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n° 14321Fiche technique31680 caractères31680
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15/03/11
corrigé 12/06/21
Résumé:  Les barbares ont fait irruption dans le sanctuaire. Seule Morgane leur a échappé...
Critères:  #historique #aventure fh hplusag vengeance cunnilingu pénétratio
Auteur : Herminie      Envoi mini-message

Collection : Récits sur la matière de Bretagne
Morgane et Ambrosius (2)

Résumé du récit précédent (n°14287)  :

1208 ans après la fondation de Rome, en été. Le Préfet de Bretagne Ambrosius Aurelianus est de retour dans la province, après quatre ans passés à la cour impériale, où il a échoué à obtenir l‘aide de l‘empereur romain contre les envahisseurs barbares.

En son absence, son ennemi Vortigern s‘est emparé du pouvoir.

À peine débarqué, Ambrosius a été capturé et la troupe barbare le ramène à Vortigern.


Morgane et Ceridwen se rendent au cœur d’une forêt sacrée, dans un sanctuaire dédié à la déesse Diane, pour y accomplir un rituel qui devrait leur concilier les dieux dans la lutte que le chef Uther – fidèle d’Ambrosius – s’apprête à mener contre Vortigern. Elles sont escortées par le jeune guerrier Gwion.

Les barbares font irruption dans le sanctuaire, Gwion reçoit un grand coup d’épée, Ceridwen est violée. Morgane s’est cachée à temps dans un vieux dolmen.



***




La forêt s’était tue. Un silence mortel y régnait.

Parmi la dizaine de barbares qui avaient brutalement envahi la clairière, Morgane avait reconnu deux visages, croisés à Londinium dans les années et les mois précédents.

En premier, c’était Horsa, le frère d’Hengist, qui tenait le Cantium avec lui. Repérable entre mille par son allure de géant et les bracelets d’or qu’il ne quittait jamais. Ainsi, la rumeur qui courait sur sa présence en Dumnonia était vraie.

Le second visage était celui d’Ambrosius Aurelianus.


Elle n’avait pas osé y croire, d’abord, car quelques années d’absence peuvent changer un homme. Ou plutôt le regard qu’on porte sur lui et le souvenir qu’on en garde. Or, le souvenir d’une allure aristocratique et soignée, de la toge et de la pourpre, du menton parfaitement glabre, de l’œil sévère et déterminé, rien ne correspondait plus à la réalité présente : celle d’un prisonnier sale, épuisé et abattu. C’était inconcevable. Et pourtant, pas de doute possible : la présence des alliés de Vortigern dans les parages suffisait à confirmer l’identité du Préfet. Sans doute avaient-ils eu vent de son retour et lui avaient-ils tendu un piège.


Morgane, le sang glacé, tentait de réaliser ce dont elle venait d’être témoin. Elle se glissa hors du tombeau qui lui avait servi de refuge. Elle claquait des dents.

Au bord de la source, un corps étendu. Gwion. La berge était rouge de sang. Penchée au-dessus, une silhouette plutôt fluette. Morgane sortit ses poignards.



Le glissement du métal et la voix glaciale firent leur effet. La silhouette sursauta et se retourna. Un adolescent. Il ne parut pas effrayé.



Elle n’avait pas bougé de sa place, le ton tranchant ne souffrait pas de réplique. L’adolescent se releva et s’inclina brièvement.



Étrange voix, grave et posée, mais colorée comme celle d’une femme. Sans être encore un homme, il avait déjà l’assurance d’un adulte.



Llenlleawg resta évasif :



Il se contenta de soutenir son regard.

