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Temps de lecture estimé : 22 mn
29/12/11
Résumé:  ... à une journée de pirogue, chez les coupeuses de clitoris.
Critères:  fff fbi jeunes couleurs vacances voir exhib fmast confession -fbi -exhib -mastf
Auteur : Anophèle      Envoi mini-message
Escapade africaine

« Il faut se méfier des histoires lestes. Ceux qui les vivent s’abstiennent généralement de les raconter. »



ooOoo





C’était au temps d’Houphouët. La Côte d’Ivoire vivait dans le calme et l’indolence qu’assument plus ou moins la prospérité économique et la quiétude intérieure savamment ordonnée.



Couvrant le sifflement des réacteurs, la voix nasillarde venait de briser le silence qui règne généralement en phase finale d’atterrissage. Simple erreur de commutation dont la vertu fut d’apaiser le brave pachyderme qui lui avait gentiment empoisonné le vol. Vanessa se sentait libérée de ce rôle de nounou improvisée qu’elle avait accepté de bon gré pour décharger un peu le personnel de bord. Après tout, on ne peut pas reprocher à quelqu’un d’avoir peur en avion, ni d’être démesurément large.



Car tenter un flirt avec Morphée quand on est coincée dans un demi-siège, c’est se brancher en mode « essayé-pas-pu ». Libérée, mais pas soulagée. Son dernier petit besoin, c’était à Roissy avant d’embarquer. En vol, elle se serait bien risquée à atteindre l’un des espaces appropriés, mais soit ils étaient occupés, soit c’est son encombrant voisin qui la suppliait de ne pas le laisser seul. Le monsieur s’était répandu et excluait obstinément le moindre mouvement, hormis celui d’un doigt réprobateur. Forcer le passage eut été une entreprise aussi présomptueuse qu’acrobatique. La position debout dans le couloir en attendant que les portes s’ouvrent n’arrangeait rien. Même en serrant les cuisses, même en se déhanchant ou en mettant les pieds bout à bout, même et surtout en essayant de penser à autre chose.


Oups… là, il fallait marquer dommage ! Impossible de se retenir plus longtemps. En plus, ça ne se bousculait pas trop du côté porte. Elle ne pouvait pas débarquer comme ça. L’auréole incongrue se voyait, alors tant pis si elle sortait la dernière. Il y avait par chance la petite jupe blanche dans son bagage à main, celle qu’elle avait prévu de troquer contre ses jeans avant d’arriver, mais pas de culotte. Ses vêtements étaient dans la valise, en soute. Bref, le temps de s’arrêter au petit coin avant la sortie, de tomber les jeans et le slip et de les enfiler dans le bagage à main… le tour était joué. La nuit aussi était tombée. Une bouffée d’air humide à 30°, puis le hall et le tapis roulant des bagages, encore immobile.


Gilles était là. Mamadou aussi, qui s’occuperait de récupérer la valise et de la mettre dans le bus du Club avec celles des autres passagers, ceux qui avaient choisi de fêter le réveillon dans l’ambiance d’Assinie, version Trigano.



Il fallait rejoindre les autres au resto. Une rotonde sur la baie du Banco, poissons et langoustes à volonté, apparemment la spécialité du lieu. Vanessa était la seule fille. Les autres, c’étaient Jean-François, le responsable gestion et Aka, l’assistant de Mamadou au « trafic ». Tous témoignaient de cette déférence un peu hypocrite qu’ils croyaient utile d’avoir envers une supérieure dite hiérarchique… C’est qu’une huile de la Place de la Bourse, ça se dorlote. Surtout quand c’est elle qui régit les affectations. Avec Gilles, la relation était un peu différente. Elle avait eu une liaison tumultueuse avec lui un an ou deux auparavant, mais ils étaient restés amis.


Après les festivités, langoustes arrosées au Corton, ça avait été la virée crapuleuse dans la « zone » de Treicheville. La foule bigarrée traînant dans les rues de terre battue, les échoppes où tout se vend, les odeurs entremêlées de musc et de pili-pili, les apostrophes à connotations nettement sexuelles, les bars louches et partout, le reggae ou la salsa africaine à fond les décibels.


