n° 14041 | Fiche technique | 62750 caractères | 62750 10831 Temps de lecture estimé : 44 mn |
07/09/10 |
Résumé: Adrien fantasme sur Jérôme, un bel hétéro qu'il croise chaque matin dans le train. Un jour, il rêve qu'ils deviennent amants. Mais s'agit-il bien d'un rêve ? | ||||
Critères: #fantastique #initiation #gay hh voisins campagne train revede fellation anulingus hdanus hsodo | ||||
Auteur : Pierre Dubreuil Envoi mini-message |
L’autorail entra en gare et les deux voitures archaïques se positionnèrent en grinçant le long du quai. Adrien s’y trouvait déjà, comme la demi-douzaine de personnes ensommeillées qui s’infligeaient, chaque jour, un lever avant l’aube et un trajet d’une heure trente jusqu’à la capitale dans cet engin bringuebalant. La plupart arboraient le visage blême et les traits tirés des gens qui dorment peu. Le luxe inappréciable d’habiter un cadre harmonieux, une demeure spacieuse au vert et au calme, valait bien quelques sacrifices ! Telle était leur invariable réponse, destinée à clouer le bec aux sceptiques indiscrets.
Adrien était d’accord avec eux : il ne souffrait nullement de ces allers-retours, surtout par les belles journées d’été, comme celle-ci, lorsque la lumière, le soleil et le ciel bleu étaient des deux voyages. Et même en hiver, lorsque, six pénibles mois durant, il lui fallait oublier que le jour existait, les heures passées dans le train étaient, à son sens, un moment de détente. Il les occupait toujours de la même façon, suivant un rituel sacro-saint : tout d’abord, il s’octroyait une petite sieste, histoire de se rafraîchir l’esprit et de rattraper un peu du sommeil qui, quoi qu’il en dît, lui manquait. Cela ne durait guère, un quart d’heure, vingt minutes au maximum, puis il plongeait avec délectation dans un bon livre. C’était son second luxe, après la vie à la campagne, et il le revendiquait comme tel : qui pouvait encore, en ces temps où la rentabilité dévorait la vie des gens, consacrer à la lecture deux heures ou plus chaque jour ? Qui, d’ailleurs, en éprouvait l’envie ? Pas grand monde… Et pourtant, quel régal ! Enfin, de temps à autre, levant les yeux de son livre, il s’autorisait, l’espace de quelques secondes, à admirer, l’âme ravie, l’un de ses compagnons de voyage, insolemment beau garçon. Ainsi se déroulaient les trajets d’Adrien ; il les aimait, les attendait presque : comment employer quatre-vingt-dix minutes de plus agréable façon ? Adrien était un voyageur heureux.
Il monta dans le train et s’installa. À cette heure matinale, les passagers étaient presque tous des habitués, et chacun avait « sa » place. Celle d’Adrien possédait le double avantage d’être isolée dans un coin de la voiture — ce qui, en fait, la dépréciait plutôt aux yeux des autres, qui préféraient nettement les plaisirs des conversations oiseuses à ceux de la littérature — et d’être située de manière idéale pour examiner, aisément mais discrètement, le bel inconnu. C’était un grand gaillard d’une trentaine d’années, dont les boucles d’un noir de jais cascadaient en souplesse jusqu’aux épaules. Son visage, à la peau mate, s’illuminait d’un regard bleu d’acier. Ses narines ouvertes, ses lèvres charnues respiraient la sensualité. Une barbe de la veille, apparemment sauvage mais qu’on devinait soigneusement entretenue, ajoutait à son charme et lui donnait une allure un rien primaire qui affolait Adrien. Ce jour-là, qui promettait d’être superbe, l’homme avait revêtu un T-shirt blanc et un pantacourt bleu ciel. Ses pieds nus plongeaient dans des mocassins de cuir fauve. Ses mollets, bronzés, musclés à ravir, s’agrémentaient de petits poils fins, très noirs et très frisés. Adrien, charmé, constata une fois de plus combien la chaleur embellissait les hommes. Le spectacle, vraiment, était trop enchanteur pour être négligé. Renonçant à son petit somme et remettant sa lecture à plus tard, il s’absorba dans les délices de la contemplation.
L’homme affichait l’allure d’un de ces hétéros types qui font de la fréquentation du lit des femmes la condition sine qua non de leur état viril ; cela ne dérangeait aucunement Adrien, qui les savait empressés à tourner casaque lorsque l’occasion se présente, s’ils sont sûrs que nul n’en saura rien ; d’autant que, tout charmé qu’il eût été de faire, en compagnie son vis-à-vis, une promenade parmi les meules de foin, cette velléité ne dépassait pas le stade du fantasme et son souci premier était d’avoir un aimable spectacle pour agrémenter ses voyages.
L’homme s’appelait Jérôme, Adrien l’avait appris en entendant d’autres passagers l’apostropher : il s’installait toujours en compagnie de quatre ou cinq garçons du même genre que lui — quoique nettement moins beaux. Tout au long du trajet, ils racontaient sans la moindre discrétion leurs conquêtes féminines, comparaient en riant leurs prouesses au lit, ou narraient en détail les exploits de leur équipe de foot préférée. Ce qui avait le don de ravir Adrien :
Et il s’imaginait avec Jérôme, entraîné dans le tourbillon brutal et torride d’une scène d’amour violente.
