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Temps de lecture estimé : 61 mn
14/10/11
Résumé:  Borowitz n'avait rien trouvé de mieux que d'envoyer Ghislaine sur les traces d'une gamine disparue ! Moralité : deux disparues. Et c'était à moi de les retrouver.
Critères:  fh fhh extracon jalousie fellation cunnilingu pénétratio humour policier -aventure -policier
Auteur : Ludwig Mrza
Corps-à-corps dans le Vercors


L’antre de l’imposant patron de l’agence d’enquêtes privées Borowitz puait l’ours. J’avais beau m’y être accoutumé, rendre visite au maître des lieux et supporter l’atmosphère empesée par les remugles de transpiration et la fumée de ses horribles cigares n’était jamais une partie de plaisir. Ce l’était d’autant moins que le caractère de l’individu ne le cédait en rien à son poids et à son odeur.


Adam Borowitz fit pivoter son fauteuil à roulettes et me tendit par-dessus son bureau les feuillets crachés par l’imprimante.



Je jetai un coup d’œil sur les documents : deux portraits d’une adolescente aux cheveux roux, aux yeux pâles et aux traits délicats. Jolie, assurément. Le garçon était blond, et plutôt crépu.



Borowitz remua sur son fauteuil. Il paraissait tracassé et j’espérai qu’il éprouvait des remords, un genre d’état d’âme qui n’était pas courant chez lui ; mais il avait Ghislaine à la bonne, ceci expliquant sans doute cela. Il en négligeait non seulement de me tutoyer avec mépris, mais également de me balancer les reproches et insultes d’usage. Son cigare s’était éteint et il le tétait nerveusement.



Parce que ce patapouf s’imaginait que Ghislaine était capable de discrétion ? La discrétion et Ghislaine, c’est chien et chat ! Et tout d’abord, elle ne passe jamais inaperçue. Physiquement, pourtant, elle n’a rien d’extraordinaire : c’est une petite brune un peu ronde, comme on en trouve beaucoup. Elle s’habille sans extravagance, se maquille peu et ne s’asperge pas abusivement d’eau de toilette. Mais dès notre première rencontre et malgré la présence autour d’elle de quelques copines plutôt bien roulées, c’est sur elle que j’avais flashé. Je suis néanmoins certain que sur une photo, on ne la distinguerait pas au milieu d’autres filles. Ce n’est pas physique. C’est un ensemble de petites choses qui ne s’expliquent pas aisément mais qui attirent le regard aussitôt qu’elle s’anime : un sourire, une œillade, une attitude, un geste, une inflexion de voix, la démarche… Ghislaine, c’est une fonceuse, une fille qui bouge. Rapides ou lents, involontaires ou calculés, les mouvements la révèlent, les actes la magnifient. Alors, la discrétion selon Ghislaine…



Je me demandai quel « service » ce genre de pauvre fille avait pu rendre à Adam Borowitz, mais jugeai plus prudent de ne pas lui poser la question.



C’est ce à quoi je songeais en débouchant dans la rue. Borowitz avait le nez aussi fin que le physique lourdingue, et s’il m’avait lancé une telle mise en garde en me confiant l’affaire, c’était qu’il pressentait pour moi autre chose que de la promenade. Prétendre qu’il y serait allé lui-même si son état de santé le lui avait permis n’était en rien de l’esbroufe. Il l’avait fait pendant des années. À présent, le travail sur le terrain – filatures, visites impromptues – n’était plus qu’une infime partie du business d’Adam Borowitz, celle qu’il nous refilait la plupart du temps, à Ghislaine et à moi, quand un de ses mouchards attitrés ne pouvait assurer le job ou remonter l’information. Le reste, il le faisait depuis son bureau, avec son fatras informatique et le téléphone à l’oreille. Ses meilleurs clients étaient des patrons d’entreprise, des chasseurs de têtes, des politiciens. Des gens qui le payaient grassement pour tout savoir, y compris et surtout l’inavouable, sur un concurrent, un rival ou un possible futur collaborateur.


Je m’installai au volant en me demandant par où entamer les recherches : rencontre de la mère Perreaux ou du petit copain de la fille ? Visite chez Louis Mouche ou menue descente au « Skull » ? Et quelle voie Ghislaine avait-elle choisie ? « Tout compte fait, c’est pas une personne que je cherche, mais deux ! » songeai-je avec amertume. L’affaire me paraissait troublante et je réalisai que cette fois, en cas de coup dur, je ne pourrais sans doute pas compter sur Ghislaine pour me sauver la mise.




+++++




Le quartier où habitaient la cliente de Borowitz et le dénommé Louis Mouche n’avait effectivement rien d’affriolant : venelles sales, logements à la limite de la salubrité et population généralement désœuvrée. En quittant ma voiture à proximité d’une rangée de poubelles débordantes ou renversées par des chiens errants, je me dirigeai vers une rue voisine, où je repérai l’infâme taudis où créchait Louis Mouche. Deux étages d’un escalier obscur plus loin, je frappais à sa porte mais, comme je m’y attendais, sans succès. Je cognai avec plus d’insistance, mais c’était peine perdue. Comme j’allais faire demi-tour pour redescendre, la lourde s’ouvrit sur une fille mince et aux longs cheveux noirs, vêtue d’une minijupe et d’un débardeur.



Elle interrompit son mâchouillage le temps de prendre une bonne inspiration qui fit gonfler sa poitrine sous son marcel.



Elle commençait à me gonfler. Je pris mon air méchant et amorçai un pas vers elle.



Elle semblait dire vrai, à en juger à son air effarouché, mais avec les gonzesses, on ne sait jamais.



Je voyais très bien ce qu’elle voulait dire, compte tenu du ton méprisant qu’elle avait utilisé.



Elle se cambrait, fière et provocante, avec les pointes de ses petits seins qui tendaient le coton de son débardeur. Elle ne portait pas de soutien-gorge et n’en avait nul besoin.



Elle fit une pirouette.



Elle mit la radio en marche, trouva un air à sa convenance et, se débarrassant de ses pantoufles, commença à virevolter devant moi, s’approchant au gré de ses pirouettes et entrechats pour que je lui tienne la taille. Elle s’échappa à plusieurs reprises, mais lorsque les dernières notes de la chanson retentirent, elle était revenue s’immobiliser tout contre moi, le dos tourné, et j’avais les paluches sur ses seins. Ils étaient menus et fermes, mais Juana était mince et souple, ce qui formait un ensemble somme toute équilibré.



Elle se tourna, m’offrit sa bouche. Ses lèvres étaient pulpeuses, sa langue agile. Je m’y attardai quelques instants, puis me détachai d’elle en la débarrassant de son marcel. Elle me laissa embrasser ses seins fermes et bronzés, en tenant ma tête de ses deux mains.



Je lui caressai les cuisses par-dessous la jupe. Elle délaissa immédiatement ma tête pour ouvrir la tirette et la boutonnette, et la jupette chut. Contrairement à ce que j’avais escompté, son slip n’était pas un modèle échancré. C’était une bonne vieille culotte de coton blanc souple et duveteux, déjà humide dans l’entrejambe.


Je soulevai Juana dans mes bras et l’allongeai sur le sofa pour lui ôter son ultime pièce vestimentaire. Elle gloussa de plaisir en me laissant jouer de la langue au milieu de sa sombre toison. J’en profitai aussi pour la doigter pendant que ma main libre partait peloter ses petits seins. Elle se mit à tressauter sur le divan et je dus appuyer plus vigoureusement de la paume sur sa poitrine, puis carrément lui pincer les tétons pour qu’elle remue un peu moins. Elle battit quand même des jambes en jouissant, mais je remarquai qu’elle étouffait ses cris sur le dos de sa main, peut-être par crainte de déranger les voisins ou, plus prosaïquement, de les attirer dans la mêlée.


Lorsqu’elle se rua vers ma braguette, je ne la retins pas, mais son sourire étiré sur des dents gourmandes me donna néanmoins quelques craintes pour l’intégrité de mon gland.



