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Temps de lecture estimé : 36 mn
14/10/11
corrigé 12/06/21
Résumé:  À l'approche de la cinquantaine, le capitaine de vaisseau Rignac, ex-officier de Marine devenu écrivain, vit dans ses souvenirs. Une jeune femme rencontrée par hasard évoque pour lui un tableau de Monet : « La Femme à l'Ombrelle ».
Critères:  #historique #aventure f fh ff fbi hplusag fplusag inconnu uniforme piscine amour fmast facial fellation cunnilingu pénétratio fdanus fsodo
Auteur : Margeride            Envoi mini-message

Collection : Brises de Mer

Numéro 01
La Femme à l'Ombrelle

I



Flâner dans les salles du Musée d’Orsay était pour Rignac un bien agréable moyen d’échapper à la grisaille parisienne de ce mois de novembre froid et pluvieux. Il adorait ce lieu et immanquablement, ses promenades le ramenaient vers son tableau favori : « La femme à l’ombrelle », de Monet. Il lui trouvait un charme désuet en même temps que quelque chose de finalement assez moderne. Sans cet étrange petit chapeau, et bien sûr la fameuse ombrelle, elle aurait très bien pu être une jeune femme d’aujourd’hui. Par exemple l’une de ces étudiantes qui, les beaux jours venus, sur un banc des jardins du Luxembourg écoutent distraitement un garçon un peu ennuyeux mais dont les yeux brillent. Il aimait contempler, les paupières mi-closes, cette silhouette claire, un peu diaphane, tranchant sur un ciel bleu vif. Un de ces ciels que l’on voit, vers Avignon, lorsque souffle le Mistral. Parfois même, s’il attendait assez longtemps, il lui semblait que la toile s’animait, que « la Femme à l’Ombrelle » venait à sa rencontre et que son regard, à peine perceptible dans le jeu d’ombres subtiles créé par l’artiste, plongeait dans le sien.



Le gardien, un homme sans âge, le tira de sa rêverie.



Bien que prononcé presque à voix basse, le mot claqua, sec, sans réplique, de ce ton de commandement qui, dans une autre vie, imposait le silence sur la passerelle. Sa passerelle.



Sans un regard pour celui qui avait interrompu sa rêverie, il tenta de se réabsorber dans la contemplation du tableau. Mais peine perdue, le charme était rompu. Il maudit intérieurement le malheureux gardien qui continuait de l’observer à distance prudente. Contrarié, il se dirigea vers la sortie. Le quai Anatole France luisait sous la pluie fine et glaciale. Il remonta le col de son trench-coat. Un soleil pâle jouait à cache-cache avec les nuages lourds.


Adolescent à l’esprit aventureux, fasciné par Melville, Loti et London, le jeune Rignac rêvait d’océans et de lointains ailleurs. Sa vie ? Ce seraient des tempêtes dans l’Atlantique Nord, des îles perdues quelque part vers le détroit de la Sonde, des caps battus par les flots du Grand Sud. Il serait marin. À vingt-trois ans il sortait de l’École Navale. Certes un bateau de guerre moderne n’est finalement qu’une sorte de boîte d’acier étanche que l’on dirige depuis un espace confiné, baigné d’une lumière rougeâtre, et où l’on ne fait que deviner l’océan au travers du fond noir d’un écran radar où les navires ne sont que des points verts qui clignotent… Un peu loin de Melville bien sûr… Mais au moins il naviguait. À 38 ans, il commandait une frégate de l’Escadre de l’Atlantique. Deux ans plus tard, en ramenant pour la dernière fois son bâtiment à Brest, il réalisa qu’il ne serait plus jamais « seul maître à bord après Dieu ». La suite de sa carrière ? Des postes d’État Major, puis, d’ici cinq à dix ans, les Étoiles de Contre-amiral. Cela ne le faisait pas rêver. Il décida de retrouver dans les livres ce parfum d’aventure que la Marine ne pouvait plus lui donner. Écrivain, spécialiste d’histoire maritime, professeur de stratégie navale à l’École de Guerre, il ne regrettait pas son choix. Et, pour les embruns, il lui restait son sloop bermudien des années 50, amarré au port de l’île de Porquerolles.


La pluie avait définitivement pris le dessus sur le timide soleil et de grosses gouttes d’eau s’écrasaient sur son visage lorsqu’il atteignit sa voiture. Vêtements, bateaux ou automobiles, il aimait les objets qui avaient vécu. Il avait l’impression que leur patine lui racontait une histoire et qu’ils faisaient ainsi partie de lui. C’est pour cela qu’il éprouvait toujours autant de plaisir à se glisser sur le fauteuil de cuir acajou de sa Bentley coupé – pardon : Two Doors – gris métallisé, aussi étincelante que lorsqu’elle était sortie des ateliers de Crewe une bonne trentaine d’années plus tôt… Il tourna la clé de contact, le gros moteur V8 se mit à ronronner et il se lança en souplesse dans la circulation en direction de Saint-Germain des Prés. Il avait envie d’un Bloody Mary, le fameux cocktail créé, dit-on, pour Hemingway par un barman du Ritz. Coup de chance, il trouva une place juste devant la porte du Grand Bara, son repaire, un lieu improbable en plein Paris.



