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26/01/11
Résumé:  Anno MMCXII. J'avais découvert un vieux manuscrit assez étrange dans le recoin d'un grenier...
Critères:  fh collection sm attache fantastiqu -fantastiq
Auteur : Patrik  (Carpe Diem Diemque)            Envoi mini-message
Luuzuu



Anno MMCXII



J’avais découvert un vieux manuscrit assez étrange dans le recoin d’un grenier, des pages jaunies et manuscrites, avec des dessins insolites. Une sorte de traduction d’un autre ouvrage, quoique parfois, je me demande s’il ne s’agissait pas d’une compilation. Par certains côtés, en le lisant, j’ai songé au Nécronomicon, le livre des noms morts, celui de l’Arabe fou dont je n’avais plus souvenir du nom. Parfois, il y avait des passages en latin, d’autres en grec, et même en syriaque, ce que j’ai fini par savoir à force de recherches.


Ce sont surtout les passages en syriaque qui furent les plus prometteurs. Le rédacteur du manuscrit ne semblait pas en avoir saisi tout le sens profond, il se contentait souvent de recopier ses sources avec un mince commentaire en dessous. Son ouvrage était bon, oui, mais il manquait la clef.



J’ai mis du temps à trouver cette clef, d’autres ont gaspillé leur vie entière pour échouer. Moi, j’ai eu la chance d’avoir Internet à l’époque et surtout ses moteurs de recherche. La solution était éparpillée sur le web. En regroupant à droite puis à gauche, en appliquant les méthodes du manuscrit et surtout en comprenant la clef, j’ai pu mettre en application…


L’astuce était finalement simple : du ternaire. Oui, de la base trois mais pas avec zéro, un et deux. Non, plus subtil : moins un, zéro et plus un. Ce qui complique à prime vue les choses, mais qui se révèle si pratique. Le panthéon était entièrement basé sur ce mécanisme : un principe positif, un autre négatif et enfin un aspect neutre. Pas la dualité classique du bien et du mal, pas vraiment le Trimurti, celle des Hindous avec la création, symbolisée par Brahmâ, la continuité par Vishnu, et enfin la destruction, représentée par Shiva. Non, autre chose de plus profond et différent. Trois symboles de base, agencés en un cube, ce qui donne vingt-sept combinaisons, avatars d’une même source : Luuzuu, le zéro central, celui du centre du cube.



La meilleure façon de comprendre ce panthéon, cette cosmogonie reste encore un Rubik’s cube dont les six faces pivotent, idem pour les 3 tranches centrales…


Luuzuu était la finalité de tout ça. Le nom sacré. Au début, j’étais sceptique, mais comme mon travail indiquait des méthodes, des procédures, des incantations, j’ai décidé d’essayer les moins coûteuses. Car le culte Luuzuu est exigeant ! Le prix grimpe de façon exorbitante, mais le résultat est là !


J’ai essayé et j’ai eu à chaque fois un résultat conforme à ce qui était prévu. Ce jour-là, celui du premier essai, j’ai eu la plus grosse frayeur de ma vie, la plus grosse sueur froide quand j’ai réalisé tout ce que ça signifiait, tout ce que ça impliquait : tout le monde était dans l’erreur depuis la nuit des temps, tous ces milliards d’êtres humains qui poursuivaient des ombres. Platon et sa caverne…


Le monde s’écroulait autour de moi, un instant, j’ai bien cru devoir me suicider, tant que ce fut lourd à supporter. Je ne saurais pas bien trouver une image adéquate, sauf peut-être celle-ci : vous souvenez-vous de la série StarGate ? Oui, celle qu’ils ont remise au goût du jour, la troisième version. Mettez-vous un peu à la place des populations quand elles découvrent que les dieux qu’elles adorent depuis les confins des temps ne sont que des vulgaires parasites incrustés dans des corps humains, bénéficiant d’une technologie qu’ils ont piquée à d’autres ?


Par contre moi, j’abandonnais de vains dieux pour d’autres, nettement plus efficaces mais terriblement exigeants !



