Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 14295Fiche technique71351 caractères71351
13385
Temps de lecture estimé : 54 mn
24/02/11
corrigé 12/06/21
Résumé:  Nicolas est amoureux de Marianne, mais ne sait pas comment la séduire. Pour son malheur, son meilleur ami décide de lui prêter main forte...
Critères:  fête amour chantage dispute humour policier -théâtre -amouroman -regrets
Auteur : Hidden Side      Envoi mini-message

Concours : Concours "Pièce de théâtre"
Lendemains de fêtes

Acte I, scène 1



Années 80. Une chambre en cité universitaire, dans un campus de Bourgogne.

(Assis à son bureau, un jeune étudiant écrit.)



Nicolas : Merde, merde et remerde ! C’est n’importe quoi ! Lui parler d’épines qui font saigner mon cœur, alors que j’ai dû lui adresser, quoi… trois fois la parole ?


(Il barre le dernier paragraphe et se remet à noircir du papier. On n’entend plus que la pointe du bic crisser sur la feuille. Un moment plus tard, Nicolas se lève et se met à déclamer face au miroir.)


(Regard de braise) : Que vois-je ? Une déesse s’avance. Merveille des merveilles, Marianne, tu es trop belle… Et toi, crétin, t’es trop nul ! Soit plus direct, moins cucul… sinon c’est le râteau d’entrée de jeu !

(Poings sur les hanches, buste en avant) Dès que je t’ai vue, bébé, j’ai su que je te faisais de l’effet. Inutile de nier ! Alors, allons le boire, ce café, et faisons connaissance… Non, ça va pas ! Plus macho que ça, tu meurs !

(L’air désabusé) Marianne, je ne sais pas parler aux filles. D’habitude c’est pas bien grave, je passe mon chemin sans rien dire, voilà tout. Mais là, je ne peux pas. Nous deux, c’est une évidence. Ne pas t’aborder serait un crime, un crime contre l’amour… Mouarf, débile !

(Les épaules tombantes) Marianne, je… Et merde, j’oserai jamais !


(Un étudiant ouvre soudain la porte. Il entre dans la chambre sans y être invité, un sourire jusqu’aux oreilles.)


Fabrice : Mais qu’est-ce tu fous ? Tu répètes pour une pièce de théâtre ou quoi ?


Nicolas : Beuh… c’est à dire, je…


Fabrice : On t’entend à trois chambre d’ici, je te signale !


Nicolas : Ah ? Je ne pensais pas parler si fort. En fait, je…


Fabrice (remarquant la lettre raturée et s’en emparant) : Tiens ! Mais qu’est-ce qu’on a là ?


Nicolas : Attend ! C’est perso !


Fabrice (à haute voix) : Marianne, tu ne sais pas qui je suis. Pas encore, devrais-je dire. Mais moi je sais qui tu es ; une fille sublime et inaccessible, auprès de qui je n’ose pas me déclarer… (Nicolas essaie de lui prendre la feuille, Fabrice le repousse.)… Le coup de la drague à la sortie des cours, on doit te le faire si souvent que je me refuse à me présenter à toi ainsi, en quémandeur de tes faveurs, en bonimenteur de tes charmes. Un de plus, te diras-tu, avant de m’écarter d’un éclair de tes yeux verts… blablabla, blablabla.


Nicolas : Ok, c’est bon ! Rends-moi ça maintenant…


Fabrice : Tiens, la voilà, ta lettre pourrie ! (Il la lui jette à la figure.) T’es vraiment qu’un gros naze !


Nicolas : Merci du compliment…


Fabrice : Attends, mais tu crois quoi ? Qu’en lisant ta prose, cette nana va écarter les cuisses et t’ouvrir directement le chemin du bonheur ?


Nicolas : T’es con, toi ! Je serais déjà heureux qu’elle accepte un rendez-vous…


Fabrice : Eh, vieux ! On est plus au XVe siècle, là ! Range ta mandoline ! Ta pouffiasse, si tu veux la niquer autrement qu’en rêve, faut que tu partes à l’assaut la trique à la main !


Nicolas : Belle image… J’imagine le tableau.



(Fabrice époussette le couvre-lit, avant de s’installer.)



Fabrice : Écoute, mettons les choses au point. C’est quoi pour toi, une meuf ?


Nicolas : Une douce compagne, une joue contre la mienne, un sourire à la fois coquin et enjôleur…


Fabrice : Que dalle ! Une meuf, c’est l’équipement de survie de la chatte ! Et basta !


Nicolas : Dis comme ça, effectivement…


Fabrice : Mais ouvre un peu les yeux ! Tu sais où on est, là, dis ? Dans une fac ! Le plus grand terrain de chasse jamais inventé par l’homme ! Et le gibier ! Il demande que ça, le gibier, se faire tirer ! Que tu lui enfonces ton gros pieu dans le cul !


Nicolas : T’exagère pas un peu, non ?


Fabrice : Mais atterris, bon dieu ! Pendant que t’écris tes billets doux à deux balles, dehors c’est la fête du string, la foire d’empoigne, la grande kermesse de la chatte en folie ! Ça jute à tous les étages, et chuis bien placé pour le savoir…


Nicolas : Tant mieux pour toi. Quant à moi, toutes mes pensées vont vers Marianne.


Fabrice : Marianne, Marianne… Elle est bonne à ce point, cette nana ? Décris-là un peu, pour voir ?


Nicolas : Elle est… radieuse, lumineuse, aérienne ! Aucune autre n’existe, elle les éclipse toutes !


Fabrice : Ça on avait compris. Mais ses seins, y sont comment ? Petits, gros, en poire ? Et sa fourche, elle est bien creusée au moins ? Non, parce que c’est important chez une fille, la fourche. Pour pouvoir bien la piner, faut surtout pas que les cuisses se touchent…


Nicolas : Wowh ! Un peu de respect ! Tu parles de la femme de ma vie, là ! Peut-être de la future mère de mes enfants !


Fabrice : Tu me fais rire… Je vais t’dire ; les meufs de notre âge, c’est pas fonder une famille qui les intéresse. Ce qu’elles veulent, c’est de la bite et encore de la bite !


Nicolas : Marianne n’est pas comme ça. Je le sens, je le sais. C’est une rêveuse, une romantique…


Fabrice : Pauvre couillon, mais réveille-toi un peu ! Les nanas adorent la baise, elles sont comme toi et moi ! La différence, c’est qu’elles commencent toujours par faire des tas de chichis, simplement pour ne pas passer pour des salopes…


Nicolas : Ou pour qu’on prenne le temps de leur faire la cour, va savoir ? C’est plus sympa de se connaître un minimum, avant de se rentrer dedans comme des piliers de rugby, non ?


Fabrice : Très drôle ! Mais au final, si on a inventé le flirt, c’est quand même pour en arriver à la bête à deux dos, non ?


Nicolas : Les filles ne sont pas toutes comme ça, quand même ! Je n’ai aucun exemple à citer, mais…


Fabrice : Comment ça, « aucun exemple à citer » ? T’as jamais tiré ton coup, ou quoi ?



(Nicolas laisse planer un silence éloquent.)



Fabrice : Sans déconner ! Je rêve… Ce con est encore puceau ! À 20 ans !


Nicolas : 19…


Fabrice : C’est pas mieux ! Et moi, qui suis là, à discuter belles mécaniques avec une pov’ tâche qu’a jamais soulevé un capot ni enfilé une capote… Mais t’es un vrai handicapé de la vie, toi !


Nicolas : Beuh… Attends ! Je sais parfaitement comment on fait, avec une fille ! Qu’est-ce que tu crois !


Fabrice : Laisse-moi en douter. Normalement ça s’apprend à deux, ce genre de choses.


Nicolas : Et les magazines qu’on ne lit que d’une main ? Ça compte pas ?


Fabrice : Pour le côté théorique, peut-être. Mais pour savoir ce que c’est et comment on s’y prend… Y a qu’un truc, vieux : pratiquer en vrai !


Nicolas : Eh bien moi, ce que je veux, c’est découvrir les joies du sexe avec la fille que j’aimerai vraiment. Conjuguer la force des sentiments à l’extase physique.


Fabrice : Mais tu sais que tu me fais peur, là ?


Nicolas : Hein… ?


Fabrice : T’es vraiment parti pour te vautrer, avec ta Marianne de mes deux. Mais bon, après tout, c’est ton problème…


Nicolas : Attends, pourquoi tu dis ça ?


Fabrice : Si tu comptes passer plus d’une nuit avec elle, t’aurais besoin d’un sérieux cours de baise.


Nicolas : T’es un vrai malade, toi !


Fabrice : Réfléchis deux minutes, Nico. Si cette nana est aussi géniale que tu le dis, tu crois pas qu’elle a déjà fait mumuse avec le loup ?


Nicolas : Ouais, et alors ?


Fabrice : Et alors ? Mais t’auras l’air de quoi, si tu ne sais même pas planter ton manche à couilles !


Nicolas : Ben…


Fabrice : Exactement : d’un sinistre abruti. Le genre « coup-merdique-dont-on-rigole-avec-les-copines ».


Nicolas : Faire l’amour, ça doit pas être bien sorcier, quand même…


Fabrice : Détrompe-toi, mec. La première fois en général, c’est une vraie cata. Tiens, moi par exemple : c’était une ex à mon frère, une vraie bombe sexuelle. Eh ben, j’ai même pas réussi à la lui mettre ! Elle m’excitait trop, j’en perdais mes moyens !


Nicolas : C’est qu’il va finir par me porter la poisse, ce con ! Écoute, si ça se trouve Marianne est vierge, elle aussi.


Fabrice : Et alors ? Tu penses qu’avec le berlingot intact, ce sera plus facile ? Au contraire…


Nicolas : Oh, faut savoir ! Soit elle a trop d’expérience, soit pas assez ! Tu te foutrais pas un peu de ma gueule, par hasard ?


Fabrice : À ton avis, pourquoi les nanas choisissent des mecs comme moi, pour se faire dépuceler ? Parce qu’elles savent très bien qu’un premier coup est un mauvais coup ! Qu’est-ce que tu crois ? Elles aussi, elles discutent entre elles !


Nicolas (défait) : T’es en train de me dire que je suis condamné à échouer, c’est ça ? Merde, mais je suis pas le premier dans cette situation ! Comment y font, les autres ?


Fabrice : T’écoutes vraiment rien… Ta Marianne, là, tu m’en parles comme d’un saint Graal. Réfléchis ; avant de s’inscrire pour les jeux olympiques, tu ne crois pas qu’il faut un minimum d’entraînement ?


Nicolas : Ça veut dire quoi, ça ?


Fabrice : Que si j’étais à ta place, j’irai d’abord tremper ma nouille à droite à gauche avant d’attaquer le mont Everest.


