n° 14546 | Fiche technique | 38622 caractères | 38622Temps de lecture estimé : 23 mn | 30/08/11 corrigé 12/06/21 |
Résumé: J'ai décidé de vous prévenir... | ||||
Critères: fh bizarre chantage nonéro humour -vengeance | ||||
Auteur : Rain Envoi mini-message |
DEBUT de la série | Série : Que faire quand un auteur devient trop "collant" ? Chapitre 01 / 02 | Épisode suivant |
Il me paraît important de vous raconter ce que je subis depuis maintenant plusieurs jours car cela pourrait bien vous arriver aussi ! Comme vous, je me suis inscrit sur ce site et, toujours comme vous, il m’est arrivé d’attribuer des notes aux textes que je lisais. Étant quelqu’un d’assez gentil qui n’aime pas faire de la peine aux autres, je me contente toujours de noter les textes qui m’ont plu et n’attribue pas de notes à ceux que je trouve mauvais. Parfois je laisse un commentaire, sans note, afin de ne pas faire baisser la moyenne des inscrits.
Tout a commencé la semaine dernière. En me connectant sur le site que nous connaissons tous, je suis surpris de voir que quelqu’un m’a envoyé un message. Le mail provient de l’un d’entre vous dont je tairai le nom parce que je sais aujourd’hui qu’il n’est pas l’auteur de ce message. Je vous livre le message tel quel, en copier/coller :
Monsieur,
Je vois que vous avez décidé d’attribuer une note largement inférieure à la moyenne (8) à mon chef d’œuvre. Je pense qu’il s’agit probablement d’une erreur de votre part et que vous avez omis le 1 qui aurait du naturellement se trouver devant le 8.
Je n’ai aucun doute que vous corrigerez cette petite erreur dès que vous lirez ce message.
Cordialement,
Gustave.
Je peste dans mon bureau vide en lisant les quelques lignes. Son nom ne me dit rien. Je recherche les textes de cette personne que je n’ai pas lus et encore moins notés et finis par me convaincre que c’est certainement une blague même si je n’en comprends pas la ou les subtilités.
Je décide donc de répondre à ce Gustave. Le système de messagerie du site me propose automatiquement de citer son message dans ma réponse. Parfait ! Je félicite cette personne pour son humour et laisse mon ordinateur pour le restant de la soirée, sans l’éteindre, car je risque d’y retourner quand ma femme ira se coucher.
oo00oo
Ce soir-là, mon épouse part au lit tôt. Je finis de regarder le navet que diffuse la télé et, dès que la musique du générique final démarre, je me lève, éteins l’écran cathodique et retourne dans mon bureau.
Mon ordinateur est en veille. Je remue la souris, ce qui fait apparaître mes deux petits enfants en fond d’écran. Je les regarde un bon moment, les trouvant évidemment plus beaux et plus intelligents que tous les bambins de la planète.
Je me connecte sur le site et vois que j’ai deux nouveaux messages. Les deux proviennent du même individu. Vous aurez compris qu’il s’agit de la même personne. Le premier message est très court. Je vous le livre encore en copier/coller :
Bonsoir, je n’ai absolument aucune idée de quoi vous parlez. Je ne vous ai fait aucune blague et je ne comprends pas le message que vous avez cité dans le courriel qui m’est parvenu ce soir puisque je ne vous ai jamais écrit. Vous avez dû faire une erreur. Bonne soirée.
Pendant quelques minutes je suis abasourdi. Ces histoires à dormir debout commencent un peu à m’angoisser. J’hésite à cliquer sur le second message, réfléchissant à une explication rationnelle. Je n’en trouve aucune mais l’ouvre quand même (je ne vais pas répéter copier/coller, mais aucun message n’a été modifié, sauf pour préserver l’anonymat) :
Monsieur,
J’ai vu que vous avez ouvert le message que je vous ai envoyé à 18 h 22 et il est précisément 22 h 22 au moment où j’écris ces lignes et je vois toujours un 8 et non un 18. Je vous laisse jusqu’à minuit. Passé ce délai je serai obligé de passer au stade suivant.
Cordialement,
Gustave
PS : Contentez-vous de changer ma note, inutile d’envoyer des messages à M. X qui ne peut pas vous aider.