Tant qu’il n’était question que d’embrasser, ça ne me dérangeait pas. Mieux : ça me plaisait. Et elle ne mentait pas, la coquine ! Je remarquai également qu’elle adorait lécher et sucer, mais elle se garda toutefois d’avaler lorsque je balançai la purée : il ne fallait quand même pas trop en demander !




+++++




La soirée commençait à peine lorsque j’arrivai devant le « Skull » avec, quelque part sur le bout de la langue, un petit arrière-goût de femelle en rut. Je n’avais pu obtenir aucun renseignement utile de Juana, mais au moins en avais-je tiré quelque satisfaction compensatoire. Elle ne m’avait rien demandé, même pas de me revoir et c’était bien ainsi. Cette nuit sans doute elle s’en irait arpenter le trottoir, occupation plus lucrative que de tailler gracieusement une pipe à un visiteur sympathique aux mains baladeuses et à la bouche habile.


Une enseigne lumineuse figurant un squelette clignotait sur la façade crasseuse du bar, au-dessus de la porte ouverte sur un bruit agressif ressemblant vaguement à de la musique. Avec le blue-jean le plus délavé de ma collection, un vieux tee-shirt orné d’une tête de mort et mon blouson de cuir râpé, je devais encore être plus chic que la moyenne de la clientèle du bistrot, car je n’y passai pas inaperçu. Malgré les regards peu amènes qui me furent adressés en chemin et l’odeur de pisse s’échappant des toilettes voisines, je m’approchai du comptoir et commandai une bière que je bus directement à la bouteille en jetant un coup d’œil circulaire sur la salle mal éclairée au carrelage crasseux, au mobilier miteux et aux murs chargés d’affiches aux couleurs criardes.


Torsten Holm était occupé à secouer un flipper, un peu plus loin, et je vins vers lui sans rien dire en sirotant ma bibine. Il leva brièvement les yeux vers moi avant de se concentrer sur la partie en cours, mais ma présence devait le perturber car il s’énervait de plus en plus et finit par « faire tilt » en jurant à voix basse.



Il me regarda sans répondre. Il était comme sur la photo, blond et bouclé, mais plutôt mince et pas très costaud. Sa moue était méprisante, mais il n’avait rien d’un dur. C’était juste un ado un peu rebelle. Dans les haut-parleurs, ce qui ressemblait vaguement à une voix de chanteur éructait les vagues paroles d’une vague chanson sur fond de guitares saturées et de martèlement de batterie.



Il me jeta un regard mauvais. Ce même regard mauvais qu’ont les jeunes gars quand on leur pose des questions sur la copine qui vient de les balancer.



Voilà qui avait le mérite d’être clair. Je pris un ton apaisant.



Puis il baissa le ton à mon intention :



C’était aussi mon avis.



Je terminai ma bière et déposai ma bouteille vide sur le comptoir avant de me diriger vers la sortie.



C’était la voix du type qui était intervenu précédemment. Il se tenait non loin de la porte ouverte et je m’immobilisai pour le regarder. Plus âgé que Torsten Holm, il était aussi plus grand, plus costaud, avait le crâne rasé, un anneau dans l’oreille et un air vicelard.



Sur le trottoir, deux jeunes gars étaient debout, grillant leur cigarette. Visiblement, ils m’attendaient. « Ça va vite », pensai-je immédiatement.



Dans une telle situation, mieux vaut éviter de tergiverser. Je connaissais ce genre de petits voyous : dès qu’ils se trouvent à plusieurs autour d’un type, ils lui cherchent des crosses pour un oui ou pour un non, l’important étant d’en venir aux mains. Leur point faible est leur lenteur à passer à l’action. Ils veulent la bagarre juste pour la bagarre mais, paradoxalement, ils semblent ressentir un besoin de la justifier, de trouver un vague prétexte pour en découdre. Quelques échanges verbaux sont donc indispensables à leur mise en condition. Il faut que monte la tension, que vienne la poussée d’adrénaline.


Moi, je n’en avais rien à battre, de leurs prétextes et de leur taux d’adrénaline. D’autant plus que le costaud qui était dans le bistrot ne pouvait manquer de me suivre. Je passai instantanément à l’action, ce qui non seulement les prit au dépourvu mais m’offrit un avantage traîtreusement décisif. Le coup de pompe dans l’entrejambe du premier et le poing sur la tronche de son acolyte me débarrassèrent au moins provisoirement de deux adversaires, et je pus accueillir le costaud qui sortait du bar en espérant qu’il n’en vînt pas d’autres dans la foulée.


Le type au crâne rasé avait sans doute du muscle et de la gueule, mais son patrimoine génétique avait dû s’arrêter là en matière d’atouts. Il se rua à l’offensive sans se demander si ce n’était pas dangereux, comme si le fait que le premier de ses potes soit plié en deux sur le trottoir et le second affalé contre la façade, les yeux fermés et le nez pissant le sang, n’avait aucune valeur d’avertissement.


Je le cueillis d’une vilaine droite dans le bide après une rapide esquive et une parade du bras pour écarter son premier coup. Je n’avais pas bénéficié de suffisamment de recul pour que ce soit très efficace, mais le gaillard dut se rendre compte que ce serait moins facile qu’il ne l’avait sans doute escompté. Réalisant que ses copains n’étaient pas vraiment en état de revenir sans délai au combat, il reflua d’un pas et exhiba soudain un couteau à la lame dangereusement pointue.



Ce disant, je tendis le menton au-delà de l’endroit où il se tenait. Il ne put s’empêcher de se retourner, mais il n’y avait là que quelques types qui étaient sortis du « Skull » pour voir la bagarre sans intention manifeste d’y prendre part. Mon adversaire reporta aussitôt son attention vers moi, mais j’avais légèrement changé de place et lorsqu’il frappa du couteau, ce fut sans grande efficacité. Je lui saisis le poignet et nous luttâmes furieusement au corps-à-corps, lui tentant de se dégager, et moi de lui faire lâcher son coupe-choux.


Sans être un as du close-combat, j’avais conservé de beaux restes : je n’étais plus flic, mais les bons réflexes étaient toujours présents. À plusieurs reprises, je lui cognai la main contre la façade et il finit par laisser tomber son arme. Il tenta bien quelques coups de pied et de poing, mais le cœur n’y était plus et je terminai en l’expédiant au sol d’un solide uppercut au menton.



Le gars qui s’était chopé mon pied dans les roubignoles avait retrouvé des couleurs et convoitait le coupe-choux, mais je posai la semelle dessus avant qu’il pût y mettre la pogne et, comme il était à quatre pattes, j’enchaînai dans ses côtes avec la conviction d’un centre-avant de football reprenant de volée une passe bien calibrée. Dans le public, personne n’applaudit la performance, mais aucun des spectateurs ne fit mine d’envahir le terrain. Pliant les genoux, je récupérai le couteau, fis volte-face et m’éloignai sans hâte mais en évitant toutefois de m’attarder. L’endroit pouvait devenir malsain.


J’atteignais le coin de la rue lorsqu’un pas rapide se fit entendre derrière moi.



Je ralentis l’allure pour laisser Torsten Holm me rejoindre dès que j’eus tourné dans la voie transversale où j’avais garé ma voiture.



Je m’arrêtai près de ma bagnole.



Il regarda ses pieds. C’était difficile.



Il hésita un instant, puis me jeta une adresse.



Son étonnement n’était pas feint.



On était à destination. J’arrêtai la voiture.



Le garçon ouvrit la portière.



Il descendit.



Je regardai l’adolescent s’engouffrer dans un immeuble à appartements, puis m’éloignai et me garai dans une rue voisine pour appeler Adam Borowitz. Je lui racontai les derniers événements, en passant toutefois sous silence la petite partie récréative que je m’étais offerte avec Juana, mais il flaira quand même l’entourloupe.