Nicolas : C’est ça, ton conseil ? Sortir avec une nana au hasard, lui faire l’amour sans l’aimer, et une fois la "technique" bien en place, la larguer froidement ? Non, désolé, je peux pas !


Fabrice : Mais il est vraiment con, ce con.


Nicolas : Eh oh ! Dis !


Fabrice (écartant les bras) : Tu veux pas comprendre. Toutes ces meufs sur le campus, là… Maintenant qu’elles sont étudiantes, finis papa-maman ! Enfin libres !


Nicolas : Ouais. Et alors… ?


Fabrice : Laisse-moi te dire un truc : elles savent parfaitement qu’elles n’ont pas toute la vie pour en profiter. Dans quelques années, il va falloir se trouver un job, un mari, pondre une chiée de marmots – qui, soit dit en passant, les emmerderont jusqu’à plus soif. Alors, en attendant de devoir briquer le parquet ou la cuisinière, elles n’ont qu’une envie : s’é-cla-ter !


Nicolas : Oui mais non. Moi je ne pourrais pas. Mon cœur est ailleurs.


Fabrice : Ben sinon, il te reste les putes de la fontaine d’Ouche…


Nicolas : L’amour tarifé ? Très peu pour moi !


Fabrice (soupirant) : Ok ! Moi, ce que j’en dis… Mais quand "ta" Marianne t’aura filé sous le nez avec un lascar, faudra pas venir te plaindre, hein !


Nicolas (soudain inquiet) : Vraiment, tu crois que je devrais le faire ?


Fabrice : Quoi ?


Nicolas : Franchir le cap avec une autre ? Au risque de passer pour un salaud ?


Fabrice : Mais qui te parle de ça ? Marianne et toi, vous n’êtes même pas encore ensemble !


Nicolas : Oui, mais…


Fabrice : Tss, tss ! T’as bien le droit de te faire la main sur une minette ou deux en attendant, non ?


Nicolas : Ah ouais ? Et aux minettes en question, je leur dis quoi, après ?


Fabrice : Affiche la couleur : tu ne cherches pas une aventure sentimentale, tu veux juste tirer ton coup. Comme tu le dis toi-même, t’es DÉJÀ amoureux.


Nicolas : Justement, c’est pire !


Fabrice : Marianne ne le saura même pas. Il te suffit de rester discret…


Nicolas : Et t’en fais quoi, de ma mauvaise conscience ?


Fabrice : Écoute Nico, tu fais chier là ! C’est LA meuf de ta life, oui ou non ?


Nicolas : Ben oui…


Fabrice : Alors fonce ! Y a pas à hésiter !


Nicolas : T’es marrant, toi. Fonce, fonce… Déjà qu’avec une fille qui m’intéresse, j’ai du mal… Tu me vois, toi, abordant une inconnue et lui disant : « Pardon mademoiselle, vous voudriez pas m’aider à perdre mon pucelage, par hasard ? »


Fabrice : Ben pourquoi pas ? Au moins, si ça marche, ça t’enlèverait de la pression. Au propre comme au figuré ! (Il se marre.)


Nicolas : Vas-y, fous-toi de ma gueule !


Fabrice : Mais non, je t’assure. Rien ne vaut une approche directe. Plus c’est énorme, plus les nanas se bidonnent. Parfois, y en a même qui te prennent au mot…


Nicolas : Tu plaisantes là ?


Fabrice : Jamais, quand il est question de drague. Tiens, par exemple : un pote à moi arrive dans une soirée étudiante et branche toutes les nanas, une à une. Tu sais ce qu’il leur sort ?


Nicolas : Ben non, quoi ?


Fabrice : « Toi qui as une bouche à tailler des pipes, tu voudrais pas me sucer ce soir ? »


Nicolas : NON !


Fabrice : Véridique ! Et tu veux savoir le plus dingue ? Il s’est fait sucé, et pas par la plus moche.


Nicolas : Mais elle infâme, ton histoire !


Fabrice : Bof… La fille était consentante, non ? Ce que tu dois surtout retenir, c’est que le culot, ça paye.



(Fabrice regarde sa montre et se lève d’un bond.)



Fabrice : Hé, mais c’est que l’heure tourne ! Je vais louper mon rencard avec la 507, moi.


Nicolas : Ah ! Si le devoir t’appelle…


Fabrice : Désolé Nico, mais faut jamais faire poireauter une jeune fille qu’a le feu au cul.


Nicolas : Je comprends bien. Bon, ben alors, à plus…


Fabrice : Écoute, j’en ai pour une paire d’heure, le temps d’éteindre l’incendie. Après, si tu veux, on peut se faire un tour à la boum de l’IUT Info ?


Nicolas : Heu, chais pas… J’ai partiel demain matin.


Fabrice : Arrête, t’es vraiment trop sérieux ! Un jour, ça te perdra.


Nicolas : Bon… Alors juste le début de soirée, hein ?


Fabrice : No problemo ! Et puis c’est l’endroit idéal pour un plan cul. Y aura plein de nymphos à lunettes !


Nicolas (pour lui-même) : J’arrive pas à croire que je vais faire ça !


Fabrice : Mais si. Tu verras, ça va bien se passer.


Nicolas : Faudrait déjà que j’arrive à décrocher deux mots à une fille…


Fabrice : T’inquiète pas pour ça, je te filerai un coup de main. Entre potes, faut bien s’entraider non ?





Acte I, scène 2



Bien plus tard, dans un lieu de débauche estudiantine…

(La scène est occupée par des bancs et des tables, figurant une salle de bar. Une musique assourdie s’échappe de la piste de danse que l’on devine derrière des portes battantes.

D’un côté de la salle, trois filles : une blonde, une brune, une moche. De l’autre, Fabien et Nicolas.)



Fabrice : Putain, un vrai bide… C’est mort, y a pas une chatte !


Nicolas : Deux heures du mat’, ça fait un peu tard du début de soirée, non ?


Fabrice : J’y peux rien moi, si Sophie a voulu revisiter tout le Kamasutra ! Elle était super chaude, je pouvais pas la planter là comme ça ! Mets-toi à ma place…


Nicolas : Ben si elle est d’accord, j’dis pas non. Ça m’économiserait de la salive.


Fabrice : Woh ! On verra plus tard pour les plans à trois, ok ? N’oublie pas que t’es novice !


Nicolas : Et je sens que je vais le rester encore longtemps… Écoute, Fab’, s’il s’est rien passé dans une heure, je me tire.


Fabrice : Ok, alors « à l’attaque ». Y a pas trop le choix, mais je pense pas que ce sera mieux plus tard…



(Il fixe les trois filles attablées un peu plus loin.)



Fabrice : Tu vois les meufs là-bas ?


Nicolas : Mouais… Z’ont pas l’air de toute première fraîcheur.


Fabrice : On va faire avec, dac’ ? Bon, voilà comment je vois les choses : je neutralise la blonde et la brune, pendant que toi, tu te concentres sur leur copine.


Nicolas : Attends ! Pourquoi je devrais forcément me taper la moche ?


Fabrice : Pour trois raisons. Primo, tu débutes. Il te faut donc une cible abordable.


Nicolas : Abordable ? C’est vite dit, abordable… Dans le noir et avec un sac sur la tête, peut-être !


Fabrice : Hé, Casanova, tu feras la fine bouche plus tard. Vu la différence entre son potentiel de séduction et le tien, elle devrait te tomber toute cuite dans les bras.


Nicolas : Tu parles d’un cadeau ! Faudrait encore que j’arrive à bander.


Fabrice : Bon, secundo ce thon a un coup dans le nez. Le harponner sera d’autant plus facile.


Nicolas : Mais t’es dégueulasse, toi ! Abuser d’une fille ivre, c’est la honte…


Fabrice : T’es marrant ! J’essaie juste de te simplifier la tâche, moi. Et puis en attendant qu’elle dessaoule, t’auras qu’à lui faire du bouche à bouche.


Nicolas : Ah ouais ? Si ça se trouve, elle va me gerber dessus…


Fabrice : T’exagères, elle est pas si bourrée que ça ! Je te trouve quand même un peu dur, là, Nico.


Nicolas : Mais regarde-la un peu ! Elle est avachie sur la table ! Tu vas pas me dire que c’est la fatigue, ça !


Fabrice : Écoute, en ce qui concerne les "coups d’un soir", c’est mieux si l’un des deux partenaires est légèrement imbibé, d’accord ? Dans la majorité des cas, ça rend l’attraction mathé-magique. Bon, je te l’accorde, la phase de réveil peut parfois être pénible à vivre.


Nicolas : Ah… Et le tertio, c’est quoi ?


Fabrice : Y a pas de tertio. J’ai simplement envie de me faire la blonde ET la brune !


Nicolas : Enfoiré va !


Fabrice : Bon, maintenant, partage des tâches : je m’occupe de la phase d’approche pendant que toi, tu vas chercher cinq jenlains. Allez, exécution !


Nicolas : Et merde, t’abuses, là ! C’est déjà moi qui ai payé les entrées !



(Tandis que Fabrice s’avance vers ces demoiselles, Nicolas se rend au bar. Quand il revient avec les bières, les mignonnes l’invitent à s’asseoir avec force gloussements.)



La blonde : Moa, c’est Cindy, elle Patsy, and elle là-bas… Josy.


La brune : Anyway, its nice de offrir à nous a drink. French guys are so generous !


Nicolas (se tournant vers Fabrice) : Qu’est-ce qu’elles disent, là ?


Fabrice : Qu’on est gentils. Soit cool avec les ricaines et souris, tu veux ?



(La moche sort de sa léthargie le temps de s’emparer d’une bière)



La moche : Hi guys ! Thank you, whoever you are…


Nicolas : Et ben ça va pas être simple ! J’entrave rien à ce qu’elle raconte.


Fabrice : N’oublie pas ; une fois la meuf à poil, la barrière de la langue tombe.


La moche : What did he say ?


La blonde : That they wanna fuck us, I guess… Fuck us big big, little sis’ !


La moche : We don’t even know their fuckin’ names ! But, hell, who cares ! Huh !


Fabrice : Là, j’ai pas tout entravé, mais je crois que c’est bien parti. (S’adressant aux filles) Bon… Alors moi, c’est Fabrice. Et lui, c’est Nicolas.


La brune : Nique-la ? This is it ?


La blonde (à la moche) : You won’t believe it, Josy ! His fellow’s name is "Fuck Her"…!


La moche : Hey ! I love this mother fucker !



(Elle enlace Nicolas, lui collant un énorme smack sur la bouche.)



Fabrice : Alors là, Nico, c’est la méga ouverture ! Fonce !


Nicolas : Putain, elle a une haleine de dragon ! Je peux vraiment pas…


Fabrice (aux deux autres filles) : Moi par contre, je veux bien un big kiss.