Jérôme connaissait Adrien de vue — c’était le cas de tout le monde à bord du train —, mais il le saluait à peine et ne lui parlait jamais : il avait bien vu de quelle manière Adrien le regardait, et saisi tout le désir exprimé par ces regards ; il lui en envoyait d’autres en échange, chargés de mépris, et parfois, lorsque Adrien se montrait un peu trop insistant, changeait carrément de place. Le dos tourné à Adrien, il gratifiait alors ses copains d’une longue diatribe contre les pédés qui se terminait la plupart du temps en chuchotements et éclats de rire de potaches : Adrien devait en prendre pour son grade. Mais il n’en avait cure et se désolait seulement, alors, de ne plus voir, de Jérôme, que sa chevelure et ses larges épaules, ce qui n’était déjà pas si mal…
Ce fut le cas ce matin-là. Il faut dire qu’Adrien, tout émoustillé par la tenue particulièrement suggestive de Jérôme, n’y était pas allé de main morte. Dépité, il résolut pourtant de ne pas se laisser gâcher cette belle journée, et de marquer un point : il fit semblant de se rendre aux toilettes, et, regagnant sa place le plus lentement possible, il ne lâcha pas le regard bleu de Jérôme. Il poussa même l’audace jusqu’à lui offrir son plus charmant sourire. Pour tout l’aplomb qu’il montrait, il n’était, en fait, guère rassuré, et s’attendait même à une apostrophe. Pourtant, à sa grande surprise, Jérôme lui rendit son sourire. Adrien, pris à son propre piège, se troubla et se hâta, les jambes en coton, de regagner sa place et de plonger dans son bouquin. Les lignes dansaient devant ses yeux. Qu’est-ce qui lui prenait, à ce macho de Jérôme, de lui faire des sourires ? Où voulait-il en venir ? Cherchait-il à l’attirer pour mieux le ridiculiser ensuite ? Mais comme il était charmant, ce sourire ! Comme ces lèvres pleines s’ouvraient élégamment sur de jolies dents nacrées ! Comme on avait envie de la mordre, cette bouche, et d’être mordu par elle ! Adrien sentait son sang bouillonner. Tout au long du voyage, son livre inutile sur les genoux, il contempla, bouche bée mais folie en tête, le dos puissant de Jérôme.
Le soir, il faillit manquer son train de retour. Il courut, l’attrapa au vol et entra tout essoufflé dans la voiture. Jérôme, déjà installé, l’accueillit par un large sourire et un salut de la tête. Adrien n’en crut pas ses yeux. Sa surprise fut telle qu’il négligea de répondre. Ébaubi, il passa tout le voyage, l’air égaré et les yeux hagards, à dévisager, presque sans le voir, Jérôme qui, s’il ne renouvela pas ses marques de sympathie et ne jeta pas d’autres regards à Adrien, négligea, il est vrai, de lui tourner le dos.
***
Adrien cherchait en vain le sommeil ; était-ce dû à la chaleur, qu’il appréciait pourtant et qui d’ailleurs, grâce aux fenêtres ouvertes, était toute relative ? Ou à cette joute nonchalante qu’à la fin juin disputent le jour et la nuit, et qui semble ne jamais devoir s’achever ? Non, la responsabilité en incombait plutôt au souvenir de la conduite inexplicable de Jérôme. Il avait l’impression d’avoir l’homme devant les yeux, avec aux lèvres ce sourire si séduisant, et Adrien, incapable de se débarrasser de cette image, allongé nu sur son lit, le drap rejeté sur ses pieds, donnait libre cours à ses fantasmes et autorisait sa main à s’égarer entre ses jambes…
Soudain, il entendit crisser le gravier. On marchait dans le jardin. Dans le village, si personne ne fermait ses portes, nul ne serait entré quelque part sans s’annoncer par un coup de sonnette, particulièrement à cette heure tardive où la plupart des habitants dormaient depuis belle lurette. Adrien, vaguement inquiet, se leva, enfila un peignoir et se mit à la fenêtre. D’abord, il ne vit rien, puis une silhouette vêtue de noir sortit de l’ombre et se mit à aller et venir, comme indécise.
La forme leva la tête et Adrien eut un coup au cœur : c’était Jérôme.
Adrien ne répondit pas : la surprise, et le fait de ne pas être sûr des intentions de son visiteur le rendaient muet.
Adrien se refusa le droit de réfléchir : qui sait ? Une crainte indéfinissable, un sens malvenu de convenances qui n’étaient pas les siennes l’auraient peut-être poussé à refuser, et alors, adieu tout espoir d’une relation, quelle qu’elle fût, avec Jérôme… Aussitôt, il répliqua :
Il se hâta d’allumer une lampe, de recouvrir le lit, d’ouvrir la porte de la chambre : c’est là qu’il recevrait Jérôme ; il avait décidé ça comme il avait décidé de le recevoir, sans même y penser, comme si la chose allait de soi. Sur une table basse il disposa deux verres et une bouteille de cognac. À peine avait-il terminé que Jérôme apparaissait sur le palier. Sans hésiter, il pénétra dans la chambre. Le cœur d’Adrien s’affola et son sang se mit à bouillonner : Dieu ! qu’il était séduisant ! Encore plus qu’il ne s’en souvenait ! Il est vrai qu’il ne l’avait jamais vu d’aussi près… Ils se regardèrent sans bouger pendant quelques secondes, embarrassés, connaissant tous deux l’inéluctable issue et ne sachant que dire. Et, peut-être parce que les paroles, justement, étaient inutiles, Jérôme s’approcha d’Adrien, le prit dans ses bras, et entreprit de l’embrasser fougueusement, ardemment. Adrien sentait bien que, si Jérôme était là, en train de faire ce qu’il faisait, c’était parce qu’il s’interdisait, comme lui, de réfléchir. Aussi surpris qu’il fût de cette absence de décorum, il ne voulait pas risquer, en témoignant de la froideur, d’inciter, justement, son visiteur à réfléchir et de manquer l’occasion. Il s’empressa donc de lui rendre son baiser avec fougue. D’ailleurs, il n’eut pas à se forcer : il avait si souvent rêvé cette situation, et puis, elle était si fraîche, cette bouche, fraîche et brûlante à la fois ! Et si experte, cette langue qui s’agitait en lui savamment ! Et ces dents, elles savaient si bien mordiller les lèvres ! Quel délice, ce baiser ! Éperdu, Adrien plaqua son ventre contre celui de Jérôme et ce qu’il y sentit l’affola plus encore. Désormais, il était prêt à tout pour assouvir son désir.
Jérôme, sans cesser de l’embrasser, lui arracha son peignoir et le fit asseoir sur le lit. Il ouvrit sa braguette et son membre jaillit comme un diable de sa boîte, sans même qu’il fût besoin de l’aider, comme s’il avait été trop longtemps comprimé dans sa prison. Adrien, découvrant sa taille, pensa défaillir. Il allait peut-être en mourir, mais tant pis, ça ne faisait rien, ce serait une belle mort et il mourrait heureux. Il s’allongea sur le dos, laissant ses jambes pendre vers le sol, ferma les yeux et attendit, fébrile, la suite des événements. Jérôme lui prit les jambes, les posa sur ses avant-bras et lui souleva légèrement le bassin. Puis, sans le moindre préambule, sans la moindre hésitation, d’un seul coup, il le pénétra entièrement. Adrien poussa un hurlement : on le déchirait, on le transperçait, on l’empalait ; bientôt, il allait être cloué au sol, ou au mur, ou au plafond. Mais, au bout de quelques secondes, comme Jérôme restait sans bouger au plus profond de ses entrailles, la douleur se changea en plaisir. Il était bien, il était le fourreau de cet énorme sabre, il n’avait plus d’autre vocation que de l’envelopper, que de le sentir en lui ; il se mit à gémir doucement. Jérôme, alors, commença à aller et venir, doucement d’abord, puis de plus en plus vite, de plus en plus fort. Il n’avait pas, c’était visible, l’intention de faire traîner les choses, il voulait parvenir à la conclusion, sans hâte intempestive, mais rapidement tout de même.