Au petit matin, Vanessa ne se souvenait plus de rien, enfin… plus très bien. Les autres l’avaient retrouvée dans un boui-boui crasseux, juchée sur un tabouret du zinc, passablement défaite, c’est le moins qu’on puisse dire. Les cheveux ébouriffés et une chemise kaki à laquelle il manquait trois boutons sur cinq… Mais où est-ce qu’elle avait dégotté cette « tenue de brousse » ? Ça faisait deux heures qu’ils la cherchaient. Il faut dire qu’eux non plus n’étaient pas dans un état proche des recommandations de la Croix bleue. Aka était le plus fringant. En bon musulman, il était resté sobre et vu qu’au village il faisait aussi taxi, c’était logique qu’il prenne le volant.


Les soixante kilomètres de route, puis la piste, avaient paru longs comme un jour sans pain. Engoncée dans le siège, Vanessa tentait de se remémorer la soirée. Des bribes seulement, qui revenaient pas tout à fait dans l’ordre. Ce bouge, notamment, où elle avait dansé et la vingtaine d’yeux rivés sur – et sous – les effets de jupe. La chaleur et l’euphorie aidant, elle ne s’était plus souvenue de l’incident fâcheux de l’avion et de son corollaire. Par chance, il y avait eu Mami-Wata, la mère poule avec ses airs de vieille maquerelle. Elle l’avait emmenée faire un tour dans la friperie, juste en face. Il y avait là des boubous par dizaines, mais pas de petites culottes. Bah, un pantalon, même flottant et vert olive à la place de la jupe ferait aussi bien l’affaire. Avec une chemise « assortie ». Le problème, qui ne devait pas en être un, c’est qu’il n’y avait pas d’arrière-boutique. Qu’à cela ne tienne… elle se retrouva peu après devant un énorme camion affecté au transport des billes de bois. « S’en fout la mort », c’était l’inscription qui figurait sur la porte du camion.



Ensuite, c’est le trou noir. Sa tête s’était mise à tourner. Elle se souvenait vaguement de ses jambes molles, inexistantes, à peine palpables. Il y avait eu l’accroc à la jupe, ce goût âcre dans la salive et puis ce bleu sur la cuisse, qui persistait. Mais bon… Elle n’était pas dans son cycle d’ovulation, mieux valait ne plus y penser.



La voiture arrivait au village. Une douche s’imposait. Vers la fin de l’après-midi, Vanessa décida d’une balade le long de la plage qui se vidait peu à peu des occupants de la journée. L’air du large lui ferait du bien et lui remettrait les idées en place. Les étendues de sable à l’infini, les vagues de la barre qui venaient y mourir en recouvrant les trous des crabes par intervalles plus ou moins réguliers, les crabes eux-mêmes qui pointaient leur curiosité dès que l’eau s’était retirée, autant de grandes et petites choses qui font redécouvrir la vie, la vraie. On vit dans un monde tellement prévisible, tellement organisé qu’il est nécessaire d’avoir des points de rupture de temps en temps, pour s’évader un peu. Une notion qu’elle ressentait profondément et qu’elle essayait de mettre en pratique chaque fois qu’elle le pouvait.


Au retour, elle était passée par les échoppes à touristes en bordure de la palmeraie et décida de s’y arrêter. Des boubous, elle n’en avait finalement qu’un seul, et il était passablement défraîchi.


Quelques nouveaux arrivants déambulaient parmi les étoffes suspendues devant l’un des étales, attendant que leurs compagnes en terminent avec le marchandage, coutume aussi ancienne qu’obligée en Afrique. Vêtue d’un long fourreau fendu de chaque côté, Manjou s’était sortie de la dernière palabre avec une aisance qui avait laissé Vanessa pantoise d’admiration. Manjou, c’était le prénom de l’hôtesse du lieu. Dès le premier contact, une sympathie spontanée s’était installée, apparemment réciproque.



Chez les Peuls Bambaras, le vouvoiement ne marque pas une distance. Il est le signe de l’attention que l’on dédie à l’autre. Au cours de cet échange empreint de curiosités partagées, Vanessa avait découvert une foule de choses qu’elle ignorait sur l’ethnie des Bambaras. Leurs mœurs, leurs coutumes, les migrations des anciens vers le Burkina-Faso puis vers la Côte d’Ivoire, et leur implantation dans les régions du sud où ils se sont peu à peu intégrés, tout en gardant intactes leurs traditions et un mode de vie ancestral. Le village de Manjou se trouvait à « quelques heures de pirogue », dépendant en cela de la motorisation « horse-power » ou à bras de la pirogue ! Pendant la saison touristique, elle habitait avec sa fille de quatre ans et son mari dans un autre petit village non loin d’ici, entre les plantations de caféiers et le bord de l’océan. Son mari y faisait la pêche.


