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Temps de lecture estimé : 26 mn
12/09/11
corrigé 12/06/21
Résumé:  Que du classique, de l'ordinaire... qu'on croit unique...
Critères:  fh extracon amour jalousie -amourpass
Auteur : Achour            Envoi mini-message
L'éternel recommencement

Jean-Paul et moi, question études, on ne joue pas dans la même division. Nous avons eu notre bac la même année pourtant ! Lui, avec mention très bien, a rejoint une prestigieuse école de commerce ; moi, admis de justesse, j’ai rejoint les bancs d’une université miséreuse dans une lointaine banlieue.


À partir de là, nous avons sérieusement divergé dans les chemins de la vie. D’ailleurs, nous ne nous voyons que très rarement, dans les occasions, par la grâce des anciennes connaissances, des fêtes, des invitations, du hasard…



Le temps a continué son cours. J’ai quitté la fac et me suis accroché au premier job venu, dans une agence immobilière où je passe le plus clair de mon temps à faire visiter des appartements à vendre ou à louer.

Ça m’a quand même permis de rester dans le coup, de sauver la face en quelque sorte, de me dire sans trop mentir, dans les affaires…


Jean-Paul, pour son premier boulot, a été bombardé cadre dans une puissante centrale d’achat. Sa voiture, ses fréquentations, ses costumes, ses pulls, ses chaussettes, disent assez son salaire. Pour un mec comme ça, ce ne sont pas les filles qui manquent.


Un jour, il m’a appelé pour m’inviter à son mariage. Je n’ai senti aucune chaleur dans son invitation. Sans doute m’a-t-il invité parce qu’il le fallait, parce qu’il ne pouvait faire autrement, parce qu’on se disait potes…


Sans être luxueux, le mariage est quand même faste. On voit bien que les mariés n’ont pas lésiné sur les moyens. La mariée, Mylène de son prénom, est une vraie poupée, des yeux brillants, un sourire espiègle ; bien plus que jeune que Jean-Paul, elle réussit fort bien à assumer son rôle de princesse d’un soir.


Jean-Paul est radieux. À lui aussi le rôle du prince d’un soir lui va à merveille. Les rares fois où il m’a adressé la parole, il l’a fait avec condescendance, d’en haut, l’air de dire que ce n’est pas pour moi tout ça…


Je suis rentré chez moi à moitié saoul, proche de la déprime ; Jean-Paul a tout réussi, son mariage est un succès, sa femme a éveillé jalousie autant que désir… À l’heure qu’il est, il doit rouler sur son corps, le salaud de crétin de veinard… Demain j’ai deux appartements à faire visiter… Il faudra bien, partis comme ils le sont, qu’ils finissent par acheter un appartement un jour ! Peut-être le ferai-je visiter à Mylène…



*




Ils ont eu leur première fille, puis leur deuxième. J’ai rendu visite et offert des cadeaux à chaque naissance.

D’ailleurs, je leur rends visite à la moindre occasion ; sans raison même, jusqu’à accéder au statut quasi-officiel d’ami de la famille.


Mylène, en jeune maman, est encore plus jolie et plus désirable qu’en mariée ; une rose en pleine floraison, un hymne à la sensualité.

Mes visites se font plus régulières et de moins en moins espacées. Jusqu’à présent toutefois, jamais je ne me suis permis de me rendre chez eux en l’absence de Jean-Paul.


Tout comme je ne me suis jamais permis la moindre parole équivoque ou mal placée envers Mylène, encore moins le moindre geste.

J’ai trop peur pour oser ça ; peur qu’elle détourne de moi son regard, qu’elle me manifeste de l’indifférence ou de l’hostilité, qu’elle me fasse comprendre – ou pire, qu’elle fasse comprendre à Jean-Paul – que je ne suis plus le bienvenu chez eux, chez elle.


Vu l’emprise qu’elle a sur lui, je suis sûr qu’il me mettra à la porte au moindre signe de la part de sa Mimi. C’est ainsi qu’il l’appelle ; elle, elle lui donne du Jipi les blanches journées et du petit-père les jours de tempête…



Me voilà donc réduit à surveiller la météo de leur ménage, tout en beau fixe jusqu’à présent.

Jean-Paul se surpasse, mari modèle, père idem, fleurs et cadeaux à tous les étages.


Mais quelques cumulus commencent à apparaître dans ce beau ciel sans nuage. La crise est passée par-là, hélas. Jean-Paul est pris à la gorge par son travail où conflits et piquets de grève se succèdent.

De plus, à ce que j’ai cru comprendre, en association avec deux de ses collègues, il est en train de monter sa propre entreprise, dans l’agro-alimentaire bien sûr, vu que c’est là qu’il y a le plus d’argent et que tout le reste en découle, comme l’explique Jean-Paul au benêt que je suis.