En ces temps troublés, on en trouvait beaucoup qui braconnaient pour leur survie ou se livraient à du brigandage par bandes plus ou moins importantes. Mais il y avait plus urgent que de s’occuper du cas Llenlleawg. Elle s’approcha et se pencha à son tour sur Gwion inconscient. Une longue et profonde blessure courait en travers de son corps, de l’épaule jusqu’à la hanche. Elle paraissait s’être arrêtée de saigner, mais ce pouvait être dû au fait que le guerrier n’avait plus beaucoup de sang à perdre. Pourtant, il restait un petit souffle de vie, c’était presque miraculeux. Comme s’il avait perçu les interrogations de Morgane, Llenlleawg reprit :



L’adolescent n’eut pas besoin de mots pour comprendre qu’il ferait bien d’aller la chercher au plus vite.

Morgane attendit leur retour. Évitant de trop regarder Gwion et sa blessure, elle contemplait les objets du rituel profanés par les barbares. Les petits pots de poudre brisés et répandus sur la terre, les feuilles de sauge et de menthe éparpillées, flottant à la surface de l’eau, le pain rompu et mangé, la besace lacérée. Pourquoi la forêt avait-elle laissé faire ça ? Pourquoi les avait-elle laissés emmener Ceridwen ?

Elle réfléchit aux suites. Il fallait se décider, et vite : le fort d’Uther était à deux jours de marche. Trop loin. Les barbares auraient le temps de se volatiliser avec leurs deux prisonniers.

Elle leva les yeux au ciel. La lune était levée. Entre les arbres, le disque nacré formait une tâche scintillante sur le ciel pâle du crépuscule.




Lorsque Llenlleawg revint accompagné d’une femme dans la force de l’âge, Morgane avait pris sa décision. Elle se leva et, prenant à peine le temps de remercier la nouvelle venue, tendit à l’adolescent un anneau qu’elle portait au doigt :



Llenlleawg la regarda curieusement :



À la lueur de son regard, il vit elle ne plaisantait pas.



La mère de Llenlleawg intervint :



Ils l’installèrent avec précaution dans une large étoffe que la femme avait ramenée et qui leur servit de civière.

Morgane s’engagea sur la piste ouverte par les hommes d’Horsa. Malgré la lumière mourante et la brume qui se levait, les traces de leur passage restaient perceptibles, dans quelques branchages brisés, des arbres entaillés, des lambeaux de mousse arrachés. Ils étaient donc si pressés qu’ils ne prenaient pas la peine d’être plus discrets… Elle n’eut aucun mal à les suivre et les rattrapa avant que la nuit ne fût tombée, alors qu’ils sortaient de la forêt et s’aventuraient sur les pentes des collines de granit.

La lune resplendissait.




***




La nuit venue, Horsa arrêta ses hommes au sommet de la colline. Les blocs de granit lissés par les vents formaient une muraille irrégulière qui les protégerait d’une éventuelle attaque. Leur position idéalement dominante permettait de surveiller tout le pays alentour : la blancheur éclatante de la lune éclairait la lande d’une lumière suffisante pour révéler la moindre approche suspecte.

Seul accroc à une situation parfaite : la brume qui montait de la forêt en contrebas.


À mesure que la nuit était tombée, les mailles du mince filet vaporeux s’étaient resserrées et la toile épaissie ; elle surgissait de la terre, s’accrochant aux branches des arbres et grimpant le long des feuillages en longues volutes. À présent, elle débordait de tous côtés jusqu’à paraître engloutir la forêt elle-même dans sa masse informe, opaque, parfois luisante sous l’éclat de la lune. Elle continuait de progresser inexorablement, rampant à flanc de colline, à l’affût d’une proie vivante à dévorer.


Les barbares s’installèrent autour du feu qu’ils avaient allumé. Deux d’entre eux montaient la garde autour du camp improvisé.

Horsa, assis sur un rocher, caressait entre ses mains la masse d’arme d’Ambrosius. Une sorte de massue ferrée qui, correctement maniée, devait au moins assommer des aurochs. Il la balança d’une main à l’autre pour en éprouver le parfait équilibre. Pas d’auroch dans le coin. Juste une fille à ses pieds. Et le Romain, assis tout près, les mains liées dans le dos et attachées à un pieu enfoncé dans le sol. Impuissant. Un coup suffirait à les écrabouiller l’un et l’autre. Leur vie tenait à si peu de chose, une seule décision, un seul geste.


