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n° 14824Fiche technique23428 caractères23428
Temps de lecture estimé : 14 mn
23/02/12
corrigé 11/06/21
Résumé:  Trois histoires courtes, par quatre auteurs différents, sur le thème « séparation attachante ».
Critères:  h fh inconnu vacances jardin douche cérébral revede voir hmast pénétratio portrait -lettres -amourdura -regrets
Auteur : Collectif Antilogies      Envoi mini-message

Collection : Antilogies
Séparation attachante

La collection « Antilogies » regroupe des textes courts (si possible entre 1500 et 6000 signes) mis en ligne sur le forum de Revebebe le 30 du mois qui suit une proposition de sujet « antilogique » par un des membres.

Tous les lecteurs peuvent avoir accès au forum : Concours et jeux d’écritures → Antilogies et autres jeux (ré)créatifs → les textes ou Antilogies et autres jeux (ré)créatifs → les discussions.



Janvier 2012 – Séparation attachante


Conditionnelle

par Hidden Side


Je rêve de l’amener au bord de la mer. Nous irions dans une petite station balnéaire sur la côte bretonne, hors saison, quand il n’y a plus un chat. Il ne ferait pas beau, mais nous serions les seuls clients de l’hôtel. De toute façon, nous passerions plus de temps dans notre chambre que dehors, à affronter le mauvais temps.


Après toutes ces années, elle serait un peu intimidée. Normal. Alors nous commencerions notre séjour par une longue balade sur la plage, nos doigts entremêlés, blottis l’un contre l’autre pour pouvoir nous toucher à foison, bien plus que pour nous protéger du crachin et du froid. Arrivés aux premiers contreforts des falaises, je prendrais son visage entre mes mains et je l’admirerais. Ses boucles brunes, alourdies par la pluie, lui feraient comme une couronne sur le front, un diadème constellé de perles d’eau.


Nos lèvres bleuies se rejoindraient, s’entrouvrant pour laisser fusionner nos langues impatientes. Elle immiscerait ses mains glacées dans mon blouson, me palpant, me malaxant, s’accrochant à moi comme une algue à un rocher. Au bout d’un temps très long qui pourtant nous paraîtrait très court, nos bouches se sépareraient et nous ririons, haletants, comme saoulés par ce trop-plein de présence.


Un brin gênée, elle réajusterait son soutif tandis que je la regarderais faire, mains dans les poches pour conserver plus longtemps sur mes paumes la chaleur de ses seins. Une soudaine urgence nous saisirait et nous nous mettrions alors à courir vers l’hôtel, ses empreintes de pas marquant à peine la grève, moi soulevant des gerbes de sable. La course éperdue de deux êtres qui ne veulent plus égarer la moindre parcelle de bonheur.


À peine franchi le seuil de la chambre, on se jetterait l’un sur l’autre et on ferait voler nos vêtements. Ignorant mes caresses, elle s’emparerait de ma queue et m’emmènerait jusqu’à la salle de bain. Nos bouches collées, nos dents entrechoquées, nous resterions de longues minutes sous le jet brûlant de la douche – une onde bouillante, mais pas autant que la grotte entre ses cuisses. Ce serait elle qui céderait la première ; son poing cesserait ses allers-retours sur ma bite pour me guider vers la corolle ultrasensible et largement déployée de son sexe. Je soulèverais ses jambes qu’elle crochèterait à mes fesses, et là, enfin, la plaquant contre les carreaux de faïence, je m’enfouirais aux tréfonds de sa chatte, la remplissant de toute la longueur de mon érection.


Je me forcerais à ne pas bouger pendant quelques secondes, me concentrant sur cette attente immobile mêlant plaisir et fébrilité, goûtant les pulsations incontrôlées de son vagin, ignorant ses encouragements et ses supplications. Puis, sans prévenir, je quitterais soudain cette impassibilité de marbre pour me mettre en branle, la pistonnant avec une force à lui couper le souffle. Elle, éperdue, s’agripperait à ma nuque sans plus chercher à étouffer ses cris ni ses gémissements…


J’accélère mon mouvement de poignet et le sperme jaillit par saccade. Un mètre plus bas, la couchette d’Aziz grince sous la mienne. Il se tourne et fait mine de ronfler. Une politesse que l’on se rend, dans ces moments-là. Difficile d’ignorer ce que fait l’autre quand on est confiné dans une cellule de huit mètres carrés.


