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Temps de lecture estimé : 17 mn
17/09/10
Résumé:  Tomber en panne sur la route la veille de son mariage et trouver un accueil aussi chaleureux, c'est merveilleux.
Critères:  fh hplusag voyage pénétratio fsodo fantastiqu
Auteur : Bertrand D  (Rêveur solitaire)            Envoi mini-message
Une merveilleuse nuit

La mine triste autour de la table dans la maison familiale, Christophe, Emma et Violaine, se regardent en soupirant. Il y a deux jours, ils ont conduit leur mère Francine à sa dernière demeure. Depuis trois ans elle souffrait d’une longue maladie comme l’on dit à la télé. Ils l’on soutenue, assistée, accompagnée jusqu’à la fin. Elle est restée lucide jusqu’à son dernier jour, leur dictant ses dernières volontés.



Pendant de longues heures, ils consultent les comptes, les impôts, les assurances afin de pouvoir répondre à toutes les formalités ou demandes d’administrations. Ils revoient les photos de la famille, les conservant soigneusement. Puis, à un moment, ils tombent sur un répertoire : Personnel. Ils découvrent du courrier avec les parents et les amis. Ils décident de les garder, mais de ne pas les consulter sauf si cela s’avère nécessaire. Enfin un sous répertoire : Mémoires. À l’intérieur, un fichier dénommé « souvenirs », C’est un long récit, l’histoire de son enfance et de sa vie en couple. Ils la connaissent en grande partie par leurs souvenirs ou par ses récits. Ils se promettent de la lire et d’en tirer un document pour leurs enfants. Et un fichier intitulé : « Pour mes enfants, à ouvrir avec précaution ».

Ils décident de le consulter. Une heure plus tard, ils se regardent d’un air perplexe, ne savent que penser.



Voici ce qui s’est passé le jeudi 19 septembre 1957.


C’était une semaine avant notre mariage. Avec Pierre, nous étions fiancés, comme cela se faisait à ce moment là, et nous devions convoler le samedi 28 septembre 1957 à Nîmes. Certes, bien que cela ne soit pas habituel à l’époque, nous avions pris un peu d’avance, mais en prenant des précautions, Pierre ayant un copain qui lui fournissait ce que l’on appelait « des capotes anglaises », en un mot des préservatifs.


À cette époque là, je travaillais depuis deux ans à la banque à Nantes, espérant pouvoir revenir dans le midi, Pierre avait déjà pu rentrer. J’avais décidé de me payer une dernière balade en célibataire, de descendre par les petites routes du Centre.


Ce jour-là, j’ai une deux chevaux neuve, véhicule sensationnel, solide, sobre, confortable, passant partout, et surtout ne tombant jamais en panne, mais il est difficile de dépasser le quatre-vingt-dix.

Je suis sur une petite départementale tranquille, je n’ai croisé aucun véhicule et compte atteindre Mende pour y passer la nuit. Le ciel est clair, il me reste une centaine de kilomètres. Il n’est que cinq heures, j’ai tout mon temps, je suis heureuse.

Insensiblement, le temps se gâte, des nuages noirs apparaissent. Cela me surprend, à la radio, la météo a annoncé un temps clair. Mais ce n’étaient que des prévisions.

J’entre dans un bois assez épais, il me faut allumer les phares. J’aborde une longue ligne droite quand tout à coup, plus rien : moteur arrêté, phares éteints. Je tire sur le démarreur, rien. Je n’y connais rien en mécanique. Je regarde la carte, il y a un village à cinq ou six kilomètres. Plus qu’une chose à faire, y aller à pied afin de téléphoner pour de me faire dépanner. Et surtout manger, car je commence à avoir faim, à midi je me suis contentée d’un sandwich.