De ce fait, il lui arrive de plus en plus souvent de rentrer en retard, de décommander une sortie à la dernière minute, de téléphoner pour dire à sa Mimi de ne pas l’attendre…

Peut-être est-ce ma chance ? Patience, patience…



*




Nous sommes samedi. Rendez-vous est pris avec toute la famille pour amener les filles dans un restaurant célèbre pour ses grillades puis dans un parc d’attraction. Je me suis rasé de près, douché, pouponné, habillé avec soin…


Depuis que je connais Mylène, je m’habille pour elle. En sa présence, je ne me permets aucune négligence. Cela m’a bien souvent rendu service d’ailleurs, surtout auprès d’autres femmes. Mais Mylène reste ma quête absolue, mon désir ultime…


Je suis arrivé en avance au restaurant. Je m’engouffre dans un bistrot situé juste en face où je me prends un jus d’orange en guettant leur arrivée. Le rendez-vous est pour treize heures ; à moins dix mon téléphone se met à sonner.


C’est Jean-Paul. Le repas est annulé !


Un bourdonnement se fait entendre dans ma tête, m’empêchant de saisir toutes ses explications. Je ne vais pas voir Mylène ; c’est tout.


Je prends une gorgée de jus d’orange et tente de récupérer mes esprits, de faire bonne figure, bonne oreille du moins. Jean-Paul espérait se libérer pour midi, impossible.

Du reste, il est obligé de se rendre à Bruxelles. Mais oui, il m’appelle de la Gare du Nord. Son train est annoncé déjà… Oui, oui. Mylène est désolée, elle a préféré reporter à une autre fois plutôt que de m’imposer la présence des filles. Non, non, elle va aller chez sa mère… Tu sais combien ça lui fait plaisir de voir les petites… À bientôt, hein… Ce n’est que partie remise…



Je me secoue. Le bourdonnement dans ma tête s’est estompé. Premièrement, ne pas céder à la déception ni sombrer dans la mélancolie. Je me connais, c’est le plus court chemin vers un week-end maussade, morose, soit disant contemplatif…


À éviter à tout prix.


Mylène, mon vieux, tu la reverras et re-reverras. Patience et persévérance, donc ! Comment dit-on déjà ? Point n’est besoin de réussir pour persévérer, je crois…

Je vais donc persévérer, poursuivre mon rêve, ma quête de ce corps pétri de sensualité, mon désir de humer cette chevelure…


Deuxièmement, faire en sorte de passer une bonne journée. Après tout, mon sort n’est pas à plaindre. Célibataire, propriétaire, un salaire dont je n’ai pas à rougir, avec du temps devant moi et l’envie de profiter de ma journée… Que demande le peuple ? Alors, en avant toute et à moi Paris…


Troisièmement, le repas pour lequel je me suis préparé, je vais quand même me l’offrir. Le restaurant est juste là, devant moi. Il m’appelle presque. Je m’y précipite…



*




Une serveuse, brune et beurrette, aux yeux noirs, répondant au prénom d’Anissa, comme le proclame fièrement son badge, m’accueille dès la porte franchie.



Mon sourire lui répond que oui et que je serai très bien en sa compagnie. Elle me rend mon sourire et me montre l’étendue de la salle avec un geste de la main en signe d’invitation quant au choix de la place.

Il est vrai que c’est loin d’être plein. Je la regarde néanmoins avec mon air humble, perdu…



Me voilà donc installé, un œil sur la rue et un œil suivant la serveuse. Je la détaille à chaque allée et venue. Rien à dire ! Elle doit savoir jouir et faire jouir cette fille. Sa poitrine est un appel au plaisir… Elle dispose le couvert devant moi et me tend le menu…



Elle se penche gracieusement pour pointer avec son crayon la colonne des apéritifs. Je regarde là où elle m’indique de regarder, sa main.

Que ce doit être doux de la serrer, d’en sentir les palpitations, de la parcourir des lèvres ! Les lignes s’embrouillent. Je lève la tête et la regarde, mon sourire plus perdu que jamais…



Elle a dit ça spontanément, avec un sourire franc. Elle m’a même semblé rougir…



Elle sourit encore, peut-être même rougit…



Ça commence bien, on dirait. L’apéritif servi, je me remets encore entre ses mains pour le reste.


Elle me conseille pour l’entrée, la viande, le vin… Je ne sais si mon esprit me joue des tours ou si j’ai vraiment une touche avec cette fille. L’air de ne pas avoir l’air, je surveille son attitude avec les autres clients.


Je ne peux jurer de rien mais il me semble que le courant passe entre elle et moi, fluide, franc, comme ses yeux… Plusieurs fois je l’ai surprise en train de me regarder.

Chaque fois son sourire se fait plus complice, plus coquin.


Du coup, le mien de sourire se fait plus expressif, mon regard plus assuré, mon verbe plus incisif, plus évocateur… Le repas prend une tournure inespérée, tout en charme, en subtilité, en complicité… Je le savoure pleinement et au-delà, j’en apprécie chaque bouchée, chaque gorgée de vin…

Même le sel et le poivre, je les trouve délicieux, tant la serveuse est aux petits soins pour moi, tout en sourire, en sollicitude.