Le lendemain, il fut convenu qu’elles entreprendraient le périple jusqu’au village qui avait vu naître Manjou. Elle s’était assurée de la disponibilité d’une pirogue à moteur pour le jour d’après et de celle d’un jeune neveu de son mari pour la piloter dans le dédale des lagunes. De son côté, Vanessa avait réglé les quelques problèmes administratifs dont elle était chargée et se trouvait libre d’aménager le reste de son séjour comme elle le voulait. Vivre, découvrir et étudier l’humain dans son milieu, elle aimait bien.


Or s’il existe une pratique aussi barbare que millénaire sévissant encore dans bon nombre d’ethnies sub-sahariennes, c’est bien l’excision. Un rite dont on ne connaît pas clairement l’origine et qui, apparemment, ne pourrait être un jour éradiqué que par l’éducation et par la certitude d’une foutue aberration. Mais faire évoluer les mentalités pour que cesse la demande, c’est vouloir assécher le Golfe de Guinée avec un tampax. Agir à la source, le postulat était plus simple. Selon Manjou, il s’agissait de démontrer aux « praticiennes » du clan qu’avec un clitoris intact, on peut parfaitement maîtriser ses pulsions sexuelles. Facile ! Restait une adéquation : si le sien avait échappé à la mutilation, convaincre les anciennes de l’évidence ne pouvait en aucun cas être le fait d’une femme de leur ethnie, avait dit Manjou. Dont acte. Pour Vanessa, la gageure avait quelques raisons d’être utile et l’expérience n’était pas apparue trop contraignante a priori. Elle pouvait même être drôle pour qui ne déteste pas les situations rocambolesques, surtout lorsqu’elles s’éloignent des chemins trop fréquentés. Après tout, il doit bien y avoir une pause-café chez Lipton aussi !


Dix heures le lendemain, le soleil était déjà brûlant. La longue pirogue amarrée au ponton n’attendait que les dames. « VAZIVIT », c’était le nom de la pirogue. Un programme en soi ! Bon… kayak peut s’écrire avec deux « L », l’essentiel est qu’il ne soit pas percé. Augustin, le neveu, s’affairait à lui trouver une stabilité précaire. Tout à l’avant, un jerrycan et un grand couffin contenant les cadeaux, notamment une grande bobine de fil de nylon, quelques obsidiennes, des petites perles pré-trouées, des clous de taille différentes, un grand carton avec des savons de Marseille et bien sûr, quelques vêtements de rechange, des shorts, un petit haut et une paire de pataugas. Au centre, un panier de victuailles et deux nanas en boubou, l’un jaune Sahara incrusté de motifs peuls, l’autre bleu ciel acheté la veille sur la plage. Départ en direction de la lagune Ebrié, puis l’embouchure de la Bia, une rivière calme et envoûtante bordée d’une végétation dense, formant en certains endroits d’immenses arcs de verdure. Peuplée de crocs aussi, qu’on devine sous l’enchevêtrement des racines de palétuviers, plus ou moins somnolents, et qu’on ne voit pas, à l’affût d’une mangouste ou d’un singe imprudent. L’accostage enfin sur une berge basse entre deux mangroves et la dizaine de gamins ravis de les accompagner. Le village lui-même était situé à un quart d’heure de marche, au bout d’un sentier escarpé sur lequel on ne chemine qu’en file indienne.


Ce fut d’abord le thé à la menthe citronnée sous la grande paillote, celle dévolue aux hôtes. Des femmes à la silhouette élancée s’étaient assises en rond, certaines vêtues d’une sorte de sari aux couleurs chatoyantes, d’autres de leur pagne en matière végétale. Quelques-unes avaient des scarifications sur le visage, trois petites balafres depuis la commissure des lèvres de chaque côté des joues. De fines boucles d’or aux oreilles, des bracelets aux poignets et aux chevilles, et au cou des colliers de perles et de minuscules coquillages aux couleurs vives. Bien entendu, personne ne connaissait la raison de la visite. Manjou s’était absentée un long moment avec les anciennes. Pendant ce temps, les enfants avaient emmené Vanessa à la découverte du village, jusqu’à la limite de la forêt sacrée, habitat des masques et des esprits où toute présence humaine, hormis celle des initiés, est formellement proscrite.


La nuit tombe vite sous ces latitudes. Il y eut un repas frugal autour de la table commune, poulet-arachides, sauce piments rouges explosive et l’indissociable atieké. Un peu à l’écart, les hommes mangent entre eux, commentant inlassablement les faits et gestes de la journée.


