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Temps de lecture estimé : 23 mn
29/04/10
Résumé:  Ben trouve refuge chez sa collègue Farida. Comment lui expliquer la situation sans passer pour un fou ? Mais aura-t-il le temps de le faire, avant que la menace ne s'abatte de nouveau ?
Critères:  nonéro sf -aventure -sf
Auteur : Dr Lamb  (2010)      Envoi mini-message

Série : Restauration Rapide

Chapitre 03 / 03
Frites, nuggets, sauce sanguine

Ben Bauer, un nostalgique du passé, découvre un terrible secret : les employés du restaurant McDonald sont contaminés par des limaces extraterrestres prenant possession des corps humains. Alors que son ami Max est infecté, il parvient à fuir de justesse et se réfugie chez une collègue de travail.


Il est fortement conseillé de lire les deux épisodes précédents pour une totale compréhension de ce récit.







Je parvins à faire quelques pas mesurés dans le couloir, avant de sentir mes jambes se dérober. Je dus m’appuyer au mur pour ne pas m’écrouler comme une masse.

Un vertige me faisait tourner la tête, sans doute causé par la téléportation. Après tout, c’était la première fois que j’utilisais ce truc… Et la dernière, je l’espérais.

Le couloir était tapissé d’une moquette brune en bon état. Les quelques fenêtres laissaient jaillir un flot de lumière artificielle, illuminant les murs et les portes des appartements.

Avec un gémissement, je me passai une main sur le visage, et poussai un cri de douleur lorsque j’effleurai mon nez cassé. Le sang ne coulait plus, mais avait formé une croûte sous mes narines et mes lèvres.



J’étais en piteux état : pieds nus, en sueur et le nez en miettes.

Que s’était-il passé ? Est-ce que j’avais rêvé tout ça ?

Non. Max, Les serveuses, ces espèces de limaces sorties de leurs corps, cette vision du futur, Farida…

Tout cela était réel.

Je me courbai en deux et crus que j’allais éclabousser la moquette du couloir, mais je parvins à déglutir et à ne pas rendre.



Les mots de Jennifer résonnaient en moi :



Une tumeur…

Je me redressai et regardai la cabine de téléportation avec angoisse. Elle était éteinte. Ils ne m’avaient pas suivi, encore heureux, mais je me doutais qu’ils ne seraient pas longs à remonter ma trace.

Et pourquoi je me retrouvais ici ? Qu’est-ce qui m’avait pris de me réfugier dans l’immeuble de Farida ? J’espérais son aide, peut-être ?

Au mieux, elle allait me prendre pour un fou. « J’ai besoin d’aide, des limaces extraterrestres ne pouvant contrôler les cancéreux vont envahir la Terre par le biais du restaurant McDonald, aide-moi s’il te plait ! »


Épuisé, je me pris le visage entre les mains, au bord des larmes. Ce n’était pourtant pas un hasard, si pendant ma vision, enfin plutôt ma projection dans le futur, j’avais vu ma collègue… Et pas non plus un hasard si je pouvais voir certaines choses… Il devait y avoir un lien. Mais lequel ? Pourquoi moi ?


Je fis quelques pas prudents.

Je ne savais même pas dans quel appartement elle vivait. Et quel était le lien…

Une porte s’ouvrit devant moi et je reculai vivement.

C’était elle.

Elle resta figée en m’apercevant, visiblement surprise. Elle était vêtue d’un survêtement et de tennis.



Je m’humectai les lèvres pour lui répondre, mais, au lieu de cela, basculai en avant et tombai dans les pommes.


Le ciel rouge. Le lourd vaisseau, immense, qui recouvrait tout au-dessus des immeubles. Il passait en silence, comme un vaisseau fantôme voguant sur une mer rouge de sang. Les maisons détruites. Les corps partout, qui jonchaient le bitume.

Les cris, au loin. Farida, de vingt ans plus vieille, le visage balafré, le cheveu sale, qui tenait entre ses doigts une longue aiguille, où perlait à l’extrémité une goutte de mon sang…


Je me réveillai en voulant hurler, mais mordis convulsivement dans le drap qui m’enroulait. Le cœur battant, je me redressai en m’étouffant à moitié.



Farida se tenait au pied du lit dans lequel je me trouvais.

La chambre était plongée dans une demi-obscurité, seulement éclairée par une petite lampe de chevet qui jetait des ombres délicates dans la pièce.