La blonde et la brune : Sorry, nous… not interested.


Fabrice : Pourquoi ? Vous avez déjà vos mecs en Amérique ? Pas grave, on est pas jaloux nous les français.


La blonde : This one is completely dumb…


La brune : Yeh, I know. Lets have some fun laughin’ at him !


La blonde : Whatever…


La brune : Pitit’ divinet’ pour toi, Brice : tu sais quoi être un boyfreind pour nous ?


Fabrice : Non, dis-moi ?


La brune : Une sextoy… mais avec le parole !



(Les filles éclatent de rire)



Fabrice : Mouais ! Vraiment connes, ces ricaines…


Nicolas : Moi j’aime bien leur humour.


La brune (à la blonde) : Lets show them what we really mean…


La blonde : Here ? In front of everyone ?


La brune : Why not ? We’re in France ! « Vive le liberté ! »



(Se penchant alors l’une vers l’autre, elles s’embrassent à pleine bouche. Un baiser passionné, qui dure, qui dure…)



Fabrice : Waouh, putain ! Il me les faut, ces deux-là ! Il me les faut absolument dans mon lit, dès ce soir !


Nicolas : Parce que tu crois qu’elles ont besoin de toi pour se faire du bien ?


Fabrice : Tais-toi, tu sais pas ce que tu loupes… Y a pas plus vicieux que les lesbiennes !



(Retentit alors dans la boîte LE tube planétaire de Bruce Springsteen. Les filles arrêtent aussitôt de se manger la bouche. Toutes les trois se lèvent et se dirigent vers la piste de danse, en chantant et en frappant dans leurs mains.)



Les filles (à l’unisson) : BOOORN… IN THE USAaay ! I was… BOOORN… IN THE USA !


Fabrice (se levant à son tour) : Viens, on les suit ! Ça va être chaud !


Nicolas : Vas-y, toi. Moi je garde les bières.


Fabrice : Vraiment t’es qu’un pauvre rabat-joie !


Nicolas : C’est ça ! Tant pis pour moi…



(Nicolas sirote sa jenlain, seul dans son coin. Un instant passe, puis les portes battantes s’effacent soudain devant une jeune fille… radieuse, lumineuse, aérienne. Remarquant Nicolas, elle s’avance vers lui.)



Marianne : Tiens ! Nicolas Prud’homme…


Nicolas : Marianne ! (Il se lève et lui fait la bise) Qu’est-ce que tu fais là ?


Marianne : Eh bien, ce qu’on fait d’habitude en boum ; je m’amuse. En tout cas j’essaie. Et toi ?


Nicolas : Oh, moi ? Je suis surtout là pour faire plaisir à un copain. Au fait, t’es seule ?


Marianne : Non, ce soir ma grande sœur me chaperonne. Mais comme son mec est avec nous, je fais tapisserie en attendant qu’ils veuillent bien rentrer… Et toi, tu ne t’es pas encore trouvé de compagnie féminine ?


Nicolas : Beuh… Non ! On est juste là entre potes, en célibataires.


Marianne : Un peu comme moi, alors. Tu m’offres à boire ?


Nicolas : Bien sûr !



(Il décapsule fébrilement une bière et la lui tend. Marianne s’assoit face à lui, souriante.)



Nicolas (plein d’espoir) : C’est sympa de se rencontrer en dehors des cours. Le hasard fait bien les choses, tu trouves pas ?


Marianne : C’est vrai… Même si ça m’étonne de te voir dans ce genre de soirées. Je croyais que tu ne sortais jamais de ta grotte remplie de bouquins ?


Nicolas : Si, si, ça m’arrive. (Silence embarrassé). Dis donc, ça m’épate que tu saches comment je m’appelle ! On ne s’est presque jamais parlé…


Marianne : Ah ! Ah ! Si ça se trouve, je t’observe sans que tu t’en doutes !


Nicolas : Ah oui ? Heureux de savoir que je t’intéresse à ce point…


Marianne : Disons que… tu m’intrigues ! Je ne suis pas la seule à me poser des questions, tu sais. On est toutes là, à se demander quel mystère se dissimule sous tes traits ordinaires.


Nicolas : Aucun mystère, malheureusement. Dans le genre timide, je suis ce qu’on fait de plus commun.


Marianne (d’un air entendu) : La timidité, ça à son charme… un moment. On gagne souvent à se dévoiler, Nicolas, à oser. Penses-y !



(Elle effleure sa main. Rougissant, il ne dit rien et ne répond pas à son geste.)



Marianne : Je te choque, peut-être ? Tu as raison, méfie-toi des filles trop entreprenantes.


Nicolas : Non, non ! Au contraire, j’aime bien !


Marianne : Tiens donc. Voilà que j’en apprends un peu plus sur toi…


Nicolas : Ben oui, ça ne me déplaît pas qu’une fille prenne l’initiative. Moi, par exemple, je n’aurais jamais osé t’inviter à une soirée comme celle-ci.


Marianne : Ah bon ? Pourquoi pas ?


Nicolas : Parce que… tu m’impressionnes ! Tu es tellement belle ! Beaucoup trop pour qu’un garçon comme moi ose s’approcher…



(Marianne porte le goulot à ses lèvres. Ses yeux mutins encouragent Nicolas à poursuivre.)



Nicolas (s’éclaircissant la gorge) : Marianne, je ne sais pas du tout parler aux filles. D’habitude, c’est pas grave, je passe mon chemin sans rien dire. Mais là, je…



(À ce moment précis, deux Américaines surgies de nulle part encadrent Nicolas. S’installant de part et d’autre du jeune français, les deux Barbies, un brin éméchées, frottent leurs gros tétons contre lui en poussant des miaulements de tigresses.)



La blonde : Hey, baaaby ! We’re going to take great care of you…


La brune : Lets go someplace where we can be… tes pitit’ cochonnes !


Fabrice (hilare) : Je leur ai dit que t’étais puceau, et là, paf ! Elles n’ont plus qu’une seule idée en tête : te faire péter le bouchon de champagne ! Il paraît que ça porte bonheur, là-bas…


La blonde et la brune (mimant une masturbation géante) : Oh, Yeah ! Champagne !!!


Fabrice : Eh ben mon salaud, pour une première, tu vas vraiment t’éclater ! Et tout ça grâce à qui, hein ? Non, me remercie pas, c’est pas la peine…



(Bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau, Nicolas est hagard.)



Marianne : Bon. Ben là, je crois que je vais pas être de taille…


Nicolas : Marianne, attends ! Je vais tout t’expliquer !


Marianne : Te fatigue pas. Je vous laisse, toi et tes « amies » ; vous devez avoir plein de choses à vous dire… Allez, Tchao !


Nicolas (à mi-voix) : C’est un cauchemar ! Je vais me réveiller…



(Marianne se lève. D’un bond Fabrice est à ses côtés, en synchronisation parfaite avec les premiers accords d’une longue série de slows sirupeux.)



Fabrice (lui présentant son bras) : Je vous enlève, Princesse ? Pour une heure, une nuit… ou toute une vie, qui sait ?


Marianne : Pourquoi pas ? Après tout, danser me changera peut-être les idées…



(Retrouvant son sourire, Marianne glisse une main sous le bras de son chevalier servant. Fabrice la guide vers la piste. Juste avant de disparaître avec sa cavalière, il lance un regard narquois à Nicolas.)



Nicolas : C’est pas vrai qu’y va se la faire, ce gros dégueulasse ! Mais j’y crois pas !



(Entre alors en scène une Josy titubante et franchement verdâtre. Aussi droit qu’elle le peut, elle aligne quelques pas vers le Frenchy, bourrelets à l’avenant.)



La moche : Nique-là… I love you ! I love you so much !


Nicolas : Putain, non ! Épargnez-moi ça !


La moche : Come on ! If you want, I’ll let you fuck me in the… Bleurgleuuuu !!!



(Un jet infâme macule la chemise de Nicolas. Se pinçant le nez, la blonde et la brune battent en retraite.)



La blonde : Josy, are you all right ?


La brune : She drank too much of this fuckin’ beer ! How do you feel, honey ?


La moche : Bleurgl !



(Nicolas se déplie avec précaution. La démarche raide – ses vêtements lui collent à la peau – il se dirige vers les WC. Au passage, il jette un œil à la piste de danse… et s’arrête net devant les portes battantes.)



Nicolas : Putain ! Il est en train de l’embrasser, ce fils de pute ! Mais bon dieu, pourquoi elle le laisse faire ???



(Nicolas se rue alors vers les toilettes pour y vomir à son tour. Le rideau tombe.)



Entracte et maquillage des comédiens.





Acte II, scène 1



Années 2000, la cafétéria déserte d’une entreprise.

(Deux personnes s’installent autour d’une table haute avec leurs cafés :

Fabrice, qui a gentiment pris du bide, et une jeune stagiaire intimidée.)



Fabrice : Bon, là, tu vois, Vanessa…


La stagiaire : Ah non, moi c’est Valériane.


Fabrice : Ah bon ? C’est marrant, parce que je trouve que t’as un air à t’appeler Vanessa.


La stagiaire : Heu… Vous dites ça pourquoi ?


Fabrice : Vanessa Demouy, tu connais pas ? Bah, t’es trop jeune, ça te dis rien…


La stagiaire : Si, si, je me rappelle. Mon père insistait pour ne pas louper un seul épisode, quand elle passait dans une série télé.


Fabrice : Tu m’étonnes… Dans les années 90, c’était THE sex-symbol. Le fantasme de toute une génération. Enfin bref, je trouve qu’il y a un petit quelque chose.


La stagiaire (repoussant d’un geste gracieux une mèche derrière l’oreille) : Vraiment ? Le visage, peut-être ?


Fabrice : Non. Les seins… Avec des nibards pareils, tu vas faire un malheur ! Crois-moi, je suis un expert !


La stagiaire : Je vois… Cinq ans d’études pour en arriver là ! Affligeant…


Fabrice : Ben quoi ? La présentation, ça compte dans le commercial ! Et un physique comme le tien, c’est un sacré avantage !


La stagiaire : Heu, merci…


Fabrice : D’ailleurs, à ce sujet-là… Si tu comptes décrocher un job dans la maison, quelques ajustements vestimentaires ne seraient pas inutiles. Deux trois petits riens, une jupe plus courte, quelques boutons dégrafés par-ci par-là, de temps en temps un t-shirt moulant. Bien échancré, le t-shirt.


La stagiaire : En plein hiver ?


Fabrice : Bof, dans les bureaux, fait pas si froid que ça. Oui, donc, ce que je voulais dire, c’est que je pourrais parler de toi au chef du personnel…


La stagiaire (soudain intéressée) : Ah oui ?