Adrien, s’il eût été en état de penser, se serait fait la réflexion que c’était là l’étreinte à la hussarde, violente, rapide, sans sentiments, à laquelle il avait si souvent imaginé se livrer avec Jérôme, et que Jérôme, d’une manière ou d’une autre, l’avait deviné. Mais il ne savait plus qui il était, où il était, il ne savait plus rien, sinon qu’un gourdin énorme et brûlant s’agitait dans son corps, et que chacun de ses coups, porté au tréfonds de lui-même, lui dispensait une jouissance indicible. Son anus, bientôt, s’affola autant que son cœur, se contracta, se dilata, se perdit en mouvements désordonnés. Il en irradiait une chaleur qui se répandait jusqu’aux extrémités de son corps, lui envoyait des décharges électriques dans le torse, dans les bras, dans les jambes. Sa tête allait éclater. À chaque fois que Jérôme cognait au fond de lui, Adrien poussait un cri sauvage. Jérôme accéléra l’allure, son sexe se gonfla et durcit encore. Soudain, avec un râle de fauve, il explosa. Adrien sentit un torrent de lave se ruer dans ses entrailles. Le plaisir l’envahit. Il hurla et se cabra en spasmes violents tandis que jaillissait de lui un flot puissant qui inonda son torse et son visage.
Alors il se réveilla, emmêlé dans ses draps, trempé de sueur et de sperme. Il était seul. Il se redressa, se frotta les yeux.
Et, découvrant l’état dans lequel il se trouvait :
Il se sentait cassé de partout, recru comme s’il avait vraiment subi cet assaut. Son anus douloureux se rappelait encore les allées et venues du membre énorme. Son sexe, rien qu’à leur évocation, tressaillit et fit mine de se redresser. Il le gourmanda :
En se lavant, il trouva beaucoup de sperme à l’intérieur de ses cuisses, sur son périnée, entre ses fesses, comme si quelqu’un avait vraiment joui en lui ; cela lui parut bien un peu étrange, mais il mit la chose sur le compte de sa grande excitation et de la violence de son orgasme.
Peu après, Adrien sortait de la salle de bains, rafraîchi physiquement et mentalement, d’excellente humeur, les sens épanouis. Il changea les draps et, s’étirant voluptueusement, s’apprêtait à se coucher lorsqu’il découvrit, jeté à terre, le peignoir qu’il avait enfilé, ou cru enfiler, au début de son rêve. Il le ramassa. La ceinture en était arrachée et l’une des manches pendait, déchirée. Puis il remarqua, sur la table basse, la bouteille et les verres qu’il avait sortis en attendant Jérôme. Le hic, c’est que Jérôme n’était pas venu, et que, en principe, il n’avait pas quitté son lit.
Non, il n’y avait pas à tergiverser, il s’était réveillé seul, dans le feu de l’orgasme ; Jérôme, en admettant qu’il soit venu, n’aurait pas pu disparaître en une seconde, même s’il l’avait souhaité, d’autant qu’il était en pleine action ; il n’avait jamais mis les pieds dans la maison, c’était certain… Mais l’impression de réalité ne quittait pas Adrien, elle était toujours aussi vive, aussi présente… Et toutes ces traces… Et cette douleur délicieuse qu’il ressentait de l’anus au cœur du ventre. C’était troublant… Jérôme n’était peut-être pas venu en chair et en os… mais… s’il était venu sur un autre plan ? S’il avait fait le même rêve de son côté et s’était, par le truchement de quelque mystérieuse force, retrouvé chez lui ? Adrien ne croyait pas à ce genre de phénomènes, s’y trouver confronté le perturbait. Tiens ! il préférait même se croire somnambule… Mais il savait bien qu’il ne l’était pas…
Il se coucha et s’endormit aussitôt, d’un sommeil… sans rêves.
***
Il avait pensé rire, en se réveillant, de ses doutes de la veille, et ne se rappeler, le lendemain, qu’un rêve érotique et charmant, certes très réaliste, mais rêve, sans conteste et sans ambiguïté. Or les symptômes persistaient : même impression — même certitude, avait-il envie de dire — d’avoir vécu cette étreinte, souvenir des mains de Jérôme sur ses hanches, de ses lèvres sur les siennes, douleur exquise dans son intimité. Souvenir de ce membre… À la seule évocation de ces images, Adrien entra en érection et un désir effréné, irraisonné pour Jérôme l’envahit. En retard, il se hâta de se préparer et fila prendre son train.
***
Jérôme était là, plus beau que jamais, à sa place habituelle. Adrien s’installa, et ne put s’empêcher de le regarder intensément. Jérôme le fixa aussi, et lui sourit, avec — mais peut-être Adrien se faisait-il des idées ? — un air mi-ironique mi-coquin. Il se passa la langue sur les lèvres d’une manière si sensuelle que le sexe d’Adrien s’en émut. Jérôme sourit encore — cette fois, c’était presque un rire —, baissa les yeux vers l’entrejambe d’Adrien comme s’il se rendait compte de ce qui lui arrivait, rit de nouveau, et, appuyant son regard dans celui d’Adrien, entreprit, comme cela lui arrivait souvent, de raconter ses exploits à ses copains :
Et avec un grand sourire en direction d’Adrien, il ajouta :
Les commentaires des copains allaient bon train. Adrien, cramoisi, le sexe tendu à se rompre, dut faire appel à toute sa concentration pour ne pas renouveler son exploit de la veille.
En son for intérieur, et bien qu’il n’acceptât pas de se l’avouer, Adrien ne doutait pas une seconde : il y avait trop de coïncidences dans cette histoire, il s’était vraiment passé quelque chose la veille. Quoi, il ne le savait pas, mais, d’une façon ou d’une autre, il avait fait l’amour avec Jérôme, et il en était heureux.
