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12/12/11
Résumé:  Perte de libido suite à une chimiothérapie chez un libertin.
Critères:  médical humilié(e) cérébral portrait -initiatiq
Auteur : Harry Hansen  (Si le soleil ne revenait pas)            Envoi mini-message
Si le soleil ne revenait pas

Il y a un an, jour pour jour, j’arrivais à Athinios, sur l’île de Santorin. Une croisière de quinze jours sur un voilier en mer Égée. Simon, un condisciple fêtant un récent héritage, avait convié sur un yacht quatre jouvencelles séduisantes et libérées et trois de ses potes. Simon et sa compagne, Constance, prêtaient attention à Éole et ses caprices ; leurs hôtes étaient invités à honorer Aphrodite et Éros son fils. Avec des filles déterminées à s’insurger contre toute norme, à éviter le piège des sentiments et à s’adonner sans retenue aux plaisirs de la chair, la voie était libre pour assouvir la libido masculine. J’avais vite décelé que la tâche serait rude, l’obsession de nos quatre sirènes était d’être continûment prises et déprises, de baiser jusqu’à plus soif. Nos insolentes nénettes attendaient que nous coïtions jusqu’à épuisement. Allumeuses accomplies, elles n’ignoraient rien de l’art de la séduction et nous harcelaient en confrontant nature et nombre de nos ébats. Nous étions peut-être inhabiles à apaiser leur désir mais leur accordions des jouissances continuellement renouvelées. Parfois leur plaisir me faisait peur, mais j’aimais cet effroi qui me faisait leur maître.


Au cours de ces bacchanales, je découvris que mon corps pouvait fidèlement, et maintes fois par jour, éveiller chez nos complices un plaisir intense, culminant en pâmoison de volupté, les menant au septième ciel. Toutefois, que le maniement d’une arbalète si majestueuse soit-elle – en érection mon membre viril d’un diamètre de près de cinq centimètres mesure dix-huit centimètres – puisse conduire à l’extase restait un mystère. Certes, dans ce monde de coucherie et de performance sexuelle, j’avais forcé mon désir mais mon emprise physique sur quatre filles en rut avait conforté mon amour-propre et la vaillance de ma lance d’amour affermi ma virilité.


De retour à Paris, je ressentis une certaine lassitude. Rançon de ma ribouldingue ou attristement de m’être ainsi avili à n’être qu’un étalon dispensant son foutre ? Peinant à reprendre mon travail de graphiste, je consultai mon généraliste. Celui-ci n’exprima aucune appréhension particulière mais ordonna quelques examens de laboratoire. Le soir même il me téléphona :



Excès de prudence de sa part ou alarme sérieuse ?


Pris en charge par une femme médecin bienveillante mais déterminée, je fus hospitalisé dans l’heure et soumis à moult investigations. Sonné par cette suite d’explorations, je ne compris qu’une chose, que mon cas relevait de l’urgence médicale. En fin de journée, le Professeur, à nouveau une femme, me rendit visite. Après quelques propos convenus, elle m’informa que je souffrais d’une leucémie lymphatique aiguë, que le traitement serait agressif, même brutal mais que, ma maladie étant prise à ses débuts, j’avais de bonnes chances de m’en sortir. Je lui demandai si un écart génésique récent était en cause dans mon désastre, d’un hochement de tête elle signifia que non.


Compte tenu des effets des médicaments antitumoraux, elle m’avisa qu’un échantillon de mon sperme pouvait être préservé en congélation. Comment pouvait-elle m’imaginer, groggy comme je l’étais, m’adonnant au plaisir solitaire dans ce palais de verre ? Le protocole thérapeutique comprenait quatre étapes d’administration d’agents visant à anéantir la production de cellules malignes, induisant également un état sévère de déficit immunitaire ; une pause de dix jours séparait chacune des phases.