Je grillai tranquillement une clope, les fesses contre le capot de ma caisse. Les renseignements que j’avais glanés ne valaient sans doute pas un pet, mais c’était mieux que rien et Borowitz pouvait très bien en tirer quelque chose. À sa manière, c’était un génie, et j’étais sûr que depuis sa tanière il pouvait sortir le curriculum vitae d’à peu près n’importe qui. Six minutes de recherches lui suffirent pour me rappeler.





+++++




Adam Borowitz avait raison : le Vercors est une bien jolie région, mais je n’y venais pas faire du tourisme, même si je m’efforçais d’en donner toutes les apparences.

Lorsque je m’abattis sur un siège, à l’ombre d’un parasol sur la terrasse de « L’auberge du Vercors », à Saint-Edmond, j’étais loin d’être frais dans mon short, mon tee-shirt et mes sandales. Selon l’expression populaire, j’avais les boules collées au fond du sachet. Un gros type qui sirotait son Ricard à une table voisine me regarda m’affaler puis me lança un clin d’œil assorti d’un « fait chaud, hein ? » de circonstance.



Je hochai la tête en grimaçant sous le soleil, mais sa question me rassurait sur mon look. Mon allure de touriste en perdition arrangeait mes projets.

Le rideau de perles barrant l’entrée de l’auberge s’écarta soudain et je plissai les yeux, pourtant déjà malmenés par la lumière, devant l’éblouissante apparition d’une jeune femme au teint clair, aux cheveux blond-roux, au sourire ravageur et à la silhouette affolante. J’en oubliai provisoirement tous mes emmerdements et, la langue sèche, lui demandai une bière à la pression.



Je laissai planer un silence et mes ennuis en profitèrent pour se rappeler à mon bon souvenir. Tout d’abord, une crevaison qui m’avait foutu en rogne parce que ma roue de secours n’était pas des plus vaillantes vu que j’oublie d’en vérifier de temps en temps la pression de gonflage, et ensuite ce radiateur qui faisait des siennes…



Le type tourna la tête vers ma tire, qui cuisait en plein soleil au bord du trottoir, et je regardai dans la même direction.



Elle avait eu le pas discret et je m’en voulus d’avoir manqué une partie du spectacle, mais tentai de rattraper le temps perdu en la dévorant du regard.



Je la suivis à l’intérieur, où il faisait sombre et frais. Elle m’apporta un bidon ayant jadis renfermé de la javel et le remplit directement au robinet pendant que j’admirais sa plastique affolante. C’est à regret que je ressortis griller au soleil en transvasant le contenu du récipient dans l’orifice idoine ; puis je liquidai et payai ma bière après avoir restitué le bidon à sa propriétaire. J’adressai à Zoé mon plus charmant sourire, saluai d’un signe de la main le client de la terrasse et m’éloignai en voiture en regardant davantage dans mes rétroviseurs qu’au travers du pare-brise.


Je roulai doucement, passai devant l’église et repérai sans peine la pompe à essence. Les portes étaient ouvertes en grand sur un atelier qui paraissait bien sombre depuis la rue baignée de lumière. Je dus lancer plusieurs appels pour qu’un adolescent émerge d’un coin encore plus obscur.



Je me demandai si ses paupières papillonnaient à cause du soleil ou de la sieste dont il semblait sortir à grand-peine.



« Le petit » passa devant moi et pencha son mètre quatre-vingt vers la roue. Le gars devait avoir grandi trop vite.



L’adolescent se gratta les aisselles.



J’acquiesçai.



Il était peut-être un peu plus éveillé qu’en apparence, finalement ! Je manœuvrai pendant qu’il amenait le tuyau d’air comprimé.



Il agita en signe d’impuissance ses mains tachées de cambouis, puis s’intéressa à la roue. Je le regardai revisser le bouchon puis se redresser en essuyant ses pattes sur son pantalon.



Il fit de grands gestes comme s’il dirigeait la circulation sur un porte-avions encombré :



Il était essoufflé d’avoir dit tout ça d’une traite.



Il baissa la voix :



Comme il hésitait en regardant ses mains, je me demandai s’il était capable de compter aussi loin !

Je venais de lui donner un peu de monnaie quand une dépanneuse s’approcha et s’immobilisa dans un grincement de freins. Un solide gaillard en descendit alors que l’apprenti me lançait un « c’est l’patron, m’sieur », au cas où je ne l’aurais pas deviné.

Michel me dépassait d’une bonne demi-tête et devait bien faire son quintal. Tout en muscles, le poil noir et l’air jovial, il s’inquiéta immédiatement de mon problème.



Il acheva sa phrase dans un geste vague.



Michel se tourna vers son apprenti.



L’adolescent disparut dans l’obscurité du garage. Je confiai mes clés et mon numéro de téléphone mobile au patron après avoir récupéré mon sac de voyage, et repartis tranquillement vers l’auberge.




+++++




La cuisine de Louis et Françoise Bouchot devait jouir d’une excellente réputation, car le soir, la terrasse et la salle étaient bien garnies. Je demandai discrètement à Zoé d’où sortait toute cette foule, et elle m’expliqua en quelques mots qu’il s’agissait pour la plupart d’habitants du village et de quelques itinérants connaissant la bonne adresse et soucieux de ne pas manquer une occasion d’y faire étape. Le patron était aux fourneaux et sa femme assurait le service de maîtresse façon, le petit coup de main de leur ravissante nièce étant un luxe essentiellement estival.


En même temps que du succulent contenu de mon assiette, je profitais de l’affolant spectacle offert par une Zoé resplendissante passant d’une table à l’autre. Sa tante, opulente cinquantenaire, connaissait parfaitement sa clientèle et plaisantait joyeusement avec les plus habitués. Les portions qu’elle distribuait étaient généreuses, mais c’était une cuisine simple et parfumée, calant bien le bide et procurant la certitude d’en avoir plus que pour son fric. La carte était réduite, mais la plupart des dîneurs s’en souciaient comme d’une guigne et commandaient directement le menu du jour griffonné à la craie sur un tableau noir vissé à un chevalet, qu’ils accompagnaient invariablement du « vin du patron », un rouge régional épicé et gouleyant présenté dans des bouteilles dépourvues d’étiquette.


À la lumière de quelques lampadaires autour desquels voletaient des papillons de nuit, je traînaillai quelque peu en terrasse avec les derniers clients, grillant ma cigarette et sirotant un cognac. Dans un coin, deux gaillards barbus et à la mise négligée faisaient la conversation à Zoé en liquidant leur pinard. Sans doute aussi des habitués, mais qui à l’évidence profitaient de la moindre occasion d’interpeller la jolie blonde quand elle passait à portée de voix.


Je remarquai les gestes irrités de la demoiselle et perçus quelques paroles prononcées plus sèchement, mais sans les comprendre. Les deux types ronchonnèrent. Ils insistaient et, manifestement et bien qu’elle ne haussât pas vraiment le ton, Zoé perdait son calme. Elle s’esquiva à l’intérieur de l’auberge et les mecs se turent. Je venais de terminer mon verre et de me lever pour rentrer, lorsque la serveuse franchit à nouveau l’entrée du bâtiment. Elle m’adressa un sourire un peu forcé en me croisant et je demeurai sur le seuil pendant qu’elle rendait la monnaie aux deux olibrius encore attablés dans leur coin. Elle secoua le bras quand l’un d’eux l’attrapa par le poignet, mais il maintint la prise. Cette fois, la blonde éleva la voix :



L’autre se contentant de grogner sans faire mine d’obtempérer, bien que Zoé lui eût répété l’ordre, je me dirigeai vers eux à pas mesurés.



Je m’immobilisai à deux pas de la table lorsqu’un ordre claqua derrière moi.



Reconnaissant la voix ferme de la patronne, je m’abstins de me retourner, surveillant toujours les deux gaillards. Celui qui était encore assis se leva en libérant le poignet de la jolie blonde, puis ils s’esquivèrent rapidement, lui et son pote, sans dire un mot. Une pétarade soudaine, quelques instants plus tard, m’indiqua qu’ils filaient sur une moto.


Nous profitâmes de quelques secondes de silence, puis la patronne soupira :



Je songeai qu’à leur place, j’en ferais probablement autant.