Elle semble boire tout ce que je dis. Je me laisse emporter…


Imaginons, hein, simple supposition ! Imaginons qu’au moment de m’apporter l’addition, j’entende ma belle serveuse, bien à cheval entre innocence et provocation, me chatouiller effrontément les oreilles :

La maison vous offre le digestif, bien entendu…

Il n’est pas fait de mes mains mais il est savoureux… Dommage, je n’ai pas le droit d’en boire… Pas pendant mes heures du service en tout cas… Je finis dans… une heure, on va dire… Et après, j’ai toute ma journée devant moi… Vous avez bien mangé, j’espère…


Non, non, non… réveille-toi, mon vieux. Et cesse de suivre cette serveuse des yeux comme si tu craignais de la voir s’envoler !

Sais-tu seulement avec quel regard tu la suis ? Sans doute est-ce un regard concupiscent, voire lubrique, libidineux…


Allons, allons, pieds sur terre, adopte une attitude moins insistante, détachée… Si quelque chose devait arriver elle arrivera.

Alors du maintien, de la tenue… En attendant, sois heureux, regarde ailleurs, la rue, les passants…



*




NOM DE NOM DE NOM DE NOM !

MYLÈNE !


Là, juste de l’autre côté de la vitre ! Elle me regarde avec un sourire bizarre. Depuis combien de temps est-elle là, à me regarder, à m’observer peut être ?


Je la regarde, ahuri, incapable du moindre geste, paralysé de corps et d’esprit. Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Et sa mère, et ses filles ?


J’essaye de me lever pour sortir à sa rencontre mais elle me fait signe qu’elle arrive. Elle se dirige effectivement vers la porte du restaurant et s’y engouffre illico presto.

Je réussis à me lever. Elle s’avance pour me faire la bise et, sans autre forme de procès, prend place en face de moi…



Drôle de tête ! Elle est drôle, elle ! Après toute ma déception, après tout l’effort pour la surmonter, au moment où…



La serveuse ! J’ai oublié jusqu’à son existence depuis l’apparition de Mylène ! Elle a l’air de faire une drôle de tête, elle aussi.


Courageusement je plonge la mienne dans mon assiette. Mylène lui répond par l’affirmative ; elle semble d’ailleurs plus la congédier que lui répondre.


Il est vrai que question classe, elles ne jouent pas dans la même division. Question âge, toutefois, il ne peut y avoir photo…



En réalité je ne sais plus où j’en suis. Cependant, ne trouvant rien d’intelligent à dire, encore moins de pertinent, je me la joue à l’ahuri. J’en rajoute même.


Ostensiblement, je me pince les joues, me frotte le front, les yeux, comme si je voulais me réveiller à tout prix. Je regarde ma montre.


Mylène a beau être assise en face de moi, j’ai du mal à le croire. Seul avec elle, au restaurant, passage obligé en quelque sorte, antichambre du plaisir, avec cette rapidité, cette simplicité, moi qui étais prêt à attendre un, deux, voire trois ans avant un instant pareil ! Je dois rêver, ça ne peut-être que ça…



Je commence à me rendre à cette évidence. Mais la serveuse aussi est là. Fuyant son regard, je cherche néanmoins à deviner son attitude.

Nul besoin d’aucune aptitude particulière pour voir qu’elle a rangé son amabilité dans sa poche.


Elle en a beaucoup d’ailleurs, dans un gilet rayé qui lui va à ravir et qui, surtout, dessine avantageusement sa poitrine. Elle tend le menu à Mylène, l’air à la fois provocateur et agacé…



Mylène n’en revient pas !



Je me fais tout petit. Mylène me dévisage, perplexe. Je me sens gagné par la confusion, rougis sans doute.


Le regard de Mylène se fait plus pesant, plus inquisiteur, ce qui ajoute à ma confusion, mon trouble… Soudain, elle écarquille les yeux puis les cligne plusieurs fois de suite, l’air soupçonneux, incrédule…


Un doute semble l’assaillir. Comme pour lui trouver confirmation ou infirmation, elle fronce les sourcils et, en un geste lent, méfiant presque, tourne la tête et balaie la salle du regard.


La serveuse n’est pas loin. Elle arrive avec la commande de Mylène. Sous le feu de son regard, je replonge ma tête dans mon assiette.

Elle prend le temps de disposer les plats, hautaine, distante, donnant nettement l’impression d’accomplir une corvée.


Pour finir, elle m’écrase d’un regard plein de dépit et s’en retourne à ses occupations. L’étonnement envahit le visage de Mylène…



Je la regarde. Toute l’indignation de la terre se lit sur mon visage. Je n’ai pas besoin de parler ni d’argumenter pour réfuter ce qu’elle suppose.


Du reste, ma gorge est nouée, ma langue bien raide. Mais mon visage est assez éloquent.


Moi, moi, Mylène, regarder quelqu’un d’autre alors que tu existes ! Moi qui ai supporté, des années durant, toutes les crétineries de ton mari rien que pour te voir de près ! MOA qui suis habité par TOA ! Si je suis dans ce restaurant, c’est pour être avec toi, même en ton absence.