Elle posa sa main sur mon front, sa main chaude et douce.



Ce que je fis. J’avais le cœur qui battait si fort dans ma poitrine, que l’on aurait dit un enterré vivant qui tambourinait contre le bois de son cercueil.



Les bribes de mon cauchemar me jaillirent devant les yeux ; un cauchemar qui était réel, trop réel.

Où était Max ? Était-il encore vivant ? À ma recherche ? Et s’ils savaient utiliser les cabines de téléportation ?

Ils ne mettraient pas longtemps à me retrouver… Ici. Et s’en prendre à Farida.

Je me redressai et m’assis au bord du lit.



Je n’osais pas la regarder. L’image d’elle plus âgée et le visage balafré ne me quittait pas.



Elle haussa les épaules et se leva du lit. Je remarquai qu’elle portait toujours son survêtement mais avait ôté ses baskets.



Elle ouvrit la porte de la chambre et se tint sur le seuil.



J’avais encore la sensation brûlante de la chose qui se glissait dans mes narines, cette odeur infecte et forte de vinaigre, et ravalai un haut le cœur.



Son salon était petit, plus petit que le mien, et ne contenait quasiment rien. Ni télé, ni fauteuil, aucune lampe, aucune babiole décorative. Les murs étaient nus. Aucune tapisserie.

Seules une table en bois et une chaise étaient placées au centre de la pièce.

Je m’avançai alors qu’elle déposait sur la table une théière et deux tasses.



Qu’est-ce que je pouvais lui dire ? Qu’est-ce que je pouvais bien lui dire ? Je ne savais pas par où commencer. Elle allait me traiter de fou et me chasser à grands coups de pieds au cul.



Je haussai les épaules.



Elle versa le thé brûlant dans les tasses et m’en tendis une.



De fait, j’avais un mauvais goût dans la bouche.



Elle but une gorgée de thé. J’étais gêné de poursuivre mon récit. Farida me plaisait, et ce, depuis des mois et des mois. Au boulot, elle était inaccessible, froide, telle une muraille infranchissable. Là, je me trouvai chez elle, dans son intimité, une chose qui m’aurait paru impossible un jour auparavant. Je n’arrivais pas à réaliser que j’avais quitté le boulot quelques heures auparavant. Tout cela s’était passé aujourd’hui, à quelques heures seulement ! C’était dingue. J’avais l’impression que mille ans s’étaient écoulés depuis mon départ du travail. Je ne savais même pas quelle heure il était. Avec les soleils de synthèse, la nuit ne tombait plus.


Je ne voulais pas que Farida me voie comme un mec qui va s’envoyer en l’air après le boulot. Ce n’était pas moi, ça. Qu’est-ce qui avait bien pu me pousser à suivre Max ? Je n’en savais rien. Peut-être que quelque part, c’était écrit. Peut-être que quelque part, c’était un bien pour un mal. Sinon, je n’aurais jamais su ce qui se passait là-bas.


Je faillis soudain m’étrangler en buvant une gorgée de thé. Et si Farida était infectée, elle aussi ? Cela me semblait peu probable, étant donné mes visions, mais…

Je m’étais précipité chez elle à l’aveuglette.

Je terminai mon thé, me brûlant la langue au passage, et déposai la tasse.



Elle me regarda avec de grands yeux. Ses beaux yeux noirs, et je lus en eux une profonde tristesse. Elle me désigna quelque chose d’un mouvement de tête. Je me tournai et vis alors, au mur, une sorte de poster. Il représentait un sauteur en parachute, qui tombait à pic en traversant le ciel, surplombant des falaises. C’était le seul élément décoratif du salon.



Elle ne pleurait pas, ne tremblait pas. Elle parlait d’une voix égale et ne semblait nullement bouleversée. Je compris alors qu’elle avait déjà subi toute la tristesse et la douleur qu’un être humain peut endurer, et qu’elle n’avait plus la force de les porter en elle.



Elle ne répliqua pas et se posta à la fenêtre.



Je la comprenais mieux, désormais. Sa froideur au boulot, son indifférence.



Je m’avançai jusqu’à elle et lui déposai une main sur l’épaule. C’était peu, mais tout ce que je pouvais faire pour elle.



Mais, avant que je n’en prenne conscience, les mots franchirent la barrière de mes lèvres sans que je ne puisse les arrêter.



Ma voix tremblait et plus les mots sortaient, plus ils me comprimaient le cœur.



