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n° 13453Fiche technique45510 caractères45510
Temps de lecture estimé : 30 mn
10/09/09
Résumé:  Possible ? Peut-être... Probable ? Non ! (Heureusement !)
Critères:  sf -sf
Auteur : Zébulon            Envoi mini-message

Concours : Concours "Un futur pas si lointain"
Science-affliction

Le professeur Raymond Picard écarquilla les yeux de stupeur. Il crut d’abord à un dysfonctionnement de son Connecteur, mais il savait bien que ce ne pouvait pas être le cas. Les informations qui s’affichaient étaient nécessairement exactes.



Il regarda l’immense machine de test qui occupait le laboratoire. L’analyse des 1024 nouveaux échantillons venait de se terminer. L’anomalie était présente, strictement identique, sur la totalité des éprouvettes. C’était incroyable mais le professeur savait bien que c’était la réalité. Les résultats étaient conformes à ce qu’il avait pressenti, à cette intuition qu’il avait eue et qui l’avait conduit à réaliser précisément ce test-là et pas un autre. Il savait ce qu’il cherchait et il venait de le trouver.


Les locaux de l’INSERM retentirent d’un tonitruant :



La secrétaire se précipita dans le laboratoire.



Raymond Picard réfléchissait à grande vitesse. Tout d’abord il fallait protéger cette découverte. Personne ne devait savoir pour l’instant. Ensuite il fallait la faire confirmer dans le plus grand secret par d’autres laboratoires dans le monde, 3072 échantillons ne pouvaient pas être considérés comme représentatifs au niveau de la population mondiale. Or, quand il rendrait publique cette… catastrophe, il aurait besoin d’une assise scientifique indiscutable.


Mais avant tout, il lui fallait comprendre pourquoi. Comment était-ce possible, quel phénomène avait conduit à cette incroyable altération ? Vers qui se tourner pour l’aider dans sa recherche ?


Bredoux, Georges Bredoux ! Le directeur de l’Institut Pasteur ! À eux deux ils rassembleraient suffisamment de connaissances, de moyens et de crédibilité pour aller au bout de ce cauchemar.


Picard se concentra sur son nom et au bout de quelques secondes l’image de Bredoux lui apparut.




oooOOOooo



Léa laissa échapper un juron. Encore raté ! Elle voulait imprimer une lettre mais c’est la machine à laver qui s’était mise en route. Elle se concentra à nouveau, essaya d’allumer la télé pour regarder la saison 96 des Feux de l’amour mais cette fois c’est la porte d’entrée qui s’ouvrit.



Mon cul, oui ! pesta-t-elle intérieurement.

Elle s’était fait poser le Connecteur la veille. On lui avait bien recommandé de ne pas essayer de l’activer pendant vingt-quatre heures, de le laisser s’adapter à son cerveau, faire sa place dans la matière grise. Elle avait bien respecté toutes les consignes, d’ailleurs elle ne le sentait plus, preuve que l’intégration s’était bien déroulée. Mais elle n’arrivait pas à le maîtriser.


Elle l’avait pourtant attendu, espéré, désiré, ce sésame du monde électronique. Depuis sa découverte et sa mise au point, il s’était écoulé cinq années, cinq longues années de liste d’attente qui lui avaient semblé interminables. Comme tous les jeunes gens, elle voulait être à la mode, à la pointe de la technologie, pouvoir épater ses copains en leur démontrant les capacités presque infinies de cette découverte majeure du XXIe siècle.


Le Connecteur permettait de remplacer tous les objets électroniques existants. Les avancées fulgurantes de la science dans le domaine à la fois de la compréhension des mécanismes du cerveau et des micro-nano technologies avaient permis son avènement. Pratiquement invisible à l’œil nu, cette puce d’un nouveau genre s’implantait directement dans le cervelet. Le Connecteur devenait alors l’interface entre son propriétaire et le monde extérieur, pour tout ce qui relevait de l’électronique ou des télécommunications.


