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Temps de lecture estimé : 10 mn
21/10/10
Résumé:  Merci Marquis !
Critères:  fh bizarre telnet revede sm fouetfesse humour -fsoumisah -internet
Auteur : Lily-C      Envoi mini-message
L'heure juste



Justine est un pseudonyme, je n’ai pas choisi Simone ni Yvonne, mais j’ai hésité avec Mademoiselle, Princesse, Coquine et Poupée. Un pseudonyme a toujours un sens, son choix est déterminant sur de nombreux éléments. Il révèle une identité secrète qu’on désire réaliser, un souhait inavoué.


Une Justine s’imagine toujours être unique tandis qu’en réalité elle ne fait que perpétrer banalement ce pour quoi une Justine est destinée: un destin tissé de rêves, d’amour et d’alchimie, un truc un peu flou, totalement fou, qui oscillerait entre romantisme et jubilatoire abandon, entre obéissance et tendre dévotion. Passionnelle, elle n’aspire qu’à trouver le point de fusion dans les bras d’un « Monsieur » ou d’un « Maître », qu’importe le titre s’il sait la délivrer de ses attentes et la plonger dans les troublants délices insoupçonnées des chemins de l’Obéissance.


Vaste programme, n’est-ce-pas ?


Ce qu’elle ne sait pas encore à l’heure de son pauvre et pathétique baptême et à l’aune de sa vie nouvelle, c’est que toute graine plantée dans la virtualité n’est pas vouée à germer.



Je trouve que « Marquis » est plus original que « Monsieur » ou « Maître », quoiqu’en fait pas vraiment, mais bon tant pis ! Une Justine, de toute manière, manque toujours un peu d’imagination, et puis parce qu’il en va ainsi dans sa vie, une Justine cherche son Marquis, ni plus ni moins.


En bonne Justine, je me suis donc promis de chercher jusqu’à Le trouver, afin d’accomplir ma nouvelle nature, ce que je m’applique à faire dans les méandres de l’immense toile. J’ai dû passer un temps dément avec la hotline pour régler le réseau, et j’ai dû apprendre le langage barbare des machines reliées entre elles, le mythique oueb-oueb-ouord que les initiés abrègent pompeusement en w.w.w.


Une invention diabolique mais rudement pratique, il faut bien le reconnaître !


Devant l’ampleur de la tâche et le peu de temps dont je dispose, mon espoir fait rapidement peau de chagrin dans cette quête toute graalesque qui rime, il faut bien l’avouer, avec grotesque. Sic !


Le ridicule ne tuant pas, paraît-il, je persévère ! Finalement je découvre un gisement de marquis à ciel ouvert, une véritable mine de perles de sagesse, tout cela m’en apprend beaucoup sur les marquis en général. J’en croise des centaines, affublés de suffixes divers et variés, souvent colorés : divin, cruel, noir, bleu, rose ou vert et même arc-en-ciel… Aucun d’eux ne possède néanmoins les qualités qu’une brave Justine comme moi recherche.


Haha, me voilà en tout cas Docteur ès Marquis ! Amusant, n’est-ce-pas ?


J’en profite pour mieux cerner mes attentes. Mon marquis à moi devra être tout aussi unique que la Justine que j’incarne, question de pure vanité.



Je passe donc de nombreuses soirées à correspondre, c’est assez amusant tout compte fait.


« Chère Justine, la soumission mentale verra son prolongement dans des séances à dominante sexuelle qui te permettront de concrétiser cet état et le rendre palpable. »


Ah oui ? C’est original assurément, j’en palpe d’avance…



« Justine, tu sembles être une fille compliquée pour ne pas dire chiante, alors ça va mieux en le disant : je ne suis pas un objet de consommation ! »


L’essentiel étant de ne pas dépasser la date de péremption, non ?



«  Belle Justine, je demande un minimum d’intelligence, les personnes ne sachant ce qu’elles veulent : allez voir ailleurs ! »


Tout à fait, d’ailleurs je ne suis déjà plus là, pfiout !