Une petite voix intérieure me souffla que je devais plutôt m’attendre au contraire, mais je n’en offris pas l’écho.



Je la regardai un instant s’affairer. « Un sacré beau brin de fille », songeai-je.



Elle se redressa et me regarda froidement.



Le ton de sa réplique était sévère, mais je décelai dans ses yeux une étincelle d’amusement.



Zoé souleva son plateau. Avant qu’elle ne file, je me souvins brutalement de la question que j’aurais dû lui poser et que j’avais failli oublier en quelques secondes.



Elle m’avait cloué le bec poliment mais fermement, me laissant là sur cette terrasse à présent déserte mais toujours éclairée par quelques lampadaires. J’allumai une nouvelle clope et m’éloignai de quelques pas, jusqu’au bord du chemin où je restai à méditer en envoyant des volutes de fumée en direction du ciel étoilé.


J’avais le sentiment d’avoir loupé une occasion d’en apprendre davantage sur ce que je cherchais. Les deux gaillards hirsutes qui avaient importuné Zoé me rappelaient par trop certains individus que j’avais rencontrés lors de ma balade dans les bas-quartiers et de mon bref passage au « Skull ». De plus en plus, j’étais persuadé qu’ils avaient quelque chose à voir avec la mystérieuse communauté installée quelque part sur les hauteurs et dont les villageois ne parlaient qu’en termes vagues et méprisants avant de changer rapidement de sujet de conversation.


Demain, il faudrait que j’aille faire une balade de ce côté. L’existence du sentier montant au « Calvaire » me fournirait un alibi touristique crédible.

Je laissai choir mon mégot, qui me brûlait les doigts, et l’éteignis négligemment de la pointe de la semelle.



Je n’avais pu réprimer un sursaut de surprise, mais je pivotai comme si de rien n’était.



La jeune femme s’approcha, presque à me toucher, et je perçus un mélange de déodorant, de senteurs corporelles de fin de soirée et de cuisine refroidie. Ses yeux demeuraient dans l’ombre, mais j’y distinguai le léger reflet d’un lampadaire.



Elle me regardait fixement, sans sourire, guettant mes réactions. J’essayais de garder mon calme, mais mon interlocutrice ne manquait pas d’aplomb et j’étais occupé à me demander si elle n’était pas de mèche avec cette curieuse communauté. Une auberge avec terrasse peut constituer un excellent point de rencontre, un poste d’observation, un relais d’information. Et l’altercation avec les deux types pouvait tout aussi bien faire partie d’un plan destiné, justement, à éloigner tout soupçon de complicité entre la jolie blonde et la bande à Bruze.

Je décidai de me méfier et amorçai la contre-attaque :



Nombreuses sont celles qui m’auraient giflé sans me laisser le temps d’achever ma tirade ; mais mon interlocutrice encaissa sans broncher, s’accordant juste une seconde de réflexion.



Un appel pressant en provenance de l’auberge vint soudain briser le charme de notre conversation.



Je n’avais rien appris qui vaille la peine d’un coup de téléphone à Borowitz, surtout à cette heure très tardive, mais je jugeai préférable de le tenir au courant de la situation. Son poste était sous répondeur, mais je savais qu’il n’était jamais loin de son bureau, quel que soit le moment du jour ou de la nuit, et qu’il écoutait les messages par l’intermédiaire du haut-parleur toujours en fonction, intervenant au besoin en prenant la communication.


Je m’éloignai de l’auberge pour composer le numéro de l’agence sur mon GSM et ne laissai à mon boss qu’un compte-rendu d’une brièveté telle qu’il n’ait pas le temps de réagir, l’essentiel étant qu’il me sache en bonne santé et à l’ouvrage. J’étais peu soucieux de l’entendre me dire qu’il ne me payait pas pour glander ni pour courir les filles, d’autant que je ne me livrais habituellement à aucune de ces deux activités.


Sans hâte, je regagnai l’« Auberge du Vercors ». Les lampadaires de la terrasse étaient éteints, seule brillait encore une lanterne près de la porte. En passant dans le couloir à proximité de l’entrée du restaurant, je constatai que tout était rangé. Ne me parvinrent que des bruits étouffés en provenance de la cuisine. Une fois dans ma chambre, à l’étage, je me dévêtis tranquillement et gagnai la salle de bain. La fatigue du voyage, le repas et l’alcool combinaient leurs effets pour m’embrumer l’esprit et m’appeler au sommeil réparateur, mais je n’étais pas encore vanné au point de négliger une petite séance de décrassage.


Quelques minutes plus tard, lorsque je retournai dans la chambre, une surprise m’y attendait.



Elle était assise sur le lit, un sourire candide sur le visage, mais ses yeux n’avaient pas manqué de me détailler de la tête aux pieds. J’étais dans le plus simple appareil, les cheveux encore humides de la douche que je venais de m’offrir. Les fringues que j’avais quittées étaient entassées sur la chaise où je les avais jetées et les autres restaient enfermées dans mon sac que je n’avais pas ouvert.



Elle ne manquait pas de culot ! Moi qui l’imaginais fâchée ou vexée, j’en étais pour mes frais ! Elle continuait à me regarder, mais son sourire s’était franchement élargi.



Avait-elle décidé de me rejoindre pour tenter de me tirer les vers du nez ? Tandis que sa bouche s’écrasait sur la mienne et que sa langue entrait en action, ses mains n’étaient pas en reste, assurant une bonne prise sur mes fesses.

Notre étreinte dura quelques secondes, puis Zoé s’écarta, le souffle court, et apprécia la rapide transformation qui venait de s’opérer dans mon anatomie.



Elle tenta de résister.



Zoé gloussa en m’aidant à la déshabiller. Elle était vraiment bandante à souhait ! Un corps chaud et aux courbes généreuses, avec cette peau claire qu’ont généralement les blondes à tendance rousse. Je promenai les doigts sur sa poitrine et son ventre, jusqu’à la toison au teint d’or cuivré. Mes lèvres emprisonnèrent un mamelon rose érigé sur un sein à l’aspect laiteux et au goût que j’imaginais pareil, mais qui était rendu quelque peu salé par la sudation.



J’interrompis un instant mes caresses et succions pour la regarder attentivement et décider si oui ou non elle avait choisi de se payer ma fiole.



Elle aussi, à l’évidence, elle savait observer !



La pratique sexuelle avec certaines femmes exige parfois une bonne dose de patience, de psychologie et de force de persuasion rien que pour les emmener un tout petit peu dans la direction où vous souhaitez aller. Zoé n’était pas de cette veine : elle semblait avoir des mains partout et tant d’empressement à s’en servir que je ne savais plus moi-même où promener les miennes. Chaque fois que je lui saisissais un sein, lui empaumais les fesses ou lui fourrais les doigts quelque part, elle frémissait, remuait pour me coller la bouche ou la langue là où elle le pouvait, tout en partant elle-même en exploration de mon corps. Il suffisait que je descende les lèvres sur sa poitrine et son ventre pour qu’elle réussisse à me branler avec les pieds ou entre ses genoux, quand elle ne me glissait pas ses orteils dans la raie du cul !


Ce n’était pas de la lutte, mais une espèce de jeu à la « je te touche, je te suce, je te lèche partout où je peux ». Au début, ça me parut surprenant, mais la coquine dégageait une telle sensualité, un tel entrain, que nous enchaînions les positions à un rythme endiablé. En réalité, dès qu’elle m’invitait, par le langage du corps, à l’embrasser ou à la toucher quelque part, j’étais à peine à l’ouvrage qu’elle en profitait pour me branler, me lécher ou me sucer, si bien que je devais m’esquiver rapidement pour éviter que nos échanges ne tournent court pour cause d’éjaculation précoce.


Je finis par la coucher sur le dos et lui replier les jambes vers le torse pendant que ma langue lui ramonait le vestibule, ce qui permit à mon bas-ventre de récupérer un peu de son self-control. Zoé n’en remuait pas moins, mais cette fois sans tenter d’inverser la position, et elle serra vivement les cuisses contre mes oreilles lorsque son plaisir l’envahit.