Ce repas, cet instant, je les ai imaginés avec toi, je les vis avec toi, et non avec cette serveuse qui… Non, quand même pas ! Chaque chose en son temps ; pour l’heure, continuons sur la voie de l’indignation, de l’abattement.


Je couvre mon visage d’un voile de tristesse. Tss, tss, tss, penser ça de moi, Mylène ! Ce n’est pas grave, va, tu sais que je te pardonne, que je n’ai aucun moyen face à toi, que tu peux tout exiger de moi…


Mais là, tu viens de m’infliger une blessure profonde, d’autant plus profonde qu’elle n’a aucune justification…



Mais va-t-on savoir le pourquoi du comment ! Les gens sont bizarres, tu sais ! Et puis même si j’ai pu plaire à cette fille, ce qui est tout simplement faux, ta seule présence suffit à l’éclipser.


À côté de toi, les autres, toutes les autres, baignent dans l’insignifiance, la fadeur… Toi c’est autre chose, tu le sais fort bien d’ailleurs… Classe, finesse, élégance…



Je suis d’autant plus à l’aise pour lui répondre avec indignation et dignité que, j’en suis sûr à présent, elle est tenaillée par la jalousie.

Devant la jeunesse, la fraîcheur, la disponibilité de cette serveuse, de cette Anissa si naturelle et si décidée, qui ne doit pas être le genre à se poser de questions superflues, Mylène, ma Mylène, que j’ai portée si haut, pour laquelle je m’habille et fais le beau, est redevenue simplement femme, mariée et avec deux enfants qui plus est.


Soit bénie, Anissa.


Tu m’as facilité grandement les choses. Plus que ça, tu as réussi en dix minutes ce que je n’ai pu accomplir en plus de quatre ans. Sans toi, je serais certainement en train de regarder Mylène avec des yeux de chien battu à l’heure qu’il est. Merci infiniment, ma belle. Je me dois de te récompenser un jour…


Mais laissons ça de côté pour le moment, alors que ma Mylène est là, que j’ai franchi un pas de géant dans la voie de sa conquête. Ne sommes-nous pas au restaurant déjà, passage obligé et antichambre du plaisir ?


À cette idée si voluptueuse, je recouvre le sourire…



Mylène se crispe. Elle me regarde, tout ce qu’il y a d’agacée. Elle semble prête à répondre, à passer au scandale… Je prends les devants…



À quoi bon rester davantage ? La communication, sous quelque forme que ce soit, est impossible, d’autant plus que Mylène semble plus pressée que moi de quitter les lieux.


En me rendant ma carte bleue, la serveuse Anissa me tend également une carte de visite ornée du sigle du restaurant…



Elle a dit ça en trois temps : en nous regardant tous les deux, en regardant Mylène, puis en me regardant.

Bon, pour Mylène, je comprends ; elle lui oppose sa jeunesse et sa fraîcheur.


Mais moi, qu’a-t-elle voulu me dire ? À en juger par son regard, ça doit être quelque chose d’assez voisin avec la muflerie.


Ce n’est que justice du reste ; je suis d’autant plus mufle que je meurs d’envie de prendre la carte.


Mais c’est Mylène qui la prend. Dans un mouvement qui dit assez son irritation, elle la déchire menu-menu et jette les morceaux sur la table. Rien à dire, même dans son agacement elle reste classe. Elle prend même le luxe de tirer sur la serveuse…



Sur cette note d’indiscutable jalousie, elle se dirige vers la porte. De la voir si jalouse, surmultiplie mes moyens, tous mes moyens…



*




Dans la rue, il nous a quand même fallu pas loin d’une heure pour tourner la page de la serveuse.

Mylène m’a fait payer cher notre réconciliation.


Elle se bat – se débat plutôt – sur deux plans ; d’un côté elle se comporte avec moi comme si nous étions déjà amant et maîtresse, de l’autre, derniers soubresauts de sa conscience sans doute, elle se reproche jusque d’être venue.


Bien entendu, je me suis employé à répliquer sur les deux registres. J’ai même ouvert un troisième front : la courtiser sans retenue, lui dire enfin mon trop plein de compliments, de mots, de gentillesse, de sollicitude, d’à propos…


C’est ainsi que, petit à petit, en surfant sur le sourire comme sur l’indignation, sur le dépit comme sur la fougue, joignant le regard au verbe, je l’ai amenée vers la voie de l’apaisement, puis de l’abandon, à commencer par sa main…


Oyez, oh gens ! Regarde, oh monde ! J’ai enfin la main de Mylène dans la mienne !


Je résiste bravement à l’envie de la porter à mes lèvres. Nos mains palpitent à l’unisson et ça me suffit. Cette victoire, ce triomphe, je tiens à les savourer sans hâte, sans me précipiter, en en goûtant pleinement chaque étape, en retenant le temps même…


Le dessert que nous n’avons pas eu dans le restaurant, nous nous le sommes payé chez un glacier de l’Île Saint-Louis.


J’ai mangé ma glace sans lâcher la main de Mylène. J’ai même payé d’une seule main. Puis, toujours main dans la main, j’ai acheté une baguette et nous sommes descendus sur les quais de la Seine.