En le regardant préparer le Bloody Mary, Rignac songea à leur première rencontre. 17 ans. Non, 18 ? 18 ans déjà… C’était à Djibouti, il était imprudemment entré dans un bar sordide du port de commerce. Avec son uniforme blanc, son troisième galon tout neuf, il se sentait fier, invincible. Il n’avait pas vu venir le coup. Avait-il dévisagé trop longtemps cet énorme matelot ukrainien ? En tout cas il avait eu l’impression de décoller pour atterrir lourdement sur le coin d’une table. Son menton en gardait encore aujourd’hui une cicatrice sur laquelle il passait souvent le doigt et l’arête de son nez ne s’en était jamais vraiment remise. Lorsqu’il s’était relevé, groggy, le colosse gisait par terre, assommé pour le compte. À côté de lui, un sergent-chef de la Légion, faussement nonchalant dans son uniforme beige impeccable, le salua réglementairement.



Pas d’ironie dans cette voix à l’accent parisien : un soldat qui avait fait ce qu’il avait à faire.



De verre en verre, il ne savait plus précisément comment s’était terminée la soirée ni comment il était rentré à la base navale nanti d’un solide mal de crâne. Il se souvenait seulement que la brute ukrainienne avait repris ses esprits, s’était relevée, le visage en sang et avait absolument tenu à payer sa tournée. « Ami, Français amis. Vive la Légion ! » braillait l’énergumène. La gnôle était abominable. Rignac sourit, encore aujourd’hui la simple pensée de ce breuvage lui brûlait la gorge. Sacré Oudinot, il n’avait pas tellement changé, les cheveux grisonnaient un peu, surtout sur les tempes, mais il semblait toujours aussi puissant, vif, avec cette espèce de sourire qui donnait l’impression qu’il se foutait toujours un peu de vous. Un matou, un de ces chats de gouttière efflanqués, tout en muscles, qui semblent endormis mais sont toujours prêts à se jeter sur vous. Au bout de trente-cinq ans de Légion, il avait investi son pécule dans ce bar aux allures de club anglais dont les murs en lambris étaient ornés de scènes de batailles et des fanions des régiments par lesquels il était passé. Un sacré parcours… Derrière le zinc, une photo prise à Calvi un jour de Camerone montrait le Colonel Erulin, celui de Kolwezi, en train de lui remettre la Légion d’honneur. Erulin, un grand, le dernier des colonels de « Paras-Légion » à l’ancienne, la trempe d’un Rafalli ou d’un Jeanpierre, mort d’un cancer. « Saloperie », songea Rignac.


Il ôta son trench-coat et le posa sur le tabouret à côté de lui. Il but une gorgée du breuvage d’un beau rouge sombre et balaya la salle d’un regard distrait. C’est juste à ce moment-là qu’elle entra. Était-ce son imperméable clair, serré à la taille ? Ou peut-être ce parapluie d’un ton légèrement rosé, nonchalamment posé sur son épaule et qui pouvait, avec beaucoup d’imagination, évoquer une ombrelle ? Était-ce plus simplement cette allure un peu hiératique ? En tout cas elle lui fit aussitôt penser à ce tableau qu’il aimait. Elle traversa la salle et alla s’asseoir sur une banquette dans le fond. Rignac se força à ne pas la suivre du regard. Il méprisait les dragueurs de bars qui, presque honteusement, observent les femmes en douce.


Il laissa passer quelques instants avant de se retourner et de planter franchement ses yeux gris-bleu dans ceux de l’inconnue. Elle ne détourna pas les yeux, mais lui rendit son regard avec un air moqueur. D’une voix de gorge, elle commanda un thé noir et sortit de son sac une revue qu’elle commença à feuilleter. Rignac s’avança d’un pas tranquille et s’assit en face d’elle sans hésiter.



Elle avait à peine levé les yeux de sa lecture.

Elle connaît Melville, bravo !



Elle avait fini par poser son magazine, une revue littéraire, et le dévisagea un peu interloquée, mais, à ce qu’il lui sembla, plutôt amusée. « Un peu vieux, un peu sûr de lui », pensa-t-elle, « mais plutôt drôle et pas mal, oui pas trop mal ».



Ses yeux verts pétillaient de malice.


Rignac la regarda, les cheveux noirs noués légèrement sur le côté, le nez fin, assez long et surtout d’immenses yeux verts en amande. Lorsqu’elle était entrée elle lui avait paru plutôt grande, un bon mètre 75. Son âge ? À peine la trentaine ? Non, moins : 25 ans, pas plus.



Ils parlèrent longtemps, de tout, de rien, parfois graves, parfois légers, sans voir le temps passer. Il leur semblait qu’ils se connaissaient depuis toujours. Lorsqu’ils sortirent du Grand Bara, il faisait nuit, la pluie avait cessé de tomber.



Elle partit d’un grand éclat de rire et le gratifia d’un salut militaire fort peu réglementaire. Rignac lui effleura l’épaule de la main en guise d’au revoir. Elle lui sourit et s’éloigna le long des vitrines illuminées, mince silhouette claire dans la nuit luisante de pluie. C’est seulement à ce moment qu’il réalisa qu’il ne lui avait même pas demandé son prénom.




