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Temps de lecture estimé : 33 mn
09/08/10
corrigé 12/06/21
Résumé:  Il y a des jours qui marquent plus que d'autres, j'ai eu moi aussi mon lot. Celui-là dont je vous rapporte les péripéties marque un tournant dans ma vie.
Critères:  fh hplusag vengeance jalousie exhib noculotte pénétratio -regrets -vengeance -occasion
Auteur : Annie-Aime  (Des élucubrations, rien que des élucubrations.)      Envoi mini-message
Une journée merdique

Je vous parle d’un temps

Que les moins de vingt ans

Ne peuvent pas connaître



J’emprunte ce départ aux paroles de Jacques Plante. Dommage que la suite de mon histoire ne soit pas de la même veine. Charles Aznavour chantait cette chanson depuis six ou sept ans quand m’arrivèrent les mésaventures dont je me targue de vous faire le récit.


C’était il y a longtemps, très longtemps, du temps d’un grand Président, Boudimontois célèbre et Artensois comme moi. À l’époque, je n’étais déjà plus en Auvergne, ça faisait quelques mois que j’avais quitté. Mais, avant d’en venir à ce jour de merde où tout part en couille, faudrait peut-être que je vous raconte les prémisses depuis ma rencontre avec mon ex.



ooo000ooo



Le bougre a du charme et du bagou. Il m’embobine et m’emballe dans des histoires au parfum exotique. Le temps d’un été, je suis princesse Bororos (Wodaabe*), ce peuple d’Afrique où les femmes sont reines et les hommes des servants magnifiques.


Dès lors que je dis oui, une tornade blanche m’emporte. Le maire et le curé sont de la fête. Presque dans la foulée, mon tout nouvel époux et moi décollons direction Zinder via Niamey.


L’Afrique, les odeurs, la chaleur, l’indolence et la misère aussi, je découvre tout cela avec stupéfaction et même un certain émerveillement. La contrepartie est amère, je me cogne aux servitudes de la vie à deux et y suis d’autant plus sensible que dépendante et sans boulot.



ooo000ooo



Du boulot ? Il n’y a aucune chance que j’en retrouve jamais dans ce bled paumé. Qui connaît Zinder ? Personne, absolument personne, à part les chèvres, les chameaux et les zombies auxquels j’ajoute une centaine d’expats largués ici par erreur dont quelques-uns enseignent au lycée où est affecté mon époux. Coopérant qu’il est, si je ne l’ai pas déjà dit. Et moi, femme au foyer, faute de mieux, jeune femme au foyer, je précise, « just married » mais ça vous le savez déjà…


Trois mois qu’on est là et que je me fais chier à longueur de journée pour pas un rond.


Je parie que pas un lecteur ne sait où se trouve ce fichu trou où je suis enterrée. Moi, je ne connaissais pas avant. C’est une bourgade poussiéreuse et misérable à l’est du Niger à un bon millier de kilomètres de Niamey. Deuxième ville du pays qu’on m’a dit, paraît qu’elle est marquée sur les cartes mais à défaut, vous trouvez dans les livres d’histoire : capitale du Damagaram, autrefois un état Haoussa puissant sous la férule du sultan Tanimoune dont la gloire est encore colportée par tous les griots du pays. Maintenant il n’y a plus qu’un sultan de pacotille, des légendes et des rues désertes et tristes. Le vendredi, à l’heure de la prière, c’est pire, il n’y a pas même un chat, c’est dire.


À force de me démener, je dégote un petit « mi-temps » en contrat local, au centre culturel français. On me met à la bibliothèque, je vois des gens, ça gagne pas lourd mais ça m’occupe et le reste du temps je vais à la piscine. La piscine du club, bien sûr, il n’y en a pas d’autre, il a fallu s’abonner, c’est chérot, mon mari n’était pas trop pour puis il a cédé parce que c’était ça ou bien je rentrais en Auvergne, enfin c’est ce que j’ai menacé. Le bassin n’est pas grand mais y a pas mieux. Le week-end, il y a les gamins et plein de monde, en semaine c’est plus calme, juste quelques nanas désabusées et désœuvrées, comme moi.


Malheureusement pour moi on n’a qu’une voiture et c’est pas moi qui l’use. Faut dire que le sujet est sensible. Selon ma triste moitié : « Il y a une bonne partie de l’humanité à laquelle on n’aurait jamais dû concéder le droit de toucher un volant, comme de voter d’ailleurs, grave erreur ce droit de vote. Avant elles l’avaient pas et s’en portaient bien mieux ». Mon cher et tendre est un peu phallocrate sur les bords et à cœur aussi, si bien que notre union n’est pas souvent au beau fixe, surtout ces temps-ci mais ça serait trop long à vous expliquer d’autant que les raisons sont innombrables et le fait que j’aie accepté ce boulot au Centre Culturel, contre son avis, n’arrange pas les choses.


Il n’y voit que des inconvénients : c’est mal payé ; nos horaires ne sont pas compatibles ; on n’a pas les moyens de se payer une autre guimbarde ; et cætera, et cætera… Si je l’écoutais je ne ferais rien, que m’occuper de sa panse, de ses fringues et de nos gamins. Pour ceux-là, faudra peut-être attendre qu’ils soient conçus mais autant vous dire qu’il n’y a pas de risque avant longtemps étant donné que je prends encore la pilule. Il ne le sait pas et on ne va pas lui dire. Avec ça mes économies ante-hymen fondent plus vite que je ne voudrais parce que je puise dedans vu que les pépètes, il les fait venir de loin et que j’ai honte de tout le temps quémander. Je n’avais pas pensé aux finances avant de me marier, grave erreur.


Étonnant comme un changement de continent peut être révélateur. Je regrette ce mariage précipité et ce départ avec un gus qui in fine n’est pas ma pointure… Ah, si je pouvais remonter le temps ! Suis-je inconstante ? Ma mère m’écrit de prendre patience, que ça va s’arranger. Elle ne se rend pas compte. Moi-même j’ai rien vu venir. Comment pouvais-je imaginer ? De la part d’un prof, en plus ! La paye, les vacances, l’éducation, le savoir-vivre qu’elle disait ma mère… Sauf que je suis tombée sur un mauvais numéro. Ce type cumule les vices : machiste, jaloux, rétrograde, étriqué, maniaque, boudeur, casanier et j’en passe, sans compter qu’il est radin. On n’a pas même un boy alors qu’ici tout le monde en a.