Demain matin, j’ai un parloir avec Céline. On a droit à une demi-heure de pseudo intimité toutes les deux semaines, dans un box étriqué comme une cabine de cinéma porno. De chaque côté des séparations en contreplaqué, d’autres détenus avec leurs familles. Au-dessus, l’œil de la caméra. Et encore, on peut s’estimer heureux. Les matons n’interviennent pas quand il y a des « rapprochements ». Ils se contentent de jouer les voyeurs. Malgré ça, on se sent comme des ados sous surveillance, limités à quelques caresses furtives.


Parfois il arrive qu’une femme ose franchir la table la séparant de son compagnon. Quand il s’agit d’une détenue, les gardiens rappliquent aussitôt – s’agirait pas qu’elle tombe enceinte ! Sinon ils matent tranquillement, avant de se pointer au moment crucial. Je ne veux pas exposer Céline à cette humiliation. Alors, comme elle le dit elle-même, elle aussi est en prison…


C’est étrange ce que ça peut provoquer dans la tête d’une meuf, ce genre d’endroit. En général, c’est tout l’un ou tout l’autre. Belle comme elle l’est, elle pourrait facilement aller voir ailleurs… Mais elle se dit toujours amoureuse et bizarrement je la crois. Ça fait cinq ans, maintenant, qu’elle m’attend.



oooOOOooo



Lettre d’espoir

par Nicoli


Le 23 décembre, un simple coup de fil, c’est Nita, et après quelques banalités d’usage, elle m’annonce qu’entre nous c’est fini, après une éternité paradisiaque ou presque. Je n’avais jamais songé à un événement aussi brutal. Une fois le combiné remis en place, je vacille, ma tête tourne… Je m’en veux de n’avoir même pas discuté tant j’ai été surpris. Nita c’est mon seul et véritable amour, c’est ma vraie raison de vivre, pour moi c’est tout.


Après avoir attendu, trois nuits sans sommeil, j’ai décidé de lui écrire une lettre, je la lui donnerai lors de notre prochaine ou dernière rencontre. Maintenant, cette lettre est toujours dans ma poche depuis trois semaines, je ne sais plus quoi faire. À vous que je ne connais pas, je peux la montrer, dois-je espérer quelque chose ?



Nita,


La première fois que nous nous sommes vus c’était un samedi après-midi près de Joinville, il y a presque deux ans, tu étais là avec une amie, devant un bistrot-guinguette, survivance préhistorique de grands-parents, à regarder et écouter. L’accordéoniste accompagnait sa chanteuse qui interprétait « elle était si jolie… », nos regards se sont croisés, recroisés, je t’ai trouvée magnifique, si belle, si désirable, j’ai compris tout de suite à l’étincelle de tes yeux que ce serait autre chose, de l’amour, du vrai, en somme un banal coup de foudre qui n’aurait rien de banal.


Puis, comme la chose était d’importance, il n’a pas été question de conclure le premier soir, ni le deuxième, ce fut longtemps après, c’était trop précieux pour nous deux, un véritable gage de sagesse et d’amour. La suite a montré que nous étions faits l’un pour l’autre, c’était l’évidence. Un véritable couple : deux cœurs, un amour, bien sûr vu de loin ça peut ressembler à une idylle à l’eau de rose, mais non, tu le sais Nita, c’était bien davantage que cela.


Au fur et à mesure, nos corps se sont livrés l’un à l’autre, de détails intimes en détails intimes nous connaissions absolument tout de chacun dans une découverte intégrale, juste la nudité protégée par les murs de notre chambre, pas possible de tricher, le plaisir presque toujours à l’unisson. Rassure-toi, je garde pour nous, bien au chaud dans ma tête, ces grands souvenirs qui me hantent.


Dans le fond, je voudrais bien trouver des difficultés, même minuscules, pour t’en faire reproche, je ne sais pas, tu aurais pu te refuser de temps à autre sous quelques fallacieux prétextes, ou bien ne pas vouloir telle ou telle pratique que certaines auraient trouvée osée, désagréable… Eh bien, non, je n’y arrive pas, comme tu disais pour nous : « l’horizontal c’est idéal ».


Nous formions un couple extraordinaire, tu étais ma vie, pour le meilleur bien sûr, mais aussi pour affronter la réalité du quotidien, et ce projet de devenir trois au lieu de deux, dont nous parlions de plus en plus, je n’arrive pas à penser qu’il s’est évanoui, tant il nous paraissait important.


Tu l’as bien compris, je t’aime comme avant. En vérité, je ne sais pas pourquoi tu me quittes… sûrement un autre… Je parierais bien pour ce Mathieu de ton bureau, celui dont tu m’avais fait l’éloge.