C’était dommage, le Barbare n’avait pas le droit de toucher à l’arrogant Romain pour l’instant : c’était leur carte maîtresse, à lui et son frère, pour conforter leur domination auprès de Vortigern. D’ailleurs, il avait éliminé les hommes du patricien qui les accompagnaient dans leur mission spéciale. Ce serait facile à expliquer : la capture aurait tourné à la lutte acharnée, et les hommes de Vortigern n’auraient pas fait le poids contre ceux d’Ambrosius.


Quant à la fille… la prise qu’ils avaient faite dans la forêt pourrait s’avérer intéressante mais le laissait perplexe. Si – comme il le pensait à cause de l’anneau précieux qu’elle portait – cette fille était de haut lignage, elle était épousable ou monnayable. Si ce n’était pas le cas, elle était suffisamment belle pour satisfaire ses envies immédiates ou celles de ses hommes. Seulement, en la regardant recroquevillée, enfouie sous le manteau qu’il lui avait donné, il craignit qu’elle ne les ralentît considérablement et se demanda s’il n’était pas préférable d’en profiter tout de suite, cette nuit, avant de la tuer. D’autant qu’ils avaient déjà abusé d’elle et que sa valeur s’en trouvait diminuée.


Ambrosius gardait les yeux clos. Ne pas céder aux provocations du Barbare. Concentré. Le spectacle des batailles, il connaissait. Les mêlées sanglantes, les blessures béantes, les membres arrachés, les têtes fracassées, les corps piétinés par les chevaux, le sang poisseux, collant, au parfum obsédant, il en avait pris sa part. L’ennemi une fois vaincu, il avait souvent fermé les yeux sur les violences commises par ses légions.


Aujourd’hui, la fille ne s’était pas défendue. Elle n’avait pas émis un seul son. Et pourtant…

Après le passage de leur chef, les hommes l’avaient plaquée au sol, la maintenant fermement et la souillant tour à tour en riant. Il n’avait pas pu détourner le regard. Elle avait saigné.

Et lui, il avait bandé. Il avait bandé à la vue de ce corps aux longues lignes harmonieuses, façonné dans l’argile divine et finalement offert en sacrifice à de vulgaires profanateurs. Il l’avait désiré comme les autres. Un désir brutal le ramenant au même rang que ces barbares qu’il combattait avec tant d’acharnement. Avec quelle légitimité ? Dans les faits, il ne valait pas mieux qu’eux. Lui, le fidèle du Christ, professant la charité, croyant à la grâce et la protection de Dieu, il devait se rendre à l’évidence : il ne valait pas mieux que ces païens. Et si Dieu existait, il avait depuis longtemps abandonné ses Créatures.


Et puis il y avait eu cet instant étrange. Il avait senti un regard se poser sur lui. Un regard perçant. Il avait regardé autour de lui, les Barbares étaient occupés avec leur proie. Ça venait de l’antique monument à moitié en ruines. Il en était certain. Un souffle avait agité les arbres autour de lui. Il avait distinctement entendu une voix l’appeler Merlinus. Une légère vapeur flottait au-dessus de l’eau. En face, sur l’autre rive, une femme à la peau nacrée. Elle bandait un arc brillant. Son cœur s’était emballé.


Il avait fermé les yeux. Le temps de les rouvrir, la vision s’était évanouie. Dans les histoires des Anciens, les dieux s’amusaient souvent à abuser les mortels en façonnant des nuées pleines d’illusions. Mais pour le Romain, ce n’était qu’un signe tangible de fatigue. Ou pire : de l’abandon de Dieu.



De minces filaments de brume léchaient à présent les abords du campement.