« Cc, h1,80, 87Kg recherche f. soum et sans limite pour son + gd plaisir, je vous fouette bonne journée »


Kikou-lol, nn mrci…



C’est terrifiant, le « SM » est à la mode, c’est le nouvel eldorado de ceux qui s’ennuient au bureau. On en bouffe dans les journaux, dans les publicités, dans le métro, partout, absolument partout ! Ça suinte de tous les sites de rencontres comme la chose la plus branchée à faire avant d’avoir révolu la trentaine.



Bref c’est une catastrophe, le « SM » est tombé dans le domaine public.


Arf, mais comment je vais faire maintenant dans tout ce merdier pour trouver celui qui saura faire de moi une Justine radieuse et épanouie, qui saura réclamer avec humilité et déférence ses coups de fouets dans une tenue olé-olé, sans oublier de mouiller avec abondance afin de réclamer bombance ? Comment hein ?



Mais voilà qu’un jour de chance, je l’aperçois. Ha ! Je suis tout excitée !


Il se pourrait que ça soit le bon, mais malgré le peu de temps dont je dispose, je préfère opter pour une approche discrète et prudente. Après toutes ces bouteilles à la mer jetées en vain, je ne voudrais pas me précipiter et risquer la déception.


Je découvre donc qu’il tient un blog. C’est très actuel ça, de tenir un blog, et surtout très pratique ; toutes les Justine y accourent pour s’y faire remarquer, chacune la bouche en cœur à qui mieux mieux, frétillantes des feux arrière, dans la section des commentaires.


Le marquis blogueur aime se (la) raconter dans des récits qui le mettent en valeur, dans des histoires toujours vécues – qui oserait en douter ? et qui laissent la lectrice femelle dans un état d’adoration tel que le marquis blogueur n’a plus qu’un seul geste à faire pour qu’elle devienne sienne. Épatant !


S’il prétends manier les beaux maux (ce qui reste néanmoins à vérifier), l’énergumène est d’évidence passé maître dans l’art de distiller d’obsédantes images d’obéissances, parfaitement sulfureuses, mais toujours savamment enrobées d’un élégant sucre romantique.


Résultat: tout le monde en veut. C’est le buzz!



Je prends le temps de l’observer et de le lire. Je découvre un monstre sentimental, un bourreau des culs, un collectionneur, un croqueur de Justine ! Je suis aux anges, assurément, il est celui que je cherche, je n’ai même aucun doute sur ce sujet. Mieux encore, je suis persuadée que notre rencontre sera unique, qu’il m’offrira le meilleur (et bien sûr surtout le pire) et que notre épitaphe dira : « Ils vécurent malheureux mais eurent beaucoup d’orgasmes ».


En attendant, sans grande originalité, je fais comme toutes les autres ; je rejoins la chorale ambiante qui bêle les louanges de ce Divin Marquis, tâchant de faire mon trou parmi toutes les prétendantes.


L’image manque de charme, la situation aussi.



J’ai de plus en plus l’étrange pressentiment que le temps joue contre moi. Un peu comme si la pierre froide de cette ruine dont je venais de me sortir me rappelait à elle.

Allais-je redevenir poussière si près du but ?

Pas question !

Action !


Les couloirs du w.w.w étant composés de méandres et d’alcôves cachotières où s’épanchent les langues bavardes, il ne m’est donc pas si difficile d’obtenir une adresse où le contacter.

Je m’empresse donc de lui écrire.


« Cher Marquis, j’ai reconnu en vous l’Élu de mon cul.

Aussi je souhaite vous rencontrer.

Si vous acceptez, cessez votre numéro de séduction de masse que vous tenez chaque soir sur votre blog. Si vous refusez, je disparaîtrai mais cela sera votre éternel regret.

Signé : la vraie Justine, peut-être la vôtre.