II



Charlotte habitait à quelques pas de là, deux pièces assez vastes au troisième étage d’un bel immeuble Haussmannien, un héritage bien investi. On entrait directement dans le salon, sur la droite, donnant sur une cour intérieure se trouvait sa chambre. Elle se débarrassa de son imperméable et de ses boots et s’allongea sur le canapé en tissu Liberty. Elle n’arrivait pas à chasser de son esprit ce drôle de personnage qui l’avait accostée avec un incroyable culot et ça l’énervait. Décidément, elle ne savait pas pourquoi mais ce type lui plaisait, ce qui l’énervait encore plus. Cultivé, de l’allure, de l’humour, un style assez intemporel, ce trench-coat à la Bogart, les cheveux courts un peu grisonnants, le nez cassé et puis ses yeux gris… Et surtout, il ne jouait pas un rôle. Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il était peut-être différent des hommes qui avaient croisé sa vie jusque-là.



Sa vie sentimentale n’avait vraiment pas été une réussite… Des médiocres, rien d’autre à en dire. Elle s’étira sur le canapé et eut envie d’un bain.


La salle de bain était meublée dans le style des années 30 avec une superbe baignoire à pieds dont elle était très fière. Elle ouvrit en grand les robinets et versa un peu de bain moussant. L’eau prit une couleur ambrée et une odeur exquise envahit la pièce. Elle ôta son pantalon de cuir chocolat et son pull et s’attarda un instant sur son reflet dans la glace, assez satisfaite de ce qu’elle voyait. Elle fit glisser son soutien-gorge en dentelle dévoilant une poitrine ronde. Le simple contact de ses doigts sur les larges aréoles brunes fit dresser ses tétons. Elle les agaça du bout de l’ongle et poussa un soupir d’aise.


Elle se glissa dans l’eau presque brûlante et s’abandonna, les yeux fermés, à la caresse du liquide mousseux et délicatement parfumé, se laissant aller à une douce torpeur. Elle s’imaginait blottie contre un torse solide, sa peau veloutée collée à une autre peau. Ses doigts descendirent sur son ventre, glissant sur sa taille, effleurant la toison lovée entre ses cuisses, comme une main, la main d’un homme, pas la main de n’importe quel homme. La main de cet inconnu du bar. Serait-elle tendre ou brutale ? Elle serait douce, sensuelle, elle en était sûre… Mais non, je n’irai pas… Incapable de patienter plus longtemps, elle écarta délicatement les lèvres de son sexe et commença un doux va-et-vient de l’index, appuyant légèrement sur le clitoris. Elle se forçait à ne pas aller trop vite, à laisser venir le plaisir pour se sentir progressivement envahie par l’excitation. La tension monta, monta encore. Elle devint insupportable. Son index échappait au contrôle de son esprit, il appuyait plus fort, le mouvement s’accéléra, s’accéléra encore. Son corps se tendit, elle poussa un cri bref et savoura la vague de plaisir qui irradiait son ventre, la laissant haletante. Elle resta longtemps dans l’eau, délicieusement engourdie, l’esprit à la dérive, parfois elle entrouvrait la bouche comme pour accueillir un baiser. Ce désir intense, ces sensations réveillées par cette rencontre inattendue d’une fin d’après-midi l’inquiétaient. Cela faisait presque un an maintenant qu’elle n’avait aucun homme dans sa vie. Ils étaient vraiment trop décevants. Elle n’irait pas !


Pour assouvir ses sens, elle avait découvert la délicatesse des plaisirs saphiques avec sa jolie voisine, une Irlandaise fraîche comme la rosée, exilée à Paris et qu’un mari voyageur autant que volage abandonnait trop souvent. Ça s’était passé tout naturellement, une soirée entre filles.


Oh, ces instants de folie… Juliane était assise sur le divan, les jambes repliées sous elle. Avec ses vingt-deux ans pleins de sève et sa crinière blonde frisée, perpétuellement décoiffée, elle était terriblement désirable, un bel animal avide de plaisir. Elle portait un jean délavé, une chemise de toile, les pieds nus.


Charlotte la trouva belle. Elle le lui dit, un compliment sans arrière-pensées. Jamais encore elle n’avait été attirée par une autre femme. Juliane lui sourit, ses yeux d’un bleu intense aux pupilles dilatées semblaient l’appeler. Elle approcha ses lèvres de celles de Charlotte, sans les toucher et resta ainsi, immobile. C’est Charlotte qui, n’y tenant plus, vint timidement poser un baiser sur la bouche offerte. Elle se souvenait de l’excitation intense qu’elle avait ressentie à ce moment. Tandis que la langue agile de Juliane s’enroulait autour de la sienne, leur étreinte devenait de plus en plus passionnée. Juliane avait fait glisser sa chemise sur ses épaules rondes, lui offrant ses seins lourds aux pointes rose pâle. Elles avaient fait l’amour avec douceur, portées par un élan irrésistible. Elles découvraient tour à tour leurs corps avides de sensations nouvelles. Tout leur semblait simple, naturel, tendre, chacune devinait d’instinct les désirs les plus secrets de l’autre. Charlotte avait pris l’initiative. De la pointe de la langue, elle avait suivi la courbe du menton, la gorge, elle s’était attardée sur les tétons fermes, les suçant, les mordillant. Puis, le cœur battant à tout rompre, elle avait tendrement écarté les cuisses musclées de Juliane, sa bouche avide s’était posée sur la fente inondée. Elle se souvenait du goût subtil, un peu poivré, de cette féminité. Elle s’était enivrée de la liqueur qui emplissait le sexe de son amante. Juliane criait d’une voix presque rauque, on aurait dit un chant.