Elle ne fut pas longue à retrouver son souffle et à se dégager d’un bon coup de reins. Vautrée sur moi, elle colla sur la mienne sa bouche humide, puis descendit sur ma poitrine. Couché sur le dos, je la laissai s’occuper de moi sans chercher à me dérober. Couvertes de salive, ses lèvres entourèrent mon gland, mais elle prenait son temps, sans essayer de me faire jouir immédiatement.


Je tendis les bras pour qu’elle s’allonge sur moi et je la pénétrai comme ça, elle dessus et moi dessous, pendant que nos langues se mêlaient ; puis elle se redressa et s’assit sur moi. J’aimais la sentir et la voir me chevaucher, avec ses seins d’un blanc laiteux qui remuaient en cadence et dont je finis par m’emparer, des deux mains, pour les pétrir et en pincer les mamelons rosés.


Nos ébats étaient moins mouvementés qu’au début, plus posés, plus méthodiques. Une seule chose n’avait pas changé : notre silence. Je n’avais pas coutume de balancer des grivoiseries pendant le plaisir charnel et, apparemment, Zoé non plus. Elle s’abstenait de gémir, mais je n’étais pas sûr que ce fût son habitude, car elle se mordillait les lèvres ou soufflait de temps à autre. Peut-être s’imposait-elle tout bonnement de la retenue pour éviter de rameuter tout l’hôtel et d’attirer l’attention des patrons avec des frasques qu’ils n’apprécieraient sans doute pas.


Pendant que la jolie blonde me chevauchait, je cogitais à toute vitesse, n’arrivant pas à décider si je pouvais lui faire confiance. Une réponse affirmative avait ma faveur, mais comment chasser mes doutes ? Si Zoé était vraiment « de leur côté » et qu’elle avait, aussi sûrement qu’elle le prétendait, repéré en moi un dangereux fouineur, il était vraisemblable qu’elle en avait averti ses complices ; auquel cas j’étais déjà grillé.


Mais nantie de cette certitude, pourquoi Zoé m’aurait-elle annoncé la couleur, plutôt que de rester dans l’ombre pour marquer les points sans que je me rende compte de rien ? Pour découvrir quelque chose ? Savoir où j’en étais ? Non, ça ne tenait pas debout. Et comme de toute façon j’ignorais tout, qu’avais-je à perdre ? Au contraire : en lui avouant les raisons de ma présence, je risquais d’en apprendre davantage en retour.


Je cessai de me tourmenter à ce sujet, parce que le plaisir s’annonçait. Zoé dut le pressentir car elle sourit et ralentit ses mouvements puis, se soulevant, elle laissa mon sexe s’échapper du sien pour le récupérer de la main. Courbée ensuite entre mes jambes, elle me branla et me lécha en me jetant des regards gourmands qui eurent raison de mes velléités de résistance. Je m’épanchai, avec des frissons qui me parcoururent tout le corps, dans sa bouche qui s’était doucement refermée autour de mon gland tandis qu’elle accompagnait ma jouissance par des caresses des mains sur ma hampe. Ses lèvres s’entrouvrirent, laissant couler le sperme le long de ses doigts jusque sur mon ventre, et elle attendit les derniers spasmes et les premiers signes d’amollissement de ma virilité pour abandonner la position et s’allonger près de moi.


Nous n’avions pas prononcé une parole depuis que je l’avais invitée à utiliser sa langue pour autre chose que du bavardage. M’avait-elle pris au mot ? Elle me regardait silencieusement, souriante et apparemment assez contente d’elle. Si son objectif en s’introduisant dans ma chambre était de me faire jouir, elle y avait parfaitement réussi ! Je n’étais pas sûr, par contre, que son plaisir avait été à la hauteur du mien ; mais si je voulais entamer une seconde manche, il m’était nécessaire de récupérer.


Apaisée, détendue, Zoé me parut plus accessible.



Zoé sourit, se souleva sur le coude et pencha son visage sur le mien.



J’appréciai une fois encore le franc-parler de Zoé. De plus en plus, je me persuadais de lui faire confiance.



Je montrai les photos à Zoé, qui s’était assise sur le lit :



La blonde se mit à rire.



Vivement, Zoé m’enlaça et m’attira contre elle.





+++++




La curieuse communauté était installée dans un repli de terrain, une sorte de vaste cuvette vaguement clôturée à laquelle les engins motorisés n’accédaient que par un portail grillagé. À pied, par contre, les piquets, les fils métalliques et les bouts de planches étaient plutôt aisés à franchir, en n’importe quel endroit. Trois baraquements de pierres et de bois, disposés en carré, occupaient le centre de la clairière. À l’extérieur avaient été aménagées quelques parcelles où poussait péniblement ce qui ressemblait à des légumes. J’aperçus plusieurs motos et deux vieilles jeeps.


Zoé avait insisté pour que je l’attende non loin de l’auberge, où elle m’avait « récupéré » avec sa voiture, après le petit déjeuner.



Nous étions planqués dans la végétation, tout près de la limite de la propriété. Il était dix heures trente à peine, et on ne pouvait pas dire que la communauté débordait d’activité ; mais de l’endroit où nous nous tenions, seule une partie de la zone entourée de bâtisses était visible. Nous déplacer n’aurait pas été sans risques d’être aperçus, aussi nous contentions-nous d’observer.


Nous étions en train de nous engourdir lorsqu’un Range Rover apparut à l’entrée du camp et franchit la barrière. Aussitôt, deux types sortirent d’un des baraquements et filèrent rejoindre le chauffeur, qui avait garé son véhicule et ouvert le hayon. Ils commencèrent à en débarquer des paquets de volumes divers, aussi bien en bois qu’en carton, et les trimbalèrent vers la cour délimitée par les constructions.



Les trois types revinrent, accompagnés cette fois de deux femmes, et je sentis mes tripes se nouer en reconnaissant Ghislaine.



En une seconde, je pris ma décision :



Dans la clairière, les trois types et les deux femmes repartaient vers les baraquements, les bras chargés de paquets et de sacs en plastique.

À demi courbé, je me glissai sous les arbres et partis vers l’entrée grillagée. J’avais repéré une zone plus couverte d’où je pourrais m’approcher un peu, les véhicules en stationnement s’interposant entre la clôture et les bâtiments. En vitesse, je me faufilai sous les planches clouées entre deux piquets et, plié en deux, filai rapidement vers les voitures dès que je fus persuadé qu’on ne pouvait m’apercevoir.


Des bruits m’apprirent que des gens arrivaient. Accroupi, je me collai contre le flanc d’une des jeeps et risquai un coup d’œil vers le Range Rover, garé tout près. Il y avait de nouveau les trois types, Ghislaine et une autre femme ; et je gambergeais à tout berzingue pour trouver le moyen d’attirer l’attention de ma collègue de l’agence Borowitz lorsqu’une voix d’homme lança :



Je me rejetai en arrière pour éviter d’être repéré. Les deux femmes étaient vraiment tout près.



Là, c’était Ghislaine.

Je risquai un œil. Les deux filles me tournaient le dos. La première s’éloigna, les bras chargés, pendant que d’un coup de coude Ghislaine repoussait la portière. Il fallait agir avant qu’elle ne s’esquive à son tour ! Je ramassai un petit caillou et le lançai vers son dos, me rejetant aussitôt derrière le coin de la jeep par mesure de prudence, au cas où Ghislaine émettrait une exclamation, mais il n’en fut rien.


Hâtivement, je me montrai et croisai ainsi le regard surpris de celle que j’espérais pouvoir compter encore parmi mes complices. Elle se ressaisit rapidement et fit un bref signe de la tête en direction de l’entrée de la propriété, en soufflant doucement un mot : « conteneur ». J’opinai du bonnet pour lui indiquer que j’avais compris et nous repartîmes dans des directions opposées : elle vers les baraquements et moi vers la clôture.