Vanessa s’était sentie observée. Il y avait des anciennes qu’elle n’avait pas encore vues, une notamment, la plus avancée en âge sans doute, qui lui avait accordé une attention particulière. Puis, presque toutes s’étaient levées pour rejoindre leur case ou pour vaquer à quelque autre occupation. Il régnait une atmosphère étrange avant la pleine lune. Vanessa la ressentait indirectement et avait décidé de faire quelques pas en compagnie de Manjou quand elle fut abordée par une messagère portant son bébé au cou, qui la désigna du doigt et lui montra une case plus grande que les autres. En même temps avec la main, elle frottait l’enfant sur les épaules, les cuisses, le dos, la tête. Vanessa ne comprenait pas. Voulait-elle qu’elle lui fasse sa toilette ? Toutefois, dans son explication, elle n’utilisait pas le mot eau. L’absence du mot ne l’étonnait pas autrement car elle savait que beaucoup de peuples lavent les bambins sans eau, avec des plantes grasses dépourvues d’épines, des bouts de cuir souple que l’on frotte doucement sur la peau, de l’argile et juste un peu de vapeur d’eau tiède. Mais non, ce n’était pas ça. Elle prit Vanessa par la main en lui faisant signe de la suivre. Arrivées devant la grande case, elle lui montra qu’elle devait entrer, puis elle disparut.


Trois femmes étaient là, dont l’ancienne qui l’avait minutieusement toisée pendant le repas. L’une d’elles, la plus jeune, s’était approchée. Les deux autres, assises en tailleur, semblaient fossilisées. Elles étaient vêtues de leur boubou traditionnel aux manches très amples. D’un geste, on lui montra une grande natte circulaire sur le sol et on lui fit signe de venir s’y tenir au centre. Machinalement, son regard avait fait le tour de la case. Il y avait là quelques récipients d’origine végétale, d’autres nattes sur le pourtour, des palettes de bois, des morceaux de fourrure d’animaux, des corbeilles, une grande avec des plantes et des racines, une plus petite contenant de l’argile et de l’ocre rouge. Il émanait une odeur suave, probablement obtenue par quelques feuilles déposées sur des braises ardentes. À côté, une pierre plus blanche, un galet de calcaire complètement poli, usé à force d’utilisation.


La femme plus âgée avait fait comprendre à Vanessa que son boubou, en l’occurrence, était superflu. Suivirent quelques pas d’un tango « esitacion » à propos d’un slip que l’on quitte ou pas… Puis on lui fit signe de s’asseoir sur la natte, en position de tailleur elle aussi. Se mettre nue dans ce contexte et dans les circonstances n’était en soi pas une gêne. Elle s’y attendait. La suite l’intriguait bien davantage.


Les deux ou trois lampes à huile disposées à même le sol donnaient à l’espace un éclairage particulier, tout en reliefs et en tons chauds, accentuant les saillies et les proéminences de chaque détail. Sur un geste de l’aînée, l’une des femmes s’était agenouillée derrière Vanessa. Elle avait entrepris de lui masser les épaules, montait et descendait le long des bras, ne faisant qu’effleurer les seins au passage, comme par inadvertance. Les frôlements étaient doux, elle laissait faire. Des regards avaient plongé sur l’entrecuisse et un commentaire en langue bambara fit rire les trois officiantes. Rapprochaient-elles l’image de ce sexe d’adulte, dont les poils rasés quelques semaines avant le départ commençaient à repousser, de celle des petites vulves innocentes qu’elles voyaient en d’autres circonstances ? Non, assurément. Une idée atroce tout à coup, la fit se redresser et regarder autour d’elle. Mais non, pas de scalpel ni de lame de rasoir dans les parages ! Sans doute riaient-elles simplement de ce duvet brun foncé, loin de refléter les nuances dorées de ses cheveux de « blonde ». Elles savaient maintenant qu’il y a des blondes superficielles, comme il existe des tisanes baptisées champagne !