Leur relation était devenue une amitié amoureuse, tendre, joyeuse et sensuelle. Leurs étreintes étaient exquises, il n’y avait entre elles aucune gêne. Elles adoraient choquer les passants en s’embrassant à pleine bouche, magnifiques d’impudeur. Charlotte eut un fou rire en repensant aux regards courroucés des badauds, qui les regardaient échanger des caresses passionnées, les seins nus offerts au soleil printanier, un week-end de septembre près de La Rochelle.


Elle frissonna, l’eau du bain commençait à devenir un peu froide, elle sortit de la baignoire et décida qu’elle n’avait pas faim. Le sommeil la saisit presque aussitôt qu’elle fut dans son lit. Elle s’endormit en s’imaginant noyée sous les caresses mêlées de Juliane et de l’homme du bar.




III



Rignac avait passé la journée dans son appartement près de la place du Tertre. C’était un endroit étonnant, une sorte de maison posée sur le toit d’un immeuble transformé en jardin. Il avait tenté de se concentrer sur l’imposante documentation qu’il avait rassemblée en vue d’un article sur la bataille de Marseille lors de laquelle, comme chacun sait, la flotte de César triompha des Marseillais révoltés. Mais ses pensées l’emmenaient bien loin des évolutions des birèmes de l’amiral Romain Decimo Bruto. À chaque instant, le visage de celle qu’il appelait « La Femme à l’Ombrelle » tournoyait dans son cerveau. Depuis la veille, il ne cessait de rêver à ces yeux verts pétillants de malice et à ce grain de beauté juste sous l’œil gauche semblable à la mouche qu’arboraient les élégantes au Siècle des Lumières. Il poussa un soupir et reposa son stylo sur le dossier ouvert. Une fois de plus, il regarda la pendule, une véritable pièce de musée qui avait autrefois orné la cabine du commandant d’une Frégate de Louis XVI. Enfin 17 heures ! Le moment d’aller voir si son charme avait opéré. Il choisit dans la penderie un blazer bleu marine, glissa un foulard dans l’échancrure de sa chemise et enfila son éternel trench-coat. Quelques instants plus tard, la Bentley se frayait majestueusement un chemin dans la circulation parisienne.


Lorsqu’il poussa la porte du Grand Bara, son regard parcourut la salle où se mêlaient, dans un assemblage étonnant, anciens militaires et étudiants. Pas le moindre imperméable rose à l’horizon. Rignac haussa imperceptiblement les épaules. Tu t’attendais à quoi ? Pauvre idiot, grogna-t-il pour lui-même.



La voix d’Oudinot retentit, nette, comme son allure.



Ils étaient amis et Rignac le tutoyait. Pourtant, malgré son insistance, jamais Oudinot n’avait accepté d’en faire autant. Dans la Légion, un Adjudant-chef en retraite ne tutoie pas un officier supérieur même si, pour un légionnaire, un marin est à peine un militaire…



Oudinot saisit un verre allongé, fit glisser dedans plusieurs glaçons et versa l’alcool limpide. Rignac avait l’impression que, tout en le servant, il le regardait d’un œil goguenard. « On ne sait jamais avec lui, toujours l’impression qu’il se fout du monde », grommela intérieurement Rignac, maintenant vraiment de mauvais poil. Il se mit à siroter sa vodka lentement, à petites gorgées, jetant de temps à autre un regard vers la porte.



Il avait répondu sur un ton plus sec qu’il ne l’aurait voulu et cela le mit encore plus en rogne. Il avait horreur d’être percé à jour. Sur sa passerelle, on l’appelait « Le Sphinx ».



Il tenait une enveloppe bleu pastel, du format de celles où l’on met les cartes de visite.



Là, il était carrément hilare.



Il ne put réprimer un sourire.



Il continuait à se foutre de lui !



Rignac prit l’enveloppe. Il en sortit un bristol également bleu pastel, sur lequel était inscrit d’une écriture élégante :


« Eux aussi m’ont représentée.

Et ce pont à petits points…

Ou bien à petites touches…

Je serai là cinq heures avant minuit et,

Si tu déniches l’endroit.

Alors je dirai, chapeau l’artiste !

La Femme à l’Ombrelle ».


Voilà autre chose, un jeu de piste maintenant… Là, elle me gonfle… Bon sang, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ?


Un pont à petits points… Lui aussi m’a représentée… Ces phrases dépourvues de sens semblaient le narguer. Il songea au « Petit Pont », ce pont à une seule arche qui, prolongeant la rue Saint-Jacques, permet de rejoindre l’île de la Cité. Mais cela n’avait aucun rapport avec la Femme à l’Ombrelle, pas plus que cette histoire de points : un rond-point ?


