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Temps de lecture estimé : 26 mn
12/06/10
corrigé 12/06/21
Résumé:  Julie rencontre un Haïtien dans une fête et le rejoint dans son pays pour deux semaines de vacances qui ne se passent pas comme elle l'avait imaginé.
Critères:  fh couleurs vacances amour fmast préservati pénétratio mélo -amouroman
Auteur : Macapi            Envoi mini-message

Concours : Une histoire et une chanson
Janvier 2010

Je l’ai rencontré lors d’une fête à la fin de mes études à l’université. Une fête monstre, avec tous mes amis, des connaissances lointaines, et une tonne d’inconnus. Nous nous étions trouvés dans la danse, moi emportée par la chaleur de la musique, lui animé du souffle inné de son peuple. Collés dans une transe langoureuse, ses yeux bruns dans mes yeux bleus, ses lèvres charnues attirant ma petite bouche, son corps puissant dominant déjà le mien. Très vite, j’ai succombé à cet être magnifique et magique, à l’exotisme de sa peau d’ébène. Et son rire, qui résonne encore parfois dans ma tête lorsque je ferme les yeux, son rire qui coulait à mon oreille comme la plus belle des poésies, jamais je ne l’oublierai.


En fin de soirée, le rythme a changé, les quelques couples enlacés sur la piste de danse ne demandaient rien de moins que le romantisme passionné de vieilles chansons bouleversantes. Moi, c’est Brel qui m’a bouleversée, avec sa chanson « Ne me quitte pas ».


Moi je t’offrirai

Des perles de pluie

Venues de pays

Où il ne pleut pas


J’ai alors compris que je le suivrais au bout du monde. Un regard, un sourire, une pression du bassin, j’étais à lui pour toujours. Il m’a entraînée dans sa chambre d’étudiant, non loin de là. En cinq minutes, j’ai su l’essentiel de Réginald, qui n’était ici que pour ses études, de retour dans son pays dans une semaine seulement. Peu m’importait, je l’aimais déjà. Tout a été dit, il voulait que je vienne le rejoindre pour rencontrer sa famille. Je n’ai pas dit oui tout de suite, mais je le pensais.


Ses mains sur mon corps, sa bouche avide et douce, une patience infinie, la nuit chaude a duré jusqu’à l’aube, de plaisir reçu en plaisir donné, jusqu’au sublime plaisir partagé, il ne m’a rien épargné. J’ai tout vécu entre les bras de cet amant extraordinaire. Mon ventre a vibré pendant de longues heures au rythme de ses reins, de ses mains, de sa langue. Le temps s’est arrêté, j’ai crié, j’ai pleuré, j’ai supplié pour qu’il me prenne encore et encore. Infatigable, il a pris le temps de m’apprivoiser, de me dompter, de me faire découvrir une animalité jamais encore vécue. Je me suis fait lionne pour lui, ronronnant et griffant, sauvage, puis ondulant au-dessus de la savane brûlée à l’affût de son plaisir.


Et lorsque nous avons été enfin repus, ma main blanche aux ongles peints en rouge posée sur sa peau sombre me remémorait cette chanson qui est le début de notre histoire :


Et quand vient le soir

Pour qu’un ciel flamboie

Le rouge et le noir

Ne s’épousent-ils pas

Ne me quitte pas


J’étais heureuse. Il est parti une semaine plus tard. Il ne m’a pas quittée, j’ai promis de le rejoindre, un jour, bientôt. Je l’aimais, mais j’avais peur. Il a fallu six mois pour que je me décide à prendre l’avion, six mois de correspondance passionnée, de promesses enflammées, de désir inassouvi.


Départ de Montréal un matin froid de janvier, deux semaines de vacances au soleil, contraste entre la neige triste dehors et la pensée de la chaleur qui m’attend au loin. Dans l’avion, j’étais seule parmi la multitude. Une jeune famille qui va présenter un enfant à ses grands-parents, un membre d’organisation non gouvernementale qui retourne au travail après avoir passé un mois dans la neige, un groupe de jeunes qui partent à la recherche de leurs racines, et moi qui poursuis un rêve encore jeune, oscillant entre insouciance et crainte. L’inconnu fait peur, mais Réginald m’a promis de prendre soin de moi là-bas. Je lui fais confiance et je souris à cette pensée, mes yeux bleus perdus dans le vague. Il me semble déjà sentir son odeur si particulière, il me tarde de passer ma main sur sa poitrine puissante, de déposer ma tête sur son épaule, puis enfin lui tendre mes lèvres pour qu’il m’envoûte.