Fabrice : Il t’a remarquée, tu sais ? Mais tout d’abord, faudrait qu’on discute de ce changement de style. Quelque part, ensemble tous les deux. Je pourrais te conseiller, tu vois. Pour que tu sois plus… percutante.


La stagiaire : Hé, mais je veux pas changer de look, moi !


Fabrice (qui commence à s’agacer) : Bon, écoute petite ! Dans ce job, faut avoir les idées larges. Pas de place pour les filles étroites d’esprit.


La stagiaire : Hein, comment ça ? Faudrait avoir le feu au cul pour vendre de la moutarde, maintenant ?


Fabrice : Fais pas ta maligne ! Si tu veux faire ton trou, va falloir payer de ta personne ! C’est assez clair, là ?


La stagiaire : Mais, heu… et mes diplômes ? Laissez-moi le temps de faire mes preuves !


Fabrice : Eh oh, Vanessa, pas à moi ! Ça te dit rien, la flexibilité ? On t’en a pas parlé, dans ton école de commerce ? Les petites stagiaires comme toi, ça-va ça-vient, tu sais…


La stagiaire : J’ai pigé. Faudrait que je mette les mains dans le cambouis, c’est ça ?


Fabrice : Pour commencer. Ensuite, on passera à un stade "horizontal", afin de mieux faire décoller ta carrière. Tu me suis ?


La stagiaire (ironique) : Où ça ? Dans votre lit ?


Fabrice : Vas-y, plaisante. C’est pour ton bien que je dis ça. Si tu fais ce qu’il faut, en deux temps trois mouvements je pourrai te décrocher un CDD…


La stagiaire : Quoi ! Tout ça pour un vulgaire CDD !?


Fabrice (touillant son café) : Renouvelable. Avec un CDI à la clef, si tu sais te montrer convaincante. J’en garde toujours un de côté pour la bonne bouche, si tu vois ce que je veux dire. Mais faut d’abord faire ses preuves !


La stagiaire : Oh misère…


Fabrice : Si ça te botte, on peut en discuter la semaine prochaine. Faire connaissance de façon plus étendue, dans un endroit sympathique, afin que tu me fasses profiter de tes talents cachés…


La stagiaire : Mais attendez, là ! Vous me prenez pour une pute ou quoi !?



(Furieuse, elle ramasse ses affaires et fait mine de tourner les talons. Il la retient par l’épaule.)



Fabrice : Deux minutes, la minette ! Tu vas où, comme ça ?


La stagiaire : Je me casse de votre boîte pourrie !


Fabrice : Tss, tss… Tu ferais mieux de garder la tête froide et les idées claires, ma chérie. Avec la crise, un coup de pied dans un arbre et dix HEC en dégringolent. Penses-y !



(Dubitative, elle le regarde et finit par reposer son sac.)



Fabrice : Voilà, tu as toutes les cartes en main. Alors à toi de jouer, à présent !


La stagiaire : C’est vraiment vrai, pour le contrat à durée indéterminée ? Vous comprenez, je suis devenue méfiante. C’est si rare qu’on se demande parfois si ça existe encore…


Fabrice : Mais oui, fais-moi confiance ! Et là, c’est le chef qui parle ! En attendant, je m’occuperai bien de toi… jusqu’à ce que t’en aies plein le cul, d’ailleurs.


La stagiaire : Aïe, mais ça fait mal, par là !


Fabrice : Oui, mais c’est si bon…


La stagiaire (se ravisant) : Ok, je suis d’accord pour passer par la petite porte, mais juste une fois ! Et seulement s’il y a intégration derrière…


Fabrice : Compte sur moi ! Tu vas voir comment je vais bien te l’intégrer dans le derrière, mon gros CDI !



(Il en pleure de rire – des glapissements de chacal – avant de retrouver son sérieux.)



Fabrice : Bon alors, qu’est-ce que tu penses de ma proposition ? C’est réglo, non ?


La stagiaire : Heu… c’est que vous me prenez un peu à froid, là, m’sieur Morzini. Je dois y réfléchir… Mûrir encore un peu vos arguments…


Fabrice : Inutile, ils sont à point ! (s’emparant de la main de la stagiaire, il la plaque sur ses bijoux de famille) Allez ! Arrête de te dérober, petite morue! Il est temps d’entrer dans le vif du sujet !



(Il la bascule sur la table et l’embrasse à pleine bouche. La stagiaire résiste mollement, tandis qu’il lui malaxe le sein gauche. On entend soudain un bruit de chasse d’eau, puis des pas.)



La stagiaire (essoufflée et soulagée) : Arrêtez ! On vient !


Fabrice : Oh, ce sera bientôt ton tour, toi aussi… Tu perds rien pour attendre ! (Il la lâche.)





Acte II, scène 2



(La porte des toilettes s’ouvre et un homme en sort.

Il jette un coup d’œil à la stagiaire, qui s’éloigne, visiblement pressée.

Puis l’homme avise Fabrice, terminant son café avec nonchalance…)



L’homme (le détaillant de pied en cap) : Incroyable… Fabrice Morzini !


Fabrice : On se connaît ?


L’homme : Holà, plutôt deux fois qu’une ! Tu me remets pas ?


Fabrice : Heu… non !


L’homme : Ça fait un bail, faut dire ! La fac de Dijon, en 87. T’étais en Deug Sciences-Éco et moi en Maths-Physique.


Fabrice (se frappant le front) : Oh putain ! Nicolas Prud’homme… C’est pas vrai que c’est toi ! Bon dieu, qu’est-ce que t’as changé ! Mais en bien, hein ! Tu t’es mis au sport ou quoi ?


Nicolas : Mouais, histoire de se maintenir.


Fabrice : Tu m’étonnes, que je t’ai pas reconnu ! Quelle prestance ! Rien à voir avec ce pataud qui avait peur des filles.


Nicolas : Peur, peur… Faut rien exagérer non plus !


Fabrice (se rapprochant du distributeur de boissons chaudes) : Je t’offre un café ? T’as bien deux secondes !



(Sans attendre la réponse, il enfourne sa monnaie dans la machine.)



Nicolas : En tout cas, toi t’as pas changé ! Toujours avide de chair fraîche, à ce que je vois…


Fabrice : Tu… tu nous as entendus ?


Nicolas : Pas besoin, j’ai vu ton gibier détaler.


Fabrice (soulagé) : Ouarf… Une stagiaire de passage ; je suis bien trop vieux pour elle, tu penses ! Mais tu me connais, je peux pas m’empêcher de plaisanter…


Nicolas : Laisse-moi deviner ; je parie qu’elle n’a aucun sens de l’humour.


Fabrice : Exact ! Tu sais, les nanas aujourd’hui, c’est boulot-boulot avant tout, hein. C’est d’un chiant…


Nicolas : Mais au moins, elles bossent. C’est déjà pas si mal, non ?


Fabrice : Mouais. À pas foutu grand-chose, pour l’instant… Mais bon, je fonde pas mal d’espoir sur cette petite. Elle semble avoir du potentiel.


Nicolas : Ah oui ?


Fabrice : C’est un collègue du marketing qui me l’a recommandée. Chaudement, d’ailleurs. Avant de me l’adresser, il l’avait pratiquée en long, en large et en travers. Avec toute satisfaction.


Nicolas : De sacrés références, alors.


Fabrice : Ça, on peut le dire. Un vrai dénicheur de talents, ce Ludovic ! Tout a fait moi à son âge.


Nicolas : J’imagine…



(Fabrice s’installe à table avec les deux tasses fumantes.)



Fabrice : Tu sais, avec la crise, c’est pas simple pour les débutantes. Tiens, prends Vanessa par exemple…


Nicolas : Mmm… Eh bien ?


Fabrice : Grandes écoles, master en commerce international – parcours excellent ! Mais bon, aucune expérience sérieuse à aligner.


Nicolas : Aïe, le faux pas !


Fabrice : Alors tu sais ce qu’elle faisait, depuis la fin de ses études ? Équipière à mi-temps chez McDo ! C’est pas honteux, ça ? C’est pas révoltant ?


Nicolas : Je n’ai qu’un mot. Indécent.


Fabrice : C’est bien ce que je pense aussi. Alors voilà, je lui ai proposé un stage, histoire qu’elle se fasse un carnet d’adresses.


Nicolas : Heureusement que t’étais là, Fabrice. Avec toi, cette fille va enfin pouvoir se vendre à la hauteur de ses compétences.


Fabrice : Qu’est-ce que tu veux, chacun fait ce qu’il peut, à son niveau.


Nicolas : Tu sais que t’as du cœur, toi ! Y a pas à dire, respect…


Fabrice : Bof, quand on la possibilité, faut pas hésiter à tendre la main aux jeunes générations.


Nicolas : C’est bien le moins qu’on puisse faire…



(Les deux hommes touillent leur café un moment.)



Fabrice (reprenant) : Et toi sinon, qu’est-ce que tu deviens ?


Nicolas : Bah, comme tout le monde. Je bosse.


Fabrice : Dans le condiment ? Tu passais pour une commande ?


Nicolas : Pas vraiment. Disons que je suis plutôt dans le consulting.


Fabrice : Ah ouais ? Quel domaine ?


Nicolas : L’informatique, les nouvelles technologies, ce genre de trucs. Des missions ponctuelles, en général. Des contrats courts mais… décisifs.


Fabrice : Et qu’est-ce qui t’amène chez nous ?


Nicolas : Ben, une mission, justement.


Fabrice : Non !


Nicolas : Si. Un module de GRH à auditer…



(Fabrice blêmit. Il porte une main tremblante à son front.)



Fabrice : Alors, le type fourré toute la semaine chez le chef du personnel, c’était toi ?


Nicolas : Ben faut croire.


Fabrice (en aparté) : Bordel de merde ! C’est pas possible… Prud’homme ?


Nicolas : Qu’est-ce qu’il y a ? Un problème ?


Fabrice : Non non, je me disais que t’avais drôlement réussi, dis donc ! Le conseil, l’audit, les missions un peu partout… Chapeau !


Nicolas : Ça n’a pas non plus que des bons côtés, tu sais.


Fabrice : Tu dois en voir, du pays… Et des entreprises ! Notre usine doit te paraître toute petite, non ?


Nicolas : Pas vraiment. 650 salariés, pour Dijon, ça fait pas mal de monde.


Fabrice : Tu trouves ? On n’est pas si nombreux que ça, tu sais, même s’il est vrai que le site ne tourne pas à plein…


Nicolas : La productivité doit pas être terrible-terrible…


Fabrice : La productivité, c’est une chose… Mais faut aussi penser à toutes ses familles que l’usine fait vivre. T’imagines les dégâts, s’il devait y avoir un plan social ?