Canards, pigeons et oiseaux se souviennent encore sans doute de notre passage. Toute la baguette est passée. Nous avons ri beaucoup et parlé encore plus.


Mylène, tout comme moi, a un trop plein de choses à me dire.

Elle le fait en passant d’un sujet à l’autre, du coq à l’âne. Je me plais à être le coq ; et même l’âne, dressant tout grand mes oreilles, buvant le flot de paroles comme un assoiffé s’abreuve à une source vive.


Ces lèvres d’où perlent les mots, d’où coule une rivière de sensualité, me fascinent. Mais patience… Parle, parle-moi encore, Mylène. Dis ce que tu veux, ce que tu sens, ce qui te passe par la tête.


Certes, j’ai une envie folle de te demander comment tu as fait pour pouvoir me rejoindre au restaurant, mais voilà, je ne le fais pas.


Que m’importent façon et moyen, puisque tu es là ! Ta seule présence à mes côtés me suffit et me comble, elle est une fin en soi et n’a besoin ni de justification ni d’explication…



*




Elle me l’explique, cependant.


Dès midi Jean-Paul l’a appelée pour la prévenir de l’annulation du repas. Sa première pensée a été pour moi, imaginant ma déception, ma solitude… Tel qu’elle me connaît, elle est sûre que, sur ma lancée, je vais quand même me rendre au restaurant.


Aussi a-t-elle appelé à la hâte sa mère pour lui confier les filles et m’y a-t-elle rejoint. Tant pis si elle ne m’avait pas trouvé, cela aurait voulu dire que le destin ne l’avait pas permis ; pour cette fois, du moins… Mais elle est sûre de m’y trouver.


Depuis la veille, elle ne pense qu’à ça. La veille ! Oui, la veille, puisque c’est là que Jean-Paul lui a annoncé l’existence d’une réunion imprévue avec ses deux associés le lendemain matin.


Ça ne va rien changer au programme, toutefois ; il nous rejoindra directement au restaurant, voilà tout.


Tous les clignotants virent au rouge dans la tête de Mylène. Les doutes, les doutes… Depuis la naissance de son projet et de ses associés, Jean-Paul n’est plus le même.


Chaque fois qu’il en parle, malgré l’air détaché qu’il essaye de prendre, il se trahit de lui-même ; attitude gênée, regard fuyant, passage à un autre sujet avec ou sans prétexte… Les doutes, les doutes…


Les deux associés de Jean-Paul sont Jacinthe et Anatole, deux collègues et anciens camarades d’études. Mylène les connaît tous les deux.

Anatole est un crétin au carré, inoffensif, pour qui seuls comptent travail et rendement.

Jacinthe par contre, sans rien enlever à ses compétences, semble assez bonne copine avec la vie, le plaisir… De plus, elle est célibataire, enfin divorcée…


En partant ce matin à sa réunion, Jean-Paul a plus que nourri les doutes de Mylène. À sa façon de l’embrasser et d’embrasser les filles, il transpirait la culpabilité.


Plus tard, son coup de fil, désolé autant qu’embarrassé, n’a rien arrangé.

Le financier censé soutenir leur projet les a convoqués à Bruxelles pour un dernier tour de table avant signature.

On ne dit pas non à un financier. Il va toutefois essayer de rentrer aussi vite qu’il le peut le lendemain après-midi, avant le bain des filles en tout cas…


Je n’ai pas besoin d’écouter davantage. Mylène est libre cette nuit. Le reste, tout le reste, n’est que secondaire.


Je me mets en face d’elle et lui barre la route. Je la regarde et elle me rend mon regard. Pas de doute, elle est libre ce soir. Je lui caresse le visage, la bouche… Mes doigts s’attardent sur ses lèvres, détaillant les rainures, les commissures, cherchant à en saisir la sensualité, à deviner les réactions…


Mylène croise les bras derrière mon cou, mes épaules… Je pince la lèvre inférieure et la roule entre le pouce et l’index. Elle en frissonne.


Je me penche doucement pour la humer, la goûter, du bout des lèvres, de la langue… Mais Mylène décide autrement. Elle m’attire à elle et plaque ses lèvres sur les miennes, bouche avide et langue décidée…



*




La suite ? Nous avons pris le bus et regagné mon quartier. Mylène m’a dit qu’elle n’est plus montée dans un bus depuis une éternité. J’ai pris ça pour un remerciement et ça m’a irradié de plaisir.


C’est donc avec un sourire ravi que je lui ai fait visiter le quartier, lui montrant ma boulangerie, ma pharmacie, mon supermarché, mes bistrots… comme si désormais ils étaient siens également.


Nous entrons chez un marchand de vins et spiritueux. Je lui demande une bouteille de vin pour grandes occasions. Mylène s’agrippe davantage à mon bras.

C’est comme ça que ça fonctionne entre nous ; je parle à quelqu’un d’autre et c’est à elle que je m’adresse, comme je l’ai toujours fait en présence de son mari.


Le marchand, avec un sourire autant complice que commerçant, nous joue la totale.