Elle se tourna vers moi, lentement, et planta ses yeux dans les miens.

Je portai ma main à son visage, comme pour le caresser, mais suspendis mon geste.

On venait de frapper à sa porte.


Je sursautai et attrapai ma collègue par le bras.



Je me faisais l’effet d’un dingue, à m’entendre parler. Elle me regardait avec de grands yeux suspicieux, mais dénués de peur.

Les coups à la porte retentirent de nouveau.



Elle me prit la main et m’entraîna vers les fenêtres du salon.



J’eus du mal à réaliser qu’elle me croyait. Pas le temps de réfléchir.

La porte de son appartement vola soudain en éclat. Le bruit fut assourdissant : impossible que cela eut été fait à mains nues. Ça voulait donc dire qu’ils avaient des armes.


Farida appuya sur le bouton d’ouverture automatique de la fenêtre, qui coulissa rapidement avec un petit bruit discret. Le vent vint nous embrasser le visage. Les soleils de synthèse illuminaient les bâtiments d’une couleur jaune vive ; et la brise artificielle donnait un aperçu du climat d’antan, avant les multiples catastrophes climatiques.



Elle me prit la main et sans me répondre, m’aida à me hisser sur le rebord de la fenêtre, large de quelques centimètres, cinq ou six à tout casser.

Un bruit derrière nous me fit tourner la tête. C’était bien Max, j’en étais sûr. Ses traits étaient les mêmes, mais déformés par la hargne. Il était suivi par deux serveuses que je n’avais jamais vues.

Et le pire, c’est qu’ils avaient tous les trois des lanceurs de particules.



Max leva son arme.

Sans réfléchir, tenant toujours Farida, je me jetai dans le vide, l’entraînant dans un cri, alors qu’au dessus de nous, la fenêtre et une partie du mur de son appartement explosaient dans un débris de plâtre et de verre. Ce fut comme un coup de tonnerre.

Je sentis le souffle de l’explosion nous projeter vers l’avant alors que nous tombions et ce fut ce qui nous sauva.


Juste en dessous des fenêtres de Farida passait un petit vaisseau qui analysait les données de l’atmosphère artificielle, pour vérifier qu’il n’y avait pas de dysfonction. L’engin ne faisait pas plus de cinq mètres de longueur, et trois de largeur ; entièrement gris, son allure ne dépassait pas les cinq kilomètres à l’heure.

Nous atterrîmes en plein sur lui.

Farida hurla en se réceptionnant sur le ventre.

Je ne m’étais pas rendu compte qu’elle vivait dans un étage si haut, ce fut un véritable miracle que ce vaisseau passe au bon moment. Mais pas le temps de remercier le hasard, il fallait nous mettre hors de portée de Max et de son arme.

Je relevai la tête, le souffle court et le corps douloureux, et le vis, au bord de la fenêtre, ou du moins ce qu’il en restait. Il était penché et ne me lâchait pas du regard. Je savais que son arme se rechargeait toutes les deux minutes, encore une aubaine. L’une des deux serveuses, une Noire au crâne rasé, sauta à son tour.



Par réflexe je tendis les pieds en avant et elle les reçut dans le ventre. Poussant un cri de rage, elle atterrit sur le vaisseau, le faisant dangereusement basculer. Ses yeux, bon sang, ses yeux étaient emplis d’une fureur effrayante. Elle hurla, et s’empara de la jambe de Farida. Celle-ci se débattit et lui envoya son pied en plein visage. J’entendis un craquement sec et la femme lâcha prise.

Tomba par-dessus bord dans un long hurlement.


Je repris mon souffle. Farida s’était penchée en avant et était à deux doigts de tomber. Je l’agrippai par la taille en serrant les dents. Elle était occupée à trifouiller quelque chose à l’avant du vaisseau.



Pas de réponse. Je relevai la tête. Une épaisse fumée commençait à se répandre dans l’air. Je ne comprenais pas comment Max, enfin, la chose qui était en lui était parvenue à se procurer une arme : elles n’existaient plus depuis plus de trente-cinq ans. Plus aucun crime n’avait été commis, mineur ou majeur, depuis environ quatre-vingts ans.

C’était donc une arme qui venait de chez EUX.

Quoi qu’il en soit, l’explosion allait faire venir du monde. Les autorités et les secours. Peut-être pourrais-je m’en servir pour…


Max poussa un cri et je priai pour qu’il ne saute pas sur nous. Je ne voulais pas le tuer. Je voulais le sortir de là.