Une présentation en somme, suivie incontinent d’une requête moins anodine. Il fallait qu’elle se mette à quatre pattes et qu’elle se tienne sur ses coudes. Les attouchements s’étaient alors vite transformés en palpations. Les mains s’étaient mises à malaxer la croupe tendue, allaient et venaient sur l’extérieur et à l’intérieur des cuisses. La position fesses en l’air et seins pendants vers le sol donnait aux trois femmes un avantage psychologique encore accru par le fait qu’elles étaient entièrement vêtues. La gageure n’était plus réservée au seul toucher, elle devenait insidieusement cérébrale. Vanessa avait l’impression de ne plus être qu’une femelle achromique que l’on évalue, offrant aux femmes la perspective d’une nette dominance. Ses cheveux lui tombaient sur le visage. Elle ne voyait pas les gestes, mais elle avait senti les mains de chaque côté de la taille, monter et descendre le long du dos, des pouces insister sur le creux des ovaires et des doigts venir s’insérer dans le sillon de la raie fessière. Elle eut un soubresaut.


Pendant ce temps, un homme entra dans la case. Il alla s’asseoir sur une autre natte, un peu à l’écart. Apparemment très jeune, il portait un pagne de cuir souple et arborait une griffe de lion autour du cou, signe qu’après avoir subi les épreuves rituelles, il était passé de l’adolescence à l’âge où l’on devient adulte. Jusque là, pas de quoi faire une grossesse nerveuse ! Le visage accolé à la natte, Vanessa évitait de le regarder, préférant laisser divaguer ses yeux sur l’activité des femmes qui l’entouraient. On l’invita par un signe à s’allonger sur le dos.


Sous l’œil de l’ancienne, l’ingérence des deux officiantes s’était faite redoutable. Aussi futées dans le geste que sur la manière, ces femmes sont des expertes dans l’art d’inspirer l’amour et maîtrisent à merveille la technique du stimulus sensoriel. Un savoir-faire qui s’était d’abord manifesté sur la poitrine, passant l’index en mouvements circulaires autour des aréoles, l’enfonçant profondément dans les mamelons, puis les laissant resurgir avant de se mettre à en étirer les bouts et à les triturer entre deux doigts. Elles s’étaient ensuite amusées à ballotter les seins par de petites tapes depuis le dessous et sur les côtés, avant de s’attarder du bout de la langue cette fois, sur les extrémités tendues in extenso. Transposé du bambara, le sourire de l’ancienne pouvaient aussi bien dire « … mais ils causent ces tétons ! ». C’est toujours un signe et là, elle ne pouvait pas s’en cacher.


Après un long câlin de la bouche sur les poils renaissants de la conque de velours, l’une des femmes, accroupie entre les cuisses, s’appliquait à redessiner les extérieurs de la féminité. Elle promenait un, puis deux doigts le long de la fente détrempée, entrouvrait la vulve et s’amusait à étirer longuement le fil visqueux dont ils étaient imbibés.


Des compressions du clitoris qu’on emprisonne entre les grandes lèvres et qu’on roule entre le pouce et l’index, jusqu’au vocable qu’on devine fleuri, les ingrédients de la séduction s’entremêlent à plaisir dans ce genre d’aménités. Il fallait rester imperturbable, c’était la gageure, mais aussi l’engagement. Enfin… celui qui était convenu.


On avait fait signe à Vanessa de relever le buste et de prendre appui sur ses coudes. À l’évidence pour qu’elle s’imprègne de son image. Il fallait aussi faire bonne figure à une prestation qui se révélait plus perfide qu’elle l’imaginait. La plus jeune était venue l’enlacer, mimant l’approche amoureuse, cherchant l’embrassade à pleine bouche, titillant le pourtour de l’oreille, revenant mordiller les lèvres et essayant de s’insérer entre elles, non sans un certain succès. Une étreinte en douceur, dévorante et corrosive, qu’elle aurait bien prolongée si les conditions avaient été différentes.


Car l’autre réalité se dessinait en filigrane. Dès la première rencontre avec Manjou dans son échoppe du bord de plage, Vanessa avait ressenti une attirance particulière pour cette femme belle et troublante. Une attirance difficile à occulter quand les démons lesbiens resurgissent comme un nuage de grêle avant la vendange. Un désir qui transpire et projette les phéromones comme des milliers de seringues hypodermiques. Cette femme était charnelle, musquée. Un homme aurait dit bandante. Vanessa avait tenté des approches, à peine voilées c’est vrai, par allusions interposées. Peine perdue. Un mur d’indifférence. Au mieux, des silences, des sourires ambigus. Pas la moindre marque d’une émotion, ni dans le geste, ni dans le regard. Il y avait pourtant dans ce visage hautain, dans la démarche et la façon de parler, une sensualité à fleur de peau seulement coincée par l’éducation ou qui sait, par le manque d’opportunités. Les Peuls sont volages, les femmes réservées mais volontiers bisexuelles, lui avait-on dit. Alors tenter la séduction par procuration ? Avec une logique incertaine, elle pensait que ce serait peut-être ça, le sésame. Un concept qui avait d’ailleurs largement contribué à la faire acquiescer à l’idée du voyage en pirogue.