(Retentissent alors les premières mesures d’une chanson de Georges Michael, "I want your sex"… Fabrice sort un téléphone qu’il colle vivement à son oreille.)



Fabrice : Ouais… Ouais d’accord, j’arrive… Je passe chercher les dossiers… Pas de problème… Bien sûr, je sais où c’est… Bon, à tout de suite !



(Il raccroche.)



Fabrice : Zut ! Je l’avais complètement zappée, celle-là !


Nicolas : Ta secrétaire ? Elle t’attend pour ranger le papier à photocopies dans la réserve ?


Fabrice : Hein ? Mais non, t’es con, toi ! C’est la réunion pour les résultats trimestriels. La direction attend des explications sur nos chiffres. Vaudrait mieux que j’y aille…


Nicolas : À une prochaine fois, alors ?


Fabrice : Attends ! On va pas se quitter comme ça ! T’es libre demain soir ?


Nicolas : Oui, je pense.


Fabrice : Bon, ben tu ne l’es plus alors. Tu viens manger à la maison.


Nicolas : Je ne voudrais pas déranger…


Fabrice : Si, si, j’insiste ! Ça fera plaisir à Marianne. Et puis comme ça, on pourra te présenter notre fille, Jennifer.


Nicolas (éberlué) : Marianne ? Attends, Marianne Charral ?


Fabrice : Ben oui. Nous deux ç’a été un vrai coup de foudre.


Nicolas : Ça, j’ai bien vu… Mais je ne pensais pas que ça durerait. Encore moins que tu l’épouserais !


Fabrice : Désolé de ne pas t’avoir envoyé de faire-part. Je me suis dit que ça remuerait le couteau dans la plaie…


Nicolas : Ah ben ça…


Fabrice : Tu sais, j’ai toujours trouvé très con qu’on ne se soit plus jamais parlé après cette soirée-là.


Nicolas (se forçant à sourire) : Disons que c’était un peu dur à avaler… Mais bon, à présent, c’est de l’histoire ancienne.


Fabrice : Tu vois ! Je suis sûr que demain soir on en rigolera tous ensemble !


Nicolas : Oh, certainement…


Fabrice : Bon, faut que je file ! Donne-moi ton phone, je t’envoie l’adresse avec le plan.



(Nicolas et Fabrice échangent leurs cartes de visite.)



Fabrice : On se rappelle un peu plus tard, ok ? Ah, une chose… Inutile de parler de la stagiaire à Marianne.


Nicolas : Ta femme non plus n’a pas le sens de l’humour ?


Fabrice : Voilà, c’est ça…





Acte III, scène 1



Samedi soir, demeure des Morzini.

(La grande table de réception est dressée.

Madame et monsieur font salon en attendant leur invité.)



Marianne : Franchement, qu’est-ce que tu t’imagines, mon pauvre Fabrice ? Que ton soi-disant "copain" va t’épargner ?


Fabrice : Et pourquoi pas ?


Marianne : Avec le coup que tu lui as fait ? Mais moi, à sa place, je t’étriperais si je pouvais !


Fabrice : Ah ouais ? Et en attendant, qui c’est qui m’a supplié de l’épouser il y a vingt ans ? Tu t’en souviens pas, peut-être ?


Marianne : Mes parents n’auraient jamais supporté la situation !


Fabrice : Ah, ça ! M’en parle pas, de ces vieux schnoques ! Une belle paire de culs-bénis…


Marianne : Commence pas, tu veux ! Sans mon père, tu n’aurais jamais eu cette place à l’usine !


Fabrice : Pour ce que ça rapporte… Ah ! Si nos routes ne s’étaient pas croisées, j’aurais fait le tour du monde, moi ! Et aujourd’hui, j’aurais ma propre boîte d’import/export.


Marianne : Ah oui ? Avec quel argent ? Je vois clair dans ton jeu, Fabrice ! Il n’y a qu’une chose et UNE seule qui te retient de divorcer : le fric de mon père !


Fabrice : C’est pas le cul de sa fille, en tout cas.


Marianne : Ne sois pas vulgaire, s’il te plait… Garde plutôt ça pour tes poufs !


Fabrice (marmonnant dans sa barbe) : Attends que "bon-papa" clamse et tu verras… Une fois l’héritage partagé, Tchao Bella !


Marianne : Tu pourrais au moins avoir la décence de ne pas évoquer la mort de mon père devant moi, espèce de charognard !


Fabrice : Et toi, connasse !


Marianne : Gigolo !


Fabrice : Grosse truie !



(La porte de la chambre s’ouvre. En sort une jeune fille outrageusement maquillée, enroulée dans une serviette de bain.)



Jennifer : Eh ben vous deux, c’est toujours le grand amour on dirait ! Ça fait plaisir à voir… Au fait, m’man, il te reste du gloss ?


Marianne : Mais tu te crois où, Jennifer ! On dirait une vraie catin !


Jennifer (avec un large sourire) : c’est le plus doux des compliments dans ta bouche, Maman.


Marianne : Ah oui ? Ça te plait tant que ça, de ressembler à une pute ?


Fabrice : Voyons ma chère, modérez-vous ! C’est d’une inélégance !


Marianne : Oh, toi, la ferme ! Tu prends toujours la défense de ta fille… Pas étonnant, qu’elle finisse par te ressembler !



(Une sonnette retentit soudain – un aboiement rauque évoquant le jappement d’un pit-bull).



Jennifer (s’enfuyant dans sa chambre) : Commencez sans moi, je finis de me préparer !



(Fabrice regarde la porte d’entrée avec réticence.)



Marianne : Eh bien, qu’est-ce tu fais ? Tu vas ouvrir, oui ou non ?


Fabrice : C’est bon, j’y vais ! Au fait "ma chérie", si tu pouvais éviter de tirer la gueule toute la soirée…



(Fabrice va ouvrir. Nicolas s’avance, un bouquet à la main.)



Nicolas : Bonsoir…


Fabrice : Salut vieux. Vas-y, entre !



(Marianne s’approche.)



Nicolas : Marianne ! Tu es… radieuse ! (Il lui tend le bouquet) Tiens, c’est pour toi…


Fabrice : Ah ça, on se doutait que c’était pas à mon intention !


Marianne (lui faisant la bise) : Bonsoir Nicolas. Fais pas trop attention à Fabrice, il est grincheux ces temps-ci.


Nicolas : Des problèmes de boulot ?


Fabrice : Non, non. Enfin, disons… Pas pour le moment.


Marianne : Merci pour les fleurs ! Elles sont vraiment magnifiques.


Nicolas : Je n’ai pas résisté ; Ces roses m’ont rappelé une certaine personne que j’ai connue il y a longtemps, aussi fraîche et attirante qu’elles…


Marianne : Alors je les accepte avec joie. D’autant que Fabrice ne m’en offre plus depuis des lustres…


Fabrice : Faut toujours que t’exagères ! Si je l’écoutais, Nico, je passerais mon temps à la couvrir de cadeaux !


Nicolas : Ce n’est pas ce que les maris sont censés faire, en général ?


Marianne : Ah ! Tu vois bien ! Et ce n’est pas moi qui le dis…


Fabrice : Bon, et si on passait au salon? Je pourrais nous servir l’apéro pendant que tu dragues ma femme…


Nicolas : Il n’a vraiment rien perdu de son humour. Sacré Fab !


Marianne : Vraiment, Fabrice, tu es minable…


Fabrice : Hein ? Quoi ! Qu’est-ce que j’ai encore dit ?


Marianne : Il faut croire que j’ai épousé un rustre ! Excuse-le, Nicolas.


Nicolas : Non, c’est moi qui m’excuse. Des roses, ce n’était pas le plus approprié pour ce genre de soirée.


Fabrice (se méprenant) : Fais pas gaffe à elle, vieux ! Elle est parfois tellement collet monté que ça en devient chiant ! (Posant une main sur l’épaule de Nicolas, il l’entraîne vers le salon.) Alors on se le boit ou quoi, cet apéro ? C’est que je commence à avoir soif, moi !



(Ils s’installent autour de la table basse, Nicolas et Marianne chacun à un bout du canapé, Fabrice dans un large fauteuil.)



Fabrice : Qu’est-ce que tu prends ? Bière, Pastis, Whisky, Gin tonic… ?


Marianne : Et pourquoi pas du champagne ? C’est pas tous les jours qu’on reçoit. Alors allons-y, faisons « péter le bouchon » !


Nicolas : Tiens, cette expression me rappelle quelque chose…


Marianne : Moi, je suis comme les Américaines ; je ne déteste pas une petite coupe de temps en temps… Et puis ça tombe bien, y en a au frais !


Fabrice : Heu… t’es sûre ?


Marianne : Mais oui, puisque je te le dis ! Tu veux bien aller le chercher, mon amour ? Ah, et ramène aussi les amuse-bouche, tant que t’y es.



(Fabrice s’extrait de son fauteuil. Il se dirige vers la cuisine en grommelant. Marianne et Nicolas restent silencieux un moment.)



Nicolas : C’est étrange…


Marianne : Quoi donc ?


Nicolas : Me retrouver là, avec la fille que j’ai désespérément aimée il y a 20 ans, mariée avec ce même pote qui m’a trahit sans scrupule.


Marianne : Oui, j’imagine… Mais tu sais, l’eau a coulé sous les ponts, depuis.


Nicolas : Pas tant que ça. Parfois, j’ai l’impression que le temps est resté suspendu. Comme si tout ça ne datait que d’hier.


Fabrice (criant depuis la cuisine) : Chérie, je trouve pas le champagne ! Tu l’as mis où ?


Marianne (agacée) : T’as cherché dans le frigo ?


Fabrice : Vas-y, prends-moi pour une bille ! C’est même le premier endroit où j’ai regardé !


Marianne : Eh ben alors, c’est qu’y en a plus ! (À Nicolas) Qu’est-ce qu’il peut être con, parfois !



(Fabrice revient avec un plateau chargé de bouteilles et de biscuits apéritifs.)



Fabrice : Bon voilà ! J’ai pris tout ce que j’ai trouvé…


Marianne (sur un ton sucré) : Tu veux pas aller nous chercher du champ’ à la supérette, mon bel amour ?


Fabrice : Attends ! Mais ça va fermer, là !


Marianne (jetant un œil à sa montre) : Si tu te dépêches, il te reste dix minutes…


Nicolas : On n’est pas obligés non plus, hein ! Pas de soucis pour moi, en tout cas.


Fabrice : Tu vois, mon amour !


Marianne : Non, non ! Ce soir, c’est de champagne dont j’ai envie…


Nicolas (qui vient de comprendre) : Allez Fabrice, sois sympa ! Tu vas bien faire un effort pour ta p’tite femme, quand même ?


Fabrice : Bien obligé !



(Il prend ses clefs de voiture dans un tiroir, puis enfile son pardessus. Au moment de sortir, il se tourne vers eux.)