Il nous propose ce qu’il a de mieux, vantant, avec des gestes de professeur de philosophie, les qualités de chaque bouteille.


Je prends tout mon temps, jouant de tous mes muscles œnologiques. Finalement, fier comme un parvenu, j’arrête mon choix sur une bouteille que j’estime digne de l’événement.


D’ailleurs, parvenu pour parvenu, sachez seulement que son prix dépasse celui d’un champagne de très bonne qualité…




Après le liquide, nous passons au solide. Dans une charcuterie digne de ce nom, nous achetons des fines rillettes, du jambon fumé, un sauciflard… Mylène s’agrippe encore plus à mon bras. Toutes ces saveurs lui tournent la tête ; ça la change de ses salades bio et de ses yaourts maigres. Elle s’en lèche les babines déjà.


J’accentue ma pression alimentaire ; une femme qui mange bien se donne encore mieux, me dis-je. Je fais un détour par le fromager, puis le boulanger. En plus du pain, j’achète des gâteaux au chocolat en prévision d’une longue nuit ponctuée de douceurs.


Pour finir, je passe au bureau de tabac et fais le plein de cigarettes. Mylène fume au balcon, en cachette presque. Chez moi, elle va pouvoir s’en donner à cœur joie. Nous nous y rendons donc…



Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier, dit-on. Comme pour me confirmer à cette pénétrante observation, je néglige dédaigneusement l’ascenseur et prends l’escalier.


Il est vrai que le sacrifice n’est pas énorme, je n’habite qu’au troisième étage. Mais tous les moyens sont bons pour faire battre les cœurs…


Une fois chez moi, Mylène n’attend pas que je lui fasse faire le tour du propriétaire ; elle le fait d’elle-même, inspectant la chambre, détaillant la cuisine, la salle de bain, curieuse de tout, livres, tableaux, bibelots…


Je la laisse à son inspection et m’attelle à l’essentiel. Je déballe les courses, passe un tablier de cuisine, histoire de faire sérieux, et entreprends de dresser la table.


Je choisis la table basse au salon. Je la couvre d’une nappe et dispose toute les victuailles, les verres, la bouteille, sans oublier planche en bois, serviettes et couvert…


Sous le regard amusé et gourmand de Mylène, peut-être excité aussi, le festin prend forme peu à peu.


Le vin est débouché, servi ; ne reste qu’à le déguster. Pour s’installer, nous avons le choix entre le canapé, le fauteuil ou à même le tapis si telle est l’envie.


Mylène est déjà affalée dans le fauteuil. D’un geste où je mets toute mon attention, qui traduit clairement mes intentions, je m’agenouille à ses pieds. Je lève mon verre et lui dit simplement :



Son sourire se fait plus tendre et elle prend son verre pour trinquer avec moi…



Puis, sans avoir goûté a son verre, elle le pose et me serre la tête contre sa poitrine. Je pose mon verre à mon tour et me laisse perdre entre ses seins.


J’enfouis mon visage autant que je peux, roulant d’un sein à l’autre, respirant, humant, goûtant, m’enivrant…

Mylène me caresse les cheveux, le front, se penchant autant que possible pour m’embrasser, m’embraser, m’enflammer…


Mais pour rien au monde je ne suis prêt à dégager ma tête. Ces seins qui m’ont tant ébloui, fasciné ; qui m’ont fait rêver, fantasmer, maintenant que je les ai sous le nez, je ne vais ni m’en priver ni me gêner.


Mais un bouton de sa chemise, qui se trouve curieusement placé juste entre les deux seins, m’empêche d’en avoir totale possession, totale jouissance. J’entreprends de le déboutonner avec mes dents. Mylène en rit de bon cœur, de belle poitrine…



Quel abandon ! Quel encouragement explicite ! Mais malgré cet aiguillon si voluptueux, malgré tout mon entêtement, mes dents n’arrivent pas à venir à bout du bouton.


Mylène en rit de plus belle et déboutonne elle-même sa chemise.

Reste quand même le soutien-gorge. Lui, je n’essaye même pas de le dégrafer. Et pour cause, j’ai toujours eu du mal avec ce vêtement ; tout comme j’ai toujours admiré les femmes qui, d’une seule main le plus souvent, s’en débarrassent comme s’il s’agissait d’un chapeau et non d’un soutien-gorge.


Du reste, à ce propos et entre parenthèses, concepteurs et fabricants seraient heureusement inspirés de remplacer ces agrafes tellement récalcitrantes par de simples boutons-pression ou même de minuscules scratches.


Pour cette fois, je me tiens encore aux méthodes classiques, faisant confiance à l’instinct et au désir de l’instant. Je saisis le soutien-gorge à pleines dents et fais jaillir les seins de Mylène.


Je ne sais pas si j’ai bien fait ! J’en perds la tête face à tant de splendeur, de douceur, de palpitations, de délices…


Je ne peux retenir ma langue de goûter, mon nez de humer, ma bouche de sucer, mes dents de mordiller… Les tétons, je les sens instantanément durcir, frémir, frétiller presque.