Je relis une dizaine fois son message. Je suis furieux ! Je parle à voix haute « Mais pour qui il se prend ce con ? » Je me lève et commence à tourner en rond dans mon bureau. Je regarde l’heure sur mon écran 22 h 43.
Il te reste une heure dix-sept minutes, je me surprends à penser. Mais qu’il aille se faire foutre ! dis-je encore à voix haute. Je suis furieux ! Je ne sais pas qui est ce type et, qui plus est, je suis convaincu ne jamais avoir mis de notes en dessous de la moyenne.
Je décide d’aller me coucher. Ma femme dort profondément sur le dos. Elle a l’air plus jeune (nous avons cinquante-huit et cinquante-sept ans), son visage me semble avoir moins de rides dans la lueur lunaire qui filtre à travers les interstices des volets. Sa poitrine se soulève au rythme de sa respiration. Elle a l’habitude de dormir nue. Je passe un moment à observer cette poitrine qui me donne des envies qui s’envolent lorsque je m’aperçois qu’il est 0 h 03 à notre radioréveil.
oo00oo
Je bondis hors du lit et retourne à mon bureau à toute vitesse, comme si tous les diables de l’Enfer étaient à mes trousses. Je rallume l’ordinateur. Le temps d’arriver au bureau de Windows me paraît interminable. C’était bien la peine que mon fils aîné me bassine avec son « I core » truc qui aurait du transformer mon PC en bête de course.
Je me connecte et ne suis pas étonné quand je vois que j’ai un nouveau message dont voilà la teneur :
Monsieur,
Je me suis montré très courtois jusqu’à maintenant mais j’ai l’étrange impression que vous me prenez pour un imbécile. Je vois que vous avez lu tous les messages que je vous ai envoyés. Pourtant ma note est toujours la même…
Je constate que vous vous croyez, vous aussi, plus malin que les autres. Je vous avais prévenu. Vous aurez bientôt de mes nouvelles par la poste.
En revanche dans ma grande magnanimité, si la note que vous m’avez attribuée changeait d’ici demain matin, je serai prêt à oublier votre bassesse.
Gustave
Il n’y a plus de « cordialement » dans son nouveau message et je ne sais plus trop quoi penser de cet individu. Mais une petite voix dans ma tête me susurre que c’est un taré et cette explication me suffit.
C’est m’a femme qui a voulu qu’on prenne Internet. Les enfants nous ont aussi beaucoup vanté ses avantages sans jamais nous dévoiler toutes les conneries que cela véhiculait.
J’en veux à tout le monde sur le moment. Puis je relis son message et m’arrête sur « Vous aurez bientôt de mes nouvelles par la poste. »
Comment peut-il avoir mon adresse ? À moins qu’une boîte mail soit, pour ce barjot, la poste. C’est une possibilité que j’envisage un moment. De toute manière, il est fou à lier. Demain j’irai à la police.
Avant de retourner au lit je fais une recherche des textes que j’ai notés. Je suis surpris mais j’ai bien donné un 8 avec pour commentaire :
Bof. On s’ennuie surtout beaucoup !
Je ne peux pas vous dire de qui il s’agit car je sais aujourd’hui qu’il m’épie et pourrait savoir que je l’ai « donné. » Alors pourquoi me direz-vous, j’expose mon problème aux yeux de tous ? La réponse est simple : je suis convaincu que je ne suis pas l’unique cible de cet agité du bocal parce que j’ai vu les notes que vous lui avez collées ! Certains d’entre vous connaissent peut-être déjà la fureur de Gustave. En outre, avec l’aide d’un ami de mon fils, j’ai pris des précautions (pour brouiller les pistes) que je vous dévoilerai plus tard.
Le sommeil est évidemment long à venir mais il finit par m’assommer vers quatre heures du matin.
oo00oo
Le lendemain je me traîne littéralement à mon travail où je passe la majeure partie de la journée à penser à cet illuminé. En fin de journée, je suis exténué. Il me manque du sommeil et, par paresse, je ne me rends pas au commissariat.
De retour à la maison, je me précipite sur mon ordinateur et ne suis pas étonné de voir que j’ai un nouveau message :
Monsieur,
Apparemment vous ne comprenez pas grand-chose, ni à la grande littérature, ni à mes exigences que vous auriez mieux fait de respecter.
Mais après tout vous n’êtes qu’un homme et votre prétention est certainement la cause principale de votre aveuglement face à la grande littérature qui imprègne mes récits. Mais les limites de ma patience ont été largement franchies.