J’attendais un appel, avant de te donner ma lettre peut-être trop maladroite. Et puis rien, le silence. J’aurais aussi pu te téléphoner, mais je n’en ai ni vraiment la force ni le courage. Me croiras-tu, depuis ce jour, je ne m’ennuie plus, je m’emmerde, et quand je ne m’emmerde pas j’ai envie d’en finir, ça m’obsède, j’ai lu des trucs sur internet, des genres de recettes pour s’expédier définitivement. Ne prends pas ça pour du chantage, je ne sais plus, je ne sais plus….


Les bons copains, les moins bons amis m’ont consolé et conseillé, je n’irai pas jusqu’à te dire qui m’a déclaré : « je m’en doutais bien que c’était une vraie salope », ou « t’en fais pas, elle reviendra toute seule quand elle aura faim ». Et j’en passe. Finalement, à part Lucas je n’ai déjà plus d’amis, tellement ça m’a gonflé d’entendre ces bêtises. Et puis ça me tord le cœur de repenser à ton sourire, à tes yeux, tes caresses, ton odeur, ton corps…


Même si tu le savais déjà, tu as été mon seul et véritable amour, et tu l’es toujours. Alors peut-être, si tu as besoin de quelque chose, une aide, un service… sache que je répondrai présent et ne t’imagine pas que j’ai autre chose derrière la tête.


Quand dans la nuit je dors, je rêve toujours de toi. Peut-être que nos vies retrouveront à nouveau le même chemin, je ne peux pas douter que nous sommes faits l’un pour l’autre. C’est impossible.


Ton amour


Pero



Cette lettre je l’ai relue dix fois, cent fois, je l’ai trouvée sublime, je l’ai trouvée débile. Et puis écrire une lettre pour ne pas la faire parvenir à sa destinataire, c’est une histoire de dingue. Dois-je risquer de recevoir une réponse du style « j’ai bien aimé ta lettre », ou « on te fera une petite visite avec Mathieu, comme ça tu le connaîtras, ça te remontera le moral », ou alors « je suis disponible samedi après-midi, on pourra faire l’amour, une dernière fois », ou bien encore « t’es vraiment trop con, si t’as pas compris que c’était fini ».


C’est sûrement pour ça que je garde ma lettre, je n’ose pas te la donner de peur que la réponse ne soit pas digne de toi et me fasse trop mal, et là je ne résisterai pas vers une issue fatale. Pourtant si je t’aime vraiment, comme j’en suis certain, je devrais aimer ce que tu peux me répondre et approuver ton départ sans chercher à le contrarier.


Oublier, tourner la page, faire son deuil, tout ça c’est des mots pour les autres. Mais quand c’est pour soi, ce n’est plus pareil.


Peut-être qu’un jour Nita lira une nouvelle de Rêvebébé… bouteille à la mer… et qu’elle s’y retrouvera, alors elle rebâtira sa vie en frappant à ma porte, si ce n’est pas trop tard.


L’espoir fait survivre ou presque…



oooOOOooo




Séparation attachante

par Shiva__ et Olaf



18 décembre.


Ainsi, Madame, vous partez. C’est ce que vous avez glissé, entre deux messages, sur le forum où je vous ai connue. J’ai la fatuité de croire que cette information était un peu pour moi. Merci pour ce clin d’œil.


Vous avez juste omis de préciser la durée de cette absence. Sans doute supposez-vous que cela m’importe peu. Est-il nécessaire de vous avouer urbi et orbi que, pour moi, cet éloignement a valeur de séparation ?


Non que je puisse être jaloux de qui vous allez rejoindre. Vous ne cachez pas que l’intimité masculine vous est agréable, et je vous suppose la faculté de faire s’agiter une forme ou une autre de virilité entre vos reins, où et quand il vous plaît.


Que le souvenir de votre dernier amant, l’impatience du prochain ou la superposition de quelques aventures récentes s’imposent, et déjà vous devez avoir quelque troublant visage, la chaleureuse sonorité d’une voix ou l’évanescence d’un désir à glisser sous vos doigts. Je vous sais assez d’imagination pour vous en régaler. Je vous en suppose même friande, au cours de vos nuits de solitude.


Mais cela ne suffirait pas à faire de votre absence une séparation. C’est plutôt la perte de vos petits signes de vie qui en sera la cause. Le manque de ces messages finement ciselés, qui me font croire qu’à l’instant où vous les rédigez, mon immatérialité s’est insinuée dans votre réalité. Qu’avant d’envoyer ces lignes, anodines, lourdes de sens, pudiques ou plus évocatrices, vous m’avez laissé pénétrer en vous. Certes, pas de manière à faire monter une vague de chaleur au creux de votre ventre. Nous ne nous connaissons pas assez pour cela. Mais assez pour