« Lui aussi m’a représentée », ça voudrait-il dire qu’un autre peintre que Monet a peint une femme à l’ombrelle ? Décidément impressionnante, la Miss ! Impressionnante, oui, mais elle me gonfle vraiment…


Il recherchait dans ses souvenirs quels peintres avaient pu représenter une Femme à l’Ombrelle. Renoir peut-être, mais le reste ? Qui donc pourrait l’aider ? Et les minutes qui s’égrenaient, les six heures étaient déjà bien passées. Et si j’appelais Agnès ?


Agnès, son ex, enfin sa préférée parmi ses ex, une femme superbe qui tenait une galerie très branchée, très chic, à Lyon, dans le vieux quartier de la Croix Rousse. Elle dépensait, en lançant de jeunes artistes, des sommes considérables qui n’écornaient qu’à peine un patrimoine impressionnant. Agnès était une merveilleuse complice pour les jeux érotiques les plus débridés. Grande, le teint mat, des cheveux auburn aux reflets roux cascadant sur ses épaules, elle portait avec éclat sa presque cinquantaine. Il l’avait rencontrée à Toulon, une dizaine d’années auparavant. Il était alors Second sur un ravitailleur. Il se promenait sur le quai d’Honneur dans la fournaise du mois d’août. Une silhouette sculpturale avait capté son regard. Il faut dire qu’elle tranchait avec les Hollandais rougeauds en short et en tongs. Sa robe fourreau vert amande, largement décolletée, s’arrêtait au milieu de ses cuisses bronzées. Elle était perchée sur des escarpins en cuir vert et, le plus étrange par cette température, elle portait une fine écharpe en mousseline nonchalamment enroulée autour de son cou gracile.


Sans doute n’avait-elle pas été indifférente à son uniforme blanc. En tout cas, il n’oublierait jamais cette fin d’après-midi dans la villa début de siècle enfouie dans la verdure près du Cap Brun où elle l’avait emmené. Sans même ôter sa robe, elle était entrée dans la piscine qui dominait la baie. L’étoffe fine formait comme une corolle autour de son corps. Se débarrassant de son uniforme blanc, il l’avait rejointe dans l’eau délicieusement fraîche. Elle s’était adossée au rebord du bassin, la tête en arrière, faisant saillir ses seins lourds. Il s’était approché, les bretelles de la robe avaient glissé et sa bouche avait exploré le cou, descendant doucement pour aspirer les mamelons dressés. D’un geste souple, elle était sortie de l’eau et s’était allongée, la robe transformée en chiffon enroulée autour de sa taille. Rignac l’avait rejointe, il avait tenté de glisser sa main entre les cuisses ruisselantes. Elle l’avait écarté et, sans hésiter, avait empoigné le pénis roide pour le guider en elle. Il avait été surpris en s’enfonçant dans ce fourreau accueillant de la sentir aussi excitée sans même qu’il ait eu besoin de la caresser. Ils avaient roulé sur le côté, leurs corps collés l’un à l’autre. Rignac donnait à son sexe un mouvement doux, profond et régulier qui arrachait à Agnès des soupirs de volupté. Sans quitter son ventre, il s’était mis sur le dos, la laissant se balancer d’avant en arrière, presque paresseusement, les yeux clos. Tout d’un coup, les mouvements de la jeune femme s’étaient faits plus saccadés. Il s’était cambré, la pénétrant aussi profondément que possible. Agnès avait joui dans un hurlement strident. Rignac l’avait laissé se calmer. Elle s’était relevée, laissant sa verge tendue, prête à exploser. La splendide robe verte n’était plus qu’un tas informe abandonné sur les dalles de la terrasse. Elle l’avait entraîné dans sa chambre et s’était alanguie à genoux sur le lit, les jambes légèrement écartées.



Rignac avait commencé patiemment à lubrifier l’étroit passage de ses reins, desserrant l’anneau de chair jusqu’à ce qu’il puisse y introduire deux doigts. Enfin, n’y tenant plus, il avait empli la croupe offerte. Agnès, la tête enfoncée dans les coussins, les doigts crispés sur le couvre-lit, avait encaissé l’assaut avec vaillance, elle avait eu un petit cri lorsqu’il était entré de toute sa longueur.


Il sortit de son excitante rêverie et, empoignant son verre de vodka, il alla s’asseoir à une table un peu isolée. Il extirpa de la poche de sa veste son portable, concession à la modernité, et composa le numéro d’Agnès.




IV



Le téléphone posé sur une table basse de verre et d’acier gronda, attirant une splendide quinquagénaire aux formes généreuses, vêtue seulement d’un body de dentelle parme lacé dans le dos et d’escarpins crème à la simplicité élégante. Sa taille, étonnamment fine pour son âge, faisait ressortir l’opulence de sa poitrine.


Elle décrocha…



En entendant sa voix, Rignac se sentit « tout chose ». Agnès aurait pu faire bander un centenaire seulement en lui parlant… Elle respirait le sexe.



Un garçon athlétique d’une vingtaine d’années, barbe de trois jours à la mode, enveloppé dans un peignoir regardait le téléphone d’un air soupçonneux.



Elle saisit dans sa main le membre tendu et commença à le masturber.



Sa main glissait sur la hampe de chair…



« Eux aussi m’ont représentée.

Et ce pont à petits points…

Ou bien à petites touches…

Je serai là cinq heures avant minuit et,

Si tu déniches l’endroit.