Je me vois contraint de passer au stade suivant. Je vous imagine déjà en train de vous mettre en colère dans votre minable bureau qui, soit dit en passant, est un vrai foutoir. Je ne sais pas comment votre épouse peut fermer les yeux sur un tel capharnaüm. À sa place, il y a longtemps que je vous aurais mis aux plis. Mais votre femme a d’autres distractions apparemment…
Gustave.
Je profère un « nom de dieu » et résiste à l’envie de cogner l’écran de mon ordinateur. Cet abruti commence à me courir sur le haricot et les sous-entendus de ce message me donnent envie de lui casser la gueule. S’il était là, en face de moi, je lui sauterais à la gorge.
Mais je suis aussi inquiet. Angoissé paraît plus approprié. Il sait que je suis bordélique. Comment ? Serait-il venu chez moi ? Je me mets à imaginer des scénarios de plus en plus affolants quand la raison finit par l’emporter.
« Il a dit ça comme ça », me rassure une voix dans ma tête.
Mais ce qui me préoccupe le plus c’est sa dernière phrase :
« Mais votre femme a d’autres distractions ». Que veut-il dire ? Que ma femme me trompe ? On est ensemble depuis qu’on a dix-sept ans. C’est absurde, je m’en serais aperçu, dis-je à mon bureau vide.
Mais la voix qui m’a rassuré cherche maintenant à me dérouter :
Une fois ces sombres pensées chassées – ce qui prend pas mal de temps – je décide d’envoyer un message à la personne à qui j’ai attribué la seule note en dessous de la moyenne :
Monsieur,
Je pense que votre petit manège a suffisamment duré comme ça. Si vous me menacez encore je serais contraint d’aller voir la police. Le harcèlement est répréhensible dans ce pays au cas où vous l’ignoreriez. À bon entendeur, salut.
Je suis resté à mon bureau sachant que la réponse n’allait pas tarder. Mais j’étais loin de m’attendre à cela.
oo00oo
Monsieur x (mes nom et prénoms)
Je vois que vous êtes plus obtus qu’une mule. Cela aurait pu être simple pour vous si vous aviez fait ce que je vous avais demandé dès le début. Mais non, il a fallu que vous vous croyiez plus malin que moi. Pas vrai ? Si vous mettez vos menaces à exécution, je pourrais sauter plusieurs stades, et croyez-moi cela s’avérerait extrêmement pénible pour vous. Vous vous en mordriez les doigts le reste de votre pathétique existence. Si vous croyez que je suis un petit rigolo, là encore vous vous mettez le doigt dans l’œil.
Attendez-vous à avoir de mes nouvelles par la poste et je pense que vous comprendrez que je ne suis pas un individu que l’on prend à la légère. Allez voir les flics, et c’est chez vous que je pourrais bien débarquer !
À la fin de la lecture, je suis paralysé par la peur. Mes mains sont toutes moites, mes aisselles ruissellent de sueur. Ce gars est complètement malade ! Il connaît mon nom de famille et mes trois prénoms !
J’hésite. La police ? Ou je laisse couler ? Je choisis de contacter les administrateurs du site en leur exposant la situation.
Ce soir-là, mon ordinateur reste éteint. À la place, j’écoute l’excellent Abbey Road (avec la première chanson cachée, her majesty, de l’histoire du rock) des Beatles, en boucle jusqu’à ce que la fatigue me conduise au lit.
oo00oo
Le lendemain matin, après avoir bu mon café, je vais dans mon bureau et regarde si j’ai une réponse des administrateurs. Non, aucune ! En même temps, c’est l’été et je me dis que la plupart doivent être en vacances.
Je passe la journée à travailler sans penser à Gustave le cinglé, mais à mon retour, je ne peux m’empêcher de me ruer sur la boîte à lettres et cherche du regard une lettre. Sa lettre. Il n’y a que des factures et, pour une fois, je suis content de les voir.
Je retourne vers mon ordinateur et, me connectant sur le site, je suis ravi de remarquer que j’ai un nouveau message. Je m’apprête à cliquer dessus quand mon esprit m’annonce que cela pourrait aussi être un autre message du malade mental.