Cinq longues heures de nuages moutonneux, un repas insipide avalé sans y réfléchir, un film endormant, dans mes écouteurs une musique joyeuse qui rend mon cœur joyeux. Puis vient la descente vers ce pays inconnu. Il est environ treize heures, j’ajuste ma montre machinalement. Comme un automate, je suis le troupeau vers l’inconnu qui me demande mon passeport, vers ma valise qui tourne sur le tapis roulant. Je me retrouve devant la sortie, une bouffée de chaleur lourde m’accueille. Une foule attend, Réginald doit lui aussi m’attendre. Je scrute des yeux tous ces gens qui se ressemblent plus ou moins, je m’arrête sur les hommes assez grands et bien bâtis, mais c’est qu’il y en a plusieurs…



Je me tourne vers la voix qui a crié mon nom. Un grand sourire éclatant, un visage mille fois rêvé, des bras accueillants.



Les yeux pétillants de bonheur après ce voyage fatigant, je m’accroche à son cou et lui offre mes lèvres, qu’il s’empresse bien évidemment d’honorer comme il se doit. Comme c’est bon de retrouver celui qu’on aime ! Rien n’existe plus sauf mon bel amant.


Je me cacherai là

À te regarder

Danser et sourire

Et à t’écouter

Chanter et puis rire


La vie est belle quand on est en amour, et si j’avais des doutes, ils se sont tous envolés. Le bonheur de retrouver celui que je n’ai connu qu’une semaine est si grand que c’est comme si c’était hier, même s’il s’est en réalité écoulé six mois. Mais mon Réginald ne me le reproche pas, il comprend mes appréhensions.


À la sortie de l’aéroport, l’exotisme de l’endroit me saisit. Pas un romantisme traditionnel, mais un paysage humain riche en couleurs, en odeur, en diversité. Pas des palmiers paradisiaques, mais quelques arbres isolés qui cachent tant bien que mal le gris environnant. Pas des riches maisons coloniales, mais de petites maisonnettes où s’entassent les familles autour d’un chaudron rempli de nourriture. Pas de cris de perroquets, mais une musique au rythme prenant omniprésente. Réginald me fait monter dans un taxi qui nous emmène au centre-ville. Au passage, il me montre au passage la route qui mène chez lui. Je lui fais remarquer que c’est également sur cette route que se trouve l’ambassade du Canada. Il sourit en voyant que je me suis si bien renseignée.


Le taxi nous dépose avec mes bagages au coin de la rue du Centre et d’une autre rue non identifiée. De chaque côté de la rue, des marchandes vendent leurs produits assises sur le sol ou sur de petits tabourets. Sur les trottoirs, d’autres étals couverts semblent offrir des vêtements, des contenants en plastique, des livres d’école usagés. L’odeur est presque insoutenable. Je ne comprends d’abord pas d’où elle provient, puis je remarque un tas d’ordures au coin de la rue, dans lequel fouille un chien, le bâtard le plus laid qu’il m’ait été donné de voir, couvert de gale.


Plus loin, au milieu de la rue, une voiture tente péniblement de se frayer un passage entre les gens qui marchent n’importe où. Personne ne semble s’énerver, personne ne semble pressé. Une femme avec un seau sur sa tête passe près de moi, me jette un coup d’œil étrange, puis continue son chemin en criant : « Marchande d’l’eau ! Marchande d’l’eau ! » Réginald porte ma valise, je tiens fermement mon sac à dos qui contient mon argent et mon passeport. Je me sens vraiment très loin de Montréal…


Je suis mon amant et guide de près. Il s’arrête bientôt devant une porte comme toutes les autres portes et me fait entrer à sa suite. C’est apparemment un hôtel, malgré le fait que je n’ai pas vu d’enseigne. Je ne veux pas savoir de quel genre d’hôtel il s’agit, du moment que je suis avec Réginald, qui justement me fait des clins d’œil complices en m’enserrant les épaules, l’air propriétaire. Les formalités expédiées à la réception, on nous conduit à une chambre à l’étage. Les douches et les toilettes sont au fond du couloir. On nous fournit une serviette blanche râpée.


Seuls, enfin seuls. La pièce n’est pas très grande. La lumière filtre à travers des persiennes ouvertes. Les murs sont d’une couleur indéfinissable. Le lit est recouvert d’un couvre-lit à la propreté douteuse qui se retrouve vite par terre. Heureusement que les draps sont blancs et ont l’air propre. J’entends des cris d’enfants en bas, puis une mère qui semble le réprimander.



Un petit silence s’installe et je me demande si on doit parler avant de baiser ou baiser avant de parler. Mais qu’y a-t-il à dire ? Tout est nouveau et déstabilisant pour moi, mais il ne semble pas s’en préoccuper, il est à l’aise dans son univers.