Pour pas brûler tes chemisettes, connard ! ai-je envie de répliquer parce qu’il rouspète tout le temps à propos de mon repassage mais je garde la réplique pour moi, ça vaut mieux.


Pardonnez mon langage, ça me soulage de fanfaronner, j’en ai gros sur la patate. Je n’ai plus de boulot, plus de liberté, plus d’illusions. De temps à autre, je menace de rentrer en Auvergne mais c’est du pipeau vu que j’ai pas de billet et ne sais où aller. Je vois d’ici la tête du paternel si je rentrais. Il n’aurait pas fini de se gondoler et de se foutre de ma gueule. Je ne sais même pas s’il me reprendrait maintenant qu’il a mis son bureau dans mon ancienne chambre.



ooo000ooo



Heureux que j’aie tenu bon pour la bibliothèque. Ça me fait un dérivatif. Les collègues sont charmants et les usagers aussi. On a pas mal d’étudiants. L’âge aidant – j’ai le même âge qu’eux à deux ou trois ans près – nous avons sympathisé. C’est encore plus vrai avec Aïcha et Zeinabou, deux filles super avec lesquelles j’ai beaucoup d’affinités. Dommage qu’elles ne fréquentent pas le club.


Il y a aussi des garçons mais ce n’est pas du tout comme croient mes copines restées en France. Pas vu d’étalon, seulement des maigres, des gros, des laids et je ne sais quoi encore qui tous ne me disent rien du tout. J’ai des réticences, je garde la distance. Suis-je raciste ? Aïcha dit que je le suis.



Elle rigole en disant ça mais je sens bien qu’au fond, elle n’en pense pas moins. Des fois je culpabilise mais il y a rien à faire, je les trouve moches les gars qu’elle me présente et… pas baisables. On n’a pas les mêmes goûts.


La couleur a-t-elle quelque chose à voir ? Ben c’est là que le bât blesse, je crois que oui quand même mais je n’en suis pas sûre. Je voudrais me tromper. C’est pas simple…


Aïcha est un vrai pit-bull, elle ne lâche pas le morceau. La garce m’assigne en observation aussi longtemps que je ne me serai pas farci un de ces affreux jojos tout noirs pour me blanchir. Piège imparable ! Pas moyen de laver la tare honteuse dont je suis soupçonnée. Le pire est que je suis convaincue d’être incurable.



ooo000ooo



Dois-je donner des gages ? Et me taper un de ces guignols qu’Aïcha s’acharne à mettre dans mes pattes ? Je rumine mon dilemme. L’humeur est maussade, l’esprit ailleurs et j’ai vaguement mal à la tête.



Perdue dans mes pensées, je ne les ai pas vus arriver. Je lève le nez et découvre les deux hommes postés en contre-jour, deux athlètes auréolés de lumière, tout droit descendus de l’Olympe, à moins que ce ne soit du mont Kenya ou du Kilimandjaro si je m’en rapporte au teint plutôt couleur locale. Si ce n’est pas Hercule et Apollon, ce sont au moins des cousins à eux.


Adieu migraine. Mon humeur revêche fait place à une disponibilité empressée. La métamorphose ne doit rien à des considérations professionnelles, c’est une alchimie d’un tout autre ordre qui fait son effet, je suis prête à me mettre en quatre pour ne pas leur déplaire à défaut de leur plaire.



Mon esprit romanesque a tôt fait de broder. Les copines vont en tomber sur le cul quand je rapporterai. Puisqu’on est sur le cul, autant vous dire que ceux-là en ont un beau. De belles fesses fermes, du moins j’imagine parce que je n’ai pas touché, vous pensez bien, mais j’ai sérieusement examiné, bien rondes qu’elles sont, à croquer. C’est ma gâterie, mon point faible. C’est ce que je reluque en premier chez un homme, en douce bien sûr, avec la discrétion voulue par les convenances.


Une fois remplies, les fiches d’inscriptions me renseignent, ils sont géologues en recherche pétrolière et plus vieux qu’ils n’en ont l’air, 38 et 39 ans respectivement pour Ibrahima et Razakh, 15 à 16 ans de plus que moi quand même. C’est le plus vieux, le deuxième nommé, qui m’intéresse mais vais-je l’intéresser ? Pour lui, je ne suis qu’une gamine.


Ils ne descendent pas du Kilimandjaro ni du mont Kenya mais du mont Cameroun. Mont mystérieux dont les pentes sont couvertes de forêts impénétrables, sillonnées de torrents mythiques et redoutables… C’est ce qu’ils m’affirment. Ils sont tous deux originaires de Douala et de nationalité camerounaise et célibataires s’il vous plaît.


Célibataire ? Un mot magique, Aïcha et Zeinabou ne se tiennent plus quand je leur dis, c’est la basse-cour, à croire qu’elles veulent se caser. Les pauvres ! Savent pas ce qu’elles risquent. Y a pas, faut que chacun fasse sa propre expérience.



Tu parles ! Avec celle-là « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », suffit que le mec soit bien équipé au niveau du portefeuille sinon de la braguette.


Mais peut-être qu’après tout, je cherche à dissuader mes amies pour éloigner la concurrence, va savoir ! L’inconscient est impénétrable comme la jungle du mont Cameroun. On dit aussi qu’amitié et compétition ne font pas bon ménage. Sommes-nous en compétition ?


Nous sommes d’abord amies et complices plutôt que rivales, à preuve le lendemain quand on se poste ensemble à l’affût pour étudier nos phénomènes, à la manière des ornithologues même si nos oiseaux relèvent plus sûrement de l’ethnologie.



