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Temps de lecture estimé : 11 mn
22/03/10
Résumé:  Et Dieu et le Diable se marrent.
Critères:  nonéro humour
Auteur : Kaos            Envoi mini-message
La sagesse des cloportes

En ce jour de janvier, Dieu s’ennuyait ferme. Non qu’il n’avait plus de boulot, bien au contraire, mais c’était du tout venant, du classique, de l’habituel. Il fallait gérer le quotidien, et gérer le quotidien quand on est omniscient, c’est plutôt peinard comme job.

D’abord, régler quelques conflits bénins entre voisins qui ne se comprenaient pas, et puis faire un petit miracle parce que c’est rigolo comme tout ! Et enfin, sauver un ours polaire, une baleine et un phoque pour que ceux de Greenpeace lui foutent la paix.


Donc Dieu s’ennuyait.


Il avait bien prévu de faire neiger sur l’Europe de l’Ouest histoire d’emmerder les automobilistes et de faire rire les enfants, de filer un peu de soleil aux Sud Américains pour que les préparatifs du carnaval se passent bien, parce qu’il aimait bien la Carioca aussi. Dieu est facétieux ! Mais Dieu s’ennuie.


Pourquoi diantre le Créateur, a-t-il un coup de blues ? Parce qu’il est seul, mais seul, que ça en est une horreur. Bon d’accord y’a bien son pote Satan, avec qui il fait mumuse parfois, mais à part ça. Ce n’est pas la flopée d’anges, d’archanges, d’angelots, qui vont combler sa solitude sentimentale.

Dieu, qui pourtant est amour, veut de l’amour. Pas du sexe non, de l’amour du vrai, avec un grand À et des petits cœurs. « J’ai besoin d’amouuurrr… » chantonnait-il à tue tête, ce qui serait paradoxal s’il n’était pas Dieu.


Eh oui, comme quoi même les créations qui nous paraissent totalement absurdes ont leur utilité.

Bref, Dieu qui avait conçu l’Homme à son image, se trouvait fort dépourvu en ces temps de disette sentimentale.

Il réfléchit quelques minutes. Et en conclut qu’Il ne lui restait que deux solutions : soit provoquer l’amour dans le cœur d’une jeune femme de son choix, soit être un peu plus téméraire et se lancer dans la séduction, par lui-même.

Il opta pour la seconde.


Parce que zut quoi, non mais, il était le Tout-Puissant, papa de trois monothéismes, quand même !


Il observa, un soir, les moyens mis à sa disposition : les boîtes de nuit, bals, rallye et autre lieux de rencontres étaient a priori à sa portée. Quoi de plus simple que de descendre, draguer une jeune fille et hop.


Le samedi, il mit Travolta sur sa platine et se vêtit de beau. Col jabot, chemise blanche, lunettes noires, une touche de gomina, qui brillait autant que les strass de son pantalon. Saturday Night Fever !


À l’entrée de la boîte, le Best, de Clermont-Ferrand, il dut user un chouïa de ses pouvoirs pour que les deux videurs, peu amènes, le laissent entrer. Son look détonnant… détonnait ! Des jeunes en baggy, sweat capuche, le regardaient de bas en haut et vice versa.


Dieu s’en moquait. Il se lança sur la piste, tournoyant, pirouettant, sautillant. Un vrai danseur, un vrai. Certes il n’était pas tout à fait, tout à fait, dans le tempo, et il écrasa au passage trois orteils, deux cors et un œil de perdrix. Certes, il rata un pas un peu difficile, et bouscula un colosse qui atterrit dans le bar, certes il oublia un instant qu’il était Dieu et que la lévitation n’est pas un standard des danses modernes. Bref, il déconna plein pot. Et finalement, assoiffé, il prit une bouteille sur une table et la liquida en trois gorgées. Le public le regardait extrêmement surpris, mais certains mirent ça sur la mauvaise qualité des acides proposés par le patron complaisant du lieu. Dieu, un peu éméché, se dirigea vers une brune superbe. Grande, mince, les yeux noirs sous son chignon, elle le regarda s’approcher.



Dieu se retourna lentement.

Le colosse, celui qui avait traversé le bar, un mètre quatre-vingt-dix-sept au garrot, dans les cent-quarante-et-un kilos, lui tapota l’épaule :



Dieu pensa un instant à le transformer en loukoum, mais ses bévues successives le retinrent. Et il se mangea une calotte digne d’un bon western. Et il eut mal, un peu comme son fiston en croix, mais moins quand même. Et Dieu tenta sa droite. Celle qui est parfois assise à côté de lui. Et la droite de Dieu fut un flop. Parce que ça faisait un moment qu’il ne s’en était pas servi et surtout que l’absorption de 75 centilitres de vodka l’avait sérieusement entamé.


Bref, il se retrouva sens dessus dessous, les fringues ruinées, vautré dans le caniveau, avec un joli cocard. Tu parles d’une réussite. Et en plus, il se gerba dessus.

Il fila chez lui, là haut.

Et poussa un coup de gueule.