Lentement, ses mains me déshabillent, ses yeux remplis de désir me dévorent, sa bouche s’applique à explorer chaque centimètre de peau exposée. Mes jambes faiblissent sous moi, je me laisse tomber sur le lit, les yeux à moitié fermés, la bouche offerte. Je gémis de plaisir, tout en le déshabillant à son tour. Ses muscles puissants roulent sous mes mains, je les pétris avidement au fil d’une chemise, d’un pantalon, d’un caleçon vite enlevés.


Maintenant tous deux nus, il me sourit avant de m’embrasser sauvagement. Haletante, je me perds dans ce baiser qui me suffoque presque et me liquéfie à la fois. Mon corps est déjà prêt à le recevoir. Mais, patience, il faut prendre le temps de se retrouver, on a tout l’après-midi et toute la nuit pour s’aimer. Rien ne presse. Ses mains contrastent avec ma peau blanche encore dépourvue de tout bronzage. J’aime cette différence, j’aime son odeur si résolument homme, viril, fort. Et sa langue ! Avec laquelle il joue de mon être tout entier comme d’un instrument de musique complexe.


Si sa bouche délaisse la mienne pour explorer ma poitrine offerte, un de ses doigts vient se placer entre mes lèvres et je m’empresse de le sucer comme si c’était son sexe. Que sa main se pose un instant sur ma poitrine pour la malaxer, et voilà son membre viril sur ma langue et sa tête entre mes jambes. De dessus à dessous, devant, derrière, c’est une danse sans fin, nos corps qui se mêlent, roulent ensemble, tentent de se séparer par jeu pour mieux se réunir.


Et lorsque je n’en peux plus, qu’il a joué de toutes mes zones érogènes, que j’ai pu honorer dans toutes les positions l’amant formidable qu’il est, lorsque je le supplie enfin de venir me remplir pour en finir avec cette douce torture, lorsque lui-même ne peut plus résister aux coups de langue que je donne sur son frein ou à la profondeur de ma gorge accueillante, alors seulement il se couvre d’un préservatif rassurant et me pénètre lentement.


D’abord, il vient sur moi en missionnaire, afin de mieux me regarder dans les yeux, de mieux prendre son temps, de me faire languir. Le plaisir monte avec lenteur, mes hanches demandent encore plus, mon bassin réclame une vitesse qui ne vient pas, ma tête tourne d’un côté ou de l’autre sans contrôle et mes cris envahissent la chambre et l’hôtel. Je sens que son plaisir vient aussi, il pulse en moi, profondément enfoncé, il ne bouge plus pour mieux se retenir. Frustrée, les sens exacerbés, je n’en peux plus. Mes mouvements désespérés vers lui sont inutiles, il me retient fermement par les hanches. J’ouvre les yeux, je pleure, je le regarde, je jouis ainsi, seule ma cavité intime s’ouvre et se ferme au rythme insensé de cet orgasme. Je le sens qui réagit à chaque contraction. Ses yeux se perdent, je crie mon plaisir, un cri animal qui me fait mal à la gorge. Il se raccroche à moi, termine enfin par quelques va-et-vient, jouit à son tour en de puissantes giclées. Une vague immense se propage en moi, de la pointe des pieds jusqu’à mes yeux qui se ferment de plaisir.


Il se retire doucement, se débarrasse du préservatif et vient se coucher à mes côtés. Rassasiés l’un de l’autre, mais pas pour longtemps, nous prenons une pause bien méritée, le temps de fermer les yeux et de savourer l’instant. Ne pas parler tout de suite, ne rien dire qui pourrait briser la magie du moment. Je sais que si je me regardais dans un miroir je verrais mon sourire béat de plaisir. Je verrais une femme qui aime, une femme qui a joui, accompagnée d’un homme si parfait. Mais pourquoi ne pas être venue plus tôt ? Comment ai-je pu manquer cela et attendre six mois ? Et surtout, comment pourrais-je vivre sans cela maintenant ? J’aimerais, comme dans la chanson :


Laisse-moi devenir

L’ombre de ton ombre

L’ombre de ta main

L’ombre de ton chien


Je regarde l’heure, il est déjà seize heures passé. Il me semble pourtant que je ne suis là que depuis quelques minutes à peine. Est-ce que Réginald dort ? Il faut que j’aille faire pipi. Un coup d’œil à ma droite, il ne bougera pas de sitôt, c’est certain. Je me lève et j’enfile rapidement mon jean et mon t-shirt. Une fois la porte ouverte, je me précipite à petits pas de souris vers le fond du couloir. Chaque porte me semble une menace : et si l’une d’elles s’ouvrait ? Enfin, je trouve un siège de toilette pas très accueillant, mais qui suffira pour mes besoins actuels. Pas de papier… Tant pis, je remets mon jean sans m’essuyer. Le retour vers la chambre se fait également en catimini. Arrivée devant le numéro 23, notre chambre, ma main sur la poignée se dérobe et la porte s’ouvre grand. Je pousse un cri de peur malgré moi, mais ce n’était que mon amant cette fois-ci totalement réveillé qui avait entrouvert la porte. J’entre et je referme la porte soigneusement.