Les influx électriques du cerveau étaient interprétés par le Connecteur qui exécutait alors l’action demandée. Par exemple, il suffisait de penser à téléphoner à une personne pour que le Connecteur compose son numéro, qu’il trouvait dans le fichier central Édith. Mais l’avancée majeure de cette découverte était la communication entrante. Le Connecteur générait des influx électriques qui permettaient de créer directement dans le cerveau des sons et des images. On pouvait désormais « voir » et « entendre » sans utiliser ses yeux et ses oreilles.


Le téléphone, la télévision, l’écran d’ordinateur, le clavier, la souris étaient désormais des objets qui étaient progressivement relégués au rang d’antiquités au fur et à mesure du déploiement du Connecteur. Les images et le son de la télévision étaient directement projetés dans le cerveau, les conversations téléphoniques étaient silencieuses pour un observateur extérieur. Une véritable révolution qui avait réduit le bruit ambiant de plusieurs dizaines de décibels.


Léa « entendit » la sonnerie du téléphone. Elle se concentra et réussit à « voir » l’image de Maxime. Elle était si contente d’avoir réussi cet exploit qu’elle en oublia presque de « décrocher ».




oooOOOooo



Lucas Eveno prit son courage à deux mains. Il « appela » Pierre Le Laid, le directeur de la chaîne. Celui-ci daigna répondre.



L’image de Le Laid disparut du cerveau de Lucas. Celui-ci poussa un grand soupir de soulagement. Le plus dur était fait, convaincre le grand patron de lui accorder une entrevue. Quand il lui aurait exposé ses découvertes, il deviendrait le plus grand journaliste télé de tous les temps. La chance lui avait souri, il comptait bien ne pas laisser passer l’occasion. À trente ans, devenir le journaliste le plus en vue du monde, ça ne se refusait pas !


Il se concentra sur l’imprimante et lui envoya tous les documents stockés dans son Connecteur. Il prit la pile de papiers et grimpa au dernier étage.



oooOOOooo




Picard fit apparaître dans le cerveau de Bredoux les résultats d’analyse. Celui-ci en comprit immédiatement les conséquences.



Les idées se bousculaient dans la tête du directeur de l’Institut Pasteur.




oooOOOooo




Maxime dévorait des yeux sa compagne. Léa était simplement recouverte d’une nuisette, très courte et légèrement transparente, qui ne laissait aucun doute sur le fait qu’elle était entièrement nue dessous. Elle resplendissait de la beauté insolente de ses vingt-cinq ans.



Il lui prit la main et l’entraîna dans la chambre. Ils s’allongèrent sur le lit. Maxime se tourna vers elle et plongea son regard dans le sien.



Son émotion fit s’allumer toutes les lumières de l’appartement. Elle ne s’en aperçut pas, elle déjà occupée à autre chose.



oooOOOooo




Le grand patron s’arrêta subitement.



Lucas sortit du bureau directorial fou de joie et d’émotion. La réaction de Pierre Le Laid avait été encore plus enthousiaste qu’il n’avait osé l’espérer. Sa carrière venait de faire un grand bond, les rédactions du monde entier allaient s’arracher sa collaboration après la diffusion de son documentaire.


Il pensa qu’il avait acheté quelques années auparavant, à prix d’or, des petites douceurs qu’il se réservait pour une grande occasion. Le moment était venu d’en profiter. Son Connecteur lui indiqua qu’il avait largement le temps de faire un saut chez lui, de s’adonner à son plaisir et de revenir travailler sans que personne ne s’aperçoive de son absence. Il descendit au parking récupérer son véhicule.



oooOOOooo



Léa faisait l’amour à Maxime, passionnément, intensément, follement, avec tout l’abandon physique et émotionnel dont était capable une femme éperdument amoureuse.


Il avait accepté, il lui avait dit oui pour le bébé. Depuis qu’elle l’avait rencontré, depuis qu’elle avait compris qu’il était l’homme de sa vie, elle désirait avoir un enfant de lui. Même si elle ne se l’avouait pas, ce désir si fort de maternité était pour combler un manque en elle, pour donner à sa progéniture l’amour d’une mère, cet amour qu’elle n’avait pu recevoir.