Ce qui n’eut pour incidence que de réveiller un mal de crâne sévère.


Dieu était en rage. Fiasco sur toute la ligne. Même le plus crétin des crétins aurait fait mieux que lui. Et sans parler d’amour cette fois-ci, il fallait qu’il s’avoue que même le sexe c’était pas pour demain.


Satan, qui passait par là, le vit et à son sourire narquois, le Créateur comprit qu’il était au courant de ses frasques de la veille.



Satan, d’une geste ample, fit apparaître une image. Qui aurait choqué Sade et Rocco Siffredi. C’est peu dire.

Dieu souffla lentement.



À ces mots Dieu pâlit franchement. Parce que bon, ce n’est pas qu’il n’était pas près à, mais Meetic c’était l’antre de Satan ! Le royaume du péché non consommé et virtuel. Des milliers d’âmes qui se vautraient complaisamment dans la luxure et la débauche via écran interposé. C’était l’Ignominie, c’était…

C’était surtout que Dieu avait un énorme problème de timidité, c’est tout. Déjà, parler à un ange aux fesses nues le faisait rougir à chaque fois, alors séduire virtuellement lui filait des frissons dans la colonne. Ce qui généra un joli tremblement de terre en Argentine.



Dieu se fit amener son PC dernier cri. Il se connecta. Tout d’abord saisir un pseudo : évidemment Dieu était prit, ainsi qu’Allah, Yahvé, Buddha, Ganesh, Shiva, etc. Pff, la plaie ! Il essaya tout, tout, et rien. En désespoir il se rabattit sur Kranouche, dieu des Cloportes dans une obscure civilisation du Nord-est de l’Inde. Autant dire : rien, mais en même temps, un cloporte a le droit de vivre non ?


Âge : il hésita longuement. Il opta pour un petit "45" an.

Sexe : euh, il n’avait le choix qu’entre H et F, pas « celui des anges ».

Ville : Paradis ? Il peut, mais souci quand il faut mettre le code postal.

Enfin apparence : il mit un peu de tout comme ça au pif, parce qu’Il est un peu de tout.

Religion : pour s’amuser il met non-pratiquant et athée.

Loisirs : ça se corse. Il hésite entre sauver des âmes de la damnation éternelle, faire des Miracles, et il se rabat, finalement, sur dames et petits chevaux.


Il cherche ensuite une partenaire à sa mesure, comprend très vite qu’il est Unique pour deux milliards de personnes au moins, et totalement ridicule dans le Panthéon indien par exemple.


Dilemme ! Alors, en bon gars bien basique, il se rabat sur le standard en vigueur dans les pays riches et bien portants :

grande, blonde à gros seins (forte poitrine pense-t-il !).

Niveau d’étude : peu importe.

Âge : jeune, mais pas trop, un petit "32" an ?

Ville ? Saint Etienne ! Comme ça et juste parce que le coup des poteaux carrés ça l’a fait marrer en 1976.


En ligne : Bellebeautéjoliedu42, Plaffa42, Mistigurettetorturée et Omygode.


Il ouvre le tchat et entame de manière subtile un dialogue avec Bellebeautéjoliedu42.



Dieu déconnecte. Vexé. La catin de Babylone, il a déjà donné, enfin son fiston, c’est tout comme. Il commence à se dire que bon, ce n’est pas le meilleur plan de sa vie ce défi idiot. Que Satan pourrait peut être garder son œil, et basta. Et que…



Deuxième connexion. Plaffa42. Qui ne répond pas. Qui s’en fout à vrai dire, puisqu’en sondant son âme discrétos, Dieu se rend compte qu’elle a des soucis en tête : les traites de la maison, ses enfants qui mangent pas super bien, son ex qui la harcelle, bref un merdier qu’elle n’arrive pas à oublier même devant son écran. Elle est en larme, et Dieu se dit que ce n’est pas vraiment le moment de l’ennuyer. Il en profite pour utiliser sa carte journalière de « Erreur de la banque en votre faveur » et crédite son compte chèque d’un million d’euros. Sacrée erreur, mais au prix des parachutes dorés, ça se verra même pas !


Satan a bien remarqué la manœuvre, mais il laisse courir. De toute façon il a déjà gagné la moitié du défi.


Contact. Mistigurettetorturée répond.



Dieu se demande à cet instant ce qu’il va bien pouvoir dire. Bon certes, il pourrait sonder son esprit à elle aussi, et y trouver un soupçon d’inspiration, mais l’autre nigaud cornu finira par s’en rendre compte.



Dieu se retourne et remarque un Satan écroulé de rire dans un coin de nuage.



Ohmygode. Tout un programme.



Dieu déconnecte intempestivement, se tourne vers Satan et sous les yeux ébahis de celui-ci, se transforme en cloporte.

Qui fonce vers un nid de cloporte.

Qui fait de l’œil à une superbe femelle cloporte.


Et Satan dépité, laisse son œil dans un coin et s’en va fulminant tandis qu’un cloporte se faufile entre ses jambes.


La sagesse du cloporte consiste aussi à se garer des pieds.