Lavoisier disait que rien ne se perdait, tout se transformait. Ou un truc comme ça. Pour mon cas, la moindre incantation se paye au prix fort. Une thaumaturgie dûment tarifée, pire que le moindre conseil d’un avocat américain superstar, ou que Michael Jackson IV pour un bref coucou dans une boum…


Moi, je fais comme les banquiers : j’utilise l’argent des autres pour me faire mon bénéfice que je fais payer le triple du double aux autres. Plus la manœuvre est méritoire, plus ça rapporte ! Du style : donnez-moi votre montre que je vous donne l’heure !



Moi, je vis bien, j’évite d’être trop ostensible, même le fisc n’a rien vu, pas encore. Il est vrai que je déménage souvent. Néanmoins, je vis très bien, j’ai tout ce que je veux, je le paye simplement du sang des autres.


Et surtout de leurs âmes…


Mais comme la plupart de mes « comptes en banque » n’ont cure de leur âme, à laquelle, d’ailleurs, ils ne croient pas, tout va bien. Par contre, j’aimerais bien voir leur tête quand ils découvrent qu’ils se sont damnés pour l’éternité… sans espoir de rémission… rien…


Et quand je dis « damné », c’est un euphémisme… les plus grands massacreurs de l’humanité ne sont que des bébés adorables face à l’humeur la mieux disposée du meilleur des avatars de Luuzuu…



Notre terre, notre galaxie, notre univers n’est qu’un grain de sable… Se soucie-t-on d’un grain de sable ?


L’écrivain américain Lovecraft semble avoir eu des fragments de connaissance sur Luuzuu, mais il a déguisé la réalité en mythe littéraire. Il a travesti les faits, enjolivé pas mal de choses tout en les édulcorant très fortement. Sa mythologie tenait debout, elle était cohérente d’un bout à l’autre, avec juste ce qu’il faut d’ombre et de lumière. Forcément, il avait singé le réel système du monde !


Un instant, j’ai songé à mettre en place une secte d’adorateurs ; de toute façon, j’aurais toujours trouvé des adeptes prêts à se sacrifier pour entr’apercevoir Luuzuu ou ses messagers. L’être humain est ainsi fait… Tant pis pour lui ! Parfois, j’y resonge, ce serait bien pratique, tout ce « réservoir » à disposition, sans parler des jeunes femmes… je ne suis pas un homme dans la force de l’âge pour rien ! D’autant que j’ai du temps à revendre !



Que vous y croyiez ou pas, j’ai largement l’âge d’être votre grand-père, même si vous frôlez le siècle d’existence. Si, si ! Vous croyez que j’ai quarante ans ou légèrement plus ? Oh non ! Le triple au bas mot, le quadruple presque. La vie des autres conserve la vôtre pour longtemps !


J’en ai vécu des vies, changé de noms, d’endroits, de femmes, d’enfants même. J’ai fait plusieurs fois le tour du monde, visité à présent tous les pays, y compris ceux qui n’existent plus. La vanité des nationalismes m’amuse toujours autant ! D’avoir vu tous ces crétins hurler de concert le nom de leur nation, tuer au nom de l’intégrité d’un peuple, tout ça pour quoi ? Pour rien, que du sable. Qui se souvient encore des Targenistes, ou des Malapiens du siècle passé ? Franchement, qui ? Et pourtant, que de bruit à cette époque ! Quelques érudits penchés sur leurs galettes brillantes aux anciens formatages complètement obsolètes ? Et encore ! Du temps de ma jeunesse, on m’a parlé d’un Reich de mille ans. Dix ans plus tard et quelques millions de morts, il n’en restait plus rien. Les ennemis d’hier se liguent pour détruire les amis d’antan…


Rien que du sable… sans plus…


Parfois, je me pose des questions. Si j’avais été romain, que penserais-je d’avoir vu cet empire bâti pour des siècles n’être plus rien ? Ne parlons pas de l’Égypte et de ses millénaires. Le Saint-Empire Romain Germanique est devenu quoi ? Tous ces royaumes qu’on croyait éternels ? L’Union des Soviets ? L’Amérique du Nord ? Ces impérialistes aux pieds d’argile qui ont sombré dans la boue.