Au début, quand la pandémie de grippe A s’était abattue sur le monde, et sur la France en particulier, elle avait trouvé ça amusant. Elle avait sept ans pendant l’hiver 2010, quand son école avait fermé pour limiter la progression du virus. C’était comme des vacances inespérées, une période de Noël qui se prolongeait. Le médecin était passé à la maison pour la vacciner. Il était rigolo avec son masque ridicule.


Et puis le temps avait commencé à lui paraître long. Elle n’avait pas le droit de sortir, elle ne pouvait pas aller voir ses copines, ni même aller jouer au square. Les semaines se passèrent ainsi ; Léa enfermée, cloîtrée, séquestrée même, entre les quatre murs de l’appartement. Ses parents continuaient à aller travailler, il fallait bien gagner sa vie malgré tout. Et puis un jour, sa mère avait commencé à tousser. Rien d’inquiétant en cette saison hivernale, un gros rhume ou une petite bronchite. Elle n’était pas allée consulter le médecin, elle n’en voyait pas l’utilité. Et puis un matin, c’était début avril, cela ferait dix-huit ans dans quelques jours, Léa l’avait retrouvée morte, allongée dans la cuisine.


Plus tard, en grandissant auprès de son père, elle apprit que la pandémie avait fait cette année-là sept cent cinquante mille morts en France. Les victimes furent moins nombreuses l’année suivante car il y avait plus de vaccins disponibles, les laboratoires pharmaceutiques avaient eu le temps de rattraper leur retard de production et la campagne de vaccination avait été élargie.


Aujourd’hui elle voulait cet enfant pour l’inonder de cet amour dont on l’avait privé. Elle voulait une petite fille, pour lui donner l’enfance heureuse qu’elle-même n’avait pas vécue. Elle la prénommerait Marie, comme sa mère, pour lui offrir une seconde vie.


Elle poussa un peu plus son bassin en avant pour aller à la rencontre de ce sexe dur qui l’emplissait, pour encore mieux sentir cet amour chaud et palpitant, pour lui arracher son liquide de vie.



oooOOOooo



Lucas Eveno habitait en banlieue, à quinze kilomètres du siège parisien de la chaîne. Il estima que le trajet lui prendrait environ cinq minutes, si les vents n’étaient pas contraires. Il se glissa dans sa nacelle et en ouvrit les récepteurs. Lentement il s’éleva dans les airs. Il choisit une altitude qui semblait dégagée et enclencha le propulseur. Il pensa fugacement aux déplacements de son enfance, aux embouteillages sur le périphérique, à l’odeur nauséabonde des gaz d’échappement, à son père qui insultait les autres automobilistes.


Si l’automobile avait été l’invention du XXe siècle, le propulseur solaire était incontestablement celle du XXIe. Avec le Connecteur, bien sûr. L’idée était simple et il avait suffi que les moyens industriels soient débloqués, pénurie de pétrole oblige, pour qu’elle voie le jour.


La nacelle utilisait le rayonnement magnétique solaire, supérieur à son rayonnement lumineux car présent même la nuit, pour créer autour de la nacelle un champ magnétique de même polarisation que le champ magnétique terrestre. L’opposition des champs magnétiques faisait s’élever le véhicule. On réglait l’altitude en réglant l’intensité du champ, une intensité très faible ne faisait décoller l’engin que de quelques centimètres. L’énergie résiduelle, non consommée par la création du champ magnétique, était utilisée pour la propulsion. Il en résultait que plus on était proche du sol, plus on pouvait aller vite. Le Code du Ciel stipulait que les altitudes basses étaient réservées aux longues distances à parcourir, les hautes aux petits trajets.


Le rayonnement magnétique solaire n’étant pas très puissant, l’énergie récupérée ne suffisait pas à faire décoller des nacelles contenant plus d’une personne. Tous les transports collectifs ou de marchandises continuaient à s’effectuer de la manière traditionnelle, sur la route. Mais comme en semaine l’immense majorité des déplacements étaient individuels, cette invention avait permis de reléguer aux oubliettes les embouteillages biquotidiens autour des grandes villes. Ce n’était pas encore le cas des départs en vacances.