Un peu effrayé, j’ouvre le mail. Quel soulagement ! Le message provient d’un des administrateurs qui m’explique qu’ils ont bien reçu mon mail et qu’ils vont faire tout ce qui est en leur pouvoir pour m’aider. Ils ont apparemment contacté le soi-disant Gustave et l’ont menacé de le bannir s’il ne se calmait pas. En post-scriptum la personne qui a rédigé le message me dit qu’il serait souhaitable que j’aille voir la police si cela continue car à leur niveau, malgré toute leur bonne volonté, ils ne peuvent pas faire plus.
Ce message me fait du bien. Je me sens mieux. Je commence à avoir envie d’écouter de la musique comme je le fais tous les soirs en rentrant du travail. Hier, c’était les Beatles, ce soir ce seront les Stones. Je passe mon morceau préféré, Sympathy for the devil. Le vinyle craque un peu au début du morceau, mais je n’échangerais pour rien au monde mes vieux disques contre leur CD au son sans chaleur ni profondeur.
Je me cale dans le fauteuil qui me sert principalement à lire et écoute Mick Jagger. Mais la peur fait courir ses doigts de glace le long de mon échine quand Mick chante :
Pleased to meet you, hope you guess my name,
But what’s puzzling you is the nature of my game
Je parle l’anglais presque couramment et l’utilise souvent à mon boulot avec nos clients américains. Pour ceux qui ne connaissent pas cette langue, je vous livre une traduction :
Enchanté de faire votre connaissance, J’espère que vous devinez mon nom (mais je trouve que « je pense que vous savez qui je suis » est une meilleure traduction. Plus effrayante !)
Mais ce qui vous rend perplexe (mais je crois que «mais ce qui vous trouble » est nettement mieux comme traduction et aussi plus terrifiant) est la nature de mon jeu.
Avec ce qui se passe en ce moment mon cerveau a vite fait d’interpréter les paroles de la chanson. Il fait évidemment le lien avec Gustave, mon diable, qui s’est présenté à moi comme dans la chanson des Stones, mais pour lequel je n’ai aucune compassion ! Et effectivement la nature de son jeu malsain me trouble énormément !
Je finis la chanson mais décide que ce sera la dernière de la soirée. C’est bête mais ces quatre phrases m’ont noué les trippes. Je ne vois qu’une solution à mon problème. Une bonne lampée de Jack Daniels. Voilà ce qu’il me faut.
Je descends dans le salon et bois, non pas un, mais trop de verres qui me procurent d’agréables sensations. L’alcool commence à me monter à la tête et j’allume la télé. Pourtant je ne la regarde pas. Je rêvasse. J’oublie mes petits soucis et lorsque mon épouse rentre du boulot, je me sens en grande forme. Cela fait une éternité que je ne me suis pas senti aussi bien.
« Cela fait aussi une éternité que t’avais pas bu », m’annonce la voix lointaine au fin fond de ma tête.
Lorsque j’entends la clé dans la serrure, je me cache derrière le canapé. J’ai l’impression d’être plus jeune. J’ai envie de m’amuser. Je suis un peu bourré aussi. J’ai envie de faire une blague à ma femme.
Elle entre et m’appelle en me disant qu’elle est de retour. Je ne bouge pas. Elle va d’abord dans la cuisine, comme toujours, et boit son éternel verre d’eau dégueulasse (de la Contrex.)
J’attends près de cinq minutes avant qu’elle ne décide de monter à l’étage pour voir si je ne serais pas dans mon bureau en train d’écouter de la musique au casque. Je passe dans la cuisine avant qu’elle ne redescende, car tôt ou tard, elle va y aller. C’est évident. Les femmes de son âge ont souvent bien moins de chance que les jeunes femmes d’aujourd’hui qui ont presque réussi à obtenir le partage des tâches ménagères. Il faut l’avouer, c’est un gros avantage pour les hommes de ma génération, le fameux baby boom.
Je me dissimule derrière la porte de la cuisine et lorsqu’elle en franchit le seuil, je passe dans son dos. D’un coup mes mains englobent ses seins. Elle fait d’abord un bond. Je lui ai fichu la frousse. Mais une fois qu’elle se rend compte qu’il s’agit de son mari, elle s’abandonne à mes caresses et je la prends sur la table.
Quel bonheur ! Nous n’avions pas fait l’amour avec autant d’ardeur depuis des lustres et ce soir-là quand je me suis couché, j’étais heureux.