Une désignation du reste bien inutile, mes comparses ont reconnu les Camerounais sans même les connaître, preuve que mes descriptions tenaient la route. Les mâles font l’unanimité dans notre petit groupe, le mien – mon mâle bien sûr, autant marquer mon territoire – est classé canon, il rafle toutes les médailles. L’autre n’est pas mal foutu non plus, mais il n’y a bien qu’Aïcha pour lui voter un maximum de suffrages. Avantage collatéral, celle-ci baisse la garde et rengaine ses rituelles piques à mon égard, au demeurant plus perfides qu’accusatrices.


Ce type qui plaît à Aïcha, le cousin d’Hercule, prénommé Ibrahima, est un colosse mal rasé, échevelé, le visage lardé de scarifications, le cou et les biceps bardés de gris-gris. Il affecte une dégaine de mauvais garçon mais on pressent que c’est un genre qu’il se donne. Entre nous, gros nounours ne nous semble pas bien méchant.


En revanche, l’autre, celui qui affole nos cœurs, il nous intimide. Son nom, Razakh, sonne comme un coup de sabre et pour un peu on le verrait bien aussi tranchant. Question classe, il en a, plein, dans l’allure et le port de tête mais il y a aussi une certaine raideur et de la froideur. On le lit sur son visage dont les traits bien dessinés, réguliers et parfaitement symétriques, restent figés. Un masque de cire, beau mais pas vivant. Seuls ses yeux dénoncent cette vie qu’on cherche chez lui. Deux perles noires qui pétillent d’un éclat hypnotique, deux lasers propres à caresser aussi bien qu’à disséquer.


Comme moi, Zeinabou ne jure que par le candidat du musée Grévin. Aïcha pour sa part n’en démord pas, encore qu’elle nuance :



Les goûts et les couleurs… je crois que le colosse l’attendrit mais pour moi y a pas photo, je suis attirée par le prince pirate même si je pressens que le risque est grand de me brûler les ailes. Encore faudrait-il qu’il s’intéresse à moi, celui-là. Ce n’est apparemment pas gagné.


Son collègue, l’élu d’Aïcha, est en revanche plus démonstratif et j’apprends avant longtemps tout l’intérêt qu’il me porte. C’est flatteur mais je ne suis pas Aïcha, j’ignore ses avances.



ooo000ooo



Sauf le jour mémorable… Mais c’est différent.


Les circonstances font que les Camerounais s’apprêtent à partir alors que je quitte mon service. Ibrahima me propose de me pousser jusqu’au club parce que c’est là que je vais. C’est la première fois que je monte avec eux mais je n’ai pas de raison de me méfier. On se tasse tous les trois sur la banquette du pick-up, moi coincée entre le malabar et le bonze. La proximité incontournable des deux mâles me met mal à l’aise. Ce commerce avec l’Afrique virile me perturbe et tout y contribue, les odeurs entêtantes aussi bien que les échanges inopinés via nos pores interposés, de simples touchers depuis l’effleurement imperceptible jusqu’au carambolage intempestif selon les aléas de la piste.


Le grand marionnettiste tire les ficelles. Eux ne font rien, n’ébauchent rien ni moi non plus d’ailleurs, encore que je ne me maîtrise plus à force de tant me contrôler. Tétanisée que je suis, pétrifiée et ballottée, réceptacle passif de tous ces attouchements tout à fait imprévisibles qui n’en contribuent pas moins touche après touche à susciter ma fièvre.


Ai-je du désir ? Des intentions ? Que nenni ! je n’en suis pas là ; juste une effervescence voluptueuse. Mes priorités du moment sont triviales : rester digne, épier mes compagnons et accessoirement écouter mes émotions. Ces missions, les principales autant que l’accessoire, absorbent toute mon énergie. C’est tout juste s’il me reste assez de conscience pour répondre quand Ibrahima me questionne. Une vraie pipelette ce type ! Peut pas la fermer ? Et Razakh, pourquoi qu’il dit rien ?


De moi-même, j’ose à peine bouger. Trop intimidée ! Pourtant je dois malgré tout envisager de rajuster ma jupe qui remonte dangereusement… La décence commande (comme quoi tout est relatif, vu que je suis en maillot dessous), l’exiguïté de l’espace qui m’est alloué, combinée à celle du tissu, fait que ma démarche est plus perturbatrice qu’efficace. Elle me donne au moins contenance même s’il est vain d’espérer dérober mes cuisses aux salves des lasers masculins.


Dès lors que j’en ai conscience, ces rafales dont mes membres, dits inférieurs, sont la cible suscitent chez moi de drôles de considérations, se rapportant à des thèmes aussi différents que l’esthétique ou bien la morale. Mes cuisses sont beaucoup trop fortes ? Mon Dieu, que ma jupe est courte, y vont me prendre pour une pute ? J’en viens à regretter de ne pas porter une burqa ou, à tout le moins, un vêtement moins aguichant.


Du reste, il me faudrait à nouveau me rajuster mais je n’en ai plus le courage. Et tout compte fait, il ne me déplaît pas tant que ça que Razakh reluque, c’est bon signe ; si j’étais pas son type, y me reluquerait pas. Mais je ne voudrais pas qu’Ibrahima se fasse des idées.


Dans le même temps, ce bombardement et tous les attendus et présupposés que je rumine ont des effets insidieux sur mon système limbique. Effets dont je ne mesure pas de prime abord la portée mais il me faut admettre l’évidence, ma libido s’est emballée, occasionnant des ravages embarrassants que je fais mine de mettre sur le compte de la chaleur. Pas difficile, la température est élevée par ici à cette heure de la journée et tout particulièrement dans la cabine mais j’ai néanmoins l’impression que je transpire plus que les deux autres. Je suis moite, la sueur ruisselle sous mes aisselles et le long de mon échine, mes cuisses nues pataugent sur la moleskine trempée et je suis persuadée qu’au niveau des aines et dans l’entrejambe, le désastre est pire encore, ce qui me préoccupe assez. Pas étonnant dans ces conditions que je sois distraite et ne remarque pas immédiatement la singularité de notre itinéraire.