La remarque s’était voulue feutrée, à défaut de pouvoir être pénétrante. Pour autant, ne dit-on pas que le « vous » est la première personne de l’érotisme ?



C’était « juste pour expliquer » ces femmes européennes adeptes de naturisme, qu’elle voyait tous les jours sur la plage. Il y avait un relief touchant dans les descriptions. Si seulement elle avait eu l’envie d’exprimer ce qu’elle pensait en laissant traîner les yeux dans l’entre-deux d’un short assez lâche que Vanessa avait mis ce matin-là… Oh, pas tout à fait parce qu’elle n’avait rien d’autre à se mettre !


Ne pas galvauder ses chances par trop de précipitation, laisser les choses se faire ou pas, un principe qui n’avait pas si mal fonctionné jusqu’ici.


Mais au fait, où était-elle, Manjou ? Une idée saugrenue traversa l’esprit de Vanessa. Et si on la voyait, là, juste maintenant ? L’ADSL et Twitter n’arrivent pas encore dans ces bourgades, mais qui sait s’il n’y traîne pas un vieux polaroïd trouvé au décrochez-moi-ça, qui pourrait être en état de fonctionner ? Et une photo prise en catimini, qui ferait le tour des lagunes jusqu’au Club ou même jusqu’à Paris, avec les commentaires et ces petits riens qui font le sexisme ordinaire. Foutaise, non, c’était impossible, elle affabulait. Parce que l’invitation au village, tout autant que le motif, c’était sincère et cohérent. Un test pour l’une peut-être, et une provocation pour l’autre, qui inspirerait les derniers jours de vacances. En modifier le scénario sans prendre le risque de tout gâcher était hors de question.


La matrone avait enroulé de fines lanières de cuir autour de ses doigts, les deux plus agiles, ceux qu’on utilise en général pour la pénétration. À voir le genre de préparatifs, Vanessa se demandait encore ce qui lui avait pris de défier des coutumes aussi vieilles que le monde au prétexte d’humanisme à l’occidentale. Jusqu’où aller dans ce défi extravagant, pour ne pas renier ce à quoi elle s’était engagée ? Cette complicité avec Manjou, elle y tenait au-delà de la perspective encore lointaine que sa fille doive un jour subir la dégradation, même si son mari était persuadé des bienfaits de la chose. Il fallait jouer le jeu, garder le contrôle de ses sensations et encore une fois, ne rien laisser trop apparaître.



ooOoo




On avait placé une sorte de polochon sous ses reins, de façon à donner au bassin l’élévation souhaitée. La matrone vint s’agenouiller entre les cuisses, face au pubis, et ouvrit la vulve avec d’infinies précautions. Le genre de minauderie qui n’avait pas été vraiment de mise jusqu’ici. En même temps, elle avait guidé la main de la femme blanche vers le clitoris, lui faisant signe de se masturber puis de tenir elle-même les lèvres écartées en grand.


Les deux doigts gantés de cuir étaient enduits d’une pâte huileuse, probablement de l’argile couleur brun-rouge, qu’elle avait mélangée à une poussière blanche ressemblant à du kaolin. Dans le contexte, ce pouvait aussi bien être de la poudre de cantharide dont ils sont friands pour ses vertus aphrodisiaques. Elle étala un peu du mélange sur les muqueuses, puis enfonça les doigts recouverts de cuir dans le vagin en un mouvement linéaire vers l’utérus. Le périnée se rétracta aussitôt. Il y eut le petit cri caractéristique, suivi de l’inéluctable cambrure de l’échine lorsque le bassin se tend. Les yeux écarquillés de la vieille et un roucoulement sourd dans la gorge trahissaient sa satisfaction.