J’ignorais à ce moment-là que c’était la dernière fois que je couchais avec ma femme.
oo00oo
Le jour suivant, je me réveille à 8 h 30. Affolé, je saute du lit. Je vais être en retard au boulot ! Pourquoi ma femme ne m’a-t-elle pas réveillé ? Je descends les marches des escaliers quatre à quatre et la trouve assise à la table de la cuisine en train de boire son café dans le gros mug (avec le symbole peace and love sous lequel est inscrit : Make love not war) que je lui avais offert pour ses dix-huit ans après un week-end que j’avais passé à Londres en compagnie de camarades de fac.
Je comprends alors que c’est samedi et que nous ne travaillons pas.
Elle me sourit et me propose de m’apporter une tasse de café. Je m’installe et sirote mon breuvage en me remémorant ce qui s’est passé hier soir sur cette table. Cela me donne des envies et je tente une approche qui se solde par un :
Un non m’aurait amplement suffit.
Déçu, je décide de passer la matinée dans mon bureau. Cela fait quelques jours que je n’ai pas regardé ma boîte mail (celle de mon fournisseur d’accès internet) et j’allume mon ordinateur avec une nouvelle tasse de café fumante.
J’ai un message de Paul, un ami du lycée qui vit depuis plus de vingt ans en Polynésie. J’ai hâte de savoir ce qu’il m’annonce. Peut-être vient-il en France ? Cela fait bientôt cinq ans que je ne l’ai pas vu et nous nous entendons bien. C’est d’ailleurs le parrain de mon aîné, Emmanuel.
J’ouvre le message et là, une horreur indescriptible me cloue sur ma chaise. Je dois être pâle comme un linge. Mon cœur galope dans ma poitrine. Ma mâchoire a dû descendre de deux étages. Je suis choqué par ce que je vois. Comment peut-il avoir eu ça ? C’est impossible ! La photo vient de mon ordinateur. Elle se trouve dans un dossier protégé par mot de passe. Il m’a fallu des heures de recherche via Google pour trouver comment protéger un dossier par mot de passe et Paul m’envoie notre photo intime.
Sur celle-ci, on aperçoit ma femme, que tous nos amis reconnaîtraient sans le moindre problème. Elle enfourne mon sexe dans sa bouche. Moi, je ne suis pas reconnaissable, on ne voit que ma verge et ma taille rondouillette.
Je comprends immédiatement que Paul n’est pas l’auteur de ce message. C’est l’autre cinglé ! Gustave de mes deux ! Je suis furieux et vais sur la partition de mon disque-dur sur laquelle se trouve le dossier avec les quatre photos osées que ma femme avait finalement accepté de faire après de nombreuses semaines de négociations.
J’ouvre le dossier après avoir tapé mon code secret (fait de symboles, lettres et chiffres comme m’avait conseillé Emmanuel pour ma boîte mail) empli d’effroi à cause de ce que je pourrais y trouver. Il n’y a rien !
Le salaud m’a volé nos photos intimes !
Ma décision est prise ! Je vais aller à la police. J’imprime tous les messages de Gustave, le barjot de service, prends une douche et roule jusqu’au commissariat.
oo00oo
Je n’ai pas à attendre longtemps. Le commissariat est vide. L’officier à l’accueil me demande l’objet de ma visite. Je lui explique que je souhaite déposer plainte. Il me propose de me rendre dans le bureau d’une de ses collègues qui prendra ma déposition.
Sa collègue est une jeune femme qui doit avoir entre vingt et vingt-cinq ans. Je m’assois face à elle et lui expose la situation en n’entrant pas trop dans les détails. Mais c’est précisément ce qu’elle veut. Les détails ! Elle me bombarde de questions et je finis par lui raconter toute la vérité (sans parler de nos photos intimes toutefois). À la fin, je me sens un peu honteux de lui raconter que je note des récits érotiques mais cela n’a pas l’air de la troubler « but what’s puzzling you is the nature of my game » chante Mick sous mon crâne.
Elle me dit, qu’en revanche, ils ne peuvent rien faire tant que la personne dont Gustave a utilisé la boîte mail pour m’envoyer le premier message ne dépose pas plainte pour usurpation d’identité.