Ps : j’ai vraiment un super cul »



Le post-scriptum manque de délicatesse, je l’avoue, mais il est sûrement pour une grande part dans la diligence de la réponse, car aussitôt nous échangeons une courte correspondance dans laquelle il énonce clairement ce qu’il présente comme étant les règles du jeu :


« Justine, les choses sont simples cependant. Soit, tu fais un pas vers moi et cela veut dire que tu acceptes mes conditions sans concession. Soit, tu estimes ne pas être à la hauteur et tu disparais… »


Un jeu ?

Disparaître ?

Mais pour qui se prend-il, ce marquis ?

Je viens du néant de la pierre, et il voudrait m’y renvoyer… Connard va !



Incapable de reconnaître sa vraie Justine, il ne serait en prime pas même fichu de me proposer autre chose qu’un pâle ersatz du « Lien Authentique et Véritable entre une Justine et son Marquis » dont il se targue pourtant, petit coq de mes deux, à longueur de blog !



Bon soit, un jeu.

Pourquoi pas après tout.

Ne dit-on pas que le jeu est prélude au reste ?


Et puis un jeu où mon séant aurait la primauté, où mon joufflu abandonné serait le jouet de ses envies, je peux difficilement y résister, je suis même rien qu’à y penser au niveau du refuge Vallot de la béatitude (soit très exactement 4362m). Une rencontre est donc avancée. J’accepte toutes ses conditions et je dois maintenant attendre un signe de lui.



C’est paraît-il mon premier acte d’obéissance, et n’en suis pas peu fière. Mais si cela m’a procuré du plaisir les premiers temps, je commence déjà à déchanter tant les orgasmes sont chaque jour qui passe d’intensité et de qualité décroissantes, et cerise sur le cadeau, je suis supposée m’appliquer à dire à chaque palpitation de ma muqueuse vaginale « merci Marquis » !


Quand je tente de m’en plaindre, il rétorque que je devrais m’estimer comblée et en profiter parce que bientôt je n’aurai même plus le droit de jouir sans son autorisation. Idée retorse qui me procure instantanément un plaisir tout aussi retors, sans oublier les « merci Marquis ! ». J’en conclus, pensive et lascive, que le plaisir a ses raisons qu’il vaut mieux ignorer.


Néanmoins l’attente s’installe dans la durée, le bourreau des culs semble fort occupé à bloguer, tandis que moi, je me sens redevenir pierre à chaque nouveau récit publié le mettant en scène avec d’autres Justine, qui invariablement murmurent chacune à leur manière un « merci Marquis ».


Chaque jour qui passe fait disparaître la Justine en moi et sonne l’hallali. Au contact de la multitude, je m’efface comme un programme obsolète, inadéquat.


Puis peu à peu l’indifférence dont il fait preuve à mon égard grignote ce qui me reste d’identité et de corps. Mes yeux se font liquide pour se jeter à la mer, mes bras s’évaporent sans prévenir, mes jambes tricotent un pull, et mon cœur cogne à l’envers.


Seul mon séant, mon charnu, mon fidèle popotin résiste encore.


N’étant plus qu’un cul, je décide donc de m’enhardir. Je connaissais son restaurant préféré, un sordide tripot, à l’angle de deux ruelles, où la cuisine est délicieuse cependant.


Aidée de ma plus belle plume et d’encre noire, je prépare une belle enveloppe rouge calligraphiée à son attention, que je fais déposer à sa table par le vilain de service.


« Cher Marquis,

vous me laissez sans nouvelles, mais l’urgence m’habite.

Je vous donne rendez-vous demain soir à minuit, c’est l’heure juste, au numéro 7 de la rue de l’Étrange. Après il sera trop tard.

signé :

Justine, peut-être la vôtre. »



L’enveloppe est déchirée, ma missive lue.

J’en suis tout émue.



Bien sûr tout cela, le tripot, la lettre, la calligraphie… n’existe nulle part ailleurs que dans le virtuel, mais n’est-ce-pas, à priori, une jolie passerelle vers le réel ?

Toujours est-il que me voilà exaucée. J’aurai eu raison de sa curiosité !


Le lendemain soir, à minuit, nous nous retrouvons dans cette rue de l’Étrange.