Et je tente de m’enfuir dans le coin opposé au sien. Le regard brillant et malicieux, il ne tarde pas à m’emprisonner dans l’étau de ses bras. Il me soulève et me jette sur le lit avant de s’écraser sur moi.



Sur ce, il roule sur le lit en me relevant et je me retrouve sur lui, son sexe à nouveau érigé entre les cuisses. Mais je suis habillée…



Je me trémousse du mieux que je peux sur lui pour retirer mon pantalon. Évidemment, je m’arrange pour me frotter contre son sexe et l’exciter encore plus. Si nos jeux peuvent reprendre comme tout à l’heure, je ne suis pas contre du tout ! Mon t-shirt rejoint le tas de vêtements par terre et me revoilà aussi nue qu’il y a cinq minutes. Il affiche un sourire satisfait. Je me colle lascivement contre lui, ma bouche parcourt son corps comme si c’était la première fois que je le goûtais. Il se laisse faire, seule son érection de plus en plus vigoureuse témoigne de son désir. Je me penche et ma bouche prend possession de ce bâton de chair au goût un peu salé de notre jouissance passée. Ma langue rose passe et repasse sur son membre noir et mes doigts s’enroulent tout autour. Je ne me lasse jamais du contraste noir-blanc, on dirait un piano dont il me faut jouer pour en sortir toute la musique.


Mes lèvres caressent la chair sensible de son sexe, mes joues se creusent pour l’accueillir, ma gorge s’ouvre pour lui laisser le passage. Avec ma main droite, je maintiens la base et contrôle ainsi à ma guise la profondeur. Je le regarde avec un air de salope en laissant filer ma salive sur mon menton, en faisant des bruits de succion qui augmentent encore son plaisir. Mon propre sexe coule et réclame des caresses. Il se redresse sur ses coudes et me demande avec un grand sourire de me caresser.


Je m’exécute avec un sourire. Ma main gauche se lance à l’assaut de mon intimité, mais, rendue maladroite par la position un peu instable, je suggère un judicieux changement de position. Je me couche sur le dos, libre à présent de me caresser de ma main droite. Mon compagnon s’installe confortablement à ma gauche et me regarde, allongé sur le côté, sa tête à mes pieds.


Mon index connaît bien le chemin de mon plaisir, mais je fais durer plus longtemps, en caressant longuement mes lèvres et l’entrée de ma grotte. Sans pudeur, j’ose m’écarter et me dévoiler entièrement à sa vue. Il me demande d’aller plus vite, de me faire jouir, pour lui. J’obéis sans retenue. Mon index retrouve sa position habituelle sur mon clitoris. Mon corps trouve son rythme, je ne me préoccupe plus de Réginald. Seul mon plaisir compte. Je respire profondément pour tenter de repousser le plaisir encore un peu, mais il est là, tout proche, je ne peux pas l’empêcher. Mon dos s’arc-boute sous l’assaut de cette lame de fond, mes gémissements se font cris rauques, mon sexe s’ouvre et se ferme comme pour chercher de l’air.


Sans que je l’aie vu venir, mon amant me pénètre soudain. Je reconnais heureusement la sensation du préservatif. Mon orgasme est décuplé par cette pénétration franche. Il se relève un peu, me donnant accès à mon clitoris et m’ordonne de me caresser encore. Plus de plaisir, encore, c’est un ordre facile à exécuter. Je torture mon bouton pendant qu’il s’enfonce régulièrement en moi. Je me sens partir au rythme de mes cris qui l’accompagnent. Je n’ai même plus la force de me masturber, chaque coup de boutoir qu’il me donne vient déclencher une vague plus grande que la précédente. J’en tremble de tout mon corps. Mes yeux se ferment, ma tête bascule en arrière, un voile de lumière blanche passe sous mes paupières, la sensation est tellement intense, je n’ai jamais vécu un tel orgasme. J’entends Réginald crier mon nom, crier à plusieurs reprises avant de s’effondrer sur moi d’un seul coup, preuve d’un plaisir intense pour lui aussi.