Ambrosius sentit une présence dans son dos. Il frissonna. Quelque chose comme un imperceptible déplacement d’air. Il se raidit et scruta l’obscurité. Était-ce lui ou les contours des silhouettes devenaient-ils flous ? Il y eut un murmure :



On effleurait ses poignets.



Son cœur s’emballa, comme il avait fait dans la forêt.

La voix était aussi légère qu’un souffle, mais déterminée et impérieuse.



Le Barbare avait retiré à Ceridwen son manteau. Sa main caressait les chairs tendres et meurtries. Il venait de décider du sort de sa captive. Le cri lui fit lever les yeux.



Il rejoignit néanmoins la sentinelle.

La brume, moins dense qu’en contrebas, les enveloppa bientôt. Sans plonger tout à fait la colline dans l’obscurité, elle absorbait la lumière du foyer et les rayons de lune, noyant blocs de granit et êtres vivants dans un même nuage vaporeux. Horsa, dont la silhouette de géant se devinait encore parmi les ombres, criait des ordres à ses hommes, afin qu’ils ne se dispersent pas.


Ambrosius, le cœur battant, sentit ses mains libres. Il se retourna mais ne vit personne. Il profita de ce qu’aucun barbare ne lui prêtait attention pour déplier ses membres ankylosés.

Leur chef avait laissé sa masse. À terre, tout près. À côté de la fille violée. Il suffisait de franchir quelques pas. L’affaire d’un instant. Il retint son souffle et se déplaça doucement.

Au moment où il s’empara de l’arme, un cri affreux déchira l’obscurité et lui vrilla les tympans : près du foyer rougeoyant, la silhouette monstrueuse du géant se débattait furieusement, aux prises avec une forme accrochée à son dos.


Morgane avait bondit sur sa proie, souple et rapide, s’enroulant autour d’elle, l’enserrant entre ses jambes serpentines. Horsa tentait d’enfoncer ses mains puissantes dans les lianes qui l’étouffaient. Elle s’accrochait, sifflait de rage et de douleur, mais resserrait toujours plus son étreinte.

À l’instant où sa prise fut assurée, elle brandit deux dagues acérées, qu’elle planta dans le cou du Barbare, comme les crocs d’une vipère. Elle les retira brutalement. Le sang jaillit en abondance.


L’attaque inattendue avait tiré Ceridwen de sa léthargie.

Le cri libéra du fond de son ventre une inextinguible soif de vengeance, qui balaya tout autre désir que celui du carnage à accomplir.


Les hommes d’Horsa, un instant tétanisés par le cri inhumain, bondirent sur leurs armes et s’élancèrent au secours de leur chef. La masse d’Ambrosius s’abattit sur l’un d’eux et lui fracassa le crâne. Un autre chercha à éviter le coup, perdit l’équilibre et tomba dans le foyer. La douleur lui fit lâcher son épée.

Ceridwen rampait jusqu’à la mêlée. Elle évita le Barbare qui roulait dans l’herbe pour éteindre les flammes embrasant sa tunique et ses cheveux. Ses yeux s’arrêtèrent sur la lourde lame à terre, rougeoyante. Elle s’en empara, se redressa, et frappa le blessé de toutes ses forces. Il hurla. Elle frappa une seconde fois. Un liquide chaud lui éclaboussa les bras. La brume happait dans des ténèbres informes les ombres agitées du cœur de la mêlée. Elle entendait les armes qui se choquaient, mais surtout les halètements honnis des guerriers, qu’elle prendrait plaisir à étouffer en enfonçant sa lame dans leur chair. Elle continua d’avancer.


Morgane avait relâché sa proie.

Horsa, portant les mains à son cou, tentait d’arrêter la vie qui s’échappait de lui, en vain. De sa gorge sortait des sons incompréhensibles, d’horribles gargouillis. Impitoyable, la jeune femme lui lacéra profondément les mollets. Il s’effondra à genoux.