Cela me porte un coup au moral. Elle s’en aperçoit et essaie gentiment de me réconforter. Elle finit par me proposer de photocopier ma plainte et me conseille de la faire parvenir à la personne dont Gustave utilise la boîte personnelle. Elle m’explique, comme si j’étais le dernier des idiots, qu’avec ma plainte tamponnée par les forces de l’ordre cette personne me prendra au sérieux.
Je tique. Je suis en train de me demander comment je pourrais faire parvenir cette feuille à la personne dont je connais que le surnom. Ne rigolez pas, je connais l’existence du scanner, mais je n’en possède pas, j’ai une vieille imprimante simple.
Voyant probablement mon visage dubitatif, elle croit nécessaire de me parler de l’existence du scanner. Je suis un peu vexé qu’elle me prenne pour un vieux croûton mais ne le montre pas. À la place, je me contente de lui dire que je n’ai pas de scanner. Elle sourit et propose de s’en occuper sur le champ et de me l’envoyer à mon adresse mail sous format jpeg. Là encore elle trouve utile de préciser qu’il s’agit d’un format de photo compressé comme si j’étais le dernier demeuré, moi qui fais de la photo depuis l’âge de vingt ans et qui a fini par quitter mon argentique pour un Canon numérique HD avec pas moins de cinq objectifs différents. Je me contente de hocher la tête. Je lui donne mon adresse mail et elle me transmet le document scanné via courriel.
Je la remercie, lui serre la main et quitte le commissariat. Je serai serein jusqu’au lundi soir. Soir où ma vie de couple s’arrête.
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Mon week-end est calme. Après avoir expliqué à la personne de Rêvebébé (que je remercie encore, vous avez été super, monsieur) la situation complexe dans laquelle je me trouve, il me fait parvenir son mail personnel en me promettant de se rendre lui-aussi au commissariat dès qu’il recevra ma plainte enregistrée par la jeune policière. Je lui retourne instantanément le fichier image compressé (en ne pouvant m’empêcher de penser, un sourire aux lèvres, à la policière qui m’explique ce qu’est le format jpeg) en lui exprimant mes remerciements qui sont les plus sincères de tous les courriers que j’ai écrit dans ma vie.
Le soir même, il me renvoie la plainte qu’il a déposée dans sa ville. Je suis presque euphorique. Je vois enfin le bout du tunnel. Dimanche matin, je retourne chez les flics et ce salaud sera arrêté. J’en suis persuadé.
Le lendemain, je me rends au commissariat et laisse la lettre à la jeune policière qui avait pris ma déposition la veille. Elle est à l’accueil et ne me demande pas la raison de ma venue. Elle se souvient de moi. Elle me dit qu’elle transmettra la plainte à un collègue qui s’occupe de cyber-criminalité. Je la remercie et repars, content.
Je passe le reste de la journée à lire du James Hadley Chase en anglais en buvant du café. Pas une seule fois je ne suis retourné à mon PC par crainte de tomber encore sur un message de Gustave. Peut-être sait-il que je suis allé à la police ? me suis-je demandé quelques fois, pour être honnête. Mais le polar de Chase que j’avais lu à la fac me fait oublier mes soucis.
Ma femme a passé son week-end à faire du ménage, et du rangement. Parfois j’ai l’impression que, si elle meurt avant moi (ce que je ne souhaite évidemment pas), la seule image qui restera gravée dans ma mémoire sera elle, à quatre pattes (attention je vous vois venir) en train de passer son satané plumeau sous un meuble.
Le dimanche, elle rend visite à Sylvie son amie de toujours que je ne porte pas vraiment dans mon cœur parce qu’il m’arrive souvent d’avoir l’impression qu’elle monte le bourrichon à ma femme avec toutes les inepties qu’elle débite. Et elle en débite pas mal !
D’ailleurs, aujourd’hui je suis fermement convaincu qu’elle n’est pas innocente dans l’interruption brutale de ma vie conjugale.
oo00oo
Le lundi soir, j’ouvre la boîte aux lettres, la peur au ventre, et trouve une enveloppe de grande taille en papier kraft. Mon cœur se fige comme s’il s’était subitement arrêté de battre. L’écriture sur l’enveloppe est en majuscule d’imprimerie, le H de mon prénom (je m’appelle Henri) est parfait comme si les traits avait été tracés à la règle. Les autres lettres sont tout aussi droites.