Ce dernier, sans quitter Adrien des yeux, poursuivait sa péroraison :
Adrien, en eau, au bord de la syncope, ne comprit jamais bien comment, ce matin-là, il était arrivé à son travail…
***
Le soir était enfin venu. Les heures avaient paru des siècles à Adrien ! Il se sentait fébrile, mais aussi en colère contre lui-même : pleinement conscient de l’ineptie d’une telle idée, il était sûr pourtant que Jérôme, comme il l’avait annoncé dans le train, allait lui rendre visite. Il l’attendait tout en se refusant à l’admettre. Après le dîner, n’y tenant plus, indifférent à son propre jugement, il chassa volontairement et définitivement le peu de raison qui lui restait. Il se vêtit comme pour un rendez-vous galant, jean moulant, chemise ouverte ; dans le miroir, tandis qu’il arrangeait sa coiffure, il se trouva séduisant.
Il disposa encore, sur la table basse de la chambre, quelques bouteilles, des verres, des biscuits apéritifs. Dix heures trente. Il se servit une rasade de quelque chose, sans même se préoccuper de savoir quoi, avala une bonne gorgée, et s’installa dans un fauteuil.
Et soudain, Jérôme fut là, sans avoir sonné, sans qu’Adrien l’eût entendu marcher ou grimper l’escalier. Sa présence, sa beauté, sa sensualité se répandirent, tangibles, dans la pièce qu’elles emplirent toute. Adrien était heureux. Il ne se leva pas, mais, désignant le fauteuil voisin du sien :
Jérôme obéit.
Adrien trouva soudain qu’il faisait bien chaud ; son ventre s’embrasait ; il regretta un peu d’avoir mis ce jean serré… Si ça continuait comme ça, dans quelques secondes, il serait tout à fait indécent ; mais Jérôme n’allait sûrement pas s’en plaindre, et puis, avec un peu de chance, il ne le garderait pas bien longtemps, ce sacré pantalon…
Jérôme se servit de whisky et avala une solide rasade. Adrien pensa qu’il avait peut-être quelques inhibitions à chasser. Il sourit, amusé.
De tout autre que Jérôme, Adrien se fût offusqué de cette peu flatteuse anti-déclaration d’amour. Mais ce n’était pas de l’amour qu’il cherchait : Jérôme lui avait donné exactement ce qu’il souhaitait. Et puis, ce qui l’avait attiré, outre sa beauté, c’était cette rusticité dont il venait de donner une preuve nouvelle. Il sentit son désir s’accroître, et sa voix était de plus en plus rauque lorsqu’il demanda :
Sa voix se fit infiniment caressante ; il poursuivit :
Il s’agenouilla devant le fauteuil de Jérôme, s’installa entre ses jambes, et glissa les mains sous sa chemise. Le contact de ses hanches chaudes et douces l’électrisa et un frisson le parcourut. Il déboutonna lentement la chemise, en écarta les pans, et découvrit avec ravissement un torse musclé, couleur de miel, paré d’une toison soyeuse et frisée, des tétons larges, bien dessinés, presque noirs. Adrien ne put s’empêcher d’y enfouir son visage. Ses lèvres s’y promenèrent sans hâte, découvrirent le nombril et s’y attardèrent. Sa langue y plongea avec délices et se mit à tourbillonner lentement. Jérôme tressaillit et gémit, presque inaudible. Il ne bougeait pas, et Adrien eut l’impression qu’il avait envie de se laisser faire. Sans cesser d’embrasser le ventre de Jérôme, il chercha la ceinture, la déboucla, et ouvrit la braguette, découvrant un joli caleçon blanc orné de petits chats rouges. Adrien s’y plongea et y trouva la preuve indéniable que ses caresses ne déplaisaient pas. À travers le tissu, il embrassa et mordilla cette preuve, puis, redressant le torse, s’absorba dans l’ouverture des deux minuscules boutons. Il glissa la main dans l’ouverture ; un long frémissement saisit Jérôme. Adrien caressa longuement le bel objet si doux, et le libéra enfin de sa prison. Il rebondit comme s’il était en caoutchouc, et se dressa fièrement vers le plafond. Adrien, qui, tout en le connaissant, ne l’avait encore jamais touché, le contempla un moment, admira son élégance, la forme spirituelle du gland et sa jolie couleur mauve violacé. Puis il sortit les testicules, bien ronds, fermes et lourds. Il se félicita de ce qu’ils ne fussent pas épilés : Adrien aimait les hommes poilus et ne comprenait pas que les plus beaux garçons du monde se privent ainsi, volontairement, d’un de leurs plus charmants appas. Jérôme, au moins, était un homme, un vrai, pas un de ces minets insipides et aseptisés. Une par une, il embrassa les petites boules, les aspira, les cajola de la langue, puis monta doucement le long de la hampe frémissante pour s’attaquer au gland.
Brusquement, il prit le glaive dans sa bouche, et l’enfourna aussi loin qu’il put. Jérôme frissonna et poussa un cri. La bouche d’Adrien se mit à effectuer sur le membre des allées et venues tandis que sa langue s’enroulait autour de sa pointe sensible, la titillait, la choyait de mille façons. Jérôme n’était plus qu’un gémissement. Il prit la tête d’Adrien et lui imprima son rythme. Les coups de l’énorme engin, de plus en plus rapprochés, de plus en plus violents, lui dilataient la gorge. Il en ressentait des haut-le-cœur et avait peur de vomir, pourtant il était heureux, et n’aurait pas donné sa place pour un empire. Cela dura longtemps. Soudain, la verge de Jérôme se cambra et s’agrandit encore ; il n’allait pas tarder à atteindre le point de non-retour ; vite, il sortit de la bouche d’Adrien, le releva, et l’embrassa avec une tendresse qui le surprit et l’émut.
Ils s’allongèrent, sans hâte se déshabillèrent l’un l’autre, puis, corps contre corps, bouche contre bouche, sexes mêlés, dansèrent longtemps, très longtemps, dans les vagues du plaisir.
***
Jérôme cria. Dans un ultime coup de reins, son sexe se contracta, s’agita violemment à l’intérieur d’Adrien qui sentit sa jouissance décupler. Un flot brûlant se répandait en lui, intarissable, et en même temps l’orgasme montait, rapide, implacable, dans tout son corps dont l’anus lui semblait le centre, il s’infiltrait partout, si exquis qu’il en devenait intolérable. Adrien ouvrit les yeux. La gueule d’ange de Jérôme, qui, l’instant d’avant, se penchait sur son visage, les yeux chavirés, en pleine extase, n’était plus là ; il se redressa, examina la pièce : il était seul.
