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n° 14069Fiche technique12614 caractères12614
Temps de lecture estimé : 8 mn
25/09/10
corrigé 12/06/21
Résumé:  Nuit difficile dans un service de soins en pneumologie.
Critères:  ff fbi collègues médical revede nopéné init nonéro confession -travail
Auteur : Disciples d'Épicure  (Infirmières nous sommes)
Recherche infirmière

Toutes ces vies qui viennent s’échouer sur les plages horaires de mon temps de travail. Tous ces êtres aux histoires uniques qui nous confient l’instant de leur mort sur un lit d’hôpital. Ces rencontres sans lendemain qui me racontent mon destin, peut-être.

Ces morceaux d’éternité quand la seule chose certaine dans ce monde est qu’absolument toute chose a une fin.



Cette nuit-là, nous en étions au cinquième décès et il était quatre heures du matin.


La pire nuit depuis bien longtemps. Nous venions de faire quatre voyages à la morgue de l’hôpital et les agents nous blaguaient histoire de détendre l’atmosphère et la réchauffer :



Des blagues, un peu connes, souvent servies, mais ils sont tellement gentils qu’on leur pardonne aussi les mains baladeuses pourvu qu’elles ne soient pas libidineuses ou vulgaires.

Sinon une paire de claques les remet vite en place et ça, ça !… Ça fait du bien !

Heureusement qu’ils sont là pour casser la lourdeur et la douleur de cette réalité trop pesante que tous, humains, nous voulons fuir en allant danser le soir, en faisant des enfants, en aimant la vie, en oubliant la mort, en remplissant notre feuille d’impôts.


Infirmière de nuit dans un service de pneumologie, j’ai appris à vivre avec cette réalité, à la comprendre, à l’accepter. À accepter l’idée que je suis mortelle et que la mort n’est rien, que c’est l’image du vide de notre présence qui nous est insupportable, que ce travail est le rôle que j’ai choisi dans la société ; cela me rend forte d’aider les autres.

Mes semblables.

Plutôt que la valeur fric, j’investis dans la valeur humaine et je donne de l’humain pour recevoir de la conscience. Et plus j’ai de conscience, plus j’ai de sérénité et de facilité à vivre.


Étonnant, non ?


L’important surgit de cet instant présent que je suis en train de vivre où chaque détail, chaque événement est une chance formidable à vivre entièrement, le plus possible, authentiquement et jusqu’au bout.

Souvent, je me demande combien de ces corps sans vie, sans être, aimeraient encore s’animer et profiter de l’instant de ma pause-café ou du court moment à sept heures du matin où j’embrasserai mes enfants avant d’aller me coucher. Le goût de ma première gorgée de bière cet après-midi à la terrasse d’un bistrot.

Je suis en vie et c’est ma plus grosse richesse, ma plus grande fortune que je capitalise avec mes enfants que je fructifie en bourse avec mes amours.


Mais cinq la même nuit ! À quatre heures du matin. C’est trop lourdingue. Avec Babou ma collègue, ma sœur, ma complice, on ne se parlait plus. Seuls des gestes quasi automatiques s’accomplissaient dans une communication sans bruit. La mort avait pris le dessus de nos émotions. Il faut dire que la défuntée avait 32 ans, et était franchement belle.

De la dernière beauté.

Que la nuit d’avant, nous plaisantions encore avec elle, pendant les soins.

Qu’elle était belle et nue ! Un corps parfait à nous rendre jalouse. Mais quelle mauvaise idée de mourir à 32 ans ! Révolte et tristesse. Dégoût et fatigue. Merde à toi La Vie, c’est pas du jeu, y’a de la triche ! Pourquoi elle ? Et ses enfants alors, tu y as pensé à ces petiots ? Je hurle ces questions dans ma tête tout comme Babou. Tout comme Babou, je ne trouve plus de réponse. Nous sommes KO debout. Un reste de professionnalisme retient nos larmes mais l’atmosphère est pesante, nos gestes sont plombés.

Finie la rigolade.