Au bout de quatre minutes trente, Lucas se posa sur le parking de son immeuble. Il fila à la cave. Il prit soin de vérifier que personne ne l’avait vu y entrer et referma la porte à double tour. Il essaya de se remémorer l’endroit exact où il avait enterré la boîte. Après quelques essais infructueux, il sentit enfin au bout de ses doigts le contact du plastique. Il exhuma triomphalement la boîte hermétique. Il l’avait cachée là trois ans auparavant et malgré deux passages de l’immeuble au peigne fin par les chiens renifleurs, elle n’avait pas été découverte, heureusement pour lui.


Il ouvrit précautionneusement la boite et en contempla le contenu avec tendresse. Un paquet de cigarettes, un briquet et vingt doses auto-injectables. Il avait pris des risques fous pour se procurer ces objets, les faisant venir en contrebande depuis l’Inde, où la production et la consommation de tabac n’étaient pas encore illégales. C’est que depuis que la Constitution avait été modifiée pour y inscrire l’interdiction formelle de fumer, les autorités ne plaisantaient pas. Il savait très bien ce qu’il risquait s’il était pris à fumer : la prison à perpétuité. Et ce n’est pas l’avocat qu’on lui commettrait d’office qui pourrait quoi que ce soit pour le sauver face à un crime aussi odieux.


Il alluma lentement une cigarette, profitant de chaque seconde, faisant durer chaque geste pour mieux la savourer. La première bouffée le laissa étourdi, la tête tournant comme dans une centrifugeuse. Puis la nicotine emplit ses poumons et se diffusa lentement dans son sang. Quelques dizaines de battements de cœur plus tard, la substance parvint à son cerveau. Il se sentit flotter, son stress diminua, son rythme cardiaque se ralentit. Il fuma le cylindre de tabac jusqu’au filtre, jusqu’à la dernière molécule d’herbe à Nicot.


Il était temps maintenant de s’administrer l’antidote. Il décapsula une dose et se l’administra. Puis il rangea soigneusement la boîte dans son trou et la recouvrit d’une épaisse couche de terre.


Il regagna le parking, remonta dans sa nacelle et fit la route en sens inverse. En traversant l’esplanade devant la tour de la chaîne, son cœur faillit s’arrêter de battre. Il se trouva nez à nez avec une patrouille !



Lucas pensa que sa carrière si prometteuse pourrait bien s’arrêter là, au pied de son bureau, devant l’immeuble qui devrait voir sa consécration dans un mois. Il souffla. Il allait savoir si les quelques milliers d’euros qu’il avait dépensés pour acheter les doses avaient été bien utilisés, ou s’il s’était fait avoir comme un bleu. Le réactif du tabacotest vira.



Lucas faisait semblant d’être plein d’assurance, citoyen injustement accusé drapé dans sa dignité, mais il n’en menait pas large.



Lucas glissa son doigt dans l’appareil portatif d’analyse. Il sentit la piqure de l’aiguille.



Le journaliste n’était pas croyant, mais durant ces deux minutes il invoqua toutes les divinités qu’il connaissait.



Lucas poussa intérieurement un grand soupir de soulagement. Il avait frôlé la catastrophe, mais la substance qu’il s’était injectée avait bien fait disparaître toute trace de nicotine. C’était cher, certes, mais il ne finirait pas sa vie en prison.


Il rejoignit son bureau sans demander son reste.



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Raymond Picard était tiraillé entre l’urgente nécessité de prévenir et l’absence d’explication rationnelle à ce phénomène incroyable. Mais son confrère avait raison, ils n’avaient déjà que trop attendu. La mort dans l’âme, il appela l’Élysée. Après quelques minutes de discussion avec différents filtres, il fut enfin mis en relation avec le Président.



Raymond Picard soupira profondément. De toute sa longue carrière, il n’avait jamais eu un tel poids sur les épaules.