Et, retombant épuisé sur l’oreiller, il s’endormit aussitôt.
***
Un peu plus tard, il s’éveilla : Jérôme, collé à son dos, lui passait la main entre les cuisses.
Jérôme ne répondit que par un petit rire. Il l’embrassa dans le cou et lui mordilla l’oreille, tout en flattant de la main son sexe encore engourdi. Il se rapprocha de lui et Adrien sentit contre ses fesses, déjà bien ferme, la preuve de son désir ; la vigueur, aussitôt, le gagna. Il imprima à son bassin un imperceptible mouvement pour mieux sentir, plaquée à lui, cette hampe si désirable, et gémit d’aise à ce contact. Jérôme perçut l’invite ; aussitôt, il se positionna à la porte de son intimité et, très lentement, y pénétra.
Ils restèrent ainsi longtemps, une heure, deux heures, plus ? Ils n’auraient su le dire. Jérôme allait et venait au ralenti. À peine bougeait-il. De la main, il imprimait les mêmes mouvements au sexe d’Adrien. Ils étaient bien, ils flirtaient avec l’orgasme en permanence, en éprouvaient les sensations, mais, d’un tacite accord, se refusaient à l’atteindre ; ils auraient voulu que ce moment ne connût pas de fin, voulu ne jamais plus sortir l’un de l’autre, ne jamais parvenir à cette jouissance, qui, toute sublime et attendue, tout ardemment désirée qu’elle fût, allait aussi sonner le glas d’un instant d’exception.
Elle arriva, dans un synchronisme parfait, sans qu’ils aient à abandonner cette lenteur délicieuse. Leurs flux jaillirent ensemble en de longs jets brûlants. Longtemps encore, ils restèrent dans les bras l’un de l’autre, parcourus de frissons, silencieux, conscients qu’un mot, un seul, risquait de détruire cette parfaite béatitude.
Puis Adrien se rendit compte qu’il était seul, et il s’endormit.
***
Lorsque Adrien rouvrit les yeux, il faisait jour ; le soleil pointait à travers les persiennes et dansait sur les draps. Jérôme n’était pas là et il s’en irrita presque : il s’était habitué à le voir alterner présences et absences, et là, il se sentait lésé, c’était la deuxième fois de suite que, reprenant conscience, il ne trouvait personne à ses côtés. Pourtant il sourit : vraiment, il n’avait pas lieu de se plaindre, son corps respirait le contentement, ses sens la satisfaction. Il s’étira avec volupté, et songeait à se rendormir quand il entendit se refermer la porte de la salle de bains. L’instant d’après, Jérôme entrait dans la chambre. Adrien, tout rassasié qu’il fût, sentit de nouveau le désir l’assaillir et il eut un instant le souffle coupé, tant Jérôme était beau, dans toute la gloire d’une nudité qu’il n’avait, en fait, jamais eu l’occasion de contempler à loisir. Dans la pénombre, ses yeux bleus luisaient comme des phares, soulignaient le hâle de son visage, ses lèvres brunes et charnues, ses longues boucles noires. Adrien, fasciné, découvrait des merveilles : la haute stature, les larges épaules, les pectoraux parés de petits poils frisés ; le ventre, insolemment plat, velouté, avec sa toison brune qui partait du nombril en s’élargissant pour en rejoindre une autre, plus intime ; le sexe, de belle taille, puissant et altier même au repos, porté en avant par les testicules, bien ronds, bien fermes, légèrement velus ; les jambes, musclées, charmantes, élégantes, ornées elles aussi de poils, moins crépus ceux-ci, et suffisamment épars pour ne pas dissimuler la chair bronzée.
Là, à coup sûr c’est un rêve ! se dit Adrien. Qu’est-ce qui lui prend ? Il est devenu pédé pendant la nuit, ou quoi ? Quoique, vu ce qu’elle a été, cette nuit, il n’y aurait pas vraiment de quoi se surprendre, mais enfin, je ne pensais pas que ce soit le genre de la maison…
Il poursuivit tout haut :
Et, fermant les yeux, il se tourna sur le côté. Jérôme se glissa sous le drap, se colla à lui et l’embrassa dans le cou. Adrien soupira, s’étira, et se retourna, l’air comblé :
Et il embrassa les lèvres de Jérôme. Celui-ci le retourna sur le dos, s’agenouilla à côté de lui et, après lui avoir rendu son baiser, il commença à l’embrasser dans le cou, sur le torse, à lui mordiller les tétons, à lui lécher le ventre, à glisser sa langue dans son nombril. Adrien, immobile, se laissait faire ; il était bien ; sa satisfaction s’extériorisait par une sorte de feulement, presque inaudible mais qui ne s’arrêtait pas. Puis Jérôme descendit plus bas ; ses lèvres attaquèrent la toison pubienne d’Adrien ; sa langue se mit à caresser la hampe qui en surgissait, à la parcourir sur toute sa longueur, à tourner autour du gland, à en exciter les replis. Adrien sursauta et, malgré le violent désir qui le possédait, repoussa la tête de Jérôme.
Jérôme se mit à rire :
Prenant la main d’Adrien, il la posa sur son sexe ; il était tendu à se rompre et palpitait de joie. Adrien, sans plus de paroles, vaincu et ravi de l’être, se rallongea et s’abandonna au plaisir.
Jérôme se débrouillait comme un chef, au point qu’Adrien se mit à douter que, pour lui, ce fût bien une première fois : langue agile et câline, lèvres chaudes et humides qui s’attachaient au gland, gorge accueillante, mains secondant habilement la bouche. Il imprimait des mouvements plutôt rapides, et Adrien, bientôt, atteignit les berges de l’extase. Jérôme, qui s’en rendit compte, accéléra la cadence. Adrien, de toutes ses forces, essaya de le repousser, mais il tenait bon.
Rien n’y fit : Jérôme, d’une main de fer, clouait Adrien au lit sans lui permettre de quitter sa bouche. Ce dernier, résigné, explosa bientôt en lui avec un long soupir d’enchantement. Jérôme aussi semblait heureux : longtemps encore, il flatta de la langue et des lèvres le sexe qui se refusait à mollir. Adrien gémissait. Puis Jérôme, le libérant enfin, s’allongea sur lui. Ses lèvres, sa langue, trouvèrent les siennes ; le goût de sa propre liqueur pénétra Adrien, et, à cette sensation, sa hampe s’agita et fit mine de se redresser. Jérôme la regarda avec admiration, la caressa doucement, et dit :
Puis Adrien se rendit compte qu’il était seul sur le lit ; mais cela ne le surprit ni ne le dérangea.
