, un geste déterminé et il n’en faut pas plus, le minuscule string glisse sur les escarpins, accroche les longs talons effilés, mais pas plus d’une fraction de seconde, puis le voilà qui pend devant mon nez, suspendu au bout de cet index dont on peut dire qu’il m’est aussi cher que sa propriétaire.



La lingerie tournoie un, deux, trois tours puis s’échappe, décolle un peu, retombe et disparaît dans l’ombre à nos pieds, ce qui du reste ne préoccupe pas le moins du monde la maladroite, laquelle se désintéressant de cet accessoire désormais superflu, engage sa main dans une exploration audacieuse pour vérifier la réalité de la manifestation escomptée.


Là c’est le bouquet ! La décharge électrique me foudroie sur place. Tout mon être afflue au bout de ma queue pour goûter la caresse. De ce moment, je ne sais plus qui fait quoi ni qui prend les initiatives. Nos langues s’emmêlent, sa poitrine écrase la mienne, ma main s’égare dans des espaces ténébreux, la sienne continue son ouvrage… Je perds la tête, je l’aime, il faut que je lui dise…


Pas le temps, un klaxon strident nous ramène sur terre, la voiture tangue à l’atterrissage. Déséquilibrés par l’écart de conduite, nous sommes en vrac, affalés sur la banquette. Christine la première reprend ses esprits et apostrophe le chauffeur.



Pour le coup, le bonhomme devient volubile, raconte sa vie, exorcise sa frousse, conjure le mauvais sort, se signant à tout bout de champ. Si vous cherchez un taxi à Tampico, je vous recommande d’appeler José Morales, il est sympa.


La voiture stoppe face au restaurant. Visiblement, ce n’est pas une cantine ordinaire, plutôt une popote de grande cuisine, repaire de milliardaires. Le quartier alentour est cossu, calme, presque désert. Les voitures en stationnement sont rares. L’atmosphère n’a pas l’heur de plaire à ma compagne qui zieute à droite, à gauche, et tire un nez déconfit pendant que je m’apprête à payer le fiacre.



Moi, ce que j’en dis, hein ! Je m’en fous, je voulais faire plaisir, c’est tout, mais si maintenant on va ailleurs qui est moins cher, c’est tout bénef comme on dit, hein ! C’est pas que je suis radin, mais en Auvergne un « s’chou c’est un s’chou », alors si j’écoute mes gènes, je suis d’accord à 200 %. Mais faut pas croire, je sais aussi faire taire mon hérédité. La preuve ! Bon, encore… c’est pas que je sois vexé… non, non… mais néanmoins je suis un peu contrarié de cette connivence qui germe entre Christine et notre mentor.


Bordel ! Réveille-toi mon lascar, tu es jaloux, va falloir te faire soigner.


La voiture stoppe devant une gargote construite en bord de mer, l’effervescence ne peut pas être plus grande, ça grouille. La sono hurle un air de rumba.


Le taximan gare son véhicule en double file, puis nous invite à le suivre. Le bonhomme trace la voie, fend la foule et nous conduit à son ami Paco, lequel à son tour fonce, bouscule, crie, gueule et nous dégotte un bout de table et assez de place pour poser nos fesses. Personne ne bronche, ni Christine, ni moi-même, nous sommes assommés, éberlués, infantilisés par cette prise en charge quasi maternelle, conduite au pas de charge. Je n’ai plus prise sur les événements. Je propose de payer José parce que c’est à peu près la seule initiative qui me vient à l’esprit.



Quel est ce traquenard ? Où est l’arnaque ? Je reste sur mes gardes.




oooOOOooo




La brise du large apporte des senteurs iodées, souffle une délicieuse fraîcheur. L’endroit tient à la fois de la guinguette, du lupanar et de la cantine. La sono hurle des airs de Salsa. Sur la piste, les couples enchaînent les passes. Des filles rodent en quête de pèze ou bien de foutre, va savoir ! Il me vient l’idée que certainement les deux genres, pute et nympho, fréquentent ces lieux de perdition où tous les mâles portent leurs couilles en bandoulière.


Les clans se conforment à peu près à la géométrie du lieu, par table de huit. La nôtre compte déjà six occupants, quatre jeunes machos et deux meufs, l’une potelée à gros nibards, l’autre du style haridelle avec probablement des ascendants indiens. Son décolleté bâille à faire peur, il n’y a rien à voir si ce n’est des traces de rachitisme qui feraient le bonheur d’un réalisateur de film d’épouvante.