Fabrice : Soyez sages, vous deux ! Pas de bêtises, hein ?


Marianne : Tu peux compter sur nous. (Levant deux doigts) Parole de scout !





Acte III, scène 2



(Fabrice quitte la pièce en claquant la porte. Aussitôt, Nicolas se rapproche de Marianne.)



Nicolas : Bien vu, le coup du champagne ! Je parie que ce n’était pas tout à fait improvisé…


Marianne : Pas exactement, non. Il me fallait une excuse pour te parler seul à seul.


Nicolas (qui dresse un sourcil) : Ah oui ? Tu as des choses à me dire ? Des choses qui ne peuvent être dites que… les yeux dans les yeux ?


Marianne : Ne va pas te faire de fausses idées, hein !


Nicolas : De fausses idées ? Mais…


Marianne : Un jour peut-être, y a-t-il eu une Marianne amoureuse d’un garçon trop timide. Mais sois sûr d’une chose : cette Marianne-là a disparu depuis longtemps.


Nicolas : Ah… Et qu’est-elle devenue ?


Marianne : La jeune fille du printemps 87 est tellement loin, si tu savais !


Nicolas : Ça ne fait rien, je n’ai pas eu le temps de bien là connaître. Par contre, la femme qu’elle est devenue est très à mon goût…


Marianne : Et bien ! Je te trouve plutôt entreprenant !


Nicolas (soudain fiévreux) : Marianne, embrasse-moi !


Marianne : Quoi ? Mais t’es malade !


Nicolas : Ça fait des années que j’en rêve ! Embrasse-moi ! Une seule fois, je t’en supplie… (Il la saisit par l’épaule.)


Marianne (se dégageant avec force) : Et puis quoi encore ! Tu veux pas aussi qu’on baise sur le divan ?


Nicolas : C’est pas l’envie qui m’en manque !


Marianne : T’es pas un peu dingue ? Juste derrière cette porte, il y a ma fille ! Sans oublier mon mari, qui ne va pas tarder à revenir.


Nicolas : Excuse-moi… Je suppose qu’il fallait que je tente ma chance.


Marianne : Avec l’épouse de ton meilleur ami ? C’est quand même culotté !


Nicolas : Ex-meilleur ami. Dont l’épouse pourrait tout aussi bien devenir l’ex-femme…


Marianne : Pas de doute. T’es vraiment gonflé, là !


Nicolas : Remonté, plutôt. Ça ira peut-être mieux quand j’aurai compris pourquoi tu t’es marié avec ce type.


Marianne : Ce n’est pas de ça dont je voulais te parler…


Nicolas : Mais moi, c’est ce que je veux savoir ! Pourquoi l’as-tu épousé ?


Marianne : Parce que… Parce que c’est le père de ma fille, voilà ! T’es content ? (Elle cache son visage dans ses mains.)


Nicolas : Non, désolé. Je nage toujours.



(Marianne soupire. Elle se lève, vérifie la porte de Jennifer, puis fait les cent pas devant le canapé.)



Marianne : Si tu veux savoir, tout a commencé à dérailler lors de cette fameuse soirée, quand j’ai commis l’erreur de sortir avec Fabrice. Il m’a fait boire… et ensuite, il m’a baisée dans sa voiture.


Nicolas : Je m’en doutais ! Le fumier !


Marianne : On s’est revus deux ou trois fois, rien de très sérieux. J’avais même envisagé de reprendre contact avec toi…


Nicolas : Pourquoi ne pas l’avoir fait ?


Marianne : Parce qu’entre-temps j’ai découvert que j’étais enceinte. Je portais l’enfant d’un type pour qui je n’éprouvais pas grand-chose à part du mépris.


Nicolas : Tu n’as pas envisagé de…


Marianne : Non, je n’ai pas avorté. À Dijon, dans les années 80, l’IVG n’était pas très populaire. Et puis ma famille était riche et respectée, mes parents très à cheval sur les principes et la morale. Ils ne l’auraient jamais toléré…


Nicolas : Mais enfin, c’était ta vie, ton corps ! Et surtout, c’était un accident !


Marianne : Je sais, ça paraît dingue. Tu n’imagines pas à quel point j’étais déboussolée ! Au bout d’un mois, je suis allée voir Fabrice pour lui annoncer « la nouvelle ». Et là, il me sort une énormité. Ce fameux soir, je lui aurais dit que je prenais la pilule… J’étais encore vierge, Nicolas !


Nicolas : L’immonde salopard !


Marianne : Oh, j’ai ma part de responsabilités, moi aussi. Même si je l’ai surtout laissé faire ce qu’il voulait, dans la voiture, j’étais consentante.


Nicolas : Mais pourquoi avoir couché avec un connard pareil ?


Marianne : Parce que tu m’avais blessée, Nicolas ! À l’époque, j’étais stupide et orgueilleuse. Sur le moment, m’offrir à lui m’a paru la meilleure façon de t’humilier…


Nicolas : D’une logique imparable. Mais de là à l’épouser, y a une marge non ?


Marianne : Mets-toi à ma place, je ne savais plus quoi faire ! Alors j’ai perdu les pédales, je me suis enferrée un peu plus. Je l’ai supplié de légitimer l’enfant.


Nicolas : Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? J’aurais été trop heureux de le reconnaître à sa place !


Marianne : Ah oui ? Après m’être fait engrosser par ton pote, j’imposais dans ta vie le fruit de nos ébats automobiles ? J’ai ma pudeur, Nicolas. Et il n’y avait aucune raison que tu hypothèques ton avenir par ma faute…


Nicolas : Et Fabrice, qu’est-ce qu’il a fait ?


Marianne : Avant de répondre, il a exigé que l’on baise à nouveau. Mais cette fois, il m’a fait prendre des poses obscènes, me disant que j’allais devenir sa salope préférée. Personne ne m’avait jamais traitée de cette façon ! Le plus dégradant, c’est que j’ai aimé ça… J’étais en son pouvoir, tu comprends, sous l’emprise de sa voix, de ses mots !



(Bouche bée, Nicolas la regarde sans rien dire.)



Marianne : Quand il en a eu assez de jouer avec moi, il m’a dit que ma docilité lui plaisait. C’était selon lui le propre d’une bonne épouse. Et c’est pourquoi il acceptait de se marier avec moi. Ce n’est que plus tard – trop tard ! – que j’ai compris ses réelles intentions… En me passant la bague au doigt, il visait en réalité la fortune de mes parents. C’est ainsi que pour Fabrice, je suis devenue une sorte de placement à long terme.


Nicolas : Mais je vais lui démonter la tronche, moi, à cet enfoiré !



(Il se lève en serrant les poings. Marianne le toise avant de s’asseoir dans le canapé.)



Marianne : J’espère bien que non !


Nicolas (se radoucissant) : Y a quand même un truc que je ne pige pas. Pourquoi rester avec lui ? Ta religion t’interdit aussi le divorce ?


Marianne : As-tu déjà été marié, Nicolas ?


Nicolas : Non. Et je ne vois pas le rapport.


Marianne : Alors tu ne sais pas ce que c’est, jouer la comédie du bonheur. Tu ne sais pas ce que c’est, faire semblant d’être heureuse avec l’homme que tu as présenté à ton père, à ta mère, que tu as déclaré aimer follement pour qu’ils l’acceptent comme gendre, lui, le simple géniteur de ta fille… Je te l’ai dit, je me suis enfermée toute seule dans ce piège.


Nicolas : J’ai du mal à le croire. Il y a autre chose, quelque chose dont tu ne me parles pas !


Marianne (portant une main à son front) : Fabrice… Fabrice me fait du chantage. Je n’ai pas envie d’expliquer ni pourquoi ni comment, mais je ne peux pas demander le divorce.


Nicolas : Depuis le temps que je rêve de lui foutre mon poing dans la gueule ! Cette fois, c’est sûr, je vais l’estropier !


Marianne : Je ne serais pas contre le fait que tu le rudoies un peu, mais ce n’est pas ce que j’attends de toi…


Nicolas : Ah bon ? Et qu’attends-tu donc ?


Marianne : De la sincérité, Nicolas. Je veux savoir qui tu es vraiment.


Nicolas : Je ne vois pas ce que…


Marianne : D’après les rumeurs, le groupe devrait fermer l’usine de Dijon avant la fin de l’année. Les associés auraient même nommé un liquidateur, quelqu’un envoyé incognito sur place, pour décider de qui part et qui reste…


Nicolas : Quel rapport avec moi ?


Marianne : Fabrice ne croit pas à ton histoire de consultant en informatique… Depuis qu’il sait que tu as passé la semaine avec le DRH de la boîte, il est persuadé que le liquidateur mandaté par Kraft, c’est toi !


Nicolas : Intéressant… Y aurait-il un lien avec l’invitation de ce soir ?


Marianne : Je ne sais pas ce qu’il a en tête, mais connaissant le personnage, je crains le pire ! Il est prêt à tout pour garder son job, dans cette usine ou une autre. Alors il pourrait être tenté de te proposer une sorte… d’arrangement. Si tu as encore quelques sentiments pour moi, je t’en prie, refuse !


Nicolas : Je vois ; il pense sauver sa tête en me proposant le cul de sa femme. Un beau marchandage…


Marianne : Un marchandage abject, tu veux dire ! Promet-moi de ne pas accepter !


Nicolas : Pourquoi ? Il a les moyens de te contraindre à coucher avec moi ?



(La porte de la chambre s’ouvre soudain. Précédée par le souffle rauque d’une musique rap, une jeune fille outrageusement maquillée et vêtue s’avance dans le salon.)



Marianne (se forçant à sourire) : Tiens ! Jennifer… Tu nous fais l’honneur de quitter ta tanière ?


Jennifer : Ah, ah ! Très drôle… Ne faites surtout pas attention à ma mère. L’humour et elle, ça fait deux !



(Nicolas regarde la jeune fille, subjugué.)



Nicolas : C’est incroyable ! On dirait toi quand tu avais vingt ans !


Marianne : Le côté « peste » en moins…


Jennifer : Dix-neuf.


Nicolas : Quoi ?


Jennifer : J’ai dix-neuf ans.


Marianne : Oui, enfin c’est pareil.


Jennifer : Bon… On se fait la bise ? Allez quoi, je mords pas ! (Elle s’approche et lui plante deux baisers au coin des lèvres.)


Nicolas (à Marianne) : Je ne savais pas que ta fille était aussi… Comment dire ?


Marianne : Délurée ? Entreprenante ? Oui. Comme son père. Je me méfierais, à ta place. Elle n’aime rien moins que déstabiliser les hommes dans la quarantaine.


Jennifer : Eh bien moi au moins, je suis pas coincée du cul !