Mon corps tremble toujours, ou est-ce le sien ? Je le repousse un peu pour qu’il se couche à côté de moi, c’est qu’il est quand même lourd. Vraiment lourd. Je n’arrive pas à le déplacer. J’ouvre les yeux. Il fait sombre. Réginald est sur moi, tout près du plafond. Comment est-ce possible ? Ce n’est pas très normal, quand même. Je tousse, de la poussière me brouille la vue. J’essaie de comprendre ce qui m’arrive, tandis qu’une panique sourde s’empare de moi. J’entends un grondement, j’ai peur. Le lit semble bouger tout seul. Le poids de son corps sur ma poitrine m’écrase de plus en plus. Je hurle son prénom, il ne me répond pas. Je cherche ses yeux, je ne trouve qu’un regard vide, une expression d’horreur. Les secondes passent comme des heures. Je me rends compte qu’il y a eu un tremblement de terre. Des cris surgissent dans la poussière, des bruits d’effondrement me terrorisent, j’ai de la difficulté à respirer.


Respirer. Inspirer, ce poids sur mon ventre qui me bloque. Expirer, ce poids qui écrase encore plus mes côtes. Je tourne la tête à droite, puis à gauche. Si je dois m’en sortir, c’est par la gauche, parce qu’à droite, c’est complètement bloqué. De toutes mes forces, je repousse le corps de mon amant et je parviens à me dégager. La pression fait redescendre tout sur moi, je me recroqueville par terre à côté du lit. Je peux voir le noir de sa peau parcouru de rouge, du sang, le sien, le mien, je reste hébétée. C’est rouge, c’est chaud, une drôle d’odeur de fer.


Combien de temps s’est écoulé ? Peut-être quelques secondes, quelques minutes. J’entends des gens dans le couloir qui crient de sortir. Fébrilement, j’enfile mes vêtements qui traînaient à côté du lit et je saisis mon sac à dos. Après un dernier regard en arrière, je me précipite vers la porte, qui, heureusement, est sortie de ses gonds, me laissant le passage libre. La poussière envahit tout, je n’y vois pas clair, mais je sais qu’il faut descendre, il y a un escalier au fond là-bas. Je marche, je rampe, je suis dans un état second, incapable de raisonner. Mais bientôt, je sens l’air qui fouette mon visage, un air chaud, poussiéreux, lourd.


Partout, des gens qui courent, qui crient, des lamentations, des pleurs. Partout, du gris, un chaos indescriptible. Partout des gens qui se retrouvent ou se perdent, se soutiennent, s’entraident, se réunissent. Et il y a moi, seule, debout au milieu de la rue, vidée, inerte à l’intérieur. Je suis perdue, je ne sais pas ce que je dois faire. Où suis-je ? Où aller ? Qui m’aidera ? Je suis blanche au milieu de noirs, incongruité absolue.


Surtout ne pas me laisser aller au désespoir, il faut que je fasse quelque chose, je dois résister, je dois survivre. J’ai peur. Je suis seule. Non, pas vraiment seule, mais je me sens seule, c’est pas pareil. C’est ça, il y a des gens partout, il suffit d’aller vers eux. Tiens, c’est ça, je leur demanderai où se trouve l’ambassade du Canada. Mais au fond, je le sais, je me souviens d’avoir noté l’adresse avant de partir, c’est sur la route de Delmas, il faut remonter la route. J’ai traversé cette route tout à l’heure en taxi, je l’ai vue, je dois y retourner. Par où partir ? Je me décide finalement et aborde une femme qui passe :



J’ai droit à un regard d’incompréhension. Ne comprend-elle pas le français ? J’essaie autre chose, à grand renfort de signes :



S’ensuit un marmonnement indistinct, sans doute du créole, dans lequel je distingue quelques mots dont folle, blanc, soleil. Puis, elle s’en va avant que j’aie pu la remercier. Comment interpréter sa réaction ? Il est vrai que je dois détonner dans cet endroit, mais je n’ai pas demandé la Lune quand même !


Je me mets en route, le sac à dos bien calé sur mon dos. J’enjambe des paniers remplis de marchandises de toute sorte que les marchandes ont abandonnées. J’en profite pour prendre quelques barres de chocolat, toujours ça de pris, il faut bien que je mange aussi, non ? La rue me semble longue, très longue. J’essaie de ne pas regarder les blocs de béton qui encombrent la route, les blessés qui appellent à l’aide, les morts aux membres arrachés. Je ne veux pas voir tout ceci, je veux juste rentrer chez moi.