Ses hommes arrivèrent très vite, mais Morgane s’était déjà fondue dans la brume, parmi les rocs de granit. Un premier assaillant la suivit de près, sa lourde hache rencontra la roche. Le choc fut si violent que l’arme vibra dans les mains du barbare. Un peu sonné, il ne put éviter la jeune femme qui se jeta brutalement sur lui et le renversa. Il gémit : la colonne vertébrale brisée sur une roche coupante. Elle se remit aussitôt en place et son poignard accueillit l’assaillant suivant, qui s’était lourdement jeté sur elle. Déséquilibrés, ils roulèrent à terre. Morgane l‘égorgea.

Elle glissait souplement, se faufilait dans les brumes ou derrière un rocher pour réapparaître tout près de sa proie, à l’affût.


Ceridwen taillait l’air de sa lourde épée, à l’aveugle, rencontrant indifféremment d’autres lames, des cuirasses, la chair tendre ou le vide. Sons et consistances différents. Elle n’aurait pas cru qu’enfoncer une lame dans une chair humaine fût si aisé.


Ambrosius distribuait les coups de masse avec une rage acharnée, brisant protections et armes. Il écoutait l’éclatement du métal et le craquement des os. Quand tout était mou, il cessait de frapper.

Le carnage fut horrible.



***




Lorsque la brume se leva, la lune éclatante finissait sa course. Elle illumina le sommet de la colline et révéla le massacre.

Les trois survivants, vainqueurs, restaient seuls debout, hagards, haletant, couverts de sang.

Morgane fut la première à récupérer ses esprits. Elle s’approcha de Ceridwen qui venait de lâcher son épée, et posa une main légère sur son épaule.



Un murmure lui répondit :



Ambrosius les rejoignit.



Morgane allait répliquer, mais d’un geste, Ambrosius l’arrêta :



Le Romain serra les poings. Il venait d’être libéré pour se faire insulter, pour recevoir des leçons. Et par qui ? Par deux femmes, dont une déshonorée ; trop jeunes de surcroît pour avoir une quelconque expérience de la politique et de ses difficultés. Il cracha :



Morgane s’interposa.



Elle resta entre eux deux, le regard dur, et les toisa longuement. Ils baissèrent leurs armes.

Alors elle reprit :



Elle désigna la lune du regard :



Morgane la serra dans ses bras, avant de redescendre la colline en direction de la forêt, Ambrosius à sa suite.

Ils accomplirent le chemin dans le silence.

L’aube se levait lorsqu’ils atteignirent le cœur de la forêt. À fermer simplement les yeux et écouter les premiers bruissements de la brise matinale, ou le sifflement des oiseaux, on n’imaginait pas que le sanctuaire eût subi la moindre violence. Pourtant, l’herbe était piétinée partout, arrachée en plus d’un endroit. Quelques arbres exhibaient de profondes entailles sur leurs troncs mutilés. Le corps de Gwion, au bord de la source, avait laissé la place à une grande trace de sang séché.

Morgane se tourna vers Ambrosius.



Il soutint un moment ce regard vert et brillant qui semblait l’accuser, avant de se détourner : il n’avait pas été à la hauteur. Il en concevait une honte et un dégoût invincibles. Mieux vaudrait disparaître à tout jamais.

Il s’assit sur une pierre, en bordure de la clairière, et posa à ses pieds sa masse totalement inutile.



Morgane le regarda longuement. Elle se contenta de répondre :



Elle retira ses vêtements à la hâte et plongea dans la source. Elle était couverte de sang. Elle se frotta énergiquement pour en faire disparaître le plus possible les traces. Il ne réalisa pas tout de suite qu’elle était nue. Ça lui était égal. Une question lui brûlait les lèvres :



Morgane se tourna vers lui, interrogative. Elle semblait n’avoir pas bien entendu. Répéter lui coûta. Il craignait la réponse et n’était pas sûr de vouloir l’entendre.