Je vérifie avec une règle et effectivement chaque trait est parfaitement rectiligne. C’est un fou, un calculateur. Je n’ai aucun doute. C’est lui ! Il m’avait promis un nouveau message par la poste. Le voilà ! Je déchire l’enveloppe.
À l’intérieur, je découvre quatre photos de mon épouse en compagnie d’un homme dont le visage a été gratté aux ciseaux afin qu’il ne puisse pas être identifiable. Les deux sont nus et, sur chacune des photos, ma femme est prise dans une position différente.
Je suis choqué. Moi trompé ! J’ai du mal à le croire, pourtant l’évidence crève les yeux. J’ai envie de pleurer mais me retiens. Ma femme va rentrer d’un moment à l’autre. La tristesse laisse place à la colère et je prépare déjà l’introduction de mon discours assassin.
Je regarde l’heure. 18 h 05. Elle rentre généralement vers la demie. Cela me laisse vingt-cinq minutes pour réfléchir à ce qu’il m’arrive. Et si peu de temps s’écoule vite quand vous apprenez que votre femme vous trompe de cette manière. Depuis quand cette garce m’est infidèle ?
« Depuis toujours », murmure la petite voix dans ma tête.
Je me rue sur le bar, ouvre la bouteille de Jack Daniels et m’enfile trois bonnes rasades à même le goulot. Ce soir, je bois à même la bouteille ! Ce soir, pas de putain de dessous de verre pour les tâches sur la table que je me suis cassé le cul à cirer ! Je suis furieux contre elle. Je lui en veux. Mais mes nombreuses pensées tumultueuses finissent par me faire comprendre que je l’aime, cependant.
Je laisse l’enveloppe sur la table de la cuisine sachant qu’elle ne pourra s’empêcher de regarder ce qui s’y trouve lorsqu’elle se servira son verre de Contrex.
Cela me fait jubiler. Je suis diabolique ! Cela me plait !
Je me demande qu’elle sera sa réaction. J’imagine son visage décomposé, honteux et cela me procure d’intenses plaisirs.
Mais rien ne s’est passé comme je l’avais prédit. J’aurais du le savoir ! Les prédictions ne sont que des conneries d’astrologues !
Oo00oo
Je m’installe dans mon bureau en attendant le retour de mon épouse. Je parcours mes vinyles et choisis de passer le morceau préféré de mon épouse, « somebody to love » de Janis Joplin que je prévois de passer en boucle jusqu’à son retour.
Quand elle entre, je ne l’entends pas car j’ai pour habitude d’écouter la musique assez forte. Par contre, j’entends ses pas précipités dans les escaliers et jubile, callé dans mon fauteuil à écouter la lancinante voix de Janis qui a déjà repris trois fois le morceau depuis le début.
La porte s’ouvre brusquement. Mon épouse est furieuse, les joues rouges comme les chaussures qu’elle porte aujourd’hui. L’enveloppe en papier kraft se balance dans sa main droite. Elle entre dans la pièce, me jette l’enveloppe dont les photos s’étalent dans mon bureau, et hurle :
Je suis incapable de répondre, abasourdi par tant de haine de la part de mon épouse à mon égard.
Elle fait demi-tour, prête à quitter mon bureau. Pour toujours ?
En ultime recours, d’une voix pathétique, je l’oblige à me faire de nouveau face :
Je reste muet, Janis Joplin entonne « Kosmic blues ». Ma femme tourne les talons et s’en va. Je me lève, coupe la musique et écoute le silence de mort qui règne dans notre maison.
Ce soir, on va bien s’entendre avec Jacky ! La bouteille se trouve sur mon bureau. Dans la demi-heure qui suit, je la siffle avant de sombrer (ou de faire un coma, peut-être bien) dans le fauteuil.
oo00oo
Vers cinq heures du matin, je me réveille, le dos en compote, les articulations douloureuses, avec en prime d’atroces maux de tête. À se taper la tête contre les murs, comme on dit. Je cours à la salle de bain et avale un gramme de paracétamol en buvant beaucoup d’eau. Trop d’eau ! Mon estomac ne le supporte et se soulève. Je vomis. Me rince la bouche avec de l’eau.