***
Tout le week-end se déroula à l’avenant : absences et présences alternées, sans aucune logique apparente. Parfois, au sortir d’une séance torride où Jérôme s’était particulièrement distingué, Adrien se retrouvait seul au lit. D’autres fois, alors qu’il prenait une douche ou avalait une omelette, Jérôme surgissait dans la salle de bains, dans la cuisine. Il ne songeait apparemment ni à se laver ni à se restaurer ; peut-être le faisait-il ailleurs, lorsqu’il n’était pas visible… Quoi qu’il en soit, sitôt réapparu, il entraînait Adrien dans de nouveaux jeux, plus sensuels les uns que les autres. Il s’y montrait insatiable… et toujours aussi performant. Le dimanche soir, Adrien avait l’impression de n’avoir pas cessé de faire l’amour depuis des semaines. Pas un de ses muscles qui ne fût douloureux… Il commençait à fatiguer, mais son envie de Jérôme était si forte et si ancienne que son désir ne s’émoussait pas vraiment. Et il se sentait divinement bien. Jérôme, quant à lui, paraissait en pleine forme et semblait trouver toute naturelle une activité aussi intensive.
Il tomba comme une masse dans un sommeil qui ne s’interrompit que le lendemain, à la sonnerie on ne peut plus terre-à-terre de son réveil.
***
Dans le train, le clan des mâles se déchaînait. Tous, avides de détails croustillants, s’acharnaient à questionner Jérôme.
Mais Jérôme, d’ordinaire si prompt aux confidences, demeurait silencieux. À la fin, ses yeux ayant rencontré ceux d’Adrien qui s’efforçaient de les fuir, il afficha un sourire rêveur et déclara :
Un brouhaha s’éleva, exclamations étonnées, ricanements ironiques ; mais le silence, bientôt, s’imposa : Jérôme n’était pas un homme dont on pût impunément se moquer, ou essayer de forcer la main. Un peu agacé pourtant, il se leva, fit quelques pas dans le couloir, et s’installa à l’extrémité du wagon, debout, à regarder le paysage défiler…
Adrien, pour cacher son trouble et sa rougeur, fit mine de s’absorber dans la lecture…
***
Bientôt, ils ne se quittèrent plus. Mais peut-être n’était-ce que virtuel… Tous les soirs, tous les week-ends, ils vivaient au rythme étrange des apparitions-disparitions de Jérôme, qui demeuraient la règle. Adrien s’y était fait, il ne trouvait même plus la situation bizarre : elle le satisfaisait et, lui eût-on proposé de troquer son demi-fantôme contre un Jérôme, non de chair et d’os, car cela il l’était suffisamment, mais un Jérôme dont il pût contrôler les mouvements, un Jérôme qu’il aurait eu en permanence auprès de lui, peut-être aurait-il refusé. Il trouvait beaucoup de charme à ces surprises toujours renouvelées, toujours inattendues. Il s’interrogeait tout de même parfois, mais n’osait pas questionner Jérôme : il avait peur, à lui demander des explications, de le voir soudain, tel Lohengrin, disparaître à jamais. Or cela, il ne le voulait à aucun prix. Jérôme, quant à lui, semblait ne rien voir là d’anormal et se comportait, lors de ces allées et venues, comme si elles avaient été la chose la plus naturelle du monde. Quoi qu’il en soit, tous deux respiraient la sensualité comblée : ils étaient épanouis, et cela se voyait.
Vint le mois d’août où ils prirent quelques congés. Jérôme, en dehors de ses disparitions habituelles, en passa la totalité chez Adrien. Quant à ce dernier, il eut l’impression de ne pas quitter son lit des vacances, sinon pour prendre une douche ou manger quelque chose à la hâte. Il n’était pas rare que Jérôme le rejoignît et partageât ses ablutions ou ses agapes.
Un jour, alors qu’ils venaient de déjeuner et se reposaient sur le lit, Jérôme se tourna vers Adrien et lui dit :
Adrien faillit s’en étrangler. Bien sûr, après toutes ces semaines où Jérôme ne l’avait presque pas quitté, passant la majeure partie de son temps à lui faire l’amour, il se rendait bien compte que sa totale hétérosexualité n’était plus qu’une façade, et passablement lézardée encore, mais il ne s’attendait pourtant pas à ce que ce macho plus vrai que nature souhaitât déjà renoncer à son intégrité physique, à ce qui, aux yeux de ses semblables, personnifiait la virilité. Il se redressa, le regarda droit dans les yeux et demanda :
Jérôme lui caressa la joue et sourit :
Très lentement, il le déshabilla, puis ôta lui-même ses vêtements. Il l’embrassa ensuite longtemps, amoureusement, en caressant tout son corps. Puis de la bouche de Jérôme, sa bouche presque à regret s’envola vers le cou, les oreilles, les petits poils frisés des pectoraux ; sa langue, ses dents jouèrent avec les tétons, les abdominaux, le nombril. Il atteignit le sexe. Longtemps, très longtemps, Adrien joua avec la magnifique hampe orgueilleusement dressée, et la choya des lèvres, de la langue et des dents. Son extrémité était si énorme, si violacée, qu’on la croyait prête à éclater. S’agenouillant entre les jambes de Jérôme, il les cala sur ses bras et s’attaqua au charmant petit sac lourd et ferme, au périnée, et parvint enfin à l’anus. Lorsque sa langue commença à l’ouvrir, à s’y frayer un passage, Jérôme, comme à l’assouvissement d’un désir longtemps refoulé, fut parcouru d’un frémissement qui ne le quitta plus. Adrien le câlina ainsi longuement, de sa seule langue, puis, le retournant sur le côté et saisissant un tube de lubrifiant dans la table de nuit, il l’en enduisit copieusement, le pénétra d’un doigt, de deux, puis de trois, les tourna, les agita dans la cavité chaude et humide. Jérôme gémissait, en extase. Adrien hésitait encore à franchir le pas décisif : Jérôme, pour lui, demeurait l’Homme, celui qui, jusqu’à présent, lui avait toujours donné du plaisir en tant qu’homme, et il ne se décidait pas à forcer l’entrée sacrée. Fou de désir, il se retenait pourtant, introduisait ses doigts, les ressortait, de plus en plus vite, de plus en plus profond, explorait de fond en comble les entrailles de Jérôme. Il découvrit sa prostate et la caressa, lui tirant un grognement d’ours en rut. Ils étaient tous deux au bord de l’explosion.