On a dépassé la piscine. Holà cocher, fais gaffe, quoi !


J’anticipe les mauvaises intentions de mes petits camarades. Frayeur, joie, irritation déboulent chez moi brassées en un cocktail improbable. La dernière émotion l’emporte. Réaction intempestive, je corne dans les trompes de mes voisins plus méchamment que je ne devrais, que je ne voudrais aussi.



La connivence qui empuantit l’habitacle ne me dit rien qui vaille. Razakh d’accord mais le binôme pas d’accord.



Une fois tout danger écarté, je me sens ridicule, idiote et malheureuse aussi. Peut-être me suis-je méprise ? Je regrette de ne pas avoir laissé filer. Et quand bien même y aurait-il eu complot, j’imagine que j’aurais été capable de gérer la situation et tirer mon épingle du jeu. Ma vie est jalonnée de telles incohérences. Suis-je idiote ? Je m’en veux…


Mais il n’est plus temps, la voiture stoppe sur le parking du club. Le gorille dégage la sortie et m’invite à descendre.



Cause toujours, tu m’intéresses, pesté-je sans desserrer les lèvres.


Mais en fait, j’ai déjà digéré la manigance et je me fous royalement d’Ibrahima. J’ai également pardonné à l’autre, au taciturne qui tient toujours le volant et que j’entr’aperçois – derrière la masse du pachyderme en train de reprendre place, égal à lui-même, imperturbable à un point qu’il en est agaçant. Pourquoi ne dit-il rien ? Qu’il parle ! Un signe de lui et je repars avec eux… Je suis prête à le suivre au bout du monde pourvu qu’il me le demande. Rien, rien, rien… c’est désespérant, humiliant. Je me drape de dignité.



Je regarde le pick-up s’éloigner, serrant les mâchoires, refrénant cette rage qui bout en moi et pourrait fort bien me pousser à courir derrière eux.


Je suis sur le point de tourner les talons pour grimper les marches et rejoindre la piscine.



Le beau mot m’échappe, alors que je prends conscience que j’ai oublié dans le véhicule des Camerounais mon sac contenant mes papiers, mon argent et ma serviette éponge ainsi que mes affaires de rechange.



ooo000ooo



Le bain n’est pas compromis, j’ai mon maillot sur moi, je vous l’ai dit, une habitude qui me facilite la vie. La preuve ! Quant à la serviette, les employés de l’établissement m’en prêtent une, ils en ont toujours. Pour le reste j’ai mon idée… toute simple, plutôt un souhait d’ailleurs, j’imagine que mes loustics ne vont pas manquer de trouver mon sac oublié et je caresse l’espoir qu’ils vont me le rapporter illico. Ce sera l’occasion de repartir sur de nouvelles bases. La vie ne m’en paraît que plus belle. J’attends, j’espère…


Mon imagination caracole, Razakh fouille dans mon sac – pourquoi ne le ferait-il pas, exhumant la lingerie suggestive que j’y ai glissée, pas pour lui certes mais laquelle, par chance, est aujourd’hui tout à fait ravissante et coquine aussi, ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut, je ne suis pas milliardaire. Peut-être plongera-t-il ce nez aquilin, si rare en négritude, dans mon linge intime en quête du parfum de mes humeurs. Je souris toute seule à cette évocation : m’étonnerait qu’il hume plus qu’une odeur de lessive


Ma capacité onirique est sans limites. Je lâche la bride. L’image de mon Africain préféré n’a jamais été tant présente dans ma tête, ni avec une telle intensité sans même parler de la lubricité. J’en oublie de me baigner et repasse et remanie sans cesse le film des lendemains qui chantent, quitte à réécrire et réécrire encore le scénario de la romance dont les héros sont un prince camerounais et une petite employée.


Des images parasites, subliminales, flashent de temps à autre sur mon écran fantasmagorique. Je rêve de ces virilités exotiques dont on dit tant de bien. Je rêve de frotter mon corps sur le sien, d’étriller mes chairs tendres sur son cuir endurci, de me repaître de senteurs musquées et d’humeurs épicées. Moi d’ordinaire si timorée, je tolère que son sexe à la senteur iodée visite mon palais, que sa semence à la saveur sucrée oigne ma langue tandis que la sienne espiègle et coquine me donne du plaisir en se délectant du jus de mon bonheur. Mon ventre impatient attend son bâton de chair dur et implacable. Je le sens envahir mon antre liquide…


De fait, je suis pas mal humide. J’aimerais me toucher mais je n’ose…


Ma culotte est-elle souillée ? Est-ce visible ? L’idée qu’elle peut l’être m’est insupportable. Je dissimule, traînant péniblement mon complexe et tirant des bordées incertaines, d’un pas malhabile et gauche en direction du bassin, moins pour me rafraîchir que pour noyer d’éventuels indices compromettants. Incidemment, la fraîcheur me remet les idées en place.


Le temps passe, les chances de revoir mes Camerounais s’amenuisent mais je veux encore espérer. J’espère, je languis, je mouille… Y a pas, me faut revenir dans le bassin pour travestir encore ce qui pourrait faire ma honte. Je renonce du même coup à sécher mon maillot. Tans pis pour le maillot.


Il va être temps, il est temps, une légère pénombre obscurcit déjà l’horizon – la nuit tombe tôt à cette latitude – il me faut partir si je ne veux pas m’exposer inutilement à la sérénade. Tant pis pour Razakh.


Sérénade ? Ne croyez pas que je sois couarde au point de craindre affronter mon conjoint. Si ça valait le coup, je le ferais mais je trouve ridicule de le faire à mauvais escient et je dois me rendre à l’évidence, il est inutile d’attendre davantage, Razakh ne viendra plus.


Avant de quitter, je rapporte ce qu’on m’a obligeamment prêté et laisse en dépôt mon maillot humide dont je ne veux pas m’embarrasser :



Il est noir (le garçon) mais j’ai la nette impression de le voir rougir. Son embarras est touchant. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’il a deviné. En tout cas, ce n’est pas mon apparence qui m’a dénoncée, rien ne cloche, je m’en suis assurée.