Ambrosius déglutit difficilement. Le sang se retirait de ses veines goutte à goutte remplacé par un froid envahissant.



Lot des Orcades. Un allié, mais ses terres ne faisaient pas partie de l’empire. Un Picte. Un païen. Mais au moins, il était sage et ses deux plus jeunes enfants étaient en vie. Il réalisa qu’il ne les connaissait pas. Et qu’eux ne connaissaient pas leur père. Ils ne marchaient pas encore quand il était parti.



Horsa n’avait pas menti.

Ambrosius se sentait sale.

Sa femme était très jeune au moment de leurs noces. Il avait fait son devoir et elle avait mis au monde des enfants. Un garçon d’abord, puis des jumeaux : un garçon et une fille. Un bilan plutôt honorable. Malgré tout, il l’avait toujours considérée elle-même comme une enfant. Elle était surtout occupée de ses toilettes et de l’entretien de sa maison.


De quelque côté qu’il soulève le voile, la triste vérité se présentait sous le même jour : il avait abandonné sa famille. À son retour, elle n’existait plus, sauf deux enfants très jeunes, exilés sur des terres étrangères.

Il se dévêtit et plongea à son tour dans la source.

Il avait failli comme Pater familias et comme Préfet. Le butin que sa légion ramenait ne ferait jamais le poids face à tout ce qu’il faudrait reconstruire aujourd’hui.

Il était las. Il ferma les yeux.

En frottant ses bras, il sentit d’épais bracelets à ces poignets. Il reconnut ceux que portait Horsa. Le cerf à la ramure entrelacée dans les arabesques du feuillage. Il ne se souvenait pas les avoir pris. Mais cette nuit, dans l’ivresse du combat, il avait pu se passer bien des choses oubliées. D’ailleurs, à bien y réfléchir, il y avait comme une brume opaque dans cette région de sa mémoire.



On l’appelait. Un chuchotement. Une femme assise sur la berge, à la peau nacrée, au regard vert, un arc à ses côtés. Il l’avait déjà vue, elle, il se souvenait très bien. Ses paupières lourdes de fatigue, qu’il parvenait difficilement à soulever, lui brouillaient la vue en partie.



La voix était douce et cristalline.



Ambrosius se concentra. Il n’était pas sûr, ça remontait à si loin.



La femme approuva en souriant. Elle se leva et fit signe à Ambrosius de la suivre. Sa silhouette ondulait, claire et scintillante, les cheveux dénoués et la peau entièrement nue. Elle glissa, souple et rapide, dans l’antique monument près de la source, laissant pour seule trace de son passage une légère vapeur translucide qui disparut presque aussitôt. Il s’engouffra derrière elle, le cœur battant à tout rompre.

Il la trouva étendue au sol, dans la pénombre, rouge de sang, des dagues à côté d’elle, la respiration sifflante qui lui soulevait doucement les seins. Alors seulement, il reconnut Morgane.


Tout à l’heure, quand elle avait plongé dans l’eau, il ne lui avait pas prêté attention, mais la sensualité de ses courbes lui parut une évidence.

Il s’approcha. Penché au-dessus d’elle, il la huma longuement. L’odeur du sang envahissait ses narines et ravivait ses sens engourdis. Elle n’avait pas dû parvenir à se nettoyer dans la source.

Le souffle errant à la surface du corps suscita une vague de frissons dont il ressentit le frémissement sur le bout de ses doigts. Le frisson s’immisça par les pores de sa peau, remonta le long de ses bras et trouva directement le chemin du cœur, d’où il rayonna jusqu’à la pointe des cheveux. Son ventre se contracta. Il retint sa respiration. La chair appelait la chair. Il avait faim et soif. Il posa une main sur un sein. La rondeur épousait parfaitement sa paume. Le téton se tendit, irrépressiblement attiré. Morgane laissa échapper son premier soupir.