Heureusement je suis chaussée de baskets. Je prends mon blouson en jean sur ma robe ample et pars d’un bon pas, languissant de sortir de ce tunnel végétal qui me fait un peu peur. Je marche depuis dix minutes environ, quand je vois au loin, une grande bâtisse. Je vais pouvoir téléphoner de là. Soudain un orage, un véritable déluge éclate. En quelques secondes je suis trempée. Je cours aussi vite que je le peux. Un grand portail entre deux piliers, sur l’un un lion, sur l’autre un dauphin. Puis une longue allée et au fond une grande maison.

Je monte les marches jusqu’à un grand perron et frappe à la porte. Elle s’ouvre. Un vieil homme en gilet rayé avec un bougeoir à la main.



Mon dieu ! Il y panne de courant pourvu que le téléphone fonctionne !



Catastrophe. Mais cela n’a rien de particulièrement surprenant en ce lieu isolé.



Une porte au fond de l’entrée s’ouvre sur une pièce éclairée par une fenêtre en face. Une voix masculine chaude, agréable. La silhouette qui se découpe en contre-jour est magnifique. Grand, bien proportionné, l’homme s’avance d’un pas léger. Et il apparaît dans la lumière du bougeoir.


Je suis stupéfaite. Dans la cinquantaine, le visage barré d’une longue et large cicatrice qui descend sur la joue et le long du cou. Cela lui donne un aspect étrange, à la fois effrayant et pourtant sympathique. Il ressemble à un flibustier tel que je les voyais dans mes livres quand j’étais enfant. Costume noir, chemise blanche, lavallière, il paraît prêt à se rendre à une cérémonie.



Une vieille dame apparaît. Robe noire, tablier blanc, une coiffe blanche bordée de dentelles. Un vrai personnage de théâtre. Par un grand escalier en volute, un bougeoir à la main, elle me guide jusqu’au premier étage, m’introduit dans une chambre tapissée de bleu. Mais tapissée avec des vraies tapisseries en tissu ! Puis vers une vaste salle de bain avec baignoire antique, des robinets en forme de dauphin, miroirs biseautés, c’est magnifique. Elle allume une lampe à pétrole. Je me rends soudain compte qu’il n’y a pas l’électricité dans la maison.


Malgré mes réticences, elle m’aide à me déshabiller. Je me retrouve totalement nue. Avec un grand drap de bain elle m’essuie soigneusement, avec une grande douceur. Puis elle me guide dans la chambre devant une grande penderie. Elle est pleine de robes très jolies, avec des dentelles, mais un peu anciennes. J’en désigne une que la dame décroche. Mais je n’ai aucun sous-vêtement ! Elle ouvre alors un tiroir plein de pantalons en dentelles, de véritables broderies.



Elle m’habille, la robe se nouant par derrière. Pour les chaussures, elle me propose des sandales fines à lanières avec talons mi-hauts. Je me regarde dans le grand miroir, j’ai peine à me reconnaître, je suis métamorphosée en une jeune fille du début du siècle. Toutes deux, nous redescendons, mon hôte m’attend, dans le hall.



Et je suis sincère. Je penche pour le côté sympathique. Je ne sais pas qui c’est, ne connais pas son nom. Moi-même, je ne me suis pas présentée. Il m’amène vers le bureau que j’ai aperçu en entrant, me propose un apéritif. Devant ma réserve, invoquant le fait que je ne supporte pas très bien l’alcool. Il me rassure, il s’agit d’un muscat très léger.


Nous engageons une conversation en dégustant ce liquide merveilleux. Je ne sais si c’est l’effet euphorisant du vin ou de la voix enchanteresse de mon hôte, mais je parle, je me confie comme à un ami, sur mon voyage, ma situation, mon prochain mariage. Apprenant cela, il me dit qu’il désire me faire un petit cadeau lors de mon départ. Je refuse, mais il me supplie d’accepter. J’acquiesce, je suis si bien.


Firmin vient nous annoncer que le repas est servi. Nous entrons dans une très grande salle à manger avec une table en proportion. On doit pouvoir servir au moins trente convives. Mais nos deux couverts sont disposés sur une table plus petite.


Mélanie nous sert un repas délicieux, arrosé d’un vin que je trouve parfait. Notre conversation entamée dans le bureau continue, je poursuis mes confidences.