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C’est presque machinalement que mes pas me portent vers le cœur de la cité, un carrefour commercial où, la chance aidant, je puis tomber sur ce bougre qui m’a fait défaut. Au demeurant, le détour n’est pas si important que ça et outre que je sacrifie à mon obsession du jour, je ne déteste pas mettre à l’épreuve ma toute nouvelle vulnérabilité.


Mes émotions à ce titre ne sont pas tout à fait nouvelles. Je soupçonne depuis longtemps que j’ai un petit côté exhibitionniste mais n’en ai jamais pris la mesure autant qu’aujourd’hui, alors qu’une obligation tout à fait fortuite m’impose d’aller cul nu sous ma jupe. Parmi les chauffeurs des véhicules qui passent, parmi les piétons qui me croisent et ceux qui me suivent, aucun ne remarque ma différence mais moi je la connais et ça suffit.


Paradoxe des paradoxes, mon plaisir croît si d’aventure un contretemps aggrave la précarité de ma condition. Et pour ça, je suis servie. Dans ce monde voué à l’automobile, on se soucie fort peu du piéton, on n’imagine pas assez combien de simples travaux d’enfouissement peuvent être un terrible parcours d’obstacle. Je grimpe, saute, dévale, dérape, esquive et crapahute, jouant au casse-cou saltimbanque qui fait du trapèze sans filet, sauf que là quand même je ne risque pas ma vie…


Si je ne risque pas ma vie, je n’en suis pas moins victime d’une frousse épouvantable dont l’expression sert de pâture à une alchimie libidineuse qui en tempère l’âpreté. Il en ressort une combinaison douteuse, faite de trouille et de volupté, source d’ivresse perfide et de jouissance trompeuse qui font alliance pour me faire perdre la raison. J’ose chaque fois davantage et plus que je ne devrais. Et par-dessus tout cela mes neurones et synapses survoltés réarrangent le film de mon cheminement, attisant encore ce feu qui me dévore. Je cours, je vole, je flotte de plus en plus inconséquente, laissant ma conscience se consumer dans une sorte de réaction en chaîne que je ne contrôle plus.


Un bémol cependant, l’humidité excessive dans l’entrejambe me donne un sentiment d’inconfort désagréable en même temps qu’elle accroît ma fragilité. J’appréhende que quelqu’un n’aperçoive ces symptômes équivoques.



ooo000ooo



Pas l’ombre de Razakh ni d’Ibrahima ou bien de leur véhicule. J’ai fait le tour du quartier commerçant, sans succès. Je ne me résous pas à passer mon chemin et rentre à la boulangerie, histoire de gagner du temps et accessoirement d’acheter du pain.


Quoi d’autre dans une boulangerie ? Je n’en ai pas besoin, il m’en reste du matin mais tant pis, mon « Maître » n’y verra rien à redire et quand cela serait j’arguerais l’erreur. De surcroît cela peut justifier mon retard, parce que retard il y a, jamais je ne flâne autant. Il y a aussi que je n’ai pas un radis pour payer.



Deux miches, y a pas d’erreur, l’une est pour moi, l’autre est pour mes bonnes œuvres. Il est courant parmi les âmes charitables – dont je prétends être – d’acheter un pain en sus de son besoin pour distribuer aux mendiants sagement alignés à la sortie, assis à même le sol, sous l’abri des arcades éclairées. Je ne déroge pas à la coutume, la mienne en tout cas, laquelle soit dit en passant agace superbement mon époux. Ils sont sept, ou huit, je ne sais plus, des gamins, des femmes, des vieux, des estropiés… et donc je brise mon pain en autant de morceaux dont je donne à chacun le sien.


Abusée par l’habitude, je n’ai pas mesuré la difficulté conjoncturelle avant de me lancer. Or, l’opération impose une proximité périlleuse qui, compte tenu des circonstances et positions respectives, revient à leur offrir un point de vue inaccoutumé sur mon anatomie si je n’y prends garde. Ce qui doit arriver ! Les gesticulations, mimiques et autres babillements abscons ne me laissent aucun doute quant à la raison de la soudaine agitation. Ma réaction est incontrôlée, j’abandonne les restes du pain sur place et prends la poudre d’escampette avec mon humiliation et ma miche à moi. Je ne suis pas à une incohérence près.


L’humiliation n’est pas antinomique d’un certain émoi et aussi de certains autres symptômes pas du tout plaisants. J’échappe, j’ai des fuites, elles ruissellent. J’ai honte, j’avance droit devant moi, tête baissée, pressée de disparaître, pressée d’échapper à cette impression qu’ici on se gausse, on me nargue, on me méprise. Bonjour la réputation… souci dérisoire autant qu’accessoire et néanmoins angoissant.


La nuit est tombée, il me serait loisible de me fondre dans l’obscurité mais je ne suis pas si téméraire, j’ai peur dans le noir. Je m’immobilise craintive et indécise, scotchée sur le dernier havre illuminé avant les ténèbres. C’est là que mon patron, le directeur du centre culturel, me surprend tandis que je tergiverse.



C’est une aubaine et quelque part une catastrophe aussi car ce soir n’est pas pareil parce que moi je ne suis pas pareille. Et par-dessus le marché, il y a ces dégoulinements inopportuns dont je crains qu’ils n’aient laissé des traces, lesquelles sont probablement invisibles sous la lumière blafarde mais l’obsession commande.


Je me trémousse d’un pied sur l’autre, imprimant un dandinement plus ou moins rythmé selon que je me sens observée, dans le but de « bouchonner », effacer, étaler, faire le ménage quoi ! Une sorte de danse de Saint-Guy, cuisse contre cuisse, frotti-frotta. Vous ne voyez pas ? Pas grave… Question résultat, ce n’est sans doute pas trop ça sans compter que je dois paraître bizarre… D’ailleurs, mon manège ne manque pas d’alerter mon boss.



Je déteste ce prénom porté sur mon passeport. Tout le monde m’appelle Annie, je préfère mais lui, mon directeur, se rapporte bien sûr à mon état civil.