Malgré moi, des larmes coulent sur mes joues sales. J’avance, un pied après l’autre, les yeux baissés. Des sanglots secouent maintenant mon corps tout entier. Je suis bien forcée de m’arrêter. Je trouve un coin qui me semble sûr, à l’abri d’un pan de mur effondré, et je m’assois les bras autour des genoux pour pleurer toutes les larmes de mon corps. L’horreur de la situation me rattrape. Réginald est mort, mon Réginald, mon amant, celui avec qui je faisais l’amour. Il est mort sur moi, dans moi. Des nausées me submergent, mais rien ne me soulage. Ma gorge reste nouée, mes mains se crispent sur mes genoux, je me raccroche à ma présence. C’est humide entre mes cuisses, peut-être me suis-je blessée. Je vérifie, mais c’est le préservatif qui était resté coincé à l’intérieur et qui ressort maintenant. Le liquide, c’est son sperme, sa semence, c’est une partie de lui, c’est tout ce qui me reste de lui. Je pleure de plus belle.


Soudain, je sens le sol qui bouge, c’est une réplique ! La panique m’envahit. Je me lève d’un bond, regarde tout autour de moi, les bâtiments qui s’effondrent suite à cette nouvelle secousse. Je suis au milieu de la rue, à l’extérieur, aucune structure instable à proximité immédiate. Mes yeux se font radars, mon cerveau, sous le coup de l’adrénaline, fonctionne à toute allure. J’analyse la situation. Ce n’est sûrement pas la dernière réplique. Quelle heure peut-il être ? Peut-être dix-sept heures, pas plus. Bon, ça me laisse quelques heures avant la nuit. Je dois marcher, je dois trouver l’ambassade. Je peux y arriver.


La poussière est omniprésente, je trouve un t-shirt dans mon sac et le pose sur ma bouche en guise de filtre. Ça ne doit pas être très sain, toutes ces particules en suspension… Il fait toujours aussi chaud, j’ai la bouche sèche, j’ai soif, mais patience, il faut que ma bouteille d’eau dure longtemps. Une gorgée, juste une gorgée. Puis avancer, encore.


Des drames se jouent dans chaque maison, les survivants se mobilisent pour dégager à mains nues les blocs de béton qui emprisonnent les leurs. Plus aucune voiture ne roule, beaucoup sont abandonnées au milieu de la route, ce qui ne favorise pas ma progression. Mais au moins, ces voitures m’indiquent que je n’ai pas quitté la route, dans ce monde inconnu recouvert de poussière, difficile en effet d’être tout à fait certaine de ne pas me perdre.


J’aperçois à ma droite une femme qui assouvit des besoins bien naturels dans la rue, trop effrayée pour retourner à l’intérieur des bâtiments. Et d’ailleurs, y a-t-il encore de l’eau quelque part ? Marcher, ne pas m’arrêter, combien de kilomètres encore ? Je ne le sais pas.


La route monte maintenant, c’est certain, je suis sur la bonne voie. Combien de drames humains se sont joués devant mes yeux depuis que j’ai commencé à marcher ? Au fil des regards croisés, puis détournés, un malaise de plus en plus grand m’étreint la poitrine. Je ne pleure plus, je n’ai plus de larmes. Focalisée sur mon but, n’écoutant pas les messages de mon corps épuisé, je veux continuer. Quelque chose me dit que je dois arriver avant la nuit. Déjà le jour baisse et aucune lumière ne s’allume nulle part. Un homme sort d’un magasin, les bras remplis de vivres, un pillard, mais je me sens comme lui, l’envie irrésistible de prendre tout ce que je peux trouver. Le chocolat de tout à l’heure se rappelle à moi, source d’énergie inespérée. Une gorgée d’eau, pas plus.


Je passe maintenant devant un plus grand bâtiment qui semble encore debout. Dehors, des gens avec des appareils photo. Des journalistes apparemment, des gens rassurants en tout cas. Je m’approche d’eux et leur demande mon chemin. Ils m’interrogent sur ce que j’ai vécu, immortalisent mon histoire, mais je n’ai pas envie de parler. Je peux juste dire que j’ai vu la détresse, la mort, la souffrance. Mais, au fond, tout le monde est en état de choc, personne ne mesure l’ampleur du désastre. Des rumeurs de destruction du Palais National me parviennent. C’est leur pays qui s’en va en morceaux, qui disparaît sous leurs yeux. C’est leurs frères, leurs mères, leurs enfants qui meurent sous leurs yeux. C’est une tristesse infinie, vécue du plus profond de leurs tripes. Ma propre tristesse est similaire, j’ai aussi le droit de pleurer.


Je reste avec les journalistes pour la nuit. Derrière la station, ils ont des latrines fonctionnelles, une réserve d’eau et même une génératrice qui fournit un maigre réconfort lumineux. Je me sens presque coupable d’être là. Des centaines de personnes sont là, dans la rue, à attendre on ne sait quoi, sans ressources. Et c’est moi qui trouve refuge auprès d’inconnus accueillants. Est-ce parce que je suis étrangère ? Quelle valeur supplémentaire suis-je supposée avoir ?