Puis nous allons dans un salon pour boire le café. Je suis merveilleusement bien,

Le temps passe et mon hôte me demande si je désire me reposer. En effet, je me sens un peu lasse. Il s’offre alors de me conduire à ma chambre. Il entre et me demande si cela me convient.



Nullement effrayé par son visage défiguré, je m’empresse d’embrasser la joue intacte, puis l’autre, appuyant mes lèvres longuement sur la cicatrice afin de lui prouver que c’était bien volontiers que j’exauçais son souhait. Que se passe-t-il, je l’ignore. Je suis certainement ivre. Bientôt ses lèvres sont sur les miennes. Et là, je ne sais plus. Je suis envoûtée, j’éprouve un bonheur extraordinaire et lui répond avec ardeur. Je sens sa main qui détache le cordon de ma robe. Elle chute, je me retrouve vêtue seulement de la culotte en dentelle et des sandales. Il me prend dans ses bras, me dépose sur le lit. Délicatement, il me met nu. En un instant, il se dépouille.

Je réalise tout à coup qu’il va me faire l’amour, et surtout que, bien que je sois follement amoureuse de Pierre, je désire ardemment cet homme ! Il me prodigue avec une grande douceur les mêmes caresses que mon amoureux. Mais, est-ce mon ivresse, le décor, elles me semblent bien plus douces et enivrantes.


L’insistance de sa bouche sur mon clitoris me provoque un orgasme d’une rare violence. Je l’attire vers moi, désirant une union totale. Je saisis son sexe afin de le mettre en place. Je trouve un organe exceptionnel et soudain j’ai peur de l’intromission. Mais par je ne sais quel miracle, il m’envahit et je n’éprouve que du bonheur. Longuement il me transperce, ralentit, modifie la cadence. Je monte au ciel plusieurs fois. Enfin, il se libère en moi. Je suis anéantie, de bonheur. Il me serre dans ses bras, ses mains me caressent, comme avec un gant de velours. J’ai encore envie de lui, de tout ce qu’il voudra bien me faire, me donner.


Il me murmure des mots merveilleux. Je suis la plus belle, un don du ciel, bref, tout ce qui fait chavirer une femme. Mon désir grandit de plus en plus, je veux savoir s’il est en état de me satisfaire. Je suis à la fois surprise et émerveillée de retrouver une verge toujours aussi importante et surtout ferme.



Je ne comprends pas ce qu’il entend par là. Il me met sur le dos au bord du lit et du doigt me caresse le sexe. Je suis trempée et cela coule sur le périnée jusqu’entre mes fesses. Je le vois tendre la main, saisir sur la table de chevet une boîte, l’ouvrir, s’enduire les doigts. Je comprends soudain ce qu’il s’apprête à faire. J’ai peur, je panique.



Avec une grande douceur, il me caresse le sexe, descend beaucoup plus bas. Puis il lève mes jambes par-dessus ses épaules. J’ai à la fois peur et envie qu’il continue. Il me prend d’une façon classique et à nouveau je suis au ciel. Je sens un doigt qui entre dans mon intestin. Et cela ajoute à mon plaisir. Monte en moi un bonheur formidable quand soudain il se dégage et se présente devant mon sphincter. Je fais le vide dans ma tête, me relâche, me préparant à souffrir mille tortures. Je sens mon cul se dilater sans éprouver de tourments vraiment insupportables. Une gêne, comme parfois aux toilettes. J’attends qu’il continue quand je sens son pubis s’appuyer contre mes fesses. J’ai absorbé son énorme sexe. Je suis à la fois affolée des conséquences possibles, et heureuse d’avoir cet énorme morceau en moi.