Des serveurs pressés déversent la bouffe en bout de tables. Démerdez-vous ! Des tacos en tous genres, des viandes et des poissons grillés. C’est mangeable. Convivialité oblige, les mâles font la roue et draguent ma compagne. De mon côté, Haridelle m’a à la bonne et Gros Nonos minaude à me faire pâlir. On ne passe pas soif non plus : bières et vins à volonté et plus fort si on veut quand on commande, mezcal, tequila et sangrita que nos aimables voisins nous apprennent à déguster à la mode mexicaine.


Christine et moi faisons un tour sur la piste. Inutile de me leurrer, je ne suis pas doué. Cha-cha, Salsa, Rumba, Samba, pour moi tout ça c’est du pareil au même, un truc – mon mot fétiche, un truc à m’emmêler les pinceaux sinon les pas. Pauvre Christine ! Je sens bien que je n’ai pas la classe et mon cœur saigne de ne pouvoir lui donner autant de plaisir qu’elle le mérite. Si bien que je l’encourage vivement à accepter l’invitation quand un de nos jeunes voisins formule sa requête…


Sur la piste, ma jeune amie virevolte, glisse, pivote et tourne, légère au bras de son partenaire. Je la vois rire, parler. Que disent-ils ? Je ne saurai jamais. Quel besoin ? Le couple poursuit ses circonvolutions avec aisance, les figures défilent de plus en plus complexes.


Le DJ lance une Rumba, le jeune partenaire de Christine se montre pareillement talentueux sur ce chapitre. Les corps s’attirent, se repoussent, s’approchent à nouveau, mimant une querelle insensée qui m’enivre à distance. Je ne peux détacher mon regard du couple enlacé. Elle est nue sous sa robe. Le jeune coq qui la guide, en a-t-il conscience ? Et ce décolleté ? Oh ! Seigneur ! Je suis jaloux. Bordel ! Que m’arrive-t-il ? Ça va pas la tête. Réveille-toi mon gars.


Gros Nonos m’embarque, je me pelotonne contre ce corps confortable, aux senteurs un peu pimentées. C’est elle qui prend les rênes. Sa conduite est précise, puissante, je ne fais pas ce que je veux et quand je défaille, deux airbags généreux garantissent mon intégrité.


Christine a changé de partenaire, elle est avec un type que je ne connais pas. Je regrette de l’avoir encouragée.


Y a pas à dire, mais ça crève son monde cette gymnastique. Je pose mon cul, Chris me rejoint, enserre mes épaules de ses bras, me baise le front, la joue, les lèvres. Je sens la fermeté de son sein contre mon omoplate, sa chaleur m’apporte la joie, son parfum réjouit mes narines. Elle est à moi, toute à moi, tendre, enjouée, gaie, heureuse. Et aussi diablement surexcitée.


Un autre homme rapplique, d’où sort-il celui-là ? Le type prend la pose légèrement courbée en avant comme pour une révérence, avance la main dans un geste si désuet qu’il en est ridicule. L’invite est claire, il la formule en anglais s’il vous plait, à elle, moi il m’ignore :



Le visage de Christine se tourne vers moi, je lis la supplique dans son regard. Qu’ai-je à voir là-dedans ? À mon sens, c’est un peu comme si on demandait au condamné sur l’échafaud de tirer lui-même la ficelle, celle-là même qui va libérer le couperet de la guillotine. OK, qu’on me tranche la tête ! À cet instant, je lui en veux terriblement. Cela ne dure qu’une infime fraction de seconde pendant laquelle je suis incapable de proférer le moindre son. Je cligne des yeux en signe d’acquiescement. Que puis-je faire d’autre ?


Christine disparaît dans la foule avec son cavalier. Haridelle recueille le pauvre solitaire, mais quoiqu’on puisse croire, c’est elle qui s’épanche, déplore la dureté des temps, rêve de Paris. Ah ! Paris ! Je l’emmène sur la piste pour la consoler, lui faire plaisir et aussi parce je veux voir Chris.


Celle-ci virevolte au bras d’un autre bellâtre. Encore un autre ? Ils exécutent des figures acrobatiques particulièrement audacieuses dont la hardiesse me parait propice à toutes les indiscrétions. Ne se rend-elle pas compte ? A-t-elle oublié ? Je suis à un doigt de courir vers elle pour lui crier mes mises en garde. Putain, mec ! Tu dérailles. Vas-y ! Cours au ridicule.