J’hésite à évoquer ces trois mois où je fus dépossédé de moi-même. Mis à mal par des nausées, des vomissements incessants, un mal de tête, une mine à donner des frissons et, dès le dixième jour, plus un poil sur le caillou, une apathie profonde m’anéantit. Progressivement, je devins insensible à tout : piqûre, pose de cathéter, transfusion, ponction lombaire m’indifféraient. Je m’évadai dans des songes incohérents. Mes mécanismes de défense contre l’infection devenus inexistants, je fus placé en atmosphère stérile et entouré de soignants vêtus d’uniformes où seuls apparaissaient leurs yeux : la burqa médicale. Plus rien ne m’attachait au monde connu. La maladie ou plutôt son traitement m’expédiaient-ils dans la stratosphère ou me condamnaient-il à la prison sous la garde d’intégristes ?


Lors de la semaine de repos passée dans un foyer de l’Assistance Publique dont les chambres, à la différence de celles de l’hôpital, étaient ornées de miroirs, un réel désespoir me gagna : impossible d’identifier à ma personne du passé le fantôme que j’étais devenu. Un souvenir cuisant me hantait. Soumis à une surcharge hydrique, j’évacuais des litres d’urine ; le vertige me garrottant à mon lit, mon bras prisonnier de tubulures, infirmières, aides-soignantes et filles de salle mettaient la main sur ma flûte, l’empoignant sans ménagement pour l’introduire dans le col d’un urinoir. Qu’était devenu ce diablotin jadis conquérant et boute-joie : un petit tuyau informe, chiffonné et endormi, incapable de faire rêver quiconque. Il ne m’appartenait plus, il était devenu le hochet de mains étrangères qui me dépouillaient de ma virilité.


Le traitement en milieu hospitalier terminé, ma convalescence fut confiée à une maison médicalisée à Menton. Décharné, sans force, je passai mes journées allongé sur un transat, face à la mer, et m’enfermai sur moi-même. Rechercher la compagnie de pensionnaires âgés et valétudinaires eut été vain. Les avances enfantines de l’unique hôte de ma génération, plus mal en point que moi, me lassaient froid, encore que je comprisse que, pour une jeune femme assurément de belle allure avant que ne survienne son cancer, il était intolérable de ne plus se sentir remarquée et admirée, sinon désirée.


Un brin requinqué, à petits pas et m’appuyant sur une canne, je me hasardais désormais au front de mer, m’attablais à une terrasse. Je redécouvrais le monde, un monde étonnant, étranger. J’avais perdu le goût de suivre fébrilement des yeux les jeunes femmes, de les déshabiller du regard, de les aborder tantôt avec galanterie, tantôt avec effronterie. Palmiers languissants, forsythias en fleurs, multitude de sœurettes vagabondes, tous s’inséraient dans le paysage et se confondaient dans un anonymat absurde. J’eus à concéder que c’était moi qui n’étais plus le même. Curieux depuis toujours et en toutes choses, le registre du sexe était devenu défaillant, à moi pour qui l’une des faces de l’homme se représentait par son sexe en érection, ce bâton qui fait jaillir la vie. Après la phase de prurit de l’adolescent prédateur qui n’avait pas appris la tendresse, cultiver le plaisir des sens fut ma principale affaire. Né pour être attiré par le sexe différent du mien, j’étais programmé pour gagner les faveurs de la femme, même si j’en étais resté à des rencontres tenant de conquêtes physiques interchangeables, des escapades charnelles, plutôt que de relations amoureuses.


Imaginer une vie future dépourvue de pulsion sexuelle, cette énergie primitive et sacrée, m’était impensable. Rien ne ravivait un bec mollet, ni récits érotiques, ni films pornographiques. Mon pendentif, longuement caressé par un zague-zague, émit parcimonieusement quelques gouttes d’un petit-lait transparent, aucune commune mesure avec la noble tour d’antan dont jaillissait une semence abondante. La médication qui semblait avoir vaincu mon cancer avait-elle anéanti mes fonctions de mâle ? Je me promettais de poser la question lors du prochain contrôle à l’hôpital. La docteure qui me suivait était, en ce jour de printemps, radieuse ; il émanait d’elle la fragrance d’un parfum signé, je crois, Guerlain, celui qu’affectionnait l’un de mes béguins malheureux.