Elle s’arrêta à mi-profondeur, observant le mouvement des lèvres. Mais très vite les doigts s’engagèrent plus avant, gagnant à chaque aller-retour quelques millimètres de pénétration. Suivirent les rotations du poignet, aussitôt ponctuées par le savoir-faire des deux autres, tantôt du plat de la main sur le haut de la vulve, tantôt vers les mamelons durcis qu’on étire sans trop de ménagement ou qu’on roule entre deux doigts. Vanessa avait fermé les yeux. Sa façon de jouer l’autruche. Des spasmes révélaient pourtant le désarroi. Il fallait rester stoïque malgré la modulation des pressions, malgré les picotements astringents qui avaient mis le feu à son bas-ventre. Dans d’autres circonstances, il y a longtemps qu’elle aurait modifié le rythme de sa respiration, lâché des miaulements et se serait caressée jusqu’à un premier orgasme.


Sous toutes les latitudes, lorsque le dialogue est minimal, le geste se substitue à la parole. L’ancienne avait une fois encore saisi la main de Vanessa, l’avait guidée vers le sexe et fait en sorte qu’elle se marie à la sienne dans une attitude qu’elle voulait complice et intransigeante. La méthode olfactive a ses vertus « essentielles » en Afrique, où tout n’est qu’odeurs brutes ! Accompagner les doigts vers la bouche découle alors d’une chronologie acidulée que l’ancienne observait dans un sourire à peine retenu. En même temps, elle poursuivait inexorablement l’atroce va-et-vient. Elle savait qu’elle était sur la bonne voie et voulait s’en délecter. Comment expliquer sinon, ces gloussements qui en langue occitane pouvaient se traduire par un « ça ma petite, tu l’as cherché », ou plus prosaïquement « tu veux du cul, tu vas en avoir ». Vanessa se sentait devenir animale, prise au piège, verrouillée contre les doigts dans une jouissance qu’elle voulait retenir. Dans ces moments d’intensité, on ne peut que se cabrer, on veut fouetter l’air de ses bras, on raidit les cuisses, on se plante les ongles dans la peau… il fallait se contenir.


Ne pas se laisser piéger sous l’impulsion quand des soubresauts agitent les seins, quand des vagues de frissons exacerbent le désir. Son sexe n’était plus qu’un volcan avant un répit… tout juste ponctué par le lent retrait du phallus de cuir, enfin.


Pendant un instant glacé d’effroi, on craint de ne plus pouvoir s’extraire de cette démence digitale. Puis on réalise qu’on n’est pas tout à fait seule. Il fallait reprendre une respiration normale, changer de position, se mettre à plat ventre, se recroqueviller sur les coudes, serrer les bras et se persuader d’être ailleurs.


La moue de la vieille et un signe de la main l’avaient pourtant fait se remettre sur le dos. Derrière elle, l’une des femmes offrait aux reins l’appui de ses cuisses. Les autres, accroupies de chaque côté, caressaient les bras avec des lenteurs calculées, parlaient entre elles et lançaient des regards alentours comme si elles attendaient quelque chose, ou quelqu’un. Elles avaient avancé le polochon, l’avaient calé contre la naissance des fesses pour redonner au bassin la forme convexe qui semblait leur convenir. L’attention soudain, se porta sur une égérie en boubou jaune tenant un éphèbe par la main, celui-là même qui était resté dans l’ombre jusqu’ici : Manjou ! Vanessa se doutait qu’elle était dans la case, mais à ce point…


Les pans du boubou retroussés, Manjou s’était accroupie et dardait sur l’entrecuisse un regard à faire se damner les esprits les plus tordus de la forêt. Il y avait là dans le creux de l’aine, un petit tatou, invisible depuis la pénombre où elle était restée jusqu’ici, ni perceptible sous le short qu’elle avait la veille sur la plage. Le visage hilare penché vers l’avant d’un « génie » aux tons pastel vert et mauve et au trait d’une finesse extrême eut le privilège d’un sourire que la plus perverse des déités alentours aurait jalousé.



Le silence, étourdissant, aurait pu faire le sujet d’une antilogie. Pour une fois, son sixième sens ne l’avait pas mystifiée face au miroir aux alouettes. C’était bien Manjou !


Dépassé, l’effet surprise de cheveux rasés au millimètre s’insérant entre les cuisses… Sous l’impulsion du « génie », sans doute ! Et les effets de bouche à fleur de pubis. Complicité furtive devenue énergie comme par enchantement. Soudaine, intense et en même temps empreinte d’une douceur infinie. Des instants trop courts, vite réprimés par l’ancienne, qui n’entendait pas être dépossédée de ses prérogatives.