Marianne : Jennifer ! Surveille ton langage !


Jennifer : Ou alors quoi ? Tu vas m’enfermer au petit coin ? (À Nicolas) Ça, c’est quand j’étais gamine. Mais je m’en foutais, je savais très bien m’occuper toute seule avec mes doigts…


Marianne : Tu dépasses les bornes ! Nous avons un invité, tout de même ! (Puis, avec un effort pour ce maîtriser) Au fait, tu ne devais pas sortir avec ton ami Rachid, ce soir ?


Jennifer : Non, c’est terminé avec lui. Trop possessif ce mec, trop collant. Comme la plupart des Arabes, d’ailleurs… (À Nicolas) Je me suis tapée un sans papier maghrébin pour faire chier mes vieux. Mais comme ils le trouvaient gentil, finalement je l’ai balancé aux flics… De toute façon, il baisait mal.


Marianne : Quoi ! Tu as dénoncé Rachid à la police !?


Jennifer : Alors ça, c’est ma mère toute crachée. Toujours à plaindre les chiens écrasés, à pleurer la misère du monde… (À sa mère) C’est qu’il te plaisait bien, le Rachid, hein ? Tu te le serais bien tapé pour le dessert !



(Une gifle sonore claque dans la pièce. Face à une Marianne pantelante et écarlate, Jennifer se tient la joue, le regard chargé de haine. Un silence de mort tombe sur la scène. C’est à ce moment que s’ouvre la porte d’entrée.)



Fabrice : Taddam ! Et voilà le champagne ! (Puis, remarquant que personne ne bronche) Qu’est-ce qui se passe ? Quelqu’un est mort ? Beau-papa va bien, au moins ?


Marianne : Ta fille nous sert ses insanités habituelles…


Jennifer : Et ta femme a décidé d’exercer son « autorité », ce soir. Tiens, regarde !


Fabrice : Marianne… Tu as frappé Jennifer !?


Marianne : C’est parti tout seul, si tu veux savoir.


Fabrice : Non, je ne veux rien savoir. On en reparle après.


Marianne : C’est ça, comme toujours ! (Pour Nicolas) Que notre fille m’insulte lui est complètement égal…



(Fabrice débouche le champagne et sert Nicolas.)



Fabrice : Allez, on va pas passer la soirée là-dessus ! Goûte-moi ça, vieux, tu vas m’en dire des nouvelles ! (S’adressant à Jennifer) Ma petite chérie en prendra aussi ?


Jennifer : Oui Papa… (Elle se love dans les bras de son père, posant une joue sur son épaule)


Fabrice : Voyons, voyons ! On a un invité, Jenny ! Quand même, que va-t-il penser…


Nicolas : Moi ? Oh, rien.





Acte IV, scène 1



Le salon, où les quatre convives sont attablés en fin de repas.



Fabrice : … et tu sais ce qu’elle lui répond ? « Faudrait pas pousser la plaisanterie trop loin ! » (Avec un éclat de rire) Elle est pas bonne, celle-là ?


Nicolas : Qui ça, l’orthophoniste ?


Fabrice : Mais non, qu’il est con !


Jennifer : Moi aussi, j’en connais une bien bonne ! Alors, c’est deux putes qui prennent l’ascenseur, et…


Fabrice : Mmm, on va peut-être la garder pour plus tard. D’accord, mon Ange ?


Marianne : Quelqu’un veut-il encore du rôti ? Personne…?


Fabrice : Ah, le rôti ! Excellent, n’est-ce pas Nicolas ! C’est vraiment toi la meilleure, ma chérie !


Marianne : Ça dépend, pour cuisiner ou pour baiser ? Inutile de répondre, va… Je me doute de ce que tu vas dire : «J’adôôôres ta cuisine ! »


Fabrice : Mais mon amour, j’apprécie tout en toi, tu le sais bien ! À commencer par notre petite Jenny, qui te ressemble tant…


Jennifer (à Nicolas) : Tiens, au fait il paraît que vous connaissiez mon père, en fac. Comment il était, à l’époque ?


Nicolas : Tu veux vraiment savoir ? Avec tous les détails ?


Fabrice : Heu… C’est peut-être pas nécessaire, tu crois pas Nicolas !?


Marianne : Mais si, mais si ! Ça pourrait être amusant. Après tout, mon « chéri », on ne connaît de toi que ce que tu veux bien nous raconter…


Nicolas : Tu m’en voudras pas, Fabrice ? Bon allez, je me lance ! Après tout, en 87, tu étais un de mes meilleurs amis. Tout d’abord, il faut bien reconnaître que ses résultats n’étaient pas brillants-brillants. En réalité, Fabrice s’investissait trop dans des activités annexes, de menus travaux qui lui pompaient toute son énergie. Par exemple, il avait entrepris de tester la solidité des lits de sa résidence universitaire.


Marianne : Ah bon ?


Nicolas : Oui. Enfin, seulement ceux des plus belles étudiantes… Néanmoins, cela représentait déjà un travail considérable. Il fallait le voir à l’œuvre, le Fabrice ! Infatigable, courant d’une chambre à l’autre le cœur vaillant. Et les paillasses couinaient, et elles grinçaient ! Mais jamais ne rompaient… Ah ! Mais c’est que mon ami était un artiste ! Un prodige du vilebrequin à tête chercheuse ! Un virtuose de la lime à reluire ! Et pourtant, malgré toute l’énergie dépensée et une implication totale, il ne leur a jamais trouvé un seul défaut, à ces lits.


Marianne (à Fabrice) : Quel sens du devoir, mon cher ! Quel dévouement !


Nicolas : Un Saint, un vrai, de la branche Saint-Valentin… À ne pas confondre avec le Saint-Bernard. Non, pour ça Jennifer, ton père n’était pas chien. Vraiment pas, bien qu’il ne pût s’empêcher de remuer tout le temps la queue… Il faut dire que sa quête relevait du sacerdoce, de la mission d’évangélisation !


Jennifer : Ah… Et ma mère, comment elle était ?


Nicolas : Ta mère… En réalité, mon petit, c’est moi qui l’ai rencontrée le premier. Elle était lumineuse, aérienne ! À mes yeux aucune autre n’existait, elle les éclipsait toutes. Un soir, j’ai commis l’erreur de parler d’elle à ton père. Et tu sais ce qu’il m’a demandé, à propos de celle que je considérais déjà comme ma future épouse ?


Jennifer : Non ? Quoi donc ?


Nicolas : Je peux le lui dire, Fabrice ? Ses chastes oreilles le supporteront-elles ? (Résigné, Fabrice hausse les épaules.) Eh bien, il m’a dit : « Y sont comment, ses seins ? Petits, gros, en poire ? Et sa fourche, elle est bien creusée au moins ? Non parce que c’est important, la fourche, chez une fille. Faut surtout pas que les cuisses se touchent, pour pouvoir bien la… »


Marianne : Bon, ça va. On va peut-être s’arrêter-là ?


Jennifer : Je peux pas le croire ! Papa a vraiment dit ça !?


Nicolas : Textuellement…


Fabrice : Heu… Jennifer ? Marianne ? Et si vous vous occupiez du dessert ? Nicolas et moi avons à parler entre hommes.



(Surprise, Jennifer fixe son père avec insistance. Ce qu’elle lit dans son regard l’incite à se lever sans un mot et à suivre sa mère. Toutes deux disparaissent à la cuisine.)



Nicolas : Alors, que veux-tu me dire que ta femme ou ta fille ne puisse entendre ?


Fabrice : Je sais qui tu es, Nicolas… Et je sais ce que tu veux.


Nicolas : Ah oui, vraiment ?


Fabrice : On t’a envoyé pour démanteler l’usine, et avec elle, ma vie. Tu n’as aucune raison particulière de m’épargner, bien au contraire. Mais je ne suis plus seul en cause, j’ai une famille… Pense à Marianne !


Nicolas : Je ne fais que ça depuis vingt ans.


Fabrice : Je reconnais, je t’ai fait un sale coup. Je n’ai pas su résister, c’était trop tentant…


Nicolas : Et tant qu’à faire, t’as poussé le vice jusqu’à l’épouser.


Fabrice : J’y suis pour rien ! À peine était-on sortis ensemble, que Bing ! Marianne tombait enceinte. Tu parles d’une poisse ! Elle ne voulait pas entendre parler d’avortement, alors il a bien fallu lui passer la bague au doigt.


Nicolas : tu t’es sacrifié, en quelque sorte… C’est grand, de ta part !


Fabrice : Mets-toi à ma place ! Tu l’aurais vue, elle était désespérée…


Nicolas : Et les sentiments, qu’est-ce que tu en fais dans tout ça ? Est-ce que tu l’as aimée, au moins, cette femme sublime ? Mais qu’est-ce que je raconte… Pour toi « Aimer » n’est qu’une variation du verbe « Forniquer ».


Fabrice : T’exagères. J’ai toujours eu de la tendresse pour elle…


Nicolas : Arrêtes de te foutre de ma gueule !


Fabrice : C’est vrai, ça fait des années qu’il ne se passe plus rien entre nous.


Nicolas : Alors, pourquoi ne divorcez-vous pas ?


Fabrice : Ses parents sont âgés et rigides. Si Marianne divorçait, son père pourrait la déshériter au profit de sa sœur. D’un commun accord, on a décidé d’attendre que le vieux clamse pour se séparer.


Nicolas : Mais toi, qu’est-ce que tu y gagnes, en attendant ?


Fabrice : Marianne tolère mes frasques. Chacun vit sa vie de son côté… Et puis, il y a aussi le magot. Elle m’en a promis un tiers.


Nicolas : Je ne te crois pas !


Fabrice (avec un débit rapide) : Écoute, Nico ! Je sais que t’as toujours rêvé de la baiser, cette salope. Alors voilà ce que je te propose : vous faites ce que vous avez à faire, et moi je ferme les yeux. En contrepartie, tu te démerdes pour que je garde mon job. Une fois que j’aurai ma part d’héritage tu pourras même l’épouser, pour ce que j’en ai à foutre…


Nicolas : Ah oui ? Et si elle ne veut pas de moi ?


Fabrice : T’inquiète pas pour ça. J’ai des arguments capables de la convaincre…


Nicolas : Du genre ?


Fabrice : Marianne était beaucoup moins coincée, au début de notre mariage. On a organisé trois ou quatre partouzes à la maison… J’ai conservé des photos. T’imagines la tronche de ses vioques, s’ils tombaient dessus en ouvrant leur courrier ?


Nicolas : Et ces clichés un peu glauques, où ils sont ? On peut les voir ?


Fabrice : Ah ! Tu cachais bien ton jeu, hein Nico… Sous tes airs de premier de la classe, t’es un vrai pervers ! Je m’en doutais ! Ça te ferait peut-être bander, de la voir prendre son pied avec plusieurs mecs à la fois !?