À bien y réfléchir, seule la Chine est restée éternelle… plus ou moins. Les Chinois ont su allier divers courants entre eux, mais cela au prix du sacrifice de plusieurs générations pour atteindre des lendemains qui chantent… un court instant.


Rien que du sable… sans plus…


Ça va faire un siècle à présent que j’ai mon âge, j’ai vécu des tas de choses, expérimenté presque tout, bref, j’ai bien rempli mon emploi du temps. Je suis lassé de beaucoup de choses, d’idées, de concepts, de visions ; oh oui, de beaucoup ! Sauf une seule : le sexe.


Le sexe et ce qu’on appelle parfois l’amour.


Face à ces Dieux, le sexe reste une immense échappatoire, une façon de se créer un univers dans lequel vous vous sentez si puissant, cette communion, cette sensation de revivre à la fois la création du monde et la fin du monde. Être avec l’autre, contre l’autre, dans l’autre.


Puis le sacrifier à mes divinités pour un peu plus d’années, pour séduire encore et toujours d’autres futures victimes, hommes ou femmes, que j’aimerai à la folie et que j’offrirai au Néant, corps et âme pour qu’il ne reste plus rien de ma faiblesse.




-ooOoo-




Aujourd’hui, je suis dans ma villa du bord de mer, la sixième depuis que j’adore Luuzuu. En général, je reste vingt ans dans la peau d’une personne donnée avant de tout changer pour me rebâtir ailleurs. Et le plus longtemps possible. Néanmoins, il y a environ trente ans de ça, je suis tombé nez à nez avec un de mes beaux-fils alors que j’étais à trois mille kilomètres de chez lui. Sur le coup, j’ai fait semblant de rien, j’ai même réussi à persuader mon ancien parent que, fatalement, toute personne a au moins un sosie quelque part. Et puis, je n’avais plus non plus la même voix ni les mêmes gestes et manies. Pour mon bonheur, il était seul. Nous nous sommes retrouvés peu après devant un verre, et il m’a raconté qui j’étais, il y a trente ans. J’avais déjà oublié certains détails de moi-même. J’ai aussi découvert que j’avais certains tics que je conservais toujours sans m’en apercevoir ; grâce à lui, j’ai rectifié le tir. Il fut facile d’organiser un accident de circulation… J’aurais préféré le sacrifier lui aussi dans les règles de l’art, faisant ainsi d’une pierre deux coups, mais il y avait urgence. Depuis ce jour-là, je dépense beaucoup plus de fluide de vie à modifier mon apparence.


Dehors, la mer est forte, le vent balaye le sable qui voltige partout, s’immisçant dans le moindre recoin. Verre à la main, je regarde ce qu’il reste de nature dans cette villégiature ultra select, le reste du bord de mer ayant ailleurs disparu depuis longtemps sous le béton et l’acier. D’ailleurs, qui oserait encore mettre un orteil dans cette mer digne du pire des cloaques ? Même les crabes ont disparu…


Derrière moi, ma nouvelle compagne, Ophélia, une belle brune de trente ans aux longs cheveux qui tombent en cascade sur ses reins. Une rebelle par ces temps qui courent de crânes quasiment rasés de près ! Cette femme m’amuse beaucoup, elle me rappelle mon arrière grand-mère, celle que j’ai eu la chance de connaître, tout au moins les photos que j’ai pu voir d’elle quand elle était une jeune fille, juste avant son mariage. Un sacré bout de femme ! Comme mon actuelle compagne.



La montagne, ses neiges, ses glaciers… Enfin, la montagne d’avant… Car avec le réchauffement climatique et ses actuels treize degrés de plus en moyenne, les neiges éternelles ont fini par mourir.