Farida poussa soudain un cri de triomphe et je sentis sous mon ventre la carlingue du petit vaisseau devenir brûlante. Qu’avait-elle fait, je n’en savais rien, mais soudain il décolla littéralement vers l’avant. Avec un cri d’alarme, je me sentis glisser le long de la paroi et mes jambes se retrouvèrent dans le vide. Elle m’agrippa par la main et serra fort. Je vis du coin de l’œil l’immeuble s’éloigner à toute vitesse.



Je fis de mon mieux, mais la paroi du vaisseau était lisse et rien ne pouvait me servir d’appui.

Le tout n’avait pas duré plus de cinq secondes. Le vaisseau s’immobilisa d’un coup, en pilant sec et je faillis bien lâcher la main de ma collègue. Elle-même partit en avant mais se retint de justesse.



La nausée me montait aux lèvres mais je fis un effort pour ne pas vomir. Vomir en plein ciel, tu parles.

Je me rendis compte alors que nous étions stationnés à environ un mètre au-dessus du toit d’un immeuble. Mon bras était parcouru de crampes et je ne tenais plus. Je lâchai prise.

Boum ! J’atterris sur le dos mais ne me fis pas vraiment mal. Farida se laissa tomber à mes côtés.

Le vaisseau resta un instant immobile, comme s’il se demandait ce qui lui était arrivé, puis repris sa lente progression en silence.


Le souffle me manquait. L’adrénaline pompait dans mes veines, s’y déversait comme une rivière infernale.

Mes idées se bousculaient dans mon crâne.

Farida poussa un gémissement et se redressa. Au loin, je vis arriver trois vaisseaux médicaux, qui filaient en laissant derrière eux une traînée blanche.



Je me redressai et m’assis. Le toit était gigantesque. À une cinquantaine de mètres devant nous, une sortie de secours, menant sûrement non pas à un escalier, mais à une cabine de téléportation.

Les sirènes des trois vaisseaux nous parvenaient, maintenant. Ils foncèrent vers l’immeuble de ma collègue, d’où sortait une épaisse fumée blanche, loin devant nous.

Nous n’avions que peu de temps. Les secours auraient vite fait de découvrir l’identité de la locataire de l’appartement où avait eu lieu l’explosion.

Et ? Nous aideraient-ils ? Croiraient-ils à mon histoire ?

En tout cas, j’avais un témoin avec moi.



Je me relevai en grimaçant de douleur, les jambes en coton.



Là, elle marquait un point. Je n’en avais strictement aucune idée. Je ne savais absolument pas quoi faire. À qui demander de l’aide ?

Elle se remit debout et me dévisagea.



Je haletais. Je fis quelques pas prudents, la laissant pantelante.

Mon rythme cardiaque ne se calmait pas.

Les vaisseaux allaient et venaient au-dessus de nous. D’ici, je voyais la ville tout entière, paysage infini de tours de bétons impersonnelles et de rues vides. En contrebas, le restaurant McDonald, avec son enseigne clignotante. De minuscules points noirs qui entraient. Et qui sortaient, avec un bonus dans leur sac en papier marron.



Elle encaissa l’idée sans rien dire de plus. Je me retournai vers elle, regrettant de l’avoir entraînée là-dedans. Comment avais-je pu faire ça ?



Elle dégagea une mèche de ses cheveux de son visage et me regarda.



Nous avions atterri sur un immeuble d’archives de fichiers d’ordre technique : tout ce qui concernait les vaisseaux, les pièces, le matériel et autres fournitures. Ce type de bâtiment comportait environ une trentaine d’étages.

Nous gagnâmes la porte d’accès au toit qui donnait effectivement sur une autre cabine de téléportation.



Farida me posa la main sur l’épaule.



Je n’en savais rien du tout.

Trouver quelqu’un à qui raconter notre histoire ? Mais qui ? Qui croirait une telle chose ?

C’est alors que les événements décidèrent pour moi. Un bruit sourd capta soudain mon attention, comme un ronflement de moteur étouffé.

Je tournai la tête et vis un vaisseau d’une dizaine de mètres, entièrement rose, tout en longueur, qui flottait à environ un mètre au-dessus du toit de l’immeuble. Le canon à plasma était dirigé vers nous.

Je sentis le cri jaillir de ma gorge avant de réaliser que je criais.