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Léa retint sa respiration. Dans deux minutes elle saurait. Après plusieurs essais infructueux, elle avait réussi à activer le mode « analyse de sang » de son Connecteur. Ses concepteurs l’avaient initialement prévu pour permettre aux diabétiques de surveiller en temps réel leur glycémie puis progressivement des demandes complémentaires avaient été intégrées dans le protocole. On pouvait désormais demander à son Connecteur toutes les analyses simples, en premier lieu desquelles figurait le taux d’hormones HCG.


Le résultat s’afficha en clair dans le cerveau de Léa. Vous êtes enceinte. Elle ne put retenir des larmes de joie. Elle se mit à danser, seule dans l’appartement, les bras resserrés contre son corps comme si elle portait un bébé.



Elle se mit à penser à l’avenir, à sa fille qui grandirait, qui jouerait avec les fils que venaient d’avoir ses deux meilleures amies. Elle sourit en imaginant que peut-être elle se marierait avec l’un d’entre eux.



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Raymond Picard se servit un whisky et s’installa dans son canapé pour regarder la télévision. L’écran avait beau avoir disparu de son salon, il n’arrivait pas à se défaire de cette habitude remontant à l’époque pré-Connecteur.


L’émission commença.



Le professeur détestait le baratin de ce présentateur, qu’on retrouvait immanquablement à chaque grand évènement de cette chaîne. Il maugréa contre la télévision-spectacle, mais continua à « regarder » malgré tout.



Le cher téléspectateur coupa le son pour épargner à son cerveau l’agression des messages publicitaires, et pesta de plus belle.



Un jingle du plus mauvais goût, qu’on pouvait assimiler à un roulement de tambour, retentit.



Quelques images des camps défilèrent rapidement sur une musique funèbre.



Le présentateur se tut quelques instants pour ménager ses effets.



L’animateur laissa ses paroles en suspens quelques secondes.



Le nombre s’afficha en gros caractères en fond d’écran.



Pierre Le Laid se frotta les mains. Il avait branché son Connecteur sur Édith, rubrique Audience. Le taux d’écoute était passé de 52 % au début de l’émission à 87 % lors de l’annonce. Tout laissait à penser que l’écran publicitaire laisserait le temps aux retardataires de se brancher sur le programme, pour battre le record historique d’audience.



Raymond Picard bougonna. N’importe quoi, un virus n’est pas une arme élaborée par qui que ce soit, il était bien placé pour le savoir. Ces journalistes sont vraiment prêts à dire toutes les contre-vérités pour faire de l’audience.



Le présentateur fixa la caméra droit dans les yeux.



Le professeur Picard, comme tous les téléspectateurs de l’émission, encaissa le choc. Son esprit tournait à plein régime pour se remémorer les évènements de cette période dont il fut un acteur essentiel. Il passait en revue les décisions prises sur la politique de vaccination à la lumière de ce nouveau jour. Soudain son sang se glaça. Son verre lui échappa des mains et se brisa sur le sol. Le déclic venait de se produire, il venait de comprendre.


Il prit sa décision en quelques secondes. Il n’aurait pas la force d’affronter la réalité. Mais il devait prévenir Georges Bredoux, lui laisser les clés du mystère avant de partir. Il composa un message retardé à l’intention de son confrère qu’il envoya par Connecteur.



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Toute la rédaction était présente au débriefing, le lendemain de l’émission. Pierre Le Laid trônait en bout de table, triomphant. À sa droite Lucas Eveno affichait un sourire qu’il ne parvenait pas à réprimer.



Il projeta sur l’écran géant les taux d’audience transmis en temps réel par Édith au cours de la soirée.



Lucas ajouta pour lui-même.




oooOOOooo



Le ministre de l’Intérieur enrageait. Le Président lui avait passé une sacrée soufflante la veille au soir, pendant la diffusion de l’émission, parce qu’il n’avait rien vu venir. Il allait falloir revoir tous les programmes de veille d’Édith.


L’avènement du Connecteur avait grandement simplifié la vie de ses utilisateurs. Beaucoup d’objets de la vie courante d’avant avaient disparu grâce à lui. Plus besoin de s’encombrer d’un téléphone, d’une télévision, d’un écran d’ordinateur, car tout ce qui était interface homme-machine était désormais assuré par le Connecteur. Chacun louait cet immense pas en avant dans l’amélioration de la vie quotidienne.