Mylène ne rit plus ; elle n’est que soupirs et gémissements. Ses gémissements, je les sens partir du ventre, traverser sa poitrine, sa gorge, pour enfin couler à travers ses lèvres, langoureux, voluptueux, étourdissants… J’ai du mal à me retenir.


Mais j’ai encore plus de mal à renoncer à ses seins, mes seins, désormais. Empoignant un dans chaque main, je palpe, caresse, happe… Je dégage les tétons que je suce sans relâche, en en faisant une vraie fixation.


Mylène se tend et se détend tour à tour. Elle donne l’impression de s’abandonner mais se raidit aussitôt.

Telle une jument rétive, elle se cabre, fuit l’obstacle, puis prend son élan pour se lancer dans une course éperdue, désordonnée, appuyant ma tête contre ses seins ou tirant sur mes cheveux pour l’en éloigner.


Mais je ne lâche pas prise, l’obligeant à se débattre, se tortiller, se soulever… Elle redouble de soupirs, de sursauts… Je sens son corps se dénouer, impuissant et indomptable à la fois… Ses gémissements sont de plus en plus rapprochés, chargés, jusqu’à devenir un flot ininterrompu de cris, de plaintes, de complaintes…


Sa respiration se fait par saccades, donnant l’impression de manquer d’air, de suffoquer, de se débattre contre une vague irrésistible… Mes sens sont en état d’alerte, d’excitation maximale.


Je perçois une odeur qui émane de ses seins, une odeur de femme excitée, de femelle en chaleur… Je pousse un grognement de lion sur le point de fondre sur sa proie et accentue la pression de ma bouche sur les tétons.


Mylène pousse un cri. Je sens qu’elle chancelle, vacille, chavire… Elle s’accroche à mes cheveux autant qu’elle peut, bondissant et rebondissant entre le fauteuil et moi.


Rien n’y fait ; elle finit par se noyer, en un râle impuissant, impudique, libérateur… Son corps s’abandonne, abandonne toute raideur, secoué qu’il est par une suite de tremblements incontrôlés, compulsifs, jouissifs… J’en suis admiratif, tout aussi ravi et réjoui qu’elle…



*




Petit à petit elle retrouve une respiration raisonnable et émerge de sa noyade. Elle se dresse et s’accroche à moi, me couvrant de baisers passionnés.


Puis, sans aucun signe annonciateur, elle serre les poings et m’assène une série de coups rapprochés sur la poitrine. Son attitude, délicieusement feinte, semble dire qu’elle se venge de s’être laissée avoir, abuser…



Je me la joue modeste, essayant de contenir la joie qui m’envahit. Dans sa bouche, voyou et racaille surpassent tous les compliments, toutes les caresses, tous les baisers…


Je bombe le torse, plus fier qu’un coq en parade, plus mâle qu’un cerf en rut…


Mais Mylène, toujours passant du coq à l’âne, opère un virage à cent quatre-vingt degrés et éclate de rire en me montrant le tablier que je porte toujours. Il est vrai que, dans le feu de l’emportement, je n’ai pas eu le temps de l’enlever.


Je fais semblant de m’offusquer, de ne pas apprécier ses railleries à mes dépens. Je me dégage et me jette sur le canapé, comme un enfant qui boude. Je me couvre même les yeux avec mon bras, comme pour cacher ma honte. Elle me rejoint en riant et s’emploie à me consoler, joignant le geste à la parole…



Ce disant, elle entreprend de me déshabiller, méthodiquement, déployant autant de douceur et d’affection qu’une mère qui déshabille son enfant et autant de sensualité et de désir qu’une maîtresse en amour pour son amant.

Elle m’enlève tout, tout, à l’exception du tablier qui semble l’amuser autant que l’inspirer…



Sa voix est roucoulante, langoureuse, excitée. Je me dresse sur les coudes et la regarde. Elle semble fascinée par l’espèce de dôme ou de tente que forme le tablier, soutenu qu’il est en son milieu par un mât dont la dimension chatouille agréablement ma fierté de mâle.


Je joue à secouer le tablier dans tous les sens, en une série de mouvements qui affolent ma belle Mylène. Je me gonfle, me tends au maximum… À travers le tablier, elle saisit le mât et le juge dans tous les sens, taille, rondeur, raideur…


Ne reste plus que la texture. Elle écarte le tablier et touche, des mains et des lèvres à la fois, ce qui a le don de m’affoler à mon tour.


Je fais tout pour me retenir, me contrôler. Elle vient à mon secours en se mettant à cheval sur moi. Sa culotte ne représente qu’un mince obstacle vite écarté de côté, laissant libre voie à l’antre des délices.