Les plus riches ont fini par squatter les pentes montagneuses : encore un peu d’air frais, sans trop de composés chimiques dedans. Et encore quelques forêts sous très haute surveillance : celui qui coupe un arbre se voit couper la tête, la peine de mort ayant été rétablie depuis longtemps pour purger les prisons…



Je bois mon verre. Je le pose sur la table basse lumineuse. Elle me tourne le dos, regardant la mer. Moi, j’admire son dos nu à travers les lanières de tissu de son étrange robe. Elle soupire :



Et d’un bond, je me lève et je la prends dans mes bras ; elle rit. Je l’embrasse dans le cou, elle ronronne. J’ai beau avoir des dizaines d’années de pratique, je ne me lasse toujours pas de faire l’amour, surtout aux femmes.


Faire l’amour aux femmes est une activité dont je ne me lasse pas. Toujours en mouvement, des modes qui passent, toujours cycliques. Une période, on adore les toisons fournies, une autre, on vénère les pubis glabres, une autre, on cherche le juste milieu… Seins à l’air et seins cachés, seins en pointe, seins aplatis, seins ronds, seins minuscules ; tatouage, scarification, piercing, sangle, tout y passe, à trente ou cinquante ans de distance. Rien de nouveau dans ce perpétuel changement de façade.


La robe d’Ophélia est une invitation au crime ; d’ailleurs, elle a « oublié » de mettre une petite culotte, enfin, ce qui en tient actuellement le rôle. Mes mains sur ses fesses caressent sa peau toute tendre, mes doigts s’aventurent dans son sillon, plus bas, à l’orée de sa fente déjà humide, de ses lèvres lisses, l’épilation étant à nouveau à la mode. Une épilation presque définitive, elle dure facilement une bonne année, histoire d’attendre que la mode change à nouveau.


Son corps coule contre le mien. Sa jeunesse revitalise ma vieillesse, je me sens revivre avec elle, beaucoup plus qu’avec bien d’autres femmes. Que j’ai sacrifiées sans remords. Elle, je ne saurais bien dire, je pense que, quand le moment sera venu, j’aurais de la peine. Mais en attendant, je bois ses lèvres, je caresse son corps, je prends ses trente ans, avant de prendre plus tard son âme.



L’instant d’après, nous nous retrouvons sur le grand lit, sa robe jonche le sol. J’aurais aimé la lui enlever, mais Ophélia a été plus rapide que moi. Sa bouche est brûlante, son corps est comme de la lave en fusion, j’ai hâte d’être en elle.


Parfois, je me demande comment une jeune femme comme elle peut être aussi expérimentée dans l’art de l’amour et du sexe. Pour moi, vu mon âge, Ophélia est une gamine. Mais c’est vrai qu’elle a déjà trente ans, et que moi-même, à son âge, j’en connaissais déjà un rayon sur la chose. Trente ans, ça me semble si lointain… À présent, les femmes de vingt ans n’ignorent rien des pratiques sexuelles, même les plus saugrenues, tant il y en a partout, sur les murs, les écrans. Pour vendre n’importe quoi, les publicitaires de ce siècle en rajoutent une couche dans la surenchère. Hommes et femmes, peu importe, du moment qu’il y ait du sexe, un zeste de perversité, de sadisme même…


Elle embrasse divinement bien, elle m’embrase totalement ! Ophélia est parfaite, aussi bien dans ses élans que dans ses désirs troubles. Son corps magnifique sous mes doigts, ses seins durs sous ma bouche, ses tétons érigés sous ma langue, tout en elle me fait revivre ce temps jadis où j’avais vraiment mon âge, celui d’avant Luuzuu. Oui, ça serait stupide de la sacrifier… mais quelle offrande de choix ! Certainement la plus splendide de mon existence !


Elle se relève, m’abandonnant sur le lit. Elle ouvre la petite boîte qui était à son chevet ; je sais ce qu’elle veut. Sans me regarder, calmement, elle commence la mise en place.