Elle serpente, aussi sombre et inquiétante que les méandres de mes attentes, entre les hauts murs d’un ancien cloître.

Des murs bâtis de pierres grises, au goût de poussière, me rappellent un coin oublié de ma mémoire…

D’ailleurs oui, n’est-ce pas « mon » heure ?

Je m’oublie, je suis toute à lui.



Parfum entêtant des lilas à l’abandon.

Il m’épingle au mur, petit papillon.

Ses mots sont pertinents, secs, essentiels.

L’essence et les sens pour une Justine au septième ciel.


(Pfiou ! je fais même des rimes, ce « Marquis » ma muse.)


Jupons troussés, lordose lombaire accentuée, un cul livré… le mien !

Mes mains bien à plat sur ce mur de pierre notable, l’air moins fier à sentir le vent entre mes cuisses écartées, et le con aéré comme il se doit. Je ne tremble pas – bon d’accord, un peu beaucoup en fait, mais ceci est le récit dont je suis le héros !


Une affreuse pensée m’affole : « Et si quelqu’un venait par cette ruelle oubliée ? »


Trop tard !

Une fouettée, ’in fine’… sonore volée, attendue et méritée.


Justine insolente, impatiente, effrontée. Il me qualifie avec tant de bonté que je me confonds en béates gratifications « Oh merci Marquis ! ».


La honte d’être ainsi découverte, le séant fessé dans toute sa nudité, me fait me tortiller, mais je ne dis rien, n’ose point bouger (puisque c’est moi le héros !)

J’aime ses mains qui me travaillent la chair, cadence musicale, maestro.

La brûlure sur ma peau commence à se faire sentir, je gémis, je bouge, je lui parle.



Pas commode le bonhomme !


En tout cas, voilà, c’est fait, je suis une Justine abusée (donc aimée ?) par un marquis. Il me semble raisonnable, à ce stade de notre folle et passionnante étreinte, de vérifier si mon choix était bel et bien avisé… Sauf que je n’arrive plus à penser, mon cerveau aussi s’est évaporé.



Pour gagner des millimètres sur cet étalage intime, sur cette impudeur imposée, je resserre mes cuisses imperceptiblement.

Peine perdue, il double mon écartement, puis reprend la fessée. Le visage collé à la pierre, ma position est ridicule, j’ai connu mieux, pourtant je sens un plaisir inédit me tiédir la nébuleuse.


Au moins n’ai-je pas le fait le voyage pour rien.



Il décide de fouiller mes chairs. Il me visite, m’inspecte, je suis son jouet. Je voudrais tant lui parler, lui balbutier mon plaisir, mon ivresse… Il ne veut rien entendre.



J’obéis, son sexe honore ma bouche, baise ma gorge, ses mains tiennent ma tête, il me laisse sucer sa chair. Je ne suis qu’une bouche offerte…



Un clocher sonne l’heure.

L’heure juste est passée.


Dans cette rue de l’étrange, entre les hauts murs d’un ancien cloître.

Entre ces murs bâtis de pierres grises, au goût de poussière, je m’évapore, et transparente, je n’existe déjà plus.


J’appartiens à la pierre, à ces hauts murs. J’ai été engloutie.

De la poussière emmure ma bouche, scelle mes cris.


Je me débat sans parvenir à autre chose qu’à m’enfoncer un peu plus dans le gris. Je comprends qu’il n’y aura jamais avec lui le piment de ces chemins de traverses qu’on franchit allègre main dans « sa » main et le cœur serein.


Est-ce donc ainsi que meurt une Justine ?



Un homme s’avance, il marche dans ma direction sans me voir, je le reconnais car il porte dans la poche avant gauche de son cardigan rayé cette enveloppe rouge, celle que j’ai calligraphiée pour lui.

Il marche, il ne fait que passer et disparaît à l’angle de la nuit.


Simple ombre du passé, Justine a-t-elle seulement existé ?


Une enveloppe rouge gît au sol. Jamais décachetée.

Une signature…


« Justine, peut-être la vôtre »



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« Session time out »