En quelques mouvements qui vont de haut en bas et d’avant en arrière à la fois, nous explosons de concert, en nous serrant jusqu’à l’étouffement. Je pousse même un cri de bête blessée quand je la sens me mordre juste entre l’épaule et le cou…

Et ce ne sont là que les préliminaires, le prologue, l’avant-propos…



*




Nous avons ripaillé et copulé jusque vers les cinq heures du matin. Nous avons exploré toutes les voies du plaisir, charnel et verbal. Nous nous sommes pris et donnés, sans calcul ni retenue, avant de glisser vers le sommeil…


Quand je me suis réveillé, midi n’est pas loin de sonner. Mylène dort moitié sur le dos moitié sur le côté, ma tête repose sur sa poitrine et ma main empoignant son sein.


J’ai gardé quelques instants cette position puis j’ai pris mon petit-déjeuner, seins et tétons.

Mylène s’est tout de suite réveillée mais a feint de dormir encore.


Je l’ai prise dans cette position et elle m’a mordu encore une fois, au même endroit. Puis nous avons pris notre petit-déjeuner, le vrai.



Vers quatorze heures nous sommes descendus prendre un café. Enfin, je lui ai appelé un taxi et elle est partie chercher ses filles avant de rentrer chez elle…



Depuis lors, nous avons accédé au titre d’amant et de maîtresse, au vu et au su de tout le monde, y compris Jean-Paul qui n’en peut plus mais, ayant fauté le premier, il n’est plus en mesure de lui jeter la première pierre.


Du reste, Mylène prend un réel plaisir à le tromper avec moi. Que de fois, en sa présence, elle m’appelle pour me roucouler des mots doux ou pour prendre rendez-vous avec moi.


Une à deux fois par semaine il garde les filles sans broncher, tandis que sa femme s’envoie en l’air avec moi à coups de « baise-moi, voyou ».

Eh oui, nous en sommes arrivés là, et même au-delà !


Une fois, bien au courant de mon emploi du temps, elle s’est armée d’un porte-documents et d’une fausse paire de lunettes de vue et s’est pointée en pleine visite d’un appartement en location.


Ignorant la queue de six personnes qui la précédait, elle m’a attendu seule de côté. Quand je suis descendu avec le dernier visiteur, j’ai écarquillé les yeux et me suis rattrapé autant que faire se peut…



C’est ainsi que, dans un appartement entièrement refait à neuf, maître Montplaisir, penchée sur l’évier de la salle de bain, m’a offert sa croupe.


Par respect pour les gens qui attendaient, j’ai fait aussi vite que j’ai pu. Quand nous sommes descendus, histoire de donner le change, je lui ai mis sous le nez un classeur ouvert et lui ai demandé de signer…



Et elle signe. Je lis son gribouillage. Voici ce qu’elle a écrit : tu m’as bien baisée, voyou…


LE BON-HEUR !



*




Mais le bonheur, qu’est ce que c’est au juste ? Se suffit-il à lui-même ? Suffit-il à un homme, quel qu’il soit, surtout si, bien de femmes vous le diront, il est doublé d’un cochon qui sommeille en lui ?


La petite Anissa me trotte de plus en plus ouvertement dans la tête. Il m’arrive même, Dieu me pardonne, de penser à elle en étant avec Mylène.


Pire, je pense à elle même en étant dans Mylène, à tel point que, par deux fois déjà, je suis retourné au restaurant !


La première fois, tout en se pressant de me servir, elle m’a superbement ignoré. Tout comme elle a ignoré mon téléphone portable que j’ai négligemment posé sur un coin de la table.


J’ai joué mon atout maître : regrets, confusion, regard de chien battu, éperdu, perdu… Rien n’y a fait.


Au moment de payer l’addition, elle m’a jeté un regard qui semblait dire « à d’autres » et a tourné les talons.


La deuxième fois, quatre jours plus tard, j’ai cru déceler une petite lueur dans ses yeux quand elle m’a vu franchir la porte d’entrée. Je m’y suis accroché en lui rejouant la scène du chien perdu.


De son côté, elle m’a rejoué la scène de l’indifférence. Au moment de me proposer le dessert, elle a vu que je n’avais presque rien mangé…



J’ai happé tout le plat, pain compris, jusqu’à la moindre miette. Ça m’a valu un semblant de sourire…



Je fais non de la tête, estimant que j’ai assez mangé comme ça. Elle revient avec un imposant café liégeois débordant de crème chantilly…



Je mange. Puis, sans que je lui aie demandé, elle m’apporte le digestif.


Au moment de m’apporter l’addition, j’ai tout de suite vu qu’il y avait marqué un numéro de téléphone commençant par 06…


J’ai poussé trois petits aboiements rapprochés et discrets, "waf, waf, waf"… Cette fois, elle a eu du mal à contenir son sourire… Autant dire que c’était gagné…


Quand elle m’a rendu ma carte bleue avec le reçu, elle y a ajouté « sale bête »…



Nous avons rendez-vous pour le jeudi prochain, à la fin de son cours, vers dix-neuf heures. Espérons que Mylène ne m’appelle pas ce jour-là.

Et même si elle le fait, j’ai une excuse toute prête.


Je suis à Lille pour estimer deux appartements et ne rentre à Paris que tard dans la nuit, par le train de vingt-trois heures quarante-six. J’ai même pris la peine de vérifier sur internet…


Pffffff…


Des fois, je me dégoûte !