Le rayon à plasma était en train de s’armer dans un crépitement aigu. Farida hurla et plongea dans la cabine, mais je la retins et la serrai contre moi.

Un petit robot se matérialisa soudain devant moi, aussi petit qu’une radio, et une voix électronique fatiguée nous informa :



Je sentis soudain une étrange chaleur me parcourir le corps. Ma compagne hurla et voulut se dégager mais je ne la lâchai pas et fermai les yeux.

J’entendis la déflagration du canon à plasma et sentis le toit s’embraser, entendis le fracas des particules autour de nous, qui détruisirent la porte d’accès au toit…

Puis plus rien.



***



Un éclair de lumière vive me tira de l’inconscience, et aussitôt une terrible douleur se déclencha dans mon dos.



J’ouvris les yeux et essayai de remuer, impossible. Mes bras étaient ligotés derrière mon dos et mes pieds fixés au sol. Mais où étais-je ?

J’entendais des sons étouffés comme s’ils sortaient d’un épais brouillard.



Je tentai de mettre de l’ordre dans mes pensées. Et Farida ? Max ?

Un homme se tenait devant moi, légèrement penché en m’examinant. Il me parlait mais je ne parvenais pas à tout distinguer nettement.

Blond, la quarantaine bien tassée, moustachu. Il portait l’uniforme bleu uni réglementaire. Un agent de l’Ordre Mondial, département crée il y avait au bas mot cent quarante ans.

La lumière des néons au-dessus de nous m’éblouissait.



Je relevai la tête, un mauvais goût dans la bouche.



Mes membres étaient tout courbaturés. Avec un gémissement, je tentai de me redresser un peu mais n’y parvins pas.



Il ne répondit pas.



Mes lèvres étaient sèches et douloureuses.



Tout lui raconter ? Au mieux, je finirai chez les malades mentaux. Et où était Farida ?



L’Agent s’assit sur une chaise en face de moi ; nous étions séparés par une table en métal sans pieds qui flottait dans l’air.



La situation était pire que prévu. Farida avait disparu ? Ou bien avait-elle été enlevée par Max et les serveuses ? Et qu’est-ce qu’ils lui faisaient, en ce moment, par ma faute ?



L’Agent plissa les yeux, et les leva ensuite vers la caméra de surveillance qui enregistrait l’interrogatoire.

Il sortit de sa poche une petite télécommande et pressa un bouton.



Il ne savait même pas de quoi je parlais, et j’aurais dû m’en douter. Personne à part moi, de ma génération, n’avait dû voir les anciens films des années 1990 et 2000 ; où l’on voyait ces flics ne pas hésiter à tabasser un suspect pour lui faire avouer plus vite…



J’eus l’impression de recevoir un seau d’eau glacée en plein visage.



Je me mordis soudain la langue. Qui me disait que ce n’était pas l’un d’entre eux, cet Agent ? Pourquoi aurait-il éteint la caméra de surveillance, sinon ?

Il me regardait fixement, sans un mot, et cela commençait à vraiment me faire peur. Je sentais la transpiration dans mon dos et sur mon front, me piquant les yeux.



Je me tus une nouvelle fois devant son absence de réaction.

Il avait le regard rivé sur moi et une fine goutte de sueur lui coulait le long de la tempe.



Il leva la main pour me faire signe de me taire. Ce que je fis.



Mon cœur rata un battement.



Il me dévisagea encore un bon moment, et je tentai de dissimuler mon impatience.



L’Agent ferma les yeux et inspira profondément.



Une heure !

Mais qu’est-ce que je pouvais faire, à part espérer qu‘il ne soit pas trop tard ? J’aurais déjà du m’estimer heureux d’avoir trouvé de l’aide auprès de cet Agent.


La cellule avait des murs blancs et froids. Une banquette inconfortable fixée au mur, un lavabo et une chaise. Le strict minimum.

La porte automatique se referma et se verrouilla avec un bruit sourd. Il ne me restait plus qu’à attendre, et espérer que cet Agent tienne sa parole. Je ne savais même pas son nom.

Épuisé, à bout de forces, je m’affalai sur la banquette.



Aucun bruit ne filtrait à travers la porte. Rien que le silence.

Tout mon corps était empli de douleurs sourdes et de courbatures. Mon nez cassé me lançait en sourdine, comme une dent cariée.