Alors je dirai, chapeau l’artiste !



Elle avait parfois un langage de charretier. Elle jeta un œil sur le membre tendu qu’elle caressait distraitement…



Agnès attira à elle la verge prête à exploser et l’engloutit. Sa langue s’activa autour du gland gonflé, tandis que ses lèvres descendaient lentement. Elle resta ainsi un instant puis remonta le long de la colonne de chair. Au moment où le sexe frémissant sortit de sa bouche, son jeune amant poussa un hurlement et lui cracha une incroyable quantité de semence en plein visage.





V



Le pont des Arts relie l’Institut de France à la Cour Carrée du Louvres, il est construit en fonte et, en son centre, sont installés des bancs qui accueillent l’ardeur des amoureux… ou la fatigue des retraités… Lorsque Rignac sortit de sa voiture, un léger brouillard s’élevait de la Seine. La lueur jaune des réverbères du pont formait comme un halo cotonneux un peu étrange, une atmosphère de film noir des années 50. En avançant, il tentait de retrouver les paroles d’une chanson de Brassens « Si par hasard, sur l’pont des Arts… ti la la la, prends garde à ton jupon ». À cause du brouillard qui l’enveloppait, il ne l’aperçut pas tout de suite, assise sur un banc. Il s’approcha, dissimulant sa hâte, pour un peu il se serait précipité vers elle comme Trintignant vers Anouk Aimé sur la plage de Deauville.



Elle avait adopté tout naturellement le tutoiement comme si une vieille complicité les liait.



Elle se mit à rire :



Elle eut un petit frémissement…



Il lui présenta le bras auquel elle s’accrocha et il fit mine de se diriger vers l’énorme silhouette noire du Louvres.



Elle s’arrêta brusquement et se tourna face à lui.



Tout en bavardant, ils arrivèrent sur le quai Malaquais auquel est amarrée une péniche transformée en bar chic. Il était encore un peu tôt et la salle était presque vide. Ils s’installèrent à une table au fond d’un petit salon baigné d’une lumière tamisée. Charlotte souffla dans ses doigts pour les réchauffer et Rignac prit ses mains dans les siennes. Il posa ses lèvres sur les phalanges serrées, elle eut comme un soupir et ferma à demi les yeux. Ses pensées la ramenaient vers la mythique Tour de Nesle et, comme dans un murmure, elle se mit à raconter.




VI



« Imagine… Paris au début du XIVe siècle, le roi Louis X, le Hutin, ça veut dire le querelleur, ne s’intéresse qu’au Jeu de Paume. Sa femme, Marguerite de Bourgogne, est jeune, belle, sensuelle, avide de plaisir. Elle s’ennuie dans le Palais Royal de l’île de la Cité avec ses cousines Jeanne et Blanche… Un film des années 50 lui donne les traits de cette actrice italienne plantureuse, Silvana Pampanini. Moi, je la vois plutôt comme une jeune fille, à peine sortie de l’adolescence, d’une beauté troublante mais glaciale.


Il fait nuit noire dans Paris, une ville sale et pleine de dangers. Marguerite quitte par une porte dérobée le Palais de la Cité dont ne subsiste aujourd’hui que la Conciergerie. Elle porte une robe claire assez simple, elle a recouvert ses épaules d’une cape sombre et un capuchon dissimule son visage. Pour seule escorte, un homme la précède, trapu, tenant d’une main une torche et de l’autre la laisse de deux énormes molosses. Elle ressemble à un spectre, longeant les maisons, disparaissant dans l’ombre des murailles, semblant flotter sur les pavés inégaux. Elle monte dans une barque que pilote un homme silencieux et traverse la Seine pour atteindre, sur la rive opposée, un escalier qui semble donner sur la muraille d’une sinistre forteresse. Elle jette un regard sur l’île aux Juifs où son terrible beau-père fit brûler le Grand Maître de l’Ordre du Temple attirant sur lui la célèbre malédiction.


Comme par un sortilège, une anfractuosité apparaît entre les pierres. Elle est barrée par une grille. L’homme à la torche sort un trousseau de clés. La serrure grince, résiste et enfin cède. L’homme s’efface, Marguerite entre seule. Elle va, par des couloirs sinistres, elle monte des marches, franchit des ponts. De lourdes portes s’écartent devant elle, maniées par on ne sait quelles mains immondes. Elle traverse des salles obscures, drapées de tentures sombres. Elle monte encore, elle n’en finit pas de monter, elle avance sans hésiter dans ce labyrinthe effrayant.


Encore une salle aussi immense que vide et, au fond, se trouve une porte étroite dissimulée derrière un paravent. La porte s’efface, Marguerite pénètre dans une chambre éclairée par une infinité de chandeliers. Un feu brûle dans une cheminée gigantesque. Au sol, des tapis précieux et des peaux de bêtes forment comme une couche. Marguerite se défait de sa cape, elle se tient là, silhouette fragile, au centre de la pièce. Apparues d’on ne sait où, deux femmes la rejoignent.