Nicolas : Peut-être. Va savoir…


Fabrice : Je ne suis pas si con que j’en ai l’air, Nico ! Tout est bien à l’abri, dans un coffre numéroté. Tu comprends, c’est mon assurance-vie. Au cas où elle voudrait me doubler…



(Les deux hommes se défient du regard. Fabrice avance alors sa paume ouverte.)



Fabrice : Allez, marché conclu… ? Tope-là !



(Dégainant une paire de bracelets en acier, Nicolas le menotte rapidement.)



Fabrice : PUTAIN !!! MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS !?


Nicolas : Fabrice Morzini, au nom de la loi, je vous arrête pour participation à un réseau de proxénétisme et de trafic d’êtres humains. Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous…



(Alertée par les éclats de voix, Jennifer pointe son nez à la porte de la cuisine, suivie de Marianne. Voyant son père menotté, elle se jette à ses pieds.)



Jennifer : Papa !!! Mais qu’est-ce qui se passe… EH, VOUS ! Libérez mon père ! Tout de suite !


Nicolas (imperturbable) : Si vous n’avez pas d’avocat, il vous en sera commis un d’office…


Jennifer : Putain, mais vous êtes qui, vous, à la fin !?



(Nicolas sort une plaque de sa poche et la montre à la jeune fille.)



Nicolas : Capitaine Nicolas Prud’homme, brigade Interpol de Lyon. En mission spéciale à Dijon, pour appréhender un… un gros enfoiré, si tu veux mon avis. (Il pèche un talkie-walkie dans sa veste, et poursuit tranquillement.) Ça va les filles, vous avez tout enregistré… ? Vous pouvez venir coffrer le client, il est à vous.


Fabrice (couinant comme un goret) : Y peuvent pas m’amener, j’ai rien fait !!! Marianne, appelle tout de suite maître Blanchard !


Marianne : T’en as pas assez de me donner des ordres ? Ferme-là un peu Fabrice, ça nous fera des vacances…


Fabrice : HEIN ! QUOI ? JE LA FERME SI JE VEUX !


Nicolas (aux deux fliquettes qui entrent dans la maison) : Embarquez-moi ça. Et prévenez son avocat, pour la garde à vue. Je veux le faire tomber dans les règles.



(Fabrice fait mine de se débattre. Aussitôt, les deux femmes l’attrapent par le collet et le font sortir de la pièce manu militari.)





Acte IV, scène 2



Jennifer s’est enfermée dans sa chambre. Marianne et Nicolas sont seuls dans le salon.



Marianne : Tu peux me dire pourquoi on l’arrête ?


Nicolas : Désolé, je ne peux pas te donner de détails.


Marianne : Je ne te demande pas de violer le secret de l’instruction, Nicolas. Je veux juste comprendre de quoi il retourne.


Nicolas : Eh bien… Voilà en quelques mots ce que je peux te dire. Ça fait deux ans que je bosse sur un réseau de proxénétisme impliquant pas mal d’intermédiaires, autant en Europe qu’en France. Un réseau qui emploie la manière forte avec leurs filles, les obligeant à se prostituer.


Marianne : De la prostitution forcée ?


Nicolas : Oui. Officiellement, on appelle ça « le trafic des êtres humains »… Dans mon service, on s’est notamment intéressé aux cas de jeunes femmes expatriées au Moyen-Orient, contre la promesse de jobs qualifiés avec, à la clef, des salaires faramineux. Ces filles, toutes éduquées, attirantes, entre 20 et 30 ans, se sont volatilisées sans laisser de trace. Je te parle là d’une cinquantaine de disparitions, rien que pour l’hexagone.


Marianne : On a une idée de ce qui leur est arrivé ?


Nicolas : On pense le savoir. Une fois leurs passeports confisqués, la plupart ont été vendues comme esclaves à des bordels.


Marianne : Mais c’est horrible !


Nicolas : Tu dois te demander quel est le lien avec Fabrice ? J’y viens… Tu sais, nos enquêtes nous conduisent à avoir accès à pas mal d’éléments. On a essayé de recouper les points communs entre les disparues, les concordances dans leurs parcours. Et il se trouve qu’à un moment ou à un autre, une bonne quinzaine de ces filles sont passées par l’usine de Dijon. Comme simples stagiaires, ou parfois à l’occasion de CDD…


Marianne : Une coïncidence qui ressemble diablement à une piste, c’est ça ?


Nicolas : Exactement. Nous en avons conclu que quelqu’un d’ici connaissait ces filles, les avait repérées comme dociles, influençables, avant de les désigner aux caïds du réseau que je surveille.


Marianne : Un employé de l’usine…


Nicolas : Plus probablement un cadre bien placé, ayant pu entrer en contact avec les victimes sans attirer l’attention. Comme nous ne voulions pas éveiller les soupçons, j’ai utilisé une couverture pour interroger le DRH de la boîte. Toute la semaine, j’ai travaillé avec lui sur les dossiers du personnel. Et c’est là que je suis tombé sur celui de ton mari… qui est rapidement venu s’ajouter à la short-list des suspects.


Marianne : Qu’est-ce qui t’assure que c’est lui, le « rabatteur » de ces types ?


Nicolas : J’ai obtenu une commission rogatoire du juge, ce matin. On s’est pointés à l’usine et on a embarqué les ordinateurs de tous les cadres que nous soupçonnions, leurs téléphones portables, leurs dossiers, tout… On a commencé par les affaires de Fabrice. Et devine ce qu’il y avait dans son carnet d’adresse ? Le numéro de toutes les filles.


Marianne : C’est un salop, mais je ne pensais pas que c’était aussi un monstre…


Nicolas (se dirigeant vers le portemanteau, dans l’entrée) : Dans son bureau, j’ai trouvé quelque chose qui t’appartient. Je crois que tu seras contente de le récupérer…



(Il tire une grosse enveloppe de la poche intérieure de son trench, et la lui tend. Marianne jette un coup d’œil au contenu. Elle blêmit.)



Marianne : Tu as regardé ces photos ?


Nicolas : Ouais… Tu peux tout conserver, va. Je me suis débrouillé pour que cette trouvaille ne figure pas au procès-verbal.


Marianne : Merci ! Vraiment, je ne sais comment te témoigner ma gratitude…


Nicolas : Je compte rester encore une semaine sur Dijon… Accepterais-tu de me revoir, Marianne ?


Marianne (soudain soupçonneuse) : C’est pour ça, que tu m’as remis l’enveloppe ?


Nicolas : Hein ? Pas du tout ! Je…


Marianne : Pourquoi es-tu venu ce soir, Nicolas ? Pourquoi avoir accepté l’invitation de mon mari ? Ça n’aurait pas été plus simple de l’appréhender lundi matin ?


Nicolas : Il fallait que je vous vois tous les deux, ensemble. Je devais être certain, tu comprends…

Marianne : Certain de quoi ? Tu as pensé que j’étais impliquée, moi aussi ?



(L’air malheureux, Nicolas baisse la tête)



Nicolas : Je ne pouvais négliger aucune hypothèse. Ces photos de toi, c’est quand même une preuve à charge. Il fallait que je sache, c’est tout…


Marianne : Que tu saches quoi, à la fin !? Si j’avais baisé avec ces mecs de mon plein gré ? Mais qu’est-ce que tu t’es imaginé, Nicolas ? Que Fabrice me prostituait ? Qu’il me forçait à faire ça ?


Nicolas : Enfin Marianne ! Tu vas pas me dire que, de toi-même…


Marianne : Et si j’aime ça, moi, prendre dans ma bouche une queue bien dure pendant qu’une autre me défonce la chatte ? C’est le problème de la police ?


Nicolas : Marianne, je…


Marianne : Non ! Je vais te dire, moi, ce qui te dérange ! Ça ne cadre pas avec l’image que tu t’es faite de moi, la jeune fille bien rangée attendant son prince charmant. Que je puisse avoir un cul et des envies à satisfaire, ça te dépasse, hein ?


Nicolas : Écoute-moi, je t’en prie !


Marianne (qui poursuit, entêtée) : Tu sais quoi ? Tu as merdé, lors de cette boum étudiante ! Oh oui, tu n’as pas été à la hauteur… Et ça fait vingt ans que tu le regrettes !


Nicolas : Non, je…


Marianne : L’occasion de te venger était trop belle, n’est-ce pas ? Le numéro de ces filles dans le répertoire de Fabrice, ça a été le jackpot ! L’assurance de l’écarter pour de bon. Et les photos compromettantes, le ticket gagnant pour me reconquérir…


Nicolas : Je t’aime, Marianne ! Je n’ai jamais cessé de penser à toi !


Marianne (secouant l’enveloppe sous le nez de Nicolas) : Et c’est pour ça que tu essaies de m’acheter, en même temps que tu me rends la liberté ? Je ne suis pas à vendre, Nicolas. Je ne suis pas une de ces filles que tu passes ton temps à traquer ! Nicolas : Laisse-moi une chance ! Une seule !

Marianne : Je te plains, tu sais. Tu es un être d’obsessions. À force de vivre dans le passé, tu finiras aigri, vieux avant l’âge…



(Le portable de Marianne se met soudain à sonner. Après avoir vérifié le numéro appelant, elle décroche.)



Marianne : Domi, c’est toi ? Je t’ai déjà dit, pas à la maison !… Quoi ?… Mais non, je suis pas en colère… Mais non, ce n’est pas de ta faute !… Au contraire, je suis follement heureuse !… Quoi, la police ?… (Un coup d’œil à Nicolas) Oui, ils sont encore chez moi… Fabrice vient d’être arrêté, t’imagines !… Je te raconterais tout ça demain… Oui, on se voit chez toi, comme d’habitude… Moi aussi, je t’embrasse !


Nicolas : D’accord, j’ai pigé. Je ne vais pas encombrer les lieux plus longtemps… (Il ramasse son manteau) Eh bien, adieu Marianne. Je te souhaite d’être heureuse, avec ton amant.


Marianne : Tu n’as rien compris…


Nicolas : Me prends pas pour un imbécile, tu veux… Ah ! Ça tombait bien, que je te débarrasse de ton mari, n’est-ce pas ? Tu vas enfin pouvoir t’éclater comme tu veux avec ton mec, et Dieu sait qui encore !


Marianne : Dominique n’est pas mon « mec », comme tu dis.


Nicolas : Ah oui ? C’est qui, alors ? Ton directeur de conscience ?


Marianne : Si tu veux savoir, il s’agit d’une jolie blonde de 36 ans, délaissée par un mari qui s’est tiré avec une nana de l’âge de ma fille. Non seulement Dominique a un corps superbe, mais en plus… je l’aime !




FIN - Le rideau tombe.