Comment aurais-je pu lui avouer que ses soins avaient étouffé la raison essentielle de mon mode de vivre. J’aurais à porter seul cette incertitude lancinante.


De retour à Boulogne, je tentai de retrouver les copains. Ils bonimentaient à propos des avantages de mon long congé, étaient toujours pressés tout en m’assurant de leur amitié ; leur promesse d’un revoir se calquait sur celles faites, au dernier jour de vacances, à un camarade de jeu. Mon inoccupation me pesait et mes rencontres sur les bancs du bord de Seine ne me procuraient guère de raisons d’espérer des jours meilleurs.


Quand, ô miracle, je vis au loin une silhouette familière, Sandrine. Belle fugueuse en quête d’aventure, elle ne passait pas inaperçue. Amants, nous avions cheminé côté à côte jusqu’à son départ pour Istanbul.



Prenant place près de moi, blottie contre mon épaule, je me sentis en confiance et j’osai lui dire mon tourment. Elle me prit affectueusement la main, la glissa sous son chemisier et la mena à son sein.



Impatiente de connaître mon sentiment, elle n’osait cependant s’en instruire et moi de confesser que si chaleureuse soit sa pomme d’amour, elle n’affolait pas ma virilité. Notre silence paru interminable quand Sandrine planta sa main dans mon pantalon et avec tendresse se saisit de ma verge.



Au mitan du dimanche suivant – ces dimanches abhorrés par les esseulés – Sandrine frappa à ma porte.



Mon Dieu qu’elle était attrayante, à damner un saint : ses seins tendus, ses fines attaches – chevilles, poignets, cou, – ses épaules au galbe parfait, ses jambes de gazelle, un ventre plat, un buisson de bouclettes d’or sentinelle de son puits d’amour. Devenu analphabète de l’anatomie féminine, j’avais à réapprendre la géographie du corps de ma partenaire. D’anciennes réminiscences apparurent et aidé par Sandrine, toute en offrande, je me retrouvai en terrain connu. Sandrine me baisouilla de la tête aux pieds, pourlécha mon chibre et mes pendeloques – je lui refusai une fellation, même si Sandrine prétexta qu’il serait salutaire que je vide mes couilles.



Nullement froissée par ma pudeur d’impuissant, elle s’empara de ma main, la dirigea entre ses cuisses et la maintint longuement dans son coquillage, ouvert, chaud et humide. Elle osa exprimer sa soif de jouissance en calant mon visage sur son jardin secret ; pour elle, la volupté d’une gamahuche, pour moi une lampée de Yin. Je ressentis non le plaisir que donnent usuellement les préliminaires mais plutôt le retour d’une gourmandise de chair.



Sandrine revint à plusieurs reprises. Devant cette fille de Vénus, mon plaisir d’esthète était manifeste, mon plaisir physique absent, du moins incertain hormis le jour où son désir à elle était, lui aussi, indécis. Je souffrais de la sentir inhabile à éveiller en moi cet aiguillon de la force primitive, animale, propre au mâle, même si je l’assurais qu’elle avait ravivé en moi cette énergie psychique et instinctive qui régit toute sexualité. Pieux mensonge !


Dans ce temps de fragilité, de précarité, était-il raisonnable de vouloir lever un obstacle, de nature inconnue, en m’adressant à une ancienne maîtresse, mon ex— associée à des félicités sans pareille ? Je repérai sur internet quelques partenaires que je convoquai dans un motel. La première prit ses jambes à son coup en apprenant que je me remettais d’une leucémie. La seconde, impatiente, n’avait qu’un objectif, être queutée incontinent. Une autre, amatrice de messieurs du troisième âge, crut opportun de jouer à la soignante et me quitta non sans avoir ponctionné mon portefeuille. Le ballet érotique d’une tahitienne sensuelle parvint à faire lever ma biquette, un palier qui, cependant, n’eut pas raison de mon cafard. Pis, j’étais possédé par la hantise de ce corps qui refusait de servir, de mon instrument de combat, mon pénis, détrôné. La perte de l’activité sexuelle m’emmurait dans une catacombe et attestait de la chute de l’homme.