Elles sont nues jusqu’à la ceinture, vêtues seulement de pantalons bouffants à la mode mauresque et de lourds bijoux. Elles tiennent dans leurs bras des récipients emplis d’eau pure et de parfums capiteux. De leurs mains fines elles font glisser la robe de Marguerite et versent sur elle les précieux liquides qui coulent sur la peau claire, presque blanche de la reine. Les seins de Marguerite sont minuscules, sans les mamelons, étonnamment longs, on dirait le torse d’un éphèbe. La toison de son sexe est presque transparente. Son corps est harmonieux mais d’une beauté qui met mal à l’aise.


La reine s’allonge sur le sol couvert de peaux de bêtes et les deux femmes, de leurs doigts enduits d’onguents, massent lentement le corps alangui. Elles s’attardent sur les fesses rondes et fermes de Marguerite. Sous leurs caresses, la reine semble prendre vie, son corps paraît plus chaud, même sa poitrine semble prendre forme. Les yeux de Marguerite, ordinairement dénués d’expression, brillent de mille feux, son souffle se fait court, presque rauque. Les femmes se sont retirées, silencieuses, laissant la reine entièrement nue, les cheveux dénoués, allongée, offerte.


Les servantes reviennent, guidant un homme aux yeux bandés. Elles lui ôtent ses habits. Le pourpoint, les chausses. À son tour, elles le lavent, le parfument, le massent et lui entravent les mains. Tour à tour, elles prennent son sexe gonflé dans leur bouche et le gardent ainsi, sans bouger, faisant monter, avec la frustration, son excitation. Elles frottent leurs seins lourds sur ses jambes, sur son torse.


Elles l’aident à s’allonger à côté de Marguerite dont il sent la présence. Il voudrait la toucher, la voir mais ses mains entravées l’en empêchent. Il regretterait presque d’avoir accepté cette étrange règle : ne pas voir la Dame dont il allait jouir. Mais la suivante qui lui a proposé cet étrange marché était si belle et son désir est tel qu’il ne songe plus à rien.


La reine explore le corps jeune et musclé dont elle va tirer son plaisir. Ses mains, sa bouche, son corps entier épousent les courbes, s’imprègnent de son odeur virile. L’homme sent la douceur de cette peau fine et parfumée sur la sienne, sa verge est tendue à lui faire mal. Et puis c’est une sensation exquise, une bouche chaude qui l’engloutit en un mouvement profond. Au moment où il va exploser, la caresse s’interrompt. Il sent qu’il s’enfonce dans un fourreau étroit, coulant de miel. L’inconnue va d’avant en arrière, s’empalant sur lui. Dès qu’elle sent qu’il va prendre son plaisir, la reine reste immobile, le temps qu’il parvienne à se maîtriser. Emplie par ce sexe vigoureux, elle sent la volupté monter au fond de son ventre. Son mouvement s’accélère, elle est prise d’un spasme qui entraîne avec elle son amant d’un soir. Il se répand dans la reine.


Marguerite frissonne encore, son corps se contracte comme s’il n’était qu’un prolongement de son sexe. Et puis elle s’apaise et ses yeux se vident, son visage retrouve son aspect de masque funèbre, son corps paraît s’être vidé de son sang. Elle se lève, presque dégoûtée par la virilité, maintenant flasque, qui, il y a un instant la comblait. Elle sort.


Dans la Tour de Nesle redevenue silencieuse, on entend un cri, puis le bruit mat d’un corps qui tombe à l’eau. Et au petit matin, lorsque, comme presque chaque soir, le corps d’un gentilhomme jeune et beau viendra se prendre dans les buissons des berges de la Seine, on entendra peut-être le sinistre chant des Assassins « La Tour, prends garde, la Tour prends garde, de te laisser mourir… »



Un peu estomaqué, Rignac se laissait porter par cette voix chaude, au timbre un peu grave.



Charlotte sourit.



Elle posa sa joue sur l’épaule de Rignac. Il l’embrassa sur la tempe.



Rignac l’attira à lui, leurs lèvres se joignirent en un long baiser profond.



Ils s’embrassèrent passionnément, savourant la volupté des caresses de leurs langues. Rignac, férocement excité, glissa la main sur la cuisse gainée de noir de la jeune femme. Elle se colla à lui, savourant la caresse. Lentement, il remonta le long de la jambe musclée, le souffle de Charlotte se fit plus court. Brusquement elle l’écarta, l’empêchant d’aller plus loin.



Il caressa doucement son visage.

Ils restèrent là, sur cette banquette, sans oser bouger comme s’ils voulaient prolonger à l’infini ce moment de découverte, ce moment exquis de tous les possibles. La péniche s’était remplie : cadres en séminaire, étudiants en goguette, artistes vrais ou faux. Ce brouhaha un peu vulgaire rompit le charme mystérieux de ce bateau amarré au pied de l’emplacement où s’élevait naguère la terrifiante Tour de Nesle. Ils se levèrent et rejoignirent la Bentley.


Charlotte passa un doigt sur la loupe de noyer du tableau de bord.





VII



L’ascenseur arrivait directement dans le vaste hall d’entrée de son appartement. Face à eux, au-dessus d’une commode Empire, trônait le portrait en pied d’un officier, l’air sévère, en habit bleu marine et bottes de cavalerie, tenant sous le bras un grand bonnet en fourrure.