Mais les citoyens, qui faisaient la queue pour se faire implanter ce sésame du monde virtuel, n’étaient pas informés de toutes les applications de cette puce d’un genre nouveau. Ils ne savaient pas, par exemple, que toutes les informations qui transitaient par leur Connecteur étaient enregistrées, stockées ad vitam æternam, dans le fichier central Édith. En consultant Édith on pouvait tout savoir de la vie de son possesseur : les programmes qu’il regardait à la télévision, les coups de téléphone qu’il avait passés et leurs contenus, le nombre de fois qu’il avait mis en marche sa machine à laver, les sites qu’il avait consultés sur internet, sa localisation seconde par seconde grâce au GPS intégré, etc. Absolument tout était consigné dans le gigantesque fichier central, dont on ne finissait pas d’augmenter la capacité de stockage.


Les ministères de l’Intérieur, de la Défense, des Finances avaient développé des programmes qui scannaient Édith à la recherche de mots-clés, de chiffres ou d’informations. La sûreté du territoire, la lutte contre le terrorisme ou contre la fraude fiscale avaient été grandement améliorées par ce système.


Mais la fonction la plus tue du Connecteur, son secret le mieux gardé, était son pouvoir de tuer son possesseur. Sur ordre du Président de la République, et de lui seul, l’onde mortelle pouvait être émise, provoquant la combustion de la puce, grillant instantanément le cervelet. Quand le déploiement des Connecteurs serait terminé, quand toute la population serait équipée, cette onde deviendrait l’arme absolue, la plus puissante, la plus précise jamais inventée. La bombe atomique pourrait alors orner les musées militaires.


Une petite partie de la population, considérée comme éléments clés du système, dirigeants, scientifiques de haut niveau, avait toutefois été informée d’une application possible du Connecteur. En cas de danger, sécurité de l’Etat compromise, menace de vol d’un secret scientifique, capture par une puissance ennemie, on pouvait par le biais d’une succession bien précise de pensées envoyer à sa puce un ordre de suicide.



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Georges Bredoux se réveilla les idées confuses. Les révélations de l’émission de la veille l’avaient bouleversé. Il sentait sa responsabilité de scientifique médical engagée dans la gestion de la crise pandémique, dix-huit ans plus tôt. La politique de vaccination avait été définie par un comité regroupant les autorités politiques et médicales. Le comité l’avait consulté, bien qu’à l’époque il ne fût pas encore directeur de l’Institut Pasteur mais « simple » chercheur en épidémiologie. Il n’avait rien trouvé à redire aux décisions prises alors par ces sages.


Son Connecteur lui signala l’arrivée d’un message retardé du professeur Picard. Il en prit connaissance.



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Le directeur des Renseignements généraux prit en tremblant l’appel du ministre de l’Intérieur. Ce genre d’appel ne présageait rien de bon.




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Le Président resta interdit. Il fixa son interlocuteur dans les yeux, et n’y trouva que le poids de cette révélation. Il lui fit signe de s’expliquer.



Le chef de l’État suivait attentivement les explications.



Georges Bredoux marqua une pause, conscient de la gravité de ce qu’il s’apprêtait à dire.



Le Président acquiesça.



Le Président resta songeur un long moment.



Le Chef de l’État réfléchit encore un instant.




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Pierre Le Laid apparut en personne sur l’écran.



La voix du ministre de l’Intérieur retentit dans son Connecteur.




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Georges Bredoux donna les ordres nécessaires pour transformer l’Institut Pasteur en centre de fécondation in vitro. Le Président de la République l’avait nommé responsable du Projet Noé.


Désormais, toutes les fécondations d’enfants de ministres, de chercheurs, de militaires, de dignitaires, en un mot de ce que le gouvernement appelait l’élite, auraient lieu dans ses laboratoires.



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Huit mois plus tard, Léa accoucha d’un fils, qu’elle prénomma Raymond en hommage à celui qui l’avait sauvée, dix-huit ans plus tôt.