Lui est un vieux beau, grand, mince, la cinquantaine passée depuis longtemps, marié à ce qu’on dit mais sa femme vit en Europe, cheveu teint et gominé façon danseur de tango, courtois et d’une galanterie proverbiale. Plus galant, tu meurs ! dit la secrétaire du Centre Culturel qui le sert depuis des décennies sinon des siècles. Galanterie dont je profite aussi, il déverrouille sa bagnole, ouvre et m’invite à prendre place.


Il n’est pas évident de grimper dans ce genre de véhicule, un gros bahut TT, haut sur pattes, cela nécessite du talent et de la feinte pour dissimuler plus que pour escalader. En général, je me débrouille mais la conjoncture m’embrouille et le malin s’en mêle. La grigne du pain agrippe des mailles du tissu, retroussant ma jupe sans que j’y prenne garde. Ma tenue chambardée dévoile plus que la décence n’autorise. Exhibition fortuite, il est trop tard quand j’en mesure l’étendue. Je m’empresse de rajuster…



Tout est prestement remis en ordre sauf que sa main est dans la place ou presque. Il la retire vivement après le camouflet, prompt, spontané, irréfléchi que je n’ai pas su retenir.



Tout au long du parcours, le silence du boss me semble glacial. Je me vois déjà lourdée. Perspective insupportable, je suis prête à tout pour me faire pardonner, d’accord pour baiser avec lui si cela lui chante pourvu qu’il me garde. Je rêve, il n’est pas interdit de tirer profit de la situation… Pourquoi pas de l’avancement, un temps plein, un contrat expat, ce serait sensass… Promotion canapé qu’on appelle… Des pensées confuses que je ne parviens pas à traduire en mots, en phrases… Tout sous-entendre, ne rien dire de compromettant… Je bugge… J’aperçois mon domicile et n’ai toujours pas pipé mot. J’attends une ouverture…


Le véhicule stoppe devant la maison. Le vieux coupe le moteur, bloque le frein à main et avec une rapidité surprenante dévale du bahut, en fait le tour et m’ouvre la portière.



Il faut toujours une première fois ! Il ne m’a jamais embrassée, pas une seule fois depuis des mois que je travaille pour lui. Je me prête de bonne grâce à l’échange des bisous. J’éprouve même du soulagement et une certaine reconnaissance.



C’est dur la vie d’une fille dans un monde masculin.



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Et c’est pas fini, il me faut encore affronter mon vilain. Vu le retard accumulé, je ne m’attends pas à des félicitations. Les gracieusetés fusent aussitôt l’entrée passée mais je vous épargne les détails au demeurant fort peu divertissants.


Ce n’est pas tant le retard qui alimente l’algarade, plutôt une crise de jalousie. Monsieur s’est mépris quant aux bisous parce qu’il espionnait bien sûr…



Je ne me rappelle plus trop comment la querelle vire au pugilat, toujours est-il que j’écope d’une torgnole. Ce n’est pas la première mais je m’étais juré que ce serait la dernière. Juré, craché, cochon qui s’en dédit ! Je fous le camp aussitôt la stupéfaction passée, mue par mon indignation et poussée par les quolibets de l’énergumène.



À l’extérieur, ma rage tombe un peu ; ma raison se lamente tout bas ; je m’en veux d’être aussi impulsive ; d’avoir abandonné mes affaires ainsi que la réserve d’argent et les bijoux que je garde dans mon chevet.


Trop tard ! Question de dignité, je continue tête haute, les poches vides et le cul à l’air si tant est qu’on m’autorise ces expressions bien que je n’aie pas de poches et même si mon postérieur est à l’abri, sous une jupe certes provocante mais à l’abri quand même.


L’autre connard n’a même rien soupçonné. Étrange la vie ! Un jour on croit au grand amour et le lendemain ou presque c’est le grand fiasco. Zinder nous a été fatal, peut-être une question de température, 45 °C à l’ombre quand même ! un four crématoire, tout y passe et à fortiori les amours les plus fragiles. Je n’ai pas de remords ni de regrets, rien que du soulagement.



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J’atterris chez Aïcha.



L’accueil est chaleureux mais je sens néanmoins des réticences.



Le ciel me tombe sur la tête et ce n’est pas seulement une image. Je me sens trahie, fatiguée, dégoûtée…




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Ce qu’il y a de bien chez Aïcha, c’est qu’on peut compter sur elle, même quand on n’est pas soi-même à la hauteur.



Justement, celui-là, ce salaud, ce traître, il faut qu’il en rajoute.



Sur le moment, je n’entends rien, ne vois rien, juste un voile rouge. Je ne réponds pas, ressassant mes griefs. Ce n’est que plus tard que je prends conscience qu’il m’a parlé de mon sac avec mes papiers, de l’argent et quelques autres affaires.



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Une fois les félons disparus, je reviens chez Aïcha et m’affale dans un fauteuil, chialant ma rage et sanglotant mes misères. J’offre sans nul doute un bien piètre spectacle pour ce type qui passe le museau par l’ouverture entrebâillée.



Ma propre surprise n’est pas moins grande. Je reste coite, le bonhomme m’en impose. Il a de l’allure et est élégamment vêtu à l’européenne, la cinquantaine grisonnante, grand, costaud, de l’estomac aussi mais pas plus qu’il n’est raisonnable. Au reste, ce n’est pas tant le physique que son aura qui m’impressionne. De plus, l’homme ne m’est pas inconnu. Je l’ai déjà remarqué en ville au volant d’une grosse Mercédès, un riche entrepreneur de travaux publics, qu’on m’a dit.


Je me redresse, essuie mes larmes et tente de recomposer une apparence digne. C’est plus fort que moi, il me faut paraître, une forme de déférence, presque de l’obséquiosité à l’égard des puissants, sans doute une séquelle de mes origines modestes.