Adrien prit encore le temps d’enduire son sexe de lubrifiant, puis il se positionna contre Jérôme et lentement, très lentement, entra en lui. À peine fut-il au fond qu’il sentit Jérôme atteindre l’extase : son anus se contractait et se dilatait violemment, et il criait comme jamais encore Adrien ne l’avait entendu crier, même dans les plus violentes de ses jouissances « masculines ». Puis, brusquement, sa semence jaillit avec la fureur d’un geyser, sans qu’il ait eu besoin de toucher son sexe. Adrien, prisonnier de l’anus de Jérôme, emporté par un tourbillon déchaîné, en fit autant, en même temps. Il se rendit compte que son amant, sous la marée brûlante qui envahissait ses entrailles, succombait à une nouvelle série d’orgasmes. Lorsque tous leurs fluides se furent enfin répandus, tous leurs spasmes enfin calmés, ils s’effondrèrent, épuisés, dans un sommeil proche de l’inconscience, sans qu’Adrien fût sorti de Jérôme.
Leur relation, dès lors, se modifia. Il n’existait plus, le pur macho, le mâle absolu qui, un beau soir, était entré dans la vie d’Adrien, et que ce dernier avait choisi. Il avait été remplacé par un homme qui, certes, aimait donner du plaisir, mais aimait aussi qu’on lui en donnât, un homme qui attendait, exigeait ce plaisir. Il fallait que les rôles fussent sans cesse inversés, il voulait être pris aussi souvent qu’il prenait. Adrien, parfois, regrettait un peu le Jérôme du début, l’hétéro pur et dur, celui qui savait si bien et si souvent le conduire aux plus hautes cimes de la jouissance ; leurs rapports étaient devenus plus classiques, ils avaient perdu un peu de la particularité, du charme pour lesquels il les avait recherchés, mais ils gardaient une telle qualité qu’il se pliait bien volontiers à la situation. Il n’y pensait, en fait, que rarement. Et il eût été bien surprenant que Jérôme, si sensuel, ne revendiquât pas, ayant découvert cet intense plaisir, sa part du double orgasme.
Jérôme montrait tant d’assiduité dans ses apparitions qu’ils menaient presque une vie de couple. De cela, Adrien était aux anges ; il lui semblait même avoir atteint le sommet du bonheur et ne plus rien avoir à exiger la vie. Il ne souhaitait pas même que cet amant qui restait somme toute assez irréel prît une forme plus terrestre.
Il n’était pas rare, les fins de semaine, que Jérôme ne s’éloignât guère, et demeurât chez Adrien même en dehors des moments où ils faisaient l’amour, pour discuter, regarder la télévision, ou partager un repas. Cela n’avait jamais été le cas au début, et ce changement-là, Adrien s’en réjouissait vraiment. Aussi fut-il surpris et déçu lorsque, au début de l’année suivante, Jérôme ne se montra pas de tout un week-end. Il passa les deux jours à tourner, à virer sans but, agacé, perdu, l’appétit coupé, au bord des larmes. Cette réaction si vive le surprit, et il s’en irrita : le constat ne lui était pas agréable d’une telle dépendance envers un homme dont, au fond, il n’avait souhaité qu’une étreinte à la limite du furtif, et en aucun cas cette liaison durable, cette relation quasi matrimoniale. Une liaison qui, de plus, n’existait peut-être que dans son esprit… Hélas, tout furieux qu’il en fût, le doute n’était pas possible : il était amoureux de Jérôme, amoureux fou d’une espèce de fantôme, et cet agacement, cette colère qui le saisissaient, ce n’était rien d’autre que de la jalousie ; des questions l’obsédaient : pourquoi Jérôme ne venait-il pas, que pouvait-il bien faire en ce moment, et avec qui ?
Le lundi, dans le train, Jérôme se comporta à sa manière habituelle : il sembla ne tenir aucun compte d’Adrien et ne cessa de bavarder et de ricaner avec ses copains. Pourtant, il offrit discrètement à Adrien quelques sourires pleins de chaleur ; celui-ci s’efforça d’y trouver aussi un peu de repentir, et il s’en trouva légèrement rasséréné.
Le soir, assez tard, comme Adrien, en désespoir de cause, envisageait d’aller se coucher, Jérôme apparut.
Mais, aussi brusquement qu’il était arrivé, Jérôme avait disparu. Adrien, alors, se souvint de ce qu’il oubliait de plus en plus : Jérôme, ou du moins le Jérôme qui lui rendait visite, et pour autant qu’Adrien pût le savoir, n’était pas un homme réel…
***
En pleine nuit — Adrien, finalement, s’était endormi —, Jérôme revint ; il se glissa doucement dans le lit et, sans parler, presque sans le caresser, un peu comme lors de leur première nuit, il lui fit l’amour avec fougue jusqu’à ce que le réveil sonne.
Ce fut sa seule visite de la semaine et il ne parut pas du week-end.
Dans le train aussi, son comportement changea : il se mit à ne plus regarder Adrien. Ce fut un rude coup pour ce dernier, qui, jusqu’alors, trouvait un peu de consolation dans les clins d’œil de Jérôme. Il trouva pourtant le moyen de prendre sur lui et mit un point d’honneur à ne pas montrer son chagrin. Mais il se consumait de jalousie, d’autant que Jérôme, avec des airs de camaraderie virile, serrait de près l’un de ses copains, un autre splendide macho sur lequel Adrien, jadis, avait parfois fantasmé. Sans vergogne, Jérôme se serrait contre lui, lui prenait le bras, le tenait par le cou, posait même, parfois, la main sur sa cuisse. Le garçon, un dénommé Pierre, en paraissait enchanté ; il répondait même assez ouvertement aux avances de Jérôme. Leurs copains semblaient n’y voir que du feu, mais pour Adrien, le doute n’existait pas : ces deux-là, s’ils n’étaient pas déjà amants, n’allaient pas tarder à le devenir. Il en bouillait ; il lui venait, à ce spectacle, des envies, tantôt de pleurer, tantôt de se jeter sur le type et de lui arracher les yeux, ce qui, il en convenait, eût été fort dommage et ne l’eût guère avancé.
Toute la semaine se déroula à l’avenant : le soir, Adrien ne recevait pas de visite et, pendant le voyage en train, Jérôme flirtait presque ouvertement avec Pierre. Le vendredi soir, il surprit, l’espace d’une seconde, un regard qu’ils échangèrent, un de ces regards pétulants et caressants à la fois, révélateurs d’une connaissance intime. Arrivés à destination, ils s’éloignèrent ensemble. Adrien y vit une confirmation de ses soupçons. Il rentra chez lui, dépité, découragé, le cœur saignant de jalousie.
Comme Adrien s’y attendait, Jérôme ne vint pas cette nuit-là, ni dans la journée du samedi, ni la nuit suivante. Au début de l’après-midi du dimanche, désespéré, malade de chagrin, n’y tenant plus, Adrien résolut de se rendre chez lui. Il savait fort bien ce qu’il allait y trouver, mais, tant qu’il n’avait pas de preuve, il s’obstinait à douter. Lorsqu’il aurait vu, il en aurait le cœur net et pourrait, lui semblait-il, mieux gérer sa peine.
Il pénétra dans le jardin sans sonner, comme Jérôme l’avait fait chez lui lors de sa première visite. Il tourna d’abord autour de la maison, regarda par les fenêtres, ne vit personne. Puis il essaya la porte ; elle s’ouvrit. Silencieusement, il entra, parcourut les pièces du rez-de-chaussée : personne. Montant à l’étage, il se trouva sur un vaste palier où donnaient quatre portes, toutes fermées. Entendant du bruit derrière l’une d’elles, il l’entrouvrit doucement et jeta un œil à l’intérieur.
C’était une chambre. Sur le lit, Jérôme, entièrement nu, accroupi sur le ventre de Pierre, empalé, montait et descendait lentement sur son sexe érigé. Adrien se mordit la main pour ne pas crier : quelque chose en lui se refusait à révéler sa présence. Pas tout de suite. Il voulait tout voir, les regarder jusqu’au bout.
Pierre, les jambes allongées, était assis sur le lit, le torse entièrement redressé ; Jérôme lui tenait la tête et l’embrassait fougueusement. Pierre le tenait par la taille et de ses mains, l’aidait, guidait ses allées et venues, cadençait leur allure. Le sexe de Jérôme, turgescent, ballottait au même rythme ; Pierre, de temps à autre, le saisissait, le caressait, ou, mouillant ses doigts de salive, en frottait très doucement le gland, suscitant chez Jérôme les cris d’un plaisir infini. Tous deux étaient en sueur, ils ahanaient. On devinait que leur jeu durait depuis longtemps, qu’ils atteignaient au plaisir suprême. Pierre, bientôt, fut parcouru d’un long frisson et sa bouche se précipita, avide, sur celle de Jérôme. Il jouissait. Aussitôt, comme s’il n’attendait que cela pour succomber, Jérôme explosa et sa liqueur alla s’écraser sur le torse de Pierre. Ils s’écroulèrent l’un sur l’autre et sombrèrent dans une sorte d’inconscience.
Adrien attendit un moment, puis il ouvrit plus largement la porte ; elle grinça ; Jérôme tourna la tête ; il n’avait pas l’air surpris, et Adrien se dit qu’il l’avait sans doute vu depuis longtemps, et que cela avait même dû amplifier sa jouissance ; au bord des larmes, il serra les poings.
Adrien, qui s’était pourtant juré de garder sa dignité, ne put s’empêcher de lancer avec dans la voix une acrimonie tangible :
Adrien ruisselait de larmes. Les insultes lui firent perdre toute contenance.
Et il se mit à les frapper à coups de poings et de pieds. Les deux hommes en furent tellement surpris qu’ils ne répliquèrent pas. Alors, sur la table de nuit, Adrien avisa un pistolet. Dans un état second, il ne se demanda pas ce qu’il pouvait bien faire là, s’il était chargé, ou comment un tel engin pouvait bien s’utiliser. Il prit l’arme en main sans réfléchir, presque sans le savoir. Sans même viser, il tira vers les deux amants.
Les draps blancs se teintèrent de rouge…
Puis soudain, plus rien ne répondit à ses pressions sur la gâchette. Sans doute le chargeur était-il vide… Ce fut l’absence d’explosions qui fit reprendre conscience à Adrien. Il ouvrit les yeux et se trouva chez lui, seul dans sa chambre, sans la moindre arme à portée de main… Il était en larmes, secoué de tremblements irrépressibles.
Il se jeta sur le lit et sombra dans un sommeil agité.
***
Le train entra en gare. Ni Jérôme ni Pierre n’étaient sur le quai. Dans le groupe de leurs copains machos, la mine grave et la voix basse, on pérorait à qui mieux mieux. Tout le monde s’installa à bord de l’autorail qui démarra et prit de la vitesse ; les deux retardataires n’étaient pas arrivés…
Adrien était étreint par l’angoisse : quelque chose clochait, c’était certain ; les voyageurs ne se comportaient pas de la manière habituelle. En fait, il savait déjà ce dont il s’agissait, mais refusait de se l’avouer. Peu à peu, les murmures s’amplifièrent autour de lui, et, tendant l’oreille, il finit par entendre une conversation qui, bien qu’il s’y attendît, le pétrifia :
Adrien avait hurlé. Il se leva, blême, la main sur la bouche, se précipita aux toilettes et vomit des flots de bile. Lorsqu’il ressortit, Jérôme était là, devant lui. Sidéré, Adrien resta figé, sans savoir que faire. Les voyageurs le dévisageaient, surpris et désapprobateurs, et il était évident qu’ils ne voyaient pas Jérôme. Celui-ci s’approcha, prit la main d’Adrien, se mit à la caresser.
Très tendrement, il l’embrassa. Adrien se sentit défaillir tant ce baiser lui paraissait doux, et chaste aussi.
Alors, très calmement, comme si une force venue d’ailleurs le poussait, et comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, Adrien ouvrit la porte du wagon et sauta. Le train en pleine vitesse le happa ; il eut le temps de se sentir aspiré vers la voie, de percevoir un choc, une douleur insupportable. Mais cela ne dura que quelques secondes et bientôt tout s’éteignit…
***
Dans le train immobilisé en rase campagne, les voyageurs commentaient l’événement :
Jérôme appuya son avant-bras à celui de Pierre, glissa discrètement sa main entre leurs cuisses et lui murmura à l’oreille :