L’une des femmes s’appliquait à délacer le pagne de cuir du jeune mâle. La lueur des lampes à huile donnait au corps et aux jambes en particulier, des allures d’infini laissant apparaître le sexe érigé. Un pénis long et fin dont l’extrémité du gland, luisante et complètement dénudée était à elle seule une sorte d’incantation. Nul doute que chez l’homme ou chez le quadrupède, un nerf doit relier directement l’œil à la queue.


Chez les Bambaras, l’accouplement est quelque part la récréation dans le rituel initiatique. On ne s’« embambarrasse » pas de préjugés. Curieusement, aucun autre homme n’était dans la case. Seule l’ancienne détient la sagesse et les pouvoirs.


Campée sur ses coudes, Vanessa se tourna vers Manjou. D’une moue presque sereine, elle lança en riant :



Le genre de questions auxquelles on ne répond généralement qu’en présence de son avocat ! Une des femmes lui avait fait relever les jambes, cuisses à hauteur de poitrine. Les ouvrir et tenir ses genoux de façon à ce que le mont de Vénus et la vulve soient en saillie synchrone. Le polochon sous les fesses accentuait encore l’élévation du bassin. L’ancienne ne s’y trompait pas. L’aptitude, dans ces circonstances, c’est aussi l’étalage des attitudes. À la façon dont les cuisses tremblaient, elle était… « prête, la jolie blanche », exit le jargon local librement formulé.


En tailleur derrière Vanessa, une Manjou nerveuse pressait sa main sur un sein. Le pouce de l’autre s’enfonça dans la bouche entr’ouverte, comme pour dévier une éventuelle cabriole ou une diversion qui ne pouvait plus n’être, dès lors, que verbiage de façade. Sur un geste de la matrone, le jeune étalon vint se placer. À genoux face à l’entrée de la grotte aux souris presque chauves… (brève allusion à un système pileux en progression, chez lui aussi).


Même à genoux, c’était sous-estimer la stature du jeune homme et la longueur de ses cuisses. Relever encore le bassin de la dame et maintenir la cambrure en ceinturant les reins ? Vanessa avait anticipé. Elle s’était mise à quatre pattes, le dos incliné et se tenait sur les avant-bras, un peu comme au début de la prestation. Une position qu’elle aimait bien.


L’ancienne n’en souhaitait pas tant. Elle agrippa la verge tendue à l’extrême, se mit à en promener la « tête » de bas en haut de la vulve, qu’une des femmes tenait écartée en tirant sur la muqueuse vers le liseré de la fesse. Les sourires en disaient long. D’un signe, elle invita Manjou à venir assister à la pénétration. Elle savait d’expérience qu’assister débouche sur associer en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire… C’est Manjou, elle seule, qui allait introduire le pénis dans le vagin.


L’accouplement fut court. Quelques poussées impétueuses, le claquement des cuisses contre la croupe… dosage et savoir-faire vite emportés par la fougue de la jeunesse. Cambrure intempestive, crispation du visage, mains lâchant les hanches pour se cramponner à son sexe, tous les signes d’une éjaculation précoce se trouvèrent soudain réunis, version extra-utérine. La semence s’étala en gouttes dispersées sur les reins, tandis qu’un peu de cyprine s’écoulait entre les cuisses de Vanessa.


Dehors, le son grave des tams-tams relayait par intervalles le tintement des grelots de chevilles. La fête de la pleine lune avait commencé. Des danseurs aux visages grimés et à l’accoutrement bigarré fait de pailles et de plumes attendaient leur tour, ombres furtives se profilant dans les lueurs du grand feu de bois.


La fête se prolongea jusqu’à l’apogée de la pleine lune. Puis par petits groupes, chacun se retira. Une fin de nuit sans débauche de sommeil, pas plus pour Vanessa que pour Manjou sur une des nattes de la grande case. Dans la matinée, les yeux bordés de reconnaissance, il fallait entamer la palabre dite de courtoisie avec Doudou 1er, le chef du village. Un sexagénaire jovial et bien enveloppé. On lui attribuait une grande influence sur le « clan ». L’excision… il en connaissait l’existence et était plutôt contre, parce que la loi aussi, était contre. Dès lors, il s’engageait « per-son-nel-le-ment » et sur l’honneur, à la faire appliquer… « scrupuleusement, le jour où commenceront les travaux de construction d’une petite école dans le village ». Et d’ajouter « parce que ce n’est plus possible d’emmener les enfants chaque jour en pirogue à Aboisso » (petite bourgade non loin de la frontière avec le Ghana).


La construction de l’école entra dans les faits deux mois plus tard, entre autre par la grâce de quelques interventions.