C’est l’heure des lames. Autour du lit, aux six endroits stratégiques, six lames de différentes formes. Chacune d’entre elles possède sa fonction. Il y a vingt ans de ça – non – trente ans de cela, j’avais trouvé cette pratique stupide, elle était d’ailleurs confinée à des cercles très restreints. Quelque part, ça me fait songer aux pratiques sexuelles dévoilées dans les films pornos de mon époque, elles sont devenues petit à petit communes et usuelles, peu après. Maintenant, les lames, j’avoue que j’en suis adepte, d’autant que ça évoque irrésistiblement les sacrifices rituels que je dédie à mon dieu…


Déjà, Ophélia s’empare de la première lame, la plus petite, elle trace dans l’air des arabesques élégantes, puis d’un geste preste, elle me coupe une fine mèche de poils pubiens qu’elle laisse négligeant sombrer sur mon ventre en pluie. Du bout du couteau, elle les répartit en triangle pointé vers le bas. Le message est clair et net.


Alors, je prends à mon tour la seconde lame, la petite triangulaire, pour continuer ce jeu sexuel avec elle. Elle veut du spectacle, je ferai dans la surenchère. Je trace alors avec ses cheveux coupés, un double triangle, une étoile de David. Elle frissonne, la nuit ne fait que commencer…


Faire l’amour avec des lames, c’est comme jouer avec le feu : c’est excitant à souhait, mais on peut s’y brûler cruellement. On ne compte plus les débutants qui ont mal fini, une fausse manœuvre étant si vite arrivée. Il est vrai aussi que c’est une façon efficace et très souvent impunie de se débarrasser de son partenaire : il suffit d’être maladroit…


Moi, j’aurais pu prétexter ce genre d’arguments, mais je suis trop pointilleux sur le rituel dédié à Luuzuu, d’autant qu’il participe pour beaucoup à l’efficacité finale. Et puis, cette messe dans laquelle je suis à la fois prêtre et public me chavire, me ravive à chaque fois. C’est d’une beauté à couper le souffle, ces lueurs blafardes, ce sang qui coule, ces chairs éventrées, lacérées, la vie qui fuit doucement, mortellement, cette douleur effroyable qui remplit la pièce, voir cet être humain glisser dans le néant, celui de son corps, celui de son âme, un Te Deum splendide, magnifique, céleste !


Prendre toute sa vie pour l’ajouter à la sienne.



Je me dégage brusquement de son étreinte, je lance ma main vers la lame courbe. Je soupèse le métal argenté entre mes doigts, puis d’un bond, je me presse sur Ophélia, le tranchant à un doigt de sa gorge délicate :



Elle repousse mon bras, puis elle m’embrasse goulûment, sans retenue. J’aime sa façon d’être. Décidément, je sens que je vais avoir beaucoup de mal à la sacrifier… J’incline de plus en plus à la ranger dans mon camp. Mais ce n’est pas le thème du moment, je savoure ses lèvres et sa langue.


Nous utiliserons les six lames à tour de rôle, et ce, sur six cycles… La totale, au-delà de ce que j’aurais cru un jour pratiquer… cette femme est décidément extraordinaire !



Ophélia dort dans son coin ; moi, les bras en croix, je regarde le plafond. Les draps sont ensanglantés, l’odeur pesante et enivrante. Drôle d’époque ! Je me propulse en arrière dans le temps, il y a plus d’un siècle de cela, je songe à mes premières amours d’adulte : c’était quand même nettement plus « calme » ! Toujours cette volonté d’aller plus loin, en connaître encore plus et de dépasser, coûte que coûte, les expériences des générations passées. Avec les nouvelles technologies, ça cicatrise sans laisser de trace simplement en appliquant une crème translucide puis en posant dessus l’appareil adéquat. Quant au sang perdu, une simple pilule y remédie. Après les lames, je me demande bien quelle sera la nouvelle lubie. Bah, je verrai, j’ai le temps pour moi ! Sur cette rassurante constatation, mes yeux deviennent lourds, puis je m’endors.



-ooOoo-




D’autres jours et surtout d’autres nuits. Je crois que petit à petit, je redécouvre la vie et ses bons côtés. Surtout avec Ophélia, très inventive !


Je me laisse aller, les années passées deviennent lointaines ; nous sortons, nous voyageons, nous découvrons le monde. Je suis heureux, j’adore le goût des lèvres de celle que j’aime, je vénère les courbes de son corps, je me délecte d’aller me noyer dans ses yeux.