Il reste longtemps immobile, mon corps s’habitue à l’intrus qui me transperce. Une main me donne du plaisir par mon bouton. Deux autres doigts s’infiltrent dans mon vagin. Je suis totalement distendue. Et il commence à bouger. Douleur, plaisir, je ne sais plus. Ce doit être cela le masochisme et je comprends que certains y trouvent leur bonheur comme je le ressens en ce moment. Je veux à la fois qu’il s’arrête et qu’il continue à me défoncer. Et puis le bonheur grandit et j’explose d’un plaisir douloureux. Je sens à l’intérieur de moi se déverser sa sève. Il s’est retiré doucement. Mon anus tarde à se refermer. Il me serre dans ses bras et me berce comme un bébé. Je suis bien, puis plus rien.



Un rayon de soleil vient me taquiner la joue. Encore inconsciente, les yeux fermés, je tends le bras pour le retrouver. Je me cogne contre le dossier du siège passager de la voiture. Je me réveille brutalement, je suis dans ma voiture, le soleil est déjà haut, c’était un rêve. Quel dommage !


Ressentant un besoin naturel pressant, je vais dans le champ voisin. Je soulève ma robe et découvre… que j’ai un pantalon en dentelle. D’autre part entre mes fesses, je ressens une douleur sourde. Portant ma main à ma poitrine, plus de soutien-gorge, mais je découvre que j’ai un collier. Je le quitte, l’examine, il est magnifique, lourd avec une médaille sur lequel sont gravés un lion et un dauphin. Le tout en or d’après son poids. D’autre part, je n’ai plus faim, moi qui avais une fringale terrible hier au soir.


Ce n’est pas vrai ! Il est venu me porter jusqu’à ma voiture dans la nuit. J’aurais tant aimé renouveler notre étreinte. Mais je suis en panne et il me faut aller jusqu’au village. À tout hasard, je tire le démarreur de ma voiture et le moteur tourne parfaitement. Bon, je vais jusque chez lui pour le remercier. Un peu plus d’un kilomètre et voila le portail. Tiens, il est refermé. Je descends de voiture afin de l’ouvrir.


Le portail est verrouillé par une grosse chaîne, le tout rouillé profondément. Les piliers sont à moitié écroulés. On ne distingue l’allée qu’avec difficulté tant des herbes et mêmes des arbres y foisonnent. Et au fond, pas de maison, rien. Je me pince pour savoir si je suis bien éveillée. Mais pourtant j’ai de nombreuses preuves que je n’ai pas rêvées. Pas possible, je suis folle.


Je remonte dans ma voiture et file au village voisin afin d’obtenir des renseignements sur cette mystérieuse demeure. Une boutique, à la fois épicerie, café, journaux, tabac, le seul commerce du village. J’entre, la salle est vide. Une femme arrive. Je commande un café. Un peu étonnée de voir une étrangère, elle engage la conversation. Pour me renseigner sans éveiller l’attention ni passer pour folle, je lui dis que mes grands parents m’ont parlé d’une grande maison, mais que je ne l’ai pas vue.



Par une porte au fond de la salle, elle me fait entrer dans un enclos. Je vais voir la vieille dame. Elle est dans un fauteuil, immobile, paraissant dormir. Je m’approche doucement.



La vieille reste immobile et silencieuse une paire de minutes. Puis elle me dit :



Je m’assois à côté d’elle. Elle commence :



Monsieur était né en 1870 pendant la guerre. Il vivait dans cette grande maison avec deux domestiques. Enfin, domestiques, si l’on peut dire. Elle, Mélanie, c’était sa nourrice qui l’avait élevé, sa mère étant morte en lui donnant le jour. Firmin était son mari. Il les considérait comme ses parents, mais les vouvoyaient en public.


Tous les dimanches, Monsieur venait à la messe à cheval ou bien dans la carriole avec Mélanie et Firmin quand il pleuvait trop. Il avait sa place dans l’église, près du chœur. Tout le monde l’aimait bien, le respectait. Il était généreux, pas fier, faisait travailler les hommes dans ses bois et ses champs, et les femmes pour les tâches de la maison. Il embauchait surtout les veuves jeunes afin qu’elles puissent nourrir leur famille. Chaque fois qu’il y avait un mariage, la promise allait le voir l’avant-veille, il l’invitait à manger, lui faisait un cadeau. Soit du linge, jolie parure ou jolie robe, soit des louis ou un bijou.