Que ne suivais-je d’autres pistes pour combattre un tel effondrement ? Une consultation d’un sexologue ? Quel savoir pouvait-il avoir des conséquences sur la libido d’une chimiothérapie ? Jadis la lecture des ouvrages de Master et Johnson, de Hite et autres, me parut fort indigeste. Donc, non au déroulement de statistiques, de probabilités, de facteurs de risque, à l’accroissement de mon inquiétude. Je réussis à me persuader que mon impuissance sexuelle ne correspondait pas ou plus à une inaptitude physique globale, que j’avais à passer outre à mon infirmité et que, dans la vie, il n’y avait pas de hasard, que des rendez-vous. Je repris le chemin de mon club de tennis ; j’y fus le bienvenu car je m’offrais à initier des marmots au B.A.-BA du tennis. À nouveau j’étais utile et apprécié par d’autres avec qui j’échangeais des balles, notamment d’accortes demoiselles. Me reposant sur la terrasse je fus hélé par un :



Qui donc s’adressait à moi de la sorte ? Je vis une silhouette un peu typée qui, sans rien avoir d’une étrangère, ne m’était pas familière.



Stupéfait de cette rencontre, je restai muet.



Nos jeux s’accordèrent parfaitement.



Elle m’imposa quelque patience. En sa compagnie, je faisais peau neuve, comportement que Muriel résuma en « un mec qui ne me drague pas et me prend pour ce que je suis. »



Pour la première fois Muriel me serra dans ses bras, fort, très fort. Une onde de chaleur, de chaleur très douce qui s’amplifie, m’envahit. Cela ressemblait peut-être à la mélodie du bonheur. Le diable qui me terrorisait était en fuite. Je n’avais plus à m’inquiéter du réveil en moi de la tentation d’explorer les bas-fonds de ma vie passée. Soudain, Muriel me quitta en signifiant que je n’avais pas à la suivre. Elle me laissa seul plusieurs jours durant, période d’épreuve pour chacun de nous ? Étais-je à la veille de sortir de ce long tunnel, le soleil se lèvera-t-il à nouveau pour moi ?


Ma drogue avait été la « petite mort » et je considérais que chaque « petite mort » vécue m’éloignait de la mort avec un grand M, duperie puisque j’ai côtoyé cette dernière. Aussi n’était-il pas étrange que celle qui fut témoin de ma déchéance, de mon idylle avec Thanatos me tendit la main pour me conduire hors des ténèbres et retrouver la lumière.


Jusqu’à l’automne, date de notre départ pour l’île de La Réunion, Muriel me fit découvrir jusqu’où pouvait aller une intimité qui ne sentait pas astreinte à la parfaire par l’acte sexuel, ce point de non-retour. Dans la journée, je réussissais à réprimer mon avidité de savoir si j’avais ou non recouvré les conditions requises pour satisfaire ma partenaire. Avec la nuit, mes défenses tombaient et cette soif de m’assurer de la bonne fonction de mes bijoux de famille revenait, plus invasive que jamais. Finalement, je fus apaisé par la vue d’un cierge enlacé d’une cire chaude, planté sur mon bas-ventre par je ne sais quelle magie nocturne. J’étais donc valide, bien-portant et pourrai tout partager avec Muriel !


Lecteur sache que, sur les rives de l’Océan indien, je retrouverai le soleil qui enlumine les grèves de l’île de La Réunion, mais aussi celui envoilé par les nuages de cendres du volcan de la Fournaise ou éclipsé par un cyclone. Toute lumière est fragile et je veillerai à préserver la lumière reçue de Muriel.