Quelques minutes plus tard, je me coulais dans les broussailles vers l’endroit où, près de la grille, était planté le conteneur à ordures. Prudemment, je me glissai derrière et attendis. Des bruits de pas se firent bientôt entendre, et je perçus une voix de femme qui chantonnait de manière détendue. L’instant d’après, au-dessus de moi, le couvercle de la benne s’ouvrit.



Je couvercle bascula et je fus à nouveau seul. Les indications que je venais de glaner étaient maigres, mais au moins Ghislaine était-elle dans la place et prête à intervenir. Une fois de plus, ma brune collègue avait fait preuve d’efficacité !

Jugeant inutile de m’attarder, je m’éloignai des abords de la clairière et retournai vers l’endroit où m’attendait Zoé.




+++++




De retour à Saint-Edmond avec Zoé, nous avions plongé sur les infos et, en effet, cette nuit vers une heure trente était prévue, sous notre latitude, une éclipse totale de Lune. Le ciel bien dégagé permettrait une observation agréable du phénomène, qui durerait environ soixante minutes.



J’acquiesçai. Les suppositions émises par Zoé avaient de bonnes chances de contenir leur lot de vérité. À plusieurs reprises déjà, le sens de l’observation, l’intuition et l’esprit d’à-propos de la jolie blonde m’avaient impressionné. Elle pouvait avoir deviné juste, une fois de plus.


En fin d’après-midi, je m’équipai pour ma menue expédition : chaussures de sport, pantalon de toile et tee-shirt, le tout de teinte sombre. J’emportai un petit sac à dos, où je rangeai quelques biscuits et une bouteille d’eau, ainsi qu’un peu de matériel : téléphone portable, couteau pliant, lampe de poche et de quoi allumer du feu, au besoin. J’y glissai également mon pistolet automatique compact 9 mm.



Je lui tendis un bout de papier où j’avais griffonné le numéro de Borowitz.



En grimpant sous les arbres par les étroits sentiers que m’avait fait découvrir Zoé, je gardais sur les lèvres le goût de son baiser gourmand et dans la tête le bout de phrase où elle me signifiait son désir d’encore s’envoyer en l’air en ma compagnie, tout en étant consciente qui si je ramenais Ghislaine, ça risquait d’être un projet difficile à mener à bien. « Je ne suis pas jalouse », m’avait-elle déclaré la veille ; et je la croyais volontiers. J’aurais juste aimé que Ghislaine fît preuve du même esprit de tolérance…


Je me postai à l’endroit où nous nous étions arrêtés avec Zoé, dans la matinée, et observai tranquillement la clairière. Il semblait y avoir pas mal de monde dans l’espèce de cour entre les baraquements, et je remarquai plusieurs motos supplémentaires ainsi qu’un quad, rangés sur la zone de parking. De la fumée s’élevait entre les bâtiments, charriant des odeurs de viande grillée.


Après avoir déposé mon sac, d’où je tirai mon flingue pour le glisser contre mes reins, sous ma ceinture, je me déplaçai silencieusement vers un meilleur poste d’observation, que je n’atteignis toutefois qu’en me livrant à une petite séance de reptation. Dans l’espace carré, une quinzaine de personnes, hommes et femmes en tenue légère, étaient soit attablées soit en train de faire cuire des aliments sur un demi-fût rouillé servant foyer. Je distinguai des bouteilles sur les tables, des verres dans les mains et perçus le brouhaha des conversations entrecoupées de rires gras. Nulle part je n’aperçus Ghislaine, ni la jeune Virginie Perreaux. Il était près de dix-neuf heures.


Je demeurai encore de longues minutes sur place, sans rien découvrir de nouveau : les gens étaient occupés à manger et, surtout, à boire à satiété. J’en conclus que l’attention générale devait être tournée davantage vers le souci de se remplir la panse que de surveiller les alentours, et pris la décision de m’approcher des bâtisses. Évitant la zone de l’entrée principale, je jetai mon dévolu sur le baraquement latéral, du côté opposé, que j’atteignis aisément en partant au petit trot depuis une clôture faite d’un treillis que j’avais soulevé sans peine pour me glisser dessous. Accroupi contre le mur de planches, je demeurai de longues secondes aux aguets, mais seuls me parvenaient le bruit étouffé des conversations et l’odeur des saucisses occupées à rôtir.


Un peu plus loin que l’endroit où je me tenais, j’aperçus une fenêtre ouverte, vers laquelle je me dirigeai. Par là, je pourrais sans doute m’introduire dans le baraquement, même si c’était plutôt imprudent. En m’immobilisant près du bord inférieur de la baie, j’entendis de curieux sons faits de grommellements et de gémissements. Quelques secondes suffirent pour que j’identifie la nature de ce chahut : là-dedans, c’était l’heure de la gaudriole ! Je distinguai plusieurs voix différentes : au moins deux hommes, en tout cas, et peut-être deux femmes. Et s’il n’y en avait qu’une, elle faisait du boucan pour deux ! Mais surtout, ces vocalises me rappelaient férocement quelqu’un et je voulus en avoir le cœur net. Un seul regard vers l’intérieur suffit à me renseigner et à faire grimper en moi un sentiment de rage : la donzelle qui était occupée à s’envoyer en l’air avec la collaboration de deux types n’était autre que Ghislaine !


Ghislaine ! Et merde ! C’était donc ça qu’elle foutait dans cette secte, au lieu de faire ce qu’elle était supposée faire : une enquête pour retrouver Virginie Perreaux. La salope ! Et elle en profitait bien ! Le peu que j’avais pu en apercevoir et tout le boucan qui me parvenait suffisaient à croquer le tableau. À quatre pattes sur le lit, Ghislaine se faisait allègrement ramoner par-derrière par un des deux mecs, et si elle ne criait pas plus fort le plaisir qu’elle tirait de la situation, c’était parce qu’elle avait la bouche pleine de la bite du deuxième gus et qu’elle ne pouvait pas l’en libérer vu qu’il la tenait par les cheveux pour accompagner ses mouvements de pompage.


Nom de Dieu de merde ! J’en avais la rage au ventre. Il aurait été honnête de ma part de reconnaître que c’était un juste retour des choses, puisque je ne m’étais pas gêné, de mon côté, pour me mélanger joyeusement avec Zoé. Mais sur le moment, ce n’était pas ce genre d’idée qui m’effleurait l’esprit, parce que non seulement il y avait deux mecs, alors que moi je m’étais contenté d’une seule partenaire, mais qu’en outre un des deux gaillards ne m’était pas inconnu. Je jetai un nouveau et rapide regard par-dessus le rebord de la fenêtre et identifiai instantanément Kamel. Kamel ! Cet enfoiré de Camille Bezan, ses muscles, son crâne rasé et son anneau dans l’oreille ! Ce type qui avait essayé de me faire la peau avec son canif et que j’avais étendu sur le trottoir du « Skull » ! Et c’était ce mec-là que Ghislaine était occupée à sucer ! Nom de Dieu de nom de Dieu de merde !


Il y eut des grognements, des cris de jouissance, des borborygmes. J’entendis l’affreux qui disait « Avale, avale tout, salope ! » et la salope en question qui émettait des râles de plaisir entre deux bruits de succion. Sur le moment, je faillis filer vite fait pour aller bouder dans le bois plutôt que d’assister impuissant à cet écœurant spectacle, mais quelque chose me retint. Une envie de casser une ou deux gueules et de balancer quelques torgnoles, mais également le silence soudain revenu dans la pièce. Précautionneusement, je regardai par la fenêtre ouverte : Ghislaine était seule, allongée sur le lit. Les deux types s’étaient barrés après avoir tiré leur coup.


Je fis « hep ! » et bondis dans la chambre. Quand Ghislaine m’aperçut, sa réaction fut extrêmement différente de ce à quoi je m’attendais.



Elle s’assit sur le lit et me tendit les bras.



À cet instant, je réalisai qu’elle n’était pas dans son état normal. « Putain de bordel de merde, songeai-je, elle est complètement schlass ! »

Je m’assis près d’elle et tentai de la faire lever, mais elle me jeta les bras autour du cou.