En 1905, je suis allé pour la première fois travailler chez lui. Il paraît que j’étais jolie. Il m’a de suite remarquée et me l’a dit. J’avais un amoureux de mon âge, Sébastien. Nous avions décidé de nous marier, mais il fallait qu’il fasse son service militaire. Deux ans éloigné du village. Quand il est revenu en 1913, il est allé demander ma main. C’était un bon bûcheron, très travailleur, d’une bonne famille, mes parents ont accepté. Le mariage a été fixé au samedi 16 mai 1914.

Comme les autres filles, je suis allé deux jours avant, le jeudi, voir Monsieur. Il m’avait invitée, à passer l’après-midi avec lui. Je me demandais quel genre de cadeau il allait me faire.


Nous avons déjeuné et surtout un peu bu, servis par Mélanie. Puis, pour discuter plus tranquillement, il m’a amené dans une pièce, la chambre bleue. Elle était magnifique. Au cours de la discussion, il m’a demandé si je voulais essayer une robe, jolie comme j’étais, je serai encore plus belle. Bien qu’un peu effrayée, de me déshabiller devant un homme, j’ai accepté. À midi, il m’avait fait boire du bon vin. Et je ne sais pas trop ce qui s’est passé, mais je me suis retrouvée nue sur le lit. Il s’est mis à me caresser d’une façon merveilleuse. Il m’a fait l’amour, à moi, qui étais pucelle. Mais ça a été magique. Mieux, après il m’a… enfin je n’ai pas pu m’asseoir pendant quelques jours.


Et je suis reparti avec cinq louis d’or. J’ai compris la signification du cadeau, mais celles qui, comme moi, avaient eu de l’or, ne disaient pas de quelle façon elles l’avaient obtenu.


Le samedi nous nous sommes mariés. Monsieur était présent. Le soir, nous avons eu notre nuit de noces. Mon mari n’était pas un benêt, pendant son service militaire il avait fréquenté les bordels. Mais je me suis bien gardé de lui dire que je n’étais plus vierge.


J’ai été enceinte immédiatement. Ce qui arrivait souvent aux filles qui avaient eu de l’or. Sébastien était fou de joie, nous faisions de grands projets. Août 1914, la guerre. Vingt-cinq jeunes du village ont été mobilisés ainsi que Monsieur malgré son âge, il était officier de réserve. Ils sont partis tous ensemble dans une diligence que Monsieur avait fait venir. Il était naturellement avec eux.

Les adieux ont été déchirants, mais tous promettaient de revenir avant Noël.

Le 8 novembre 1914, le maire est venu m’annoncer que Sébastien était mort pour la patrie. Le 15 février 1915 j’ai accouché de mon petit Louis. Le 17 novembre 1918, il est mort de la grippe espagnole. Je me suis retrouvée seule, désespérée. Je suis retourné vivre chez mes parents. Mais il paraît que mes malheurs m’avaient rendue un peu folle.


Sur les vingt-cinq jeunes partis, treize sont revenus. Dont un manchot, deux avec une jambe en moins et un autre gazé. Quant à Monsieur, il est rentré défiguré, un coup de sabre lui ayant ouvert du visage.


Pendant un mois, on ne l’a pas vu. Puis il est revenu à la messe, mais il ne priait plus. Pour aider les veuves, il les embauchait deux ou trois jours par semaine. Il nous payait bien. Quand j’y allais, parfois je couchais au château et, je peux le dire maintenant, tu ne le répéteras pas, monsieur passait la nuit avec moi. C’étaient de vrais moments de bonheur, les seuls que j’avais. Et je sais que les autres jolies veuves faisaient comme moi.