Grimaçant, je m’allongeai sur la banquette et fermai les yeux pour tenter de mettre de l’ordre dans mes pensées.


La Reine…

Des images odieuses de vers de terre géants se formaient dans mon esprit, de tarentules déformées avec au bout de chacune de ses pattes une tête humaine hurlante…


Où était-elle, cette Reine ? Et comment la tuer ? Pourrions-nous seulement la localiser ? Mais où ? Au McDonald ?

Je n’en savais rien du tout.


Et Farida ? Qu’est-ce qu’elle subissait, en ce moment, à cause de moi, parce que je n’avais rien trouvé de mieux que d’aller me réfugier chez elle ?

Peut-être était-elle déjà morte. Ou alors… Possédée par une de ces choses.

Par ma faute…

J’ouvris les yeux en entendant la porte s’ouvrir. Un Agent y propulsa une jeune femme aux cheveux bruns en jurant :



Il pressait sa main droite contre le côté de sa tête en grimaçant de douleur. Des gouttes de sang perlaient au bout de ses doigts.



Aussitôt, un petit robot se matérialisa devant lui :



L’Agent frappa le mur du pied pour contenir sa rage. L’un de ses collègues lui posa une main sur l’épaule.



Sans écouter, le dénommé Richard invectiva la jeune femme d’un regard noir :



La porte se referma. Incrédule, je regardai ma compagne de cellule.

Affalée sur le sol, un sourire aux lèvres, et le menton maculé de sang.



Elle me jeta un œil et mon sang se glaça.



Elle se redressa quelque peu et me toisa.



Elle s’esclaffa bruyamment.



Elle était belle et ne devait pas avoir plus de vingt ans.

Ses grands yeux noirs étaient constamment en mouvement, ses lèvres charnues et son nez un peu long lui donnaient une beauté particulière et très attirante.



Je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle me racontait, et pour dire vrai, elle me faisait peur. Pourquoi l’avaient-ils mise avec moi ?

Elle se cala le dos au mur et contempla les murs froids qui nous entouraient.



J’étais ébahi. Alpha Primo était une petite planète découverte dix ans auparavant avec un écosystème un peu semblable à celui de ce qui restait de notre Terre.

Une petite centaine d’humains y avaient été, depuis sa découverte. Ce qui voulait dire que ma nouvelle copine était soit une astronaute, soit une fieffée menteuse. Je penchai plus pour la seconde option.



Elle se secoua la tête et ses cheveux bouclés volèrent en tous sens.



Bon, visiblement, cette nana était un moulin à paroles. Je désirais plus que tout que l’Agent vienne me sortir d’ici.



Soupirant, je m’assis au bord de ma couchette.



Elle me désigna du doigt.



Elle rit.



Elle se redressa et fit craquer ses genoux en grimaçant.



La jeune femme se planta devant moi et mon pouls s’emballa. Vêtue d’un pantalon blanc et d’un t-shirt laissant deviner l’échancrure de son soutien-gorge, son corps semblait plein, pulpeux, promesse de formes généreuses…



Elle se pencha en avant, dégagea ses cheveux sur le côté de son crâne et me montra son oreille. Je ravalai un cri. Oreille, ce n’était pas le mot exact. Déchiquetée et à moitié arrachée, une cicatrice en partait jusqu’à s’étendre dans son cuir chevelu. Le lobe n’existait plus.



Elle rabattit ses cheveux et se redressa.



Mon cœur chuta jusque dans mes chaussures. Je ne parvenais pas à y croire…



Elle soupira.



Mille pensées couraient sous mon crâne à la vitesse d’une locomotive.



Incapable de tenir en place, je me levai d’un bond.



Elle me posa une main sur l’épaule.



Un frisson me traversa.



Dans les sous sols…

Je m’affalai sur ma banquette. Je savais désormais où était cette Reine. Mais quoi faire ? L’attaquer à deux ? Attendre l’aide de l’Agent et de son équipe ? Pourrais-je sauver Farida et Max ?

Trop de questions sans réponses…



Soudain, il y eut une explosion. Caline poussa un cri de surprise et recula vivement. Un terrible fracas nous martela les oreilles.



Aussitôt, une sirène stridente se déclencha et une voix automatique grave résonna :



Puis plus rien.

Un lourd silence s’abattit.

Je regardai Caline. Elle me regarda aussi.



Sa phrase fut confirmée par une explosion de hurlements, riches de douleur et de terreur.





À suivre…