Ambrosius se redressa vivement, les tempes bourdonnantes. Il porta sa main couverte de sang à sa bouche. Un goût fort. Un peu écœurant. Brûlant. Un voile devant ses yeux.

La chaleur se répandait depuis sa gorge, s’écoulait goutte à goutte le long des veines, gonflant sa chair d’un immense appétit, dilatant ses membres de désir. Il s’inclina à nouveau vers le corps offert et ouvrit la bouche.


Morgane ondoyait. Il commença par sucer ses doigts, glissa le long des bras blancs, s’attarda aux épaules et dans le cou. La lourde chevelure lui caressait le visage, mêlait son parfum à l’odeur du sang et apaisait l’ivresse qui menaçait de l’emporter trop vite. Il suivait les courbes sans se lasser, sa langue traçait des virages, revenait en arrière pour s’imprégner pleinement du goût de la jeune femme dans toutes ses nuances.


Pas un pouce de peau n’échappa à la bouche vorace d’Ambrosius. Il lui semblait que toute la vie absorbée, après s’être diffusée dans son corps, s’était concentrée dans son sexe, tant il était dur et gorgé de sang.

Quand sa bouche parvint au creux des reins, à l’orée des fesses charnues, l’émotion fut si vive que l’air lui manqua et il faillit jouir.

Morgane dut le sentir car elle se retourna et écarta les cuisses. Il fit glisser sa langue le long de la fente humide. Il gardait dans ses mains calleuses, aux paumes durcies par les exercices guerriers, les seins satinés et fermes de la jeune femme. Il se souvenait les avoir mangés de baisers, les pointes gonflées de plaisir avaient fondu sous les douces morsures et la langue caressante. À présent, il suçait et léchait un autre fruit, il buvait un autre fluide, âcre et puissant, que Morgane exhalait à chaque gémissement. Elle soulevait les hanches et accolait son sexe à la bouche gourmande, réclamant des caresses toujours plus appuyées, plus insistantes.


Il la pénétra d’un doigt. Elle se tendit comme un arc prêt à lancer son trait, le cri de jouissance fusa. Son corps vibra, puis retomba au sol, léger, vidé de sa substance.

Elle soupira :



Il glissa en elle, dans son fourreau soyeux. Elle releva les jambes et lui entoura la taille, laissant ses chevilles légères caresser ses fesses. Elle s’accrochait ainsi à lui, elle l’empêchait de se détacher, si tant est qu’il en eût éprouvé le désir. Il goûtait la joie d’un enserrement si profond qu’il lui sembla se fondre en elle. Sur un signe, un mouvement de reins plus ample, il accéléra la cadence.

Son cœur s’affolait. La tête lui tournait.



Il perdit pied.



Il ouvrit les yeux. Le vert flamboyant de ceux de Morgane fut sa première vision.

Elle le secouait.



Il se redressa, s’arrachant avec peine de son rêve.



Il ne savait pas comment accueillir la nouvelle. Il regarda autour de lui. Le soleil était haut à travers les arbres, et la forêt embrasée de couleurs vives. Quelques soldats paraissaient monter la garde. Agenouillée en face de lui, Morgane le fixait curieusement. Il tenta de se détourner, gêné par ces yeux qu’il avait vu chavirer en rêve.



Elle sembla hésiter.



Un trouble profond et indéfinissable le remuait. Il ne pouvait chasser les images de cette fille infiniment désirable. Il devait savoir.



Il passa ses mains sur son visage et considéra le nouveau venu.



Deux jours… Morgane reprit :



Un tout jeune homme, portrait craché d’Uther, conduisait la troupe qui pénétra dans la clairière. Il avait les traits tirés et le regard particulièrement grave. Les guerriers qui l’accompagnaient gardaient le silence. Deux d’entre eux portaient Ceridwen enveloppée dans une longue cape. Morgane se leva.



Ambrosius venait de se redresser. Arthur et ses hommes s’inclinèrent d’un même mouvement.