Je ferme les yeux, mais je ne peux pas dormir. Je revois des scènes horribles qui tournent en boucle dans ma tête. Ces images se mélangent insidieusement aux images de bonheur de Réginald et moi. Ironiquement, les mêmes paroles de Brel changent de signification.


Le rouge et le noir

Ne s’épousent-ils pas

Ne me quitte pas


Sa peau noire, le sang rouge, fusion mortelle, à jamais ensemble, toujours réunis dans la mort. Jamais plus je ne le reverrai, jamais je ne l’épouserai, jamais je n’oublierai.


Dormir, rien qu’un peu, fermer les yeux et essayer de ne plus penser à rien. Survivre. Le jour se lève, personne n’a vraiment dormi. Un café surgit de nulle part, minuscule bonheur dans ce monde gris. Un café noir. Sa peau noire. Mes larmes. Mais je bois lentement, il le faut.


Après avoir mangé une vague bouillie préparée par une femme en guise de déjeuner, je me remets en route. On m’a dit que ce n’était plus très loin, que je devrais pouvoir me rendre assez rapidement. On a essayé de me retenir, de me parler des dangers de la route, des rumeurs de pillage et de viol, après tout ne suis-je pas une jeune femme seule et fragile qu’il faut protéger ? Mais je suis partie malgré tous leurs avertissements.


Une route qui, par endroits, n’en est plus une, entre les voitures qui bloquent le chemin et les tas de gravats, il n’y a guère de place pour marcher. Quelques tronçons sont épargnés, mais encombrés par les survivants, installés là pour dormir, cuisiner, survivre, surtout ne pas retourner à l’intérieur des maisons encore debout.


Je marche lentement, les yeux rougis par la poussière, le cœur serré, l’estomac dans les talons. De chaque côté, devant chaque maison me semble-t-il, des draps blancs enroulés autour de corps refroidis s’amoncellent. Il y a bien aussi quelques cercueils, j’aperçois même un homme transportant ainsi deux corps dans une sorte de vieille brouette. Mais comment vont-ils réussir à enterrer tout ce monde ? Les larmes coulent de mes yeux fatigués alors qu’une fois encore, des paroles cent fois entendues prennent une autre signification.


Je creuserai la terre

Jusqu’après ma mort

Pour couvrir ton corps

D’or et de lumière


Je finis par arriver à destination, à moitié soulagée par la foule qui se presse à l’entrée de l’ambassade, des noirs, des blancs, tous un peu gris finalement. Je ne dois pas avoir meilleure mine. Comme une automate, je brandis mon passeport canadien très haut pour que le garde de sécurité à la porte puisse le voir. Plusieurs minutes plus tard, ou plusieurs heures, le temps me file entre les doigts, je suis assise sur une chaise, sous un arbre.


Des tentes sont érigées un peu partout, le bâtiment a été endommagé et n’est plus sûr. Un homme vient me voir et me demande comment je vais. C’est un médecin, je ne suis pas blessée, seulement traumatisée de ce que j’ai vécu et vu. Le soir venu, on me transporte dans une tente, à l’abri des insectes piqueurs, rampants et volants. Je dors un peu, puis je me réveille en sueur, des images d’horreur dans ma tête, des cauchemars qui peuplent la nuit, une sensation d’étouffement qui m’oppresse.


Les images se confondent dans mon cerveau brouillé, la musique de mon arrivée se transforme en sourd grondement, les marchandes d’eau basculent sous des blocs de béton. Le noir de la peau souillé de rouge sang, le ciel bleu soudain gris et noir, et moi qui disparais, seule, avalée par la route qui s’ouvre devant mes pas. Un baiser passionné, une langue rosée qui se transforme en flot de sang visqueux, un sexe dur comme du béton qui me transperce, un homme sur moi qui devient comme un mur qui s’effondre. Des cadavres, des blessés, mes cauchemars sont peuplés de centaines d’entre eux. Dès que je ferme les yeux, je ressens encore la vibration du sol. Ou est-ce une nouvelle réplique ? Il y en a déjà eu trop…


On me questionne et je réponds, sans trop de détails, que j’étais au centre-ville de Port-au-Prince et que j’ai marché jusqu’ici. En retour, on me raconte une histoire, plus triste ou moins, c’est selon. Je suis là, mais en même temps je suis absente. On m’a enlevé quelque chose, on m’a arraché mon innocence, je ne serai plus jamais la même.


Quelques jours plus tard, comme dans un rêve, on m’annonce que je vais pouvoir rentrer chez moi, on commence à rapatrier les Canadiens par avion. Il faut donc se rendre à l’aéroport. Plusieurs véhicules de type quatre par quatre sont chargés au maximum, de blessés légers, puis de gens d’apparence saine, comme moi. J’ai appris que les blessés plus sérieux avaient déjà été évacués.