Haridelle est étonnamment docile. Il me plait de jouer ma partition, sa taille souple ploie sous ma main et il n’en faut pas beaucoup pour que son corps nerveux épouse le mien plus qu’il ne faut. Certes, ce n’est pas un canon de beauté mais elle est douce, tendre et ne me reproche pas mes maladresses. Jamais, à aucun moment, elle ne me donne l’impression d’être un nul, un piètre danseur. Au contraire ! J’aime être avec cette femme.


Un couple de touristes américains, des Texans, évolue dans nos parages, je surprends un échange de points de vue entre eux.



Je n’ai pas tout décrypté, mais il me semble d’emblée que la fille dont il parle ne peut être que Christine. Pourquoi ? Je ne sais. Une intuition ! Je la cherche des yeux. Horreur ! Les figures sont de plus en plus acrobatiques, l’une d’elles mime un envol allégorique, la main du cavalier glisse en soutien sur l’intérieur de la cuisse. La prise est hardie, de plus en plus osée, trop même… Le décolleté bâille sur la poitrine… La fureur me ronge les tripes. Je serre les mâchoires à m’en faire mal… Dans un effort de volonté, je ferme les paupières, je tourne la tête, je m’enfuis pour échapper à l’envoûtement maléfique… Surtout ne pas voir, ne pas savoir… J’entraîne ma partenaire. Je suis aveugle mais ma matière grise est en ébullition. Mon esprit transcende la matière, la nature, toutes les barrières et tous les obstacles autant que les écrans les plus opaques, je vois tout malgré tout. Ma tête va exploser.


Une Rumba… non, je m’en fous, je refuse… une autre Rumba… la peste soit de cette pute, elle peut crever, je la maudis. J’entends des cris, des rires… une prémonition, je suis persuadé, je sais que c’est elle qui se donne en spectacle… non, pas question… ne pas regarder, je m’en fiche, ce n’est pas mon affaire.


Bordel ! Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je ne fous pas le camp ? La trique, vieux ! Une trique énorme et raide et congestionnée que ça m’en fait mal au bide. Je l’ai dans la peau cette salope, je la veux. Attends qu’elle rapplique, je te vais me la faire puis basta, du balai, tire-toi connasse.


Quel traquenard ! Je n’ai pas encore vu d’arnaque mais je vois bien le piège. Bordel de bordel de merde ! Et l’autre Haridelle qui n’arrête pas de frotter son abricot tout sec contre mon bazooka. Elle a même passé la main deux ou trois fois, comme ça subrepticement. La pauvre Inès, elle n’en revient pas et me tourne des yeux énamourés. Sûr quelle croit que j’en pince pour elle. Ah ! Quelle vacherie ! Comment ne pas lui faire de peine ? Après tout, je pourrais aussi bien la tringler, elle est gentille…


… Inès et moi partons pour une Salsa quand débarque la furie déchaînée, totalement hors d’elle. La broche a disparu, un sein pointe son téton dans l’entrebâillement du décolleté béant. Ce détail ne préoccupe pas Christine le moins du monde.



Naturellement, je soupçonne à peu près de quoi il retourne, mais mon humiliation est encore trop fraîche et je n’ai pas même un élan de compassion.



Mollo, mollo, ma belle ! Merde, on n’est pas des voleurs et puis on a des civilités à faire.


C’est terrible ce que je peux être grossier et mal embouché quand je suis contrarié.




oooOOOooo




Paco ne m’assomme pas plus que ça, mais mon humeur est malgré tout exécrable. Au fond de moi-même, je suis soulagé et heureux d’avoir récupéré Christine, mais dans le même temps une autre partie de moi, plus secrète, plus sombre, plus rancunière vomit la jalousie et fulmine contre cette traînée qui m’a fait vivre l’enfer. Ces deux faces de ma personnalité cohabitent sans que je sache vraiment laquelle va prévaloir parce qu’il suffit d’un rien pour m’attendrir aux larmes ou rouvrir mes blessures.


C’est peu dire que la météo de notre relation n’est pas idéale. La donzelle est fine mouche, elle en pressent la raison et n’en fait pas plus qu’il ne faut. Si elle persiste à faire porter le sombrero aux machos qui l’ont importunée, elle ne s’offusque pas pour autant de mon hostilité teintée d’incrédulité et au contraire se fait chatte, pleurniche et poursuit son cinéma avec persévérance, sans se lasser, certaine qu’elle parviendra à ses fins, un peu à l’instar de ces gamins dont l’insistance finit toujours par payer.