Encore que l’innocence chez moi ne dure jamais longtemps. Qui est ce type ? Je n’ose rien lui demander, il m’intimide mais ma malice trouve la faille et inocule son venin : c’est l’amant d’Aïcha. La conviction s’impose presque naturellement. Elle colle avec la situation et ce que je sais de la donzelle, laquelle du reste s’est toujours montrée discrète voire même timorée quand on en vient à parler fric, au contraire de Zeinabou qui n’a jamais fait mystère de sa liaison intéressée avec un quidam généreux, le directeur de l’agence locale d’une grande banque pour ne rien vous cacher.



Pendant une fraction de seconde je suis tentée de débiter l’exacte vérité, elle vous trompe avec un prince Camerounais, histoire de foutre le bordel dans les affaires de la traîtresse mais ma raison l’emporte.


Mes synapses chauffent à blanc, tout devient clair, tout s’explique, c’est l’évidence : Judas se fait entretenir comme Zeinabou.



Foin de tes secrets, renégate ! J’en ressens presque de la joie, une joie mauvaise teintée de perfidie. Des idées scélérates me traversent l’esprit ; pourquoi ne pas la tromper ? Elle m’a bien trompée. Un prêté pour un rendu en somme. Plus garce que moi, y a pas quand je m’y mets. Je suis prête à lui piquer son type histoire de me venger.



Hiiii (rire intérieur)… Ça sent l’inquisition, je flaire la drague. Je ne réponds pas, joue les coquines, baisse les yeux, la nuque, feins gros chagrin et le laisse reluquer mes cuisses découvertes, les écarte même un peu, par vice, me remémorant sinon mon talent tout neuf du moins les plaisirs de l’exhibition. Je ne pense pas qu’il puisse entrevoir quoi que ce soit en dehors de mes cuisses, bien sûr, mais il me plaît de croire qu’il le peut.


Et après tout, peut-être le peut-il ? Sa réaction plaide en ce sens. Je n’ai pas même réagi quand il a bougé, vif, alerte, rapide. N’empêche qu’en un instant dérisoire, infime, insignifiant, mon destin bascule. Il y a un avant et un après. Maintenant, il est assis sur la table basse, face à moi, paumes à plat sur mes genoux.



Nous sommes bien d’accord. Y-a-t-il débat ? Pas même, le sujet n’est pas d’actualité et à vrai dire, je ne sais pas ce qui est d’actualité. Je suis dépassée, ma tête est vide ou plutôt non, elle bruisse de mille choses mais c’est pareil car rien d’intelligible ne sort de la cacophonie.


Mes cuisses béantes dévoilent le spectacle d’une intimité nue. Aurais-je l’envie de tirer le rideau que je ne le pourrais pas, les genoux du type insérés entre les miens bloquent la pose. Je lis dans ses yeux son plaisir et le mien car j’en ai aussi. J’y vois la convoitise pour le fruit dévoilé tandis que ses mains s’affairent sur le chemin du péché en toute impunité.



Docile, je le rejoins et prends place sous son aile protectrice qu’il déploie de façon à enserrer mes épaules puis, assurant sa prise, il presse mon corps contre le sien et du même mouvement approche son visage du mien cherchant mes lèvres que je ne lui refuse pas.


Je ne sais par quelle magie mais je sens que ce baiser libère chez moi la tension accumulée. Je relâche, j’oublie mes déboires, le mari phallocrate, le patron profiteur, le prince déchu et Judas aussi en même temps que ma vengeance et me livre tout entière, passionnément. J’accueille, que dis-je, j’aspire la langue fouisseuse et me prête au jeu de cet appendice avec fougue, ne lui laissant aucun répit et allant jusqu’à le quérir en son repaire quand il fait retraite. Pendant ce temps le monsieur n’est pas inactif, sa main se faufile sous mon haut, glisse sur ma peau, empaume un sein qu’elle caresse un peu avant d’aller s’occuper du jumeau.


Docile encore, je lève les bras afin qu’il évacue le tee-shirt inutile puis je me prête d’aussi bonne grâce, poitrine offerte, quand il lui vient l’idée de piquer une tête pour venir butiner mon sein. Le cheminement de ses lèvres et celui de sa langue s’incrustent durablement sur mon épiderme, traçant une empreinte frémissante. Parfois, il lui prend l’envie de mordiller mes chairs ou mes tétons mais jamais au point de faire mal.


L’homme est également fort adroit de ses dix doigts mais tout aussi retenu. Il évalue longtemps le galbe de mes cuisses avant d’insérer une main entre elles, pour câliner les parties tendres. Il n’est pas loin de l’antre et je m’ouvre pour lui montrer le chemin, impatiente de l’accueillir mais il batifole en route et joue de ma broussaille. Puis, il se décide enfin, glisse deux doigts dans ma fente, deux doigts qui montent et descendent dans l’ouverture humide, selon un rythme que je connais bien, à croire qu’il est devin, agaçant à chaque passage mon petit bouton gorgé de sang.


Imperceptiblement, mon corps se met en mouvement, balançant en cadence, à l’instar de mon bassin dont la quête avide est calée sur le tempo des caresses ou bien celui des va-et-vient quand, par après, l’homme pénètre de ses doigts mon vagin. Je m’abandonne, tout entière concentrée sur la montée du plaisir, oublieuse de tout ce qui n’est pas ce plaisir, au point que j’éprouve de la frustration quand le type arrête de farfouiller.



Ma première réaction trahit une certaine incrédulité.



L’homme ignore ma suggestion et son tambourinement me semble plus impatient. Je ne me sens pas de lui désobéir et le laisse me placer à sa guise. Me voilà donc à quatre pattes, les mains bien à plat, bras tendus. Ce n’est pas très confortable, surtout pour mes genoux qui morflent un peu sur cette satanée table, d’autant que l’homme les écarte plus que je n’ai fait, m’ouvrant au maximum, puis il termine la revue en retroussant ma jupe sur mes reins, découvrant mes fesses. J’imagine le spectacle que j’offre et me sens ridicule, à sa merci aussi mais ça, ça ne me gêne pas, au contraire, cela instille un piment délicieux.