3 h. Constat médical du quatrième décès fait par un toubib vaseux – largué. Paperasserie en règle, Famille prévenue par téléphone «  nous avons le regret de vous apprendre le décès de… survenu à…  », selon le protocole.



Puis une dernière réflexion qui reste in petto, pas besoin d’en rajouter. De toutes les façons, ça ne me regarde pas ce qu’ils pensaient du mort.

La routine que chassent d’autres soins


Encore tout à l’heure, au troisième décès, nous arrivions encore à rire comme des potaches en habillant le grand-père de 92 ans. Des grosses blagues bien lourdes, à en faire pipi dans la culotte. Une grande partie de rigolade comme rarement. N’allez pas croire que c’est irrespectueux pour le macchab, que nous sommes en pleine faute professionnelle, en plein écart avec la déontologie ; un pied dans la honte et l’autre dans le travail. Pas du tout ! Nous nous libérons !

Je voudrais vous y voir.


Le plus souvent possible, vous fuyez cette tâche, pourtant très humaine, de servir une dernière fois celui que pourtant vous regrettez tellement. Vous faites un tour dans le couloir. Alors, s’il vous plaît, laissez-nous rire pour que nous sachions bien de quel côté est la vie et demandez aux pouvoirs publics d’augmenter nos salaires de misère. Nous ne sommes pas des stars de la finance, notre valeur n’est pas cotée à Wall-Street, mais comment toute notre société pourrait-elle fonctionner sans nous, sans le droit aux soins, sans votre droit aux soins ?


Je digresse, je digresse. Revenons à 4 h 40 autour du lit 440, service de pneumo du CHR.


Babou et moi faisons la toilette de la morte. On lave le corps pour chasser les mauvaises petites odeurs, on l’habille avec ses plus jolis vêtements, on ferme les yeux puis la mâchoire avec un truc fait idoine. On pomponne un peu.

Ou pas.

Nous sommes l’une en face de l’autre, de part et d’autre du lit. Penchées en avant pour mobiliser le corps. Vue obligatoire dans les profondeurs de la blouse de la consœur. Les gestes se sont faits automatiques, l’esprit est ailleurs en train de chercher un peu de joie de vivre comme un noyé se débat pour encore une goulée d’air.

Nous n’avons plus beaucoup de ressource pour supporter cette situation.

Et la fatigue…


Si c’était la rigolade au troisième mort, le quatrième nous a vidées de notre joie de vivre.


Dans notre position, la bouche de Babou est à dix centimètres de la mienne.

Dans mon marasme émotionnel, surgit comme une pulsion. Je tourne la tête et dépose un doux baiser sur la bouche de Babou. Comme ça, sans réfléchir ! Juste une envie de sensualité et de chaleur pour me raccrocher à la vie.

La douceur de ses lèvres me surprend. C’est bien la première fois que je baise une femme…

Je ne goûte que les hommes et le plus souvent à moustaches.

Que c’est soyeux et tendre. Doux comme un prépuce

C’est exactement ce qu’il me faut.


Un sursaut de conscience me rappelle que je suis au travail, que je suis hétéro, que je lave une femme morte, que j’ai honte, que je fais n’importe quoi, que je suis en train de casser tout mon monde, ma réputation et la confiance de Babou.

Moi homo ? Mais d’où ça sort ? Mais qu’est-ce que j’ai fait ?

Je regarde Babou avec culpabilité. Son sourire me décontenance complètement. Je ne comprends plus rien. Je dois être rouge pivoine et ridicule avec un gant de toilette humide à la main. Je me fais l’image d’une conne atroce. J’en pleure.


C’est ma Babou qui me sauve en lâchant la morte (splong, le sommier couine) pour m’attraper la nuque et me rouler un patin goulu. Au début de l’aventure, je serre un peu les dents. Sa langue rentre quand même dans ma bouche et le bonheur revient comme un instant avant. Je me repais de cette volupté comme un enfant tète sa mère.


Petit à petit, nous reprenons le pas sur les émotions. Nos lèvres se quittent lentement et nos regards se suivent.