Et alors, ma jolie, tu as fait ce qu’il fallait pour ça. Je garde mes pensées pour moi. Les confidences de Christine me rassérènent malgré tout, non pas tant par le contenu dont je ne suis pas plus dupe qu’elle, que parce qu’il me plait qu’elle insiste ainsi, cela caresse mon ego. Il faut dire aussi qu’en même temps la rusée se fait câline et caresse autre chose. La maligne a du flair, elle pressent son emprise, son ton se fait plus taquin.



Par tous les saints ! Combien ses lèvres sont douces, pulpeuses, chaudes sur les miennes ! Je lui donne ma bouche et abandonne ma langue. La sienne, déterminée, pugnace, force son chemin et corrompt la mienne au prix de ces jeux experts auxquels je ne sais pas résister. Je fonds, je m’effondre, je suis à sa merci. La dévergondée m’a vaincu. Christine, ma chérie, fais de moi ce que tu veux ! Je n’ai plus de souffle et ne respire que par toi. Pour toi.


Mes mains s’égarent, l’une vers la chute de reins, l’autre croise le sein, dont la chair est délicate, moelleuse et tendre sous mes doigts. Le téton me parait prodigieux et d’une sensibilité exacerbée. N’a-t-elle pas réagi ? Mais si ! J’oublie les derniers vestiges de rancune et explore le registre. Je joue de la langue, de la paume et du doigt et recueille l’écho. Ce semblant de pouvoir qu’on a parfois sur les chairs et les corps est proprement enivrant. Il y a de la magie là-dessous. De son côté, Christine s’affaire toujours, fébrilement mais efficacement. Je sens les doigts habiles autant que résolus qui tricotent et défont ces obstacles qui bientôt n’en sont plus. Oh ! Jupiter et tous les autres, faites place, me voici ! Les cieux ne sont pas loin quand vient ce soulagement qu’on ressent lorsqu’une main amie vous vient en aide. Fichtre ! Que la besogne est belle et bonne ! Sublime Aphrodite, je ne te remercierai jamais assez pour tant de félicité.


Mes lèvres et ma langue s’attardent sur le mamelon pendant que ma main glisse et louvoie pianissimo vers le ventre de ma bien-aimée. Mon index, le majeur, l’annulaire et l’auriculaire aussi, toute la troupe joue, agace, pianote et capte les frémissements des muscles au travers du tissu. Je m’ébahis des contractions sympathiques, témoins de bienvenue. Celles-ci deviennent de plus en plus perceptibles à l’approche du pubis. Puis tout m’échappe…


Christine disparaît, glisse le long de mon corps. Un autre plaisir vient à la rescousse, plus corsé, plus voluptueux, il monte en intensité en même temps que je pressens le but et devient presque douloureux quand sa bouche enfourne ma turgescence… Ses lèvres s’enfoncent sur la hampe, impriment un rythme… l’incisive, la canine mordillent une extrémité sensible… Ouvrage infernal ! Chaudron de l’enfer ! Ça dure, ça recommence… c’est trop… Arrête, arrête, je t’en prie, je n’en peux plus… Non ! Je fais des efforts inhumains pour ne pas éjaculer… L’explosion contrariée irradie l’exaspération dans mon bas-ventre et pendant quelques instants mon sexe est d’une susceptibilité extrême, presque insupportable. Une pichenette suffirait pour le faire exploser.


Fi ! Les turbulences épouvantables. Non ! Je ne flancherai pas. La tension baisse. C’est gagné. Christine se redresse. Son corps ondule, frotte, perfuse une énergie démoniaque. Nos lèvres s’unissent à nouveau. Mes mains reprennent du service, les courbes m’émeuvent, je m’attarde, je mignarde, mais mon obsession est ailleurs, plus bas, féroce et lancinante, nichée dans la fourche des cuisses aimées.


Télépathie, empathie. Qu’importe ! Christine partage mon tourment, mais son impatience est plus grande à moins que ce ne soit l’effet de son tempérament. Quoi qu’il en soit, sa main s’empare de la mienne et la guide avec une force irrésistible vers le foyer convoité. Je m’abandonne au maître avec docilité.