Pendant un moment qui me semble interminable je ne le vois pas ni ne le sens ni ne l’entends. Je le devine néanmoins dans mon dos. Je pressens qu’il va agir avant qu’il ne l’ait fait. Perception extra-sensorielle ? Une liaison spéciale ? Des dons télépathiques ? Dont je me gargarise tandis qu’il me caresse les fesses. Il ne s’y attarde pas outre mesure. Sa main se rabat vers ma vulve, caresse, doigte, agace… J’ose un œil vers ce foyer de trouble dans la fourche de mes cuisses et entraperçois mes seins plagiant des mamelles, ridiculement étirés pointant leurs tétons vers le sol ; ainsi que les doigts furtifs dans mon entrecuisse mimant des évocations subreptices en ombres chinoises.


L’homme a baissé pantalon. J’entrevois ses jambes nues ainsi que ses roubignoles et son membre volumineux qu’il branle d’une main pendant que son autre main s’active sur ma chatte.


Le bougre est pressé et ne me donne pas le loisir de fantasmer, il dirige son manche vers ma vulve. Je sens la pression du gland sur mes grandes lèvres tandis que les battoirs du gaillard agrippent mes hanches. Puis d’un seul coup, puissant, brutal, le sexe du mâle me pénètre profondément, m’arrachant des couinements de douleur autant que de surprise. Une poussée, une autre encore et son membre dur et implacable me remplit pleinement, il est en moi, totalement en moi, les testicules écrasent mon clitoris. Le bougre n’y est pas allé de main morte mais à tout prendre, un peu de bestialité n’est pas pour me déplaire. Je n’ai plus mal et impatiente d’en découdre, je propulse mes fesses contre le bide du type histoire d’être au diapason, martyrisant du même coup mon minou et sa queue sans doute aussi. Il ne semble pas m’en vouloir.



Je ne sais si cela signifie qu’il apprécie mon initiative mais dès lors le mâle se montre encore plus extrême, bourrant mon cul avec une ardeur que j’ai rarement connue. Mes cris montent crescendo et redoublent à chaque ruade. La discrétion n’a jamais été ma qualité dominante. À l’encontre de mes anciens amants qui n’appréciaient pas toujours mes vocalises, celui-ci ne semble pas s’en formaliser. Il me laisse gueuler tout mon saoul, pas le moins du monde inquiet quant à mon intégrité physique. Au contraire ! Il persiste plus exalté, plus cruel, explorant mes gammes et me transportant vers des registres carrément stridents.


À un moment donné, je le sens prêt à éjaculer ce qui fait naître chez moi des pensées opportunistes du genre il va me doubler, me laisser en plan, bonjour la frustration. La perspective m’émeut, il faut que je me bouge. Je rue du cul telle une déchaînée engloutissant son dard à chacune de ses saillies, ce qui a pour effet de le désorienter tout en embrasant le feu qui me ronge.


Mon projet est de le rattraper avant la corde. Plaisirs égoïstes, qu’il se soucie du sien, je m’occupe du mien ! Je fais tant et plus que je décolle bien avant qu’il ne crache sa semence. Quand il se retire, je devine plus que je ne sens le mélange de nos humeurs qui s’écoule et poisse un peu plus mon pubis et ma toison ainsi que le haut de mes cuisses.



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Le salaud ! Il essuie sa queue avec mon haut.



Ça c’est le bouquet, il me prend pour une pute mais étrangement la méprise m’amuse. Je ne le détrompe pas.



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Je lis machinalement la carte qu’il m’a laissée : « Lawali Dan Azoumi, PDG SONICO (Société Nigérienne de Construction) » et regarde bêtement les billets en désordre sur la table basse. Je suis courbaturée et encore un peu hébétée, l’intermède a été si soudain, si rapide, si violent. S’il n’était mon sexe qui en garde un souvenir cuisant et mes seins à l’air faute de rechange, je pourrais imaginer avoir rêvé.


Maintenant je sens poindre la culpabilité envers Aïcha, envers la terre entière. Je m’en veux de mon inconséquence et pourtant je n’ai aucun regret. Ce serait à refaire, je pense que je referais tout pareil.



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Elle apporte la bouffe. On est entre filles, je ne vais pas jouer les mères-la-pudeur.



Je me doute que l’expression lui passe par-dessus la tête mais je n’ai pas résisté.


Qui est Mintou ? C’est la voisine d’Aïcha et en même temps c’est plus que ça, une amie, une compagne, une confidente, une sœur et une servante aussi… difficile d’expliquer en deux mots. Il faut connaître l’Afrique pour comprendre la comédie des uns et des autres, des riches et des pauvres, des mâles et des femelles, des jeunes et des vieux… Moi, je la connais bien (Mintou, je veux dire, pas la comédie ni l’Afrique) ainsi que ses deux jeunes enfants lesquels sont planqués derrière le pagne de leur mère et pointent subrepticement leurs frimousses réjouies.



On est dans une habitation en pisé au cœur de la vieille ville. C’est vous dire la densité de la population dans le secteur.



Voilà autre chose. Je ne suis pas sûre de me sentir plus à l’aise dans cette nouvelle configuration.


Quelle journée ! La nuit menace d’être longue et… chaude. Les anciens disent qu’on est dans la période des fortes chaleurs. RFI*** diffuse les nouvelles, un journaliste commente le décès du président Pompidou. Le speaker enchaîne une pause avec un disque de Charles Aznavour****.



Je vous parle d’un temps

Que les moins de vingt ans

Ne peuvent pas connaître





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* Les Wodaabe (ou WoDaaBe, singulier Bodaado) sont un sous-groupe du peuple Fulani (aussi appelé Fula, Fulbe, ou Peul). On les désigne parfois sous le nom de Bororos – à ne pas confondre avec les Bororos d’Amazonie.


** « Tuwo » en haoussa, «  » ailleurs, une sorte de pâte de mil qui a la consistance et l’élasticité de l’aligot auvergnat et que l’on consomme avec une sauce.


*** R.F.I. Radio France International.


**** Un artiste pour lequel j’aurais plus d’estime s’il n’était exilé fiscal en Suisse.