D’un coup, les événements d’hier soir me reviennent. Ma gorge est nouée. Mes mains sont prises de tremblements. Mes yeux remarquent les photos éparpillées dans mon bureau. Je les ramasse et sur l’une d’elles, de l’autre côté de la photo est écrit, toujours en lettres capitales encore tracées à la règle :
Je hais ce type. Il vient de foutre ma vie en l’air pour une note à la con sur un site d’histoires érotiques. Je hais la technologie et regrette l’époque de ma jeunesse où les loisirs des gens étaient sains. On se baladait, on allait à la rencontre des gens. On avait des échanges concrets. Pas toutes ces conneries inutiles pour vous bouffer la tête, pour vous faire perdre du temps avec du virtuel alors que vous vous éloignez de plus en plus de la réalité qui vous entoure. C’est vrai que depuis que les enfants sont parvenus à nous faire prendre Internet, je me suis éloigné de ma femme. Il y avait tant de chose à faire sur cette toile. Tant d’échanges possibles avec des inconnus qui me donnaient des « frissons » comme lorsque j’étais ado.
Je sors tellement de mes gonds que mon cerveau n’annonce même pas la conséquence de mon acte quand mes bras saisissent l’écran de l’ordi et le balancent contre le mur. Il gît maintenant à terre, l’écran fendillé. Comme il est relié à la tour (cela non plus ma cervelle ne me l’a pas dit), celle-ci a suivi et est tombée de mon bureau produisant un bruit sourd quand elle a heurté le parquet qui doit être abîmé.
Mais je m’en tape comme de ma première chemise ! Si mon cerveau n’avait pas repris le dessus, j’aurais pu détruire tout ce qui se trouvait dans la pièce, peut-être même ma collection de disques !
Une douche et un café plus tard, je me sens mieux. Je ne vais pas aller travailler aujourd’hui. Jean-Pierre, notre médecin de famille et ami de longue date, me fera un arrêt maladie. Et si je suis assez courageux, je pourrais me confier. Il a toujours su écouter les autres, ce qui semble être rare de nos jours.
oo00oo
En route, mes pensées reviennent naturellement sur ce que j’ai appris hier soir. Je sais que mon épouse (ex-femme, me chuchote cette satanée voix) me trompe avec un Pierre. Dans notre entourage, nous avons deux amis qui portent ce prénom. Les deux étant mariés avec des amies de longue date de mon ex (d’accord la petite voix, ta gueule) cela parait improbable que ce soit l’un des deux. Mon esprit ne peut s’empêcher de me faire visualiser avec une clarté terrifiante les photos de ma femme qui se fait prendre par ce Pierre. Les images obscènes laissent place à une autre réflexion nettement plus dérangeante : le mot de l’autre dingue.
Il parle encore de « stade suivant » et je finis par me dire que ce Gustave est un véritable psychopathe comme dans les thrillers sanguinaires que regardent mes enfants. Un Hannibal Lecter, certes non cannibale, mais tout aussi manipulateur et vicieux.
En entrant dans le cabinet, je suis soulagé de voir qu’il est désert, ce qui est rare. Julie la secrétaire de Jean-Pierre m’annonce qu’il a actuellement quelqu’un en consultation et que je suis le suivant.
Je patiente une dizaine de minutes, parcours les magazines disposés sur la table basse. C’est pratiquement toujours pareil chez les médecins. Que des magazines de mode, avec des recettes ou bien des potins, pas ceux de Voici heureusement, mais Paris Match ou VSD. Jamais rien d’intéressant.
Enfin Jean-Pierre sort de son cabinet. Il serre la main à une dame d’un certain âge et m’invite à entrer après m’avoir chaleureusement salué. Il parle le premier :
Et là, sans m’y attendre, je fonds en larmes.
oo00oo
Jean-Pierre est un excellent médecin. Il me garde plus d’une heure dans son bureau, écoutant mes problèmes. Je lui déballe tout, Gustave, ma femme qui me quitte. Il écoute tout le long sans m’interrompre, se contentant de hocher la tête. Il appelle sa secrétaire pour lui dire qu’il aura du retard sur les autres rendez-vous.
À la fin, il me parle d’une voix calme, rassurante qui déjà me fait me sentir mieux. Il me propose de me prescrire des antidépresseurs. Je refuse. Cela a l’air de lui plaire.
J’hésite un instant et finis par accepter. Il a raison ! Ce sera toujours mieux que de rester seul dans notre grande maison vide (« ta grande maison vide » chuchote la petite voix) à me morfondre.
Je quitte le cabinet, mon arrêt de travail en poche et le poste à mon employeur.
(à suivre)