Elle sentait le sperme et la sueur, sa peau était humide et enfiévrée.



J’essayais de la secouer, mais elle s’accrochait à moi. « Nom de Dieu ! me dis-je. Elle est chaude comme une baraque à frites ! »

Elle finit par me renverser sur le lit, au moment où je ne m’y attendais pas, et à se vautrer sur moi. Ses yeux étaient brillants, aux pupilles dilatées, et elle voulut à nouveau m’embrasser. Malgré mes vêtements, je sentais toute la chaleur de son corps, et elle s’efforçait de me transmettre son désir. Mais je la repoussai, faisant fi du début d’érection qui commençait à m’embarrasser, car elle n’était pas dans son état normal. Pourtant, c’était bien ma Ghislaine, la fille qui m’avait fait craquer et que, en dépit de mes frasques, j’avais toujours dans la peau. Elle était superbe, toute en rondeurs, sensuelle jusqu’au bout des ongles et capable de faire bander comme un cheval en rut le plus blasé des hommes.


« Ils l’ont droguée », pensai-je. J’ignorais combien de temps lui serait nécessaire à sortir de son hébétude, mais j’avais l’intuition que pour cette nuit, je devrais me débrouiller seul. Je n’eus cependant plus le loisir de m’appesantir sur la question, car la porte de la chambre s’ouvrit et deux gus firent leur entrée, alors que Ghislaine était encore à essayer de se vautrer sur moi qui tentais de me dégager. Un des nouveaux venus poussa un juron.



Je me débarrassai de Ghislaine, qui roula sur le lit, juste au moment où les types se jetaient sur moi. Il y eut une mêlée, je distribuai quelques coups de pompe puis bondis vers la fenêtre, mais un des gars m’attrapa les jambes et je restai accroché sur le ventre dans l’ouverture. J’entendis d’autres mecs entrer dans la pièce, et une voix gueula :



Mais d’une nouvelle ruade, je réussis à faire lâcher prise au gus qui tenait mes pieds. Je basculai vers l’extérieur, où j’atterris sur la nuque bien que j’eusse amorti la chute à l’aide de mes bras. Je voulus me redresser, mais j’avais été suivi, et quelqu’un s’abattit sur mon dos au moment où je me mettais debout. D’autres adversaires s’en mêlèrent, et le nombre de mes assaillants eut raison de ma résistance.


Je fus bien vite délesté de mon flingue et emmené dans un couloir puis dans une petite pièce dépourvue de fenêtres, où mes chevilles et mes poignets furent rapidement entravés à l’aide de cordes.

J’y demeurai seul quelques minutes, dans l’obscurité, puis la porte s’écarta et deux hommes firent leur entrée.



Et sans attendre, il me balança un coup de botte dans les côtes ! Je crus que ma cage thoracique allait éclater. Des larmes baignèrent mes yeux tandis que j’ouvrais la bouche pour reprendre mon souffle, avec des bruits rauques.



Il était nettement plus âgé que Camille Bezan, brun et râblé, portant moustache. Il s’accroupit près de moi et me regarda ironiquement.



« Merde ! songeai-je. Louis Mouche, maintenant ! J’aurais dû m’en douter ! Avec ma marotte de toujours vouloir m’occuper des nanas au lieu de mes enquêtes, je vais finir par choper de gros emmerdements ». Et là, j’étais vraiment dans la merde. Et pas qu’un peu !



Sur ces paroles infiniment plus réjouissantes pour lui que pour moi, il se redressa et quitta la pièce, bientôt imité par Kamel qui, avant de se barrer, ne manqua pas l’occasion de me décocher un nouveau coup de botte et de me cracher au visage. Je me retrouvai à nouveau dans le noir, les côtes douloureuses et la joue souillée d’un crachat. À défaut de me convenir, la situation me permettait de gamberger ; et le fruit de mes cogitations se réduisit rapidement à pas grand-chose, puisque je ne voyais aucun moyen de me sortir de ce mauvais pas.


Lorsqu’ils m’avaient ligoté, j’avais usé d’un vieux truc consistant à écarter très légèrement les poignets pour pouvoir ensuite les détendre et offrir un peu de jeu à mes liens, mais les gaillards avaient bien serré la corde et je ne réussis qu’à la faire bouger légèrement, sans espoir de m’en débarrasser. Le modeste relâchement permit néanmoins à mon sang de circuler correctement jusqu’au bout de mes doigts, et c’était déjà ça de pris sur l’inconfort.




+++++




Je fus traîné dehors au bout d’un temps qui me parut infiniment long. Ils me libérèrent les chevilles pour que je marche jusque dans l’espèce de cour carrée délimitée sur trois côtés par les baraquements. Là, ils m’obligèrent à m’asseoir à l’écart et remirent mes liens en place.



Peu soucieux d’aggraver mon cas, je m’abstins de toute réponse et constatai avec soulagement qu’on se désintéressait assez bien de moi. On m’avait fourré dans un coin d’ombre d’où je bénéficiais d’une bonne vue sur l’ensemble de ce qui se déroulait dans la cour. Dans le ciel, le disque lunaire brillant me parut encore parfaitement circulaire, mais je ne doutai pas une seule seconde que l’heure de l’amorce de l’éclipse était toute proche.


Entre les bâtisses, des pots en terre cuite où brûlait de la paraffine étaient disposés pour vaguement éclairer le centre de l’espace réservé à la « cérémonie ». Les tables et bancs qui avaient servi quelques heures plus tôt pour le repas avaient été enlevés. Sur le sol, des nattes avaient été étalées où l’assistance commençait à prendre place. Étonnamment, hommes et femmes étaient pieds nus et vêtus chacun d’une simple tunique de drap blanc. Je repérai aisément Ghislaine, qui semblait étrangement passive et qu’on fit asseoir sur un tapis, non loin de moi, où Camille Bezan s’installa lui aussi. Je devinai que c’était à dessein qu’ils avaient jeté leur dévolu sur cet emplacement, ou tout au moins choisi le mien en fonction de celui-là.


La bonne vingtaine de participants qui avaient pris place sur les nattes formait une sorte de « U », dont le bout ouvert était partiellement occupé par une grande estrade laquelle accueillait un bloc parallélépipédique recouvert de fourrure, d’une soixantaine de centimètres de haut pour un mètre de côté, à peu près, si la distance ne trompait pas mon estimation. De part et d’autre de l’empilement, deux bassines de bois dont je ne pouvais deviner le contenu avaient été dressées sur des trépieds, à environ un mètre du sol.


Soudain, les murmures des conversations se turent, car trois personnes vêtues de tuniques blanches venaient de sortir de la bâtisse centrale pour se diriger vers l’espèce d’autel qui, je n’en doutais pas, allait être le principal pôle d’intérêt de la cérémonie. Le plus fluet des nouveaux arrivants était une jeune femme à la chevelure rousse, et l’homme qui l’aida à grimper sur l’estrade puis sur le bloc n’était autre que Louis Mouche.


« Au moins, je vois enfin celle que j’étais supposé retrouver », songeai-je illico tout en me disant que ça me faisait une belle jambe, puisque faute de pouvoir intervenir, j’en étais réduit aux observations. Assise bien sagement sur son socle où elle paraissait s’être juchée de son plein gré, Virginie Perreaux se tenait immobile, en tailleur, le buste bien droit, attendant probablement la suite des événements avec quelque fierté.


J’avais fait ces observations rapidement, car à cet instant, l’adolescente n’était pas l’objet principal de mon examen visuel. Devant l’autel, face à ses disciples, le maître de cérémonie, paré d’une tunique plus prestigieuse puisqu’ornée de motifs dorés, leva les mains pour réclamer l’attention de tous.


Je n’avais jamais vu Riccardo Abruzzese, mais je ne doutai pas qu’il s’agissait de lui. Grand et lourd, il portait une barbe taillée en pointe et ses cheveux longs veinés de gris, noués dans la nuque, lui atteignaient le milieu du dos. Sa voix était forte et bien timbrée, comme il sied à un orateur.