Je vis les jours, et j’explose les nuits…


Tout n’est qu’un éternel recommencement. Vers la fin de ce qui aurait dû être ma vie, le SM était devenu classique, la sodomie, éculée. Puis le romantisme à l’eau de rose était revenu, avec son cortège de sentiments nobles, puis doucement, insensiblement, tout avait une fois de plus glissé vers le hard, même aussi dans les orgies enchevêtrées. Avec à chaque fois, l’illusion de se libérer des carcans des décennies précédentes, avec juste comme nouveauté, la technologie en plus, et souvent, beaucoup de virtuel.


Un éternel recommencement…


Je suis à présent attaché au lit, je me demande bien ce que peut avoir en tête mon Ophélia, mais comme je ne déteste pas les surprises… Elle dispose des bougies sur le sol, ça met une belle ambiance dans la chambre. Elle se déplace avec aisance et grâce ; elle est très ravissante. Je suis heureux d’avoir fait sa connaissance ; elle est mon rayon de soleil dans le crépuscule que sont mes innombrables années de vie.


Je la vois disparaître derrière moi ; peu après, une odeur remplit la pièce : de l’encens. Celui-ci me rappelle quelque chose, mais je ne me souviens plus très bien quoi. Ce n’est pas grave, profitons du moment. Je contemple les ombres qui dansent sur le plafond blanc, elles y dessinent des formes vagues, indécises dans lesquelles on entrevoit des images, des choses, des animaux.


Je sens son parfum à côté de moi, je tourne la tête : Ophélie est merveilleuse dans cette longue robe blanche, ses cheveux épars dans lesquels flottent quelques rubans multicolores. Elle a en main un petit coffret très ancien, étrangement sculpté. Elle sourit, elle me sourit ; elle est belle, très belle !



Je ne peux m’empêcher de répondre en chantonnant, un souvenir de jeunesse :



Elle vient se placer un peu plus sur le côté, elle pose son coffret sur la commode. Elle me regarde toujours en souriant :



Elle me tourne le dos, elle ouvre le coffret ouvragé, puis elle me regarde, de profil :



Je fronce des sourcils, quelque chose me dit que ce n’est pas très bon, ce qui arrive.



Là, je commence sérieusement à m’inquiéter ! Ma gorge s’assèche, je réponds :



Dans sa main, un poignard étrange, ressemblant curieusement à celui que j’utilise…



J’oublie que je suis attaché, j’essaye de me redresser, ça ne doit pas se passer comme ça, c’est moi qui devrais mener la danse, pas elle :



Maintenant, je commence sérieusement à baliser, je me refuse à admettre la suite. Avec un sourire angélique, Ophélia s’approche de moi. Elle me caresse les cheveux. Étrangement, ça me calme, malgré ma situation peu enviable.



Presque malgré moi, fasciné, je demande :



Elle regarde le plafond, elle commence ses incantations, elle les récite à une vitesse folle, sans erreur, j’en suis admiratif. Là-haut, les ombres changent, se mutent en spirale comme pour ménager une ouverture. Je sais très bien ce qui va survenir à présent. Je sais aussi que ça ne va pas être une partie de plaisir, car tout a un prix qu’on paye tôt ou tard.

J’ai fait en effet une erreur, j’aurais dû mieux comprendre les choses. Luuzuu ne fera rien pour moi, je ne suis pas en mesure de lui soumettre la moindre requête. De plus, je constate bien qu’Ophélia m’est largement supérieure dans ce domaine. Je me croyais au sommet, j’étais tout juste au-dessus des autres. Je me demande quel prix payera Ophélia, si elle en paye un, un jour…


Une dernière demande avant que s’ouvre pour l’éternité mon enfer :



Elle me sourit, me regarde d’un air un peu navré :



Elle se penche sur moi, m’embrasse sur le front comme pour un enfant.



Ça me fait songer que je n’ai toujours pas dit mon nom… De toute façon, qu’est-ce que ça peut faire ? Là où je vais, les noms, les étiquettes n’ont aucune signification…