La morte n’a pas bougé. Je pense à elle et à toutes les histoires que nous nous racontons entre infirmières de nuit, au sujet de l’instant transitoire, le passage de la vie à l’inconnu ; la mort, c’est ou ce n’est pas le néant ? Et si, comme dans les films, cette femme nous observait désincarnée d’un coin de la chambre ? Que penserait-elle de nous ? De notre geste ?

Ça, ça va être coton à savoir. Je ferme la radio délire.


On termine le boulot presque en sifflotant. Nos regards s’évitent toujours jusqu’à notre départ. Le professionnel reprend le dessus. L’arrivée des collègues de jour et le récit non exhaustif de notre nuit, nous permet de reprendre contenance,


Je rentre à la maison. Petit déjeuner vite fait, bises aux gamins qui dorment et je retrouve mon mari en pleine forme triomphante sous la couette. J’aspire sa belle queue un moment puis il me prend en levrette comme un bûcheron avec son manche qui me pilonne le fond du vagin. Je m’endors après l’orgasme hétérosexuel vite fait de 8 h 10.


14 h 15. Je suis éveillée sous la couette et je pense à cette nuit et à Babou. Confusion des sentiments dont je ne sais quoi penser. Qui suis-je ? Moi homo ? J’aime Babou ? J’aime le sexe ? Ça au moins, c’est certain, mais le sexe des femmes ? Un sexe comme le mien ! Et puis, toucher des seins ! Et une foune !

Vu l’effet que cela me fait de penser à tout cela, je dois bien me rendre compte que oui, j’en ai envie. L’humidité de ma vulve chasse toute controverse. La vérité est là, entre mes cuisses


Je me décide à me lever pour appeler Babou quand le téléphone sonne. C’est elle, elle vient me voir pour que l’on parle sérieux. J’ai soudain envie d’elle. Complètement envie d’elle.

Je la laisse entrer sans dire quoi que ce soit. Elle s’installe sur le canapé comme à son habitude. Elle aussi se tait. Mon empathie pour elle m’aide à prendre la parole. Je lui dis que j’ai beaucoup aimé sa tendresse cette nuit, qu’elle m’a fait du bien, que je me sens bien maintenant, même si pour moi c’est la toute première fois que je goûte le baiser d’une femme.


Babou me répond qu’elle aime aussi les femmes, et depuis longtemps. Qu’en fait, elle aime l’amour, faire l’amour, qu’elle m’aime sagement depuis longtemps. Que je suis sa représentation de l’amour, qu’elle n’aime pas ranger les gens dans des casiers et qu’elle se fout d’hétérosexualité, de mono, de bi, de tri-sexualité, qu’elle ne fait l’amour qu’avec des Personnes. Peu importe si cette Personne est femme ou homme, que c’est l’être qui anime ce corps qui l’intéresse. Qu’elle trouve mon être beau pour des raisons que nous verrons plus tard.


J’écoute son débriefing complet, et, sagement complice, je la prends dans mes bras. Nous restons sans bouger l’une contre l’autre. J’aime la sensation de ses seins contre les miens à travers l’étoffe de nos vêtements.

J’aime l’odeur de ses cheveux.

J’aime la toucher.

J’aime que mes mains, comme des luges dévalent ses creux et remontent ses bosses.


Je goûte ces instants incroyables comme je dégusterais un bon vin en cherchant toutes les saveurs subtiles de sa robe, les fragrances de son décolleté, ses odeurs qui viennent de loin, pour en cerner les complexités, les mémoriser au maximum pour m’en souvenir très longtemps.


Le plus longtemps possible pour ma petite mémoire.


J’aime cette douceur, ce contact moins musculeux qu’avec un homme où il semble si facile de deviner ses envies. Ce sont les miennes.


Le plus fort possible pour enrichir

ma bibliothèque de sentiments.


J’aime l’amour.


Pour quand je serais vieille.



Nous nous sommes donnée une journée avant de forniquer.

Pas connes…

Pour bien faire l’amour avec le maximum de tension dans le désir de l’autre.