« Bon, me dis-je. Au moins, il parle de pureté et d’amour. » Mais je me souvins en même temps que tous les gens qui tiennent des discours sur la pureté ne sont pas obligatoirement des marchands de lessive ; et que quand lessive il y a, elle ne se focalise pas nécessairement que sur du linge. Quant à l’amour selon Saint Bruze, d’après ce que m’avait annoncé celui qui avait projeté de s’occuper de Ghislaine cette nuit même devant mes yeux, ça devait davantage tenir de la partouze que de l’Évangile selon sainte-nitouche.


Le gourou continuait son laïus où il était question de renaissance aux plaisirs, de bien-être du corps et de l’esprit, et d’une initiation qui devait selon toute vraisemblance concerner au premier chef la menue donzelle qui demeurait raide comme une saillie au sommet de l’autel de pacotille. J’écoutais tout ça d’une oreille distraite en observant les réactions de l’assistance, mais tous restaient immobiles et silencieux, buvant les paroles du Maître.


Son débit était lent mais régulier, et je me demandai s’il ne finirait pas terrassé par la soif avant que la Lune, qui disparaissait progressivement, n’achève son éclipse ; mais il n’en fut rien. Malgré la paraffine qui rôtissait dans les coupelles, il faisait de plus en plus sombre et bientôt, la nuit fut presque complète. Le Maître de cérémonie se tut et claqua dans les mains. Je vis alors plusieurs personnes se déplacer rapidement et éteindre les flammes dansantes des lumignons. L’obscurité fut totale. Dans le ciel, les étoiles brillaient.


Bruze commença de psalmodier dans un idiome qu’il était probablement le seul à comprendre, si toutefois il le comprenait lui-même, et c’est tout ce que je pouvais percevoir de ce qui se déroulait dans l’espace délimité par les baraquements. Petit à petit, cependant, la Lune reparut dans le ciel ; et l’assistance entreprit de participer aux incantations en répondant, lorsque le Maître interrompait son sermon sur un phrasé à l’intonation interrogative, par des « aaaaaaaaah » et des « ouiiiiiiii » qui me donnèrent à penser qu’ils avaient quand même dû être tenus au courant de quelque chose, car j’aurais bien été incapable de deviner laquelle des deux longues syllabes ils allaient lancer quand le gourou daignait leur céder le crachoir.


La lumière revenant progressivement, je m’aperçus que toute la joyeuse assemblée avait profité de la période d’obscurité pour mettre bas la tunique et offrir à la Lune renaissante, qui toutefois s’en foutait complètement, le spectacle de leur totale nudité. Assis dans mon coin, je n’étais pas mécontent d’avoir été autorisé à conserver mes vêtements, même si en la circonstance ça pouvait prendre des allures de sacrilège. Du moins, c’est ce que j’imaginais.


Lorsque le disque lunaire fut à nouveau entier dans le ciel, Riccardo Abruzzese et ses comparses daignèrent enfin la boucler avec leurs incantations, ce que j’accueillis avec soulagement, même si la suite des événements risquait de s’avérer moins reposante pour moi.


Le Maître entama alors un discours où il était question d’eau purifiée, de renaissance à la vie et d’élixir d’amour, discours à l’issue duquel il prit place auprès d’une des bassines, tandis que ses ouailles quittaient un par un les nattes. Là, en recommençant à psalmodier un charabia de sa composition, le gourou versa sur le crâne de chacun de ses disciples qui défilaient devant lui un peu du liquide qu’il puisait dans le récipient à l’aide d’un cruchon, liquide qui ressemblait davantage à de l’eau de pluie qu’à du Gevrey-Chambertin.


Près du second trépied, Louis Mouche officiait en offrant à chacun une chope d’un breuvage qui devait probablement présenter des caractéristiques inverses du premier, compte tenu de la bonne volonté de tous à réaliser un enthousiaste cul sec.


Lorsque l’assistance eut repris place, le Maître, sa bite – qu’il avait imposante – et les yeux de toutes les personnes présentes se tournèrent vers Virginie Perreaux, ses petits seins et sa chevelure de feu. Là, le gourou invoqua de nouveau sa mère la Lune et baragouina son refrain sur l’initiation aux plaisirs de l’amour de la jeune vierge complètement nue qui se tenait bien droite devant lui. J’imaginai, lorsqu’il lui arrosa les tifs avec son eau de pluie et qu’il lui eût lui-même fait déguster le nectar aux vertus sans doute aphrodisiaques, qu’il n’envisageait l’accomplissement de ladite initiation par nul autre que par lui-même, ce dont se réjouissait déjà son organe procréateur en exhibant une impressionnante amorce d’érection.


Je tirai sur mes liens, mais en vain, tout en me disant que si l’olibrius projetait d’honorer la petite avec un tel engin, ce serait loin d’être une partie de plaisir pour tout le monde. Sur les nattes, quelques couples passaient déjà à l’action, et je remarquai qu’après sa distribution de pinard, Louis Mouche était venu assister Camille Bezan pour tenir compagnie à Ghislaine, qui se laissait d’ailleurs tripatouiller devant mon nez. Pour me narguer, le gaillard me lança quelques gestes ironiques, avant de s’intéresser de plus près à celle à qui il projetait « d’éclater le fion », comme il me l’avait annoncé précédemment.


Dans un accès de rage impuissante, je me débattis dans les cordes qui m’emprisonnaient. Je m’étais fait avoir comme un gamin, et j’allais assister à l’échec total de ma mission et de celle de Ghislaine.


Sur le podium, Virginie avait quitté sa position assise et passive ; et je vis l’infâme gourou lui tendre les bras comme pour l’inviter à venir bénéficier de sa bénédiction nuptiale sous les généreux et bienfaisants auspices de Madame la Lune. Et c’est à ce moment-là qu’une voix impérieuse, amplifiée par un mégaphone, ordonna à la cantonade : « Police ! Plus un geste, vous êtes cernés ! »

Dans le même temps, des projecteurs s’allumèrent, éclaboussant de lumière les corps nus étalés çà et là dans des positions diverses ; et s’il y eut des cris et, probablement, une sacrée débandade, chacun demeura sagement où il se trouvait pendant que le service d’ordre envahissait le terrain.




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Ghislaine ricana :



Nous nous trouvions devant l’auberge, avec Zoé, sur le trottoir le long duquel Michel avait rangé ma voiture réparée. Il était quinze heures et nous étions fatigués. Le reste de la nuit et l’essentiel de la matinée avaient été consacrés aux interrogatoires et dépositions ; sans nous laisser le temps de dormir tout notre soûl. Nous avions éprouvé toutes les peines du monde à convaincre les cognes que Ghislaine ne faisait pas partie de la bande et qu’elle avait été droguée, ce que confirma le médecin qui l’examina, au petit matin, alors qu’elle n’avait pas encore récupéré toutes ses facultés.



Ghislaine jeta un regard oblique à Zoé avant de lancer une nouvelle banderille :



Elle attaquait fort, surtout en présence de Zoé, mais cette dernière conserva son calme pour répliquer, avec le sens de l’à-propos que j’avais appris à connaître :



Sur le moment, je crus que Ghislaine allait se jeter sur la jolie blonde pour tenter de la défigurer à vie, mais elle se maîtrisa.



Je suffoquais ! Elles étaient occupées à se foutre de ma gueule, toutes les deux !



Je serrai les poings et les dents. Elles commençaient sérieusement à m’emmerder, toutes les deux ! Je regardai ma voiture. L’envie de m’y engouffrer et de foutre le camp me prit aussitôt, mais le rire de Zoé me retint.

Je vis les cheveux blond-roux de la jeune femme s’approcher des boucles brunes de Ghislaine.



Je n’entendis pas la suite, car Zoé la chuchota directement à l’oreille de son interlocutrice. Ghislaine se mit à rire :



La brune me désignait en me jetant un regard méprisant.



Nous nous toisâmes tous trois d’un air de défi, puis nos regards se tournèrent vers l’auberge.