Le véhicule remonte vers le nord, pour aller rejoindre la route qui nous mènera vers l’aéroport. Personne ne parle, le silence est quasi mortuaire. Ici, un supermarché s’est effondré et a été pillé. Partout, des maisons encore debout alternent avec des tas de ruines. L’activité commerciale est quasi nulle. De chaque côté de la route cahoteuse, des corps sont alignés, recouverts de draps blanc-gris. L’odeur qui s’en dégage est infernale. Même la bouche et le nez couverts, cette odeur me prend à la gorge et me donne la nausée. Je connaissais l’odeur de rat crevé, mais là c’est comme multiplié par cent, semblable et différent à la fois, une imprégnation morbide qui ne me quittera plus jamais.


Après un trajet qui me semble durer des heures, nous arrivons à l’aéroport. La tour de contrôle est hors d’usage, est-ce qu’ils disent aux avions d’atterrir à vue ? Attendre, encore. Puis, enfin, un bruit de moteur, des nuages, une atmosphère étrange qui règne dans l’avion. Plus d’une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, sales, puants, blessés pour certains. Plusieurs enfants pleurent et les mères ou les pères essaient de les consoler du mieux qu’elles peuvent. Un petit garçon d’une dizaine d’années est seul, il ne sait pas où est sa famille.


Je regarde par la fenêtre et tente de faire le vide dans mon esprit. Trop de choses en si peu de temps. Il me semble que j’ai versé ces derniers jours des larmes pour toute une vie. Ce qui devait être deux semaines de vacances s’est révélé être un pur cauchemar. Le rêve n’existe plus. Mon amoureux n’existe plus. Réginald, une courte, très courte histoire. Je n’ai même pas rencontré sa famille. J’ai déclaré sa mort à l’ambassade, mais je ne sais pas si quelqu’un le cherchait. Mais moi, qui me cherche ? Ma famille doit sûrement s’inquiéter, surtout ma mère. Bizarre que je n’aie pas pensé à elle plus tôt. Il me tarde de la revoir, de me blottir entre ses bras et de pleurer, enfin en sécurité.


Arrivés à Montréal, des autobus viennent nous chercher, puis la Croix-Rouge nous rencontre tous et s’assure que nous avons le minimum vital et un support médical et psychologique. Certains n’ont même pas d’endroit où habiter, puisqu’ils ne sont pas résidents du Canada. Je me ressaisis lentement, mais sûrement. Je compose le numéro de téléphone de ma mère, et c’est la voix brisée que je parviens à lui indiquer où je suis pour qu’elle vienne me chercher.


Les jours passent, dans un réconfort apprécié de la part de ma famille et de mes amis. Quand je me réveille le matin, il m’arrive d’être assaillie par des souvenirs trop intenses, je revis des scènes d’horreur, jusqu’à l’odeur des cadavres qui me donne la nausée, jusqu’à me faire parfois vomir. Ma mère s’inquiète pour moi, elle m’emmène voir le médecin. Elle craint une dépression, un choc post-traumatique. Le verdict du médecin est simple, je suis enceinte.


Un petit détail oublié dans la tourmente des événements, le préservatif resté coincé en moi, juste avant la deuxième secousse. Je n’ai alors qu’une seule pensée, c’est la peur des maladies, du sida, que sais-je encore ? Le médecin me donne une batterie de tests sanguins à faire, puis à refaire deux mois plus tard. Il me dit de ne pas m’inquiéter pour l’instant et me suggère une psychothérapie


Heureusement, les résultats des tests sont normaux. Mon ventre grossit lentement, mes démons ne s’en vont pas. J’ai peur, je me sens seule, je n’arrive pas à être tout à fait heureuse. Pourtant, j’aurais de quoi l’être. La vie grandit en moi, un souvenir durable d’un homme que j’ai aimé. Le printemps s’annonce chaud. Les fleurs s’épanouissent. Tranquillement, avec toute l’aide que je peux trouver, je me reconstruis. J’en viens à aimer le futur, aimer ma fille à naître. Je m’implique dans des organismes d’aide aux Haïtiens, soulager leur souffrance soulage un peu la mienne. Quelques sourires d’enfants me font sourire à mon tour.




Ne me quitte pas

Je t’inventerai

Des mots insensés

Que tu comprendras

Je te parlerai

De ces amants-là

Qui ont vu deux fois

Leurs cœurs s’embraser

Je te racont’rai

L’histoire de ce roi

Mort de n’avoir pas

Pu te rencontrer

Ne me quitte pas