Dès les premiers abords, mes doigts pataugent dans l’humidité, les cuisses sont trempées, la toison est ruisselante. Les grandes lèvres sont tuméfiées et démesurément enflées, le clitoris gonflé et dressé singe l’érection d’un pénis, la grotte est béante, exhalant une haleine torride dont je sens la chaleur sur ma paume. La vulve avale sans coup férir l’index, le majeur et l’auriculaire et pourrait davantage. L’intérieur du vagin bruisse du clapot des sucs et des jus en ébullition. L’intromission des intrus déclenche encore des cataractes bouillantes et mille autres phénomènes.


La femelle ne se contrôle plus, son bassin ondule de plus en plus vite, son corps frémit tout entier et de temps en temps, mue par un spasme plus puissant, la donzelle arque les reins et projette son pubis en avant. À un moment donné Christine m’agrippe et supplie.



Bigre ! Je ne suis pas du tout certain d’être seul responsable d’un désir aussi stupéfiant. Je suis même convaincu du contraire.


Cette femme que je ne reconnais pas s’écarte un peu de moi et d’un geste irréfléchi autant que précipité, ôte sa robe puis la jette sans égard sur le capot de la vieille Mercedes sur laquelle nous prenions appui. Elle est nue, intégralement nue, mais dans les parages ce n’est pas vraiment original. Par ici les couples sont nombreux, qui se donnent comme nous en spectacle. En aval autant qu’en amont, la rue est le refuge des amants pressés d’en découdre. La harpie vorace reprend position, le cul contre l’aile avant du véhicule, ouvre la fourche des cuisses et me tire avec force vers elle pour l’eucharistie purificatrice.


La transmutation en nymphe avide de sexe n’a duré qu’un instant, mais il me faut encore moins de temps pour devenir fou furieux. Je ne sais qui ou quoi déclenche ma démence, mais je soupçonne un poison diabolique. La jalousie ressurgit et me transforme en satyre féroce et méchant en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Des images horripilantes me bouffent la tête, représentant des chorégraphies lubriques et des fornications sataniques. Je la vois avec des dizaines d’hidalgos dont les mains s’affairent avec empressement sur son corps tandis que des appendices copulatifs et jubilatoires frétillent et bavent d’aise face à la chatte en goguette. J’en rajoute sans doute, mais ma rage n’a que faire de lucidité. Le Diable lui-même s’empare de mon esprit et je ne suis plus qu’un démon implacable et monstrueux. Garce ! Salope ! Pute ! L’androïde inhumain que je deviens bascule la femelle en un tour de main et la plaque, poitrine sur le capot du tacot. Je la pénètre en levrette, d’un coup, sans ménagement, et la bourre avec une bestialité dont je ne me croyais pas capable. Mon intention est malfaisante, je veux faire mal, je veux l’éventrer, la déchirer, l’avilir, l’anéantir. Je profère les pires insanités et éructe ma haine pendant que Christine râle, gémit, halète, et ahane dans des tonalités qui montent crescendo en retour de chaque brutalité, mais en ai-je seulement conscience ? Non ! Pas vraiment. Je suis sourd et aveugle. Mon esprit et ma conscience gîtent au bout de mon gland. Mon délire meurtrier culmine avec l’apothéose, j’accélère frénétiquement la besogne et explose dans son vagin sur un bouquet final qui m’anéantit. Mon égoïsme est immense. Je ne vois pas même qu’elle aussi a joui.


L’euphorie ne dure pas. Je suis là, bête et idiot, mon ventre contre les fesses de Christine et mes mains sur ses hanches. Elle ne dit rien, ne bouge pas, affalée sur son capot. J’ai peur du pire. Imbécile ! Qu’ai-je fait ? Comment peut-on être aussi inconséquent ? Bonjour la honte ! Bonjour l’angoisse !


Christine se redresse et vient se lover contre ma poitrine. Quel soulagement ! Mon cœur n’y résistera pas. Le bonheur s’insinue par tous mes pores et diffuse la paix dans mon corps et mes entrailles.



Mince alors ! Je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon. Où en est-on ?



La maligne m’a reniflé, mais soupçonne-t-elle combien je l’ai détestée, à un point qui me surprend moi-même ? Qu’importe ! Je n’ai pas envie de remuer la merde. Je suis heureux.



Et moi ! Ne suis-je en rien contagieux ? Cela ne semble pas la tarabuster. C’est frappant de voir comment les jeunes abordent plus librement que les aînés ces aspects triviaux des rapports entre adultes. Merci Christine pour ta confiance. Mille pardons pour ma goujaterie.



Eh ben ! Ça promet ! Ça va pas être triste !