Rignac ouvrit une porte et s’effaça pour laisser Charlotte entrer dans un long couloir lambrissé et la guida jusqu’à une autre pièce. Il pressa un interrupteur et la terrasse, qui était en fait le toit de l’immeuble, s’illumina dévoilant une sorte de jardin suspendu dans le ciel de Paris.


La lumière extérieure suffisait à éclairer la pièce où ils se trouvaient et qui ressemblait à la cabine d’un bateau ancien, avec de solides meubles en bois sombre. C’est à ce moment-là seulement que Charlotte réalisa qu’il l’avait emmenée directement dans sa chambre.


Elle le regarda, sans ciller, et ôta son manteau qu’elle lança sur un fauteuil de cuir brun. Puis elle se glissa hors de sa robe de soie crème. Perchée sur ses escarpins, vêtue seulement de ses bas et d’un soutien-gorge en dentelles, elle s’approcha de la verrière et fit mine de contempler la ville à ses pieds.


Rignac admirait l’élégante silhouette qui se détachait devant la vitre. Il dut faire un effort pour quitter des yeux ce corps superbe. Il ouvrit un meuble et sortit d’un minibar une bouteille de champagne et deux coupes.



Elle se tourna pour prendre le verre qu’il lui offrait et l’approcha de sa poitrine joliment galbée.



Elle lui faisait face et Rignac se sentait comme hypnotisé par le léger renflement du mont de Vénus et par la fine toison, soigneusement épilée, de son pubis. Elle vint à lui et se lova contre son torse, la tête posée sur son cou. Doucement, il rassembla les cheveux de la jeune femme et se mit à lui caresser la nuque. Il l’attira sur le lit et commença à lui masser délicatement l’intérieur des cuisses, en se retenant d’effleurer le sexe inondé. Charlotte ronronnait de plaisir, la tension était telle que ses gestes en étaient maladroits. Elle mit un temps qui lui parut infini à glisser ses doigts fins de long de la hampe de chair tendue de l’homme. Presque avec impatience, elle dénuda le sexe dont le contact lui sembla brûlant et l’engloutit dans sa bouche.


Rignac se sentit submergé de plaisir. Il lui fallut un effort de volonté presque surhumain pour ne pas décharger dans ce fourreau de velours. Charlotte l’enveloppait d’un mouvement lent et régulier. Elle l’abandonna posant un baiser sur sa virilité et s’allongea sur le dos. Avec douceur, il entra en elle. Charlotte roulait doucement des hanches, la tête rejetée en arrière, poussant d’intenses soupirs. Leur plaisir monta comme une vague. Rignac essaya de se retenir le plus longtemps possible. Brusquement Charlotte noua ses jambes dans son dos et cria presque :



Il poussa un grognement, déchargeant sa semence. Même à vingt ans, il ne se souvenait pas avoir joui comme ça ! Ils se blottirent l’un contre l’autre, attendant en bavardant que le sommeil gagne leurs corps engourdis par l’amour. Ils se sentaient détachés de la réalité, comme entre parenthèses, flottant au-dessus de Paris dans cette chambre à l’aspect de cabine de bateau.


Lorsqu’ils s’éveillèrent le jour était levé depuis un bon moment. Ils se caressèrent paresseusement, éveillant leurs sens qui, sans doute, n’étaient pas très profondément assoupis puisque, quelques instants plus tard, Charlotte chevauchait vigoureusement un sexe qui avait retrouvé toute sa superbe. Lorsqu’il vint en elle, elle se laissa aller contre son torse et une douce torpeur les envahit de nouveau.


On frappa à la porte.



Un petit bonhomme d’une cinquantaine d’années, le crâne rasé, pénétra dans la chambre le plateau du petit déjeuner à la main.



Petucci manqua de lâcher le plateau du petit déjeuner lorsque Charlotte se redressa dans le lit en laissant, par maladresse sans doute, glisser le drap sur sa poitrine nue. Il se ressaisit, posa le plateau sur un guéridon et sortit. Tout en grignotant un croissant, Charlotte, dans le plus simple appareil, se promenait dans la chambre pleine d’objets étranges et de livres anciens. Elle s’arrêta devant une commode sur laquelle était posé un immense sabre dont la garde était ornée d’une grenade. Elle posa la main sur le fourreau de laiton. D’un geste lent, presque sensuel, elle tira la longue lame droite de son étui. Sur son tiers supérieur, l’acier était bleui, orné de motifs d’or, avec une inscription « L’Empereur au Major Desbois, la Moskova le 7 septembre 1812 ». Elle se mit à le manier avec une assurance assez inattendue. Rignac la regardait, à la fois charmé et amusé. Elle décrivait des arabesques avec l’arme, on aurait dit une sorte de danse barbare.



Elle fit siffler la lame au-dessus de la tête de Rignac et lui lança un petit sourire en coin.



Le sang de Rignac ne fit qu’un tour, il la saisit aux hanches, la retourna et, les mains crispées sur les ravissantes fesses de Charlotte, il enfonça son membre qui avait miraculeusement retrouvé un peu de vaillance dans la fente perpétuellement inondée. Il la chevaucha longuement, lui arrachant des soupirs qui parfois se transformaient en cris stridents, avant de rendre les armes, submergé par le plaisir.


Lorsqu’ils eurent repris leur souffle, Charlotte se blottit dans ses bras et il commença à parler, presque à mi-voix :