Un dimanche, Monsieur n’est pas venu à la messe. Firmin et Mélanie sont restés muets. Le dimanche suivant, la carriole s’est arrêtée sur la place, Monsieur en est descendu, puis a tendu la main à une merveilleuse jeune demoiselle de guère plus de vingt ans. Il nous l’a présentée comme sa fiancée, Bérengère. Le contraste était terrible entre cette magnifique fille et ce vieil homme défiguré. Mais tous deux paraissaient formidablement heureux.


À parti de ce moment là, nous avons continué d’aller travailler au château, mais plus de privautés. Je les ai beaucoup regrettées. Le mariage a eu lieu le samedi 15 mai 1920. Tout le village a participé à la préparation de la noce, et tout le monde a été invité. Cela a été une fête extraordinaire. Quelques mois plus tard, nous avons constaté que Bérengère était en voie de famille comme l’on disait. Elle n’est plus venue à la messe les dimanches d’hiver. Ici, il fait très froid. Mais Monsieur rajeunissait, l’idée d’avoir une descendance.


Et il n’en a pas eu. Bérengère est morte en couches et son fils aussi. Tout le village a pris le deuil, nous aimions tant Monsieur. L’enterrement a eu lieu le mardi 15 février 1921, dans le tombeau de famille qui se trouvait dans la propriété. Il faisait un froid terrible, mais tout le village était là.


Le soir, tous les habitants sont restés comme toutes les veillées d’hiver, cloîtrés chez eux, au chaud, autour de la cheminée. En sortant voir ses bêtes à l’écurie, vers minuit, Adrien a d’abord senti une odeur de brûlé, puis, en allant derrière la grange, il a vu le château en flamme. On a sonné le tocsin. Tout le monde s’est levé, s’est précipité, mais il n’y avait plus rien à faire. On aurait cru qu’on avait allumé plusieurs feux dans cette maison. Dans la journée, les gendarmes sont venus. Monsieur et ses serviteurs avaient disparu, probablement dans l’incendie.

N’ayant pas de descendant, la propriété est revenue à l’État, elle est domaine public. Un entrepreneur a acheté le droit de récupérer tout ce qui était encore bon. Et la grille s’est refermée à jamais.



J’ai entrouvert ma robe et j’ai montré mon collier. La vieille est restée sans voix. Puis elle a souri et elle aussi a fait pareil. Nous avions le même bijou, avec le même motif gravé.



Le lendemain, on m’a retrouvée allongée sur l’herbe près des ruines. Tout le monde a pensé que j’étais folle ! Passer la nuit dehors en hiver ! Je me suis bien gardée de dire ce qui s’était passé, on m’aurait internée à l’asile. Et j’avais au cou ce collier en or. Je suis heureuse avant de mourir de trouver quelqu’un qui, comme moi, a connu ce bonheur. Mais n’en parle jamais à personne, on te croirait folle.



Avec Pierre nous nous sommes mariés le samedi suivant et neuf mois après j’ai accouché de Christophe. Comme promis à la vieille dame, je n’ai jamais rien dit de mon vivant. Même pas à Pierre votre père. Il m’aurait peut-être cru dérangée, ou pire, aurait pensé que je l’avais trompé ce jour-là. Ce qui était vrai. Mais le restant de ma vie, je lui ai toujours été fidèle.


Vous devez vous demander si j’ai perdu la raison ou si je vous ai raconté une très jolie histoire. Attendez. Vous connaissez le vieux secrétaire dont j’ai hérité de mes parents ? Retirez le deuxième tiroir à droite, celui qui était toujours fermé à clef et dans lequel je conservais mes documents personnels. Glissez la main au fond, et sur la gauche vous trouverez un petit emplacement secret.



Les enfants sont allés dans la chambre. Dans le meuble ils ont trouvé la cachette. À l’intérieur un petit coffret en bois précieux. Ils l’ont ouvert. À l’intérieur, un petit pantalon en dentelle. En-dessous un magnifique collier très lourd, en or massif, tel que l’avait décrit leur mère, avec un médaillon sur lequel était gravé un lion et un dauphin. Sur l’autre face, en chiffres romains, la date du 19 septembre 1957 et deux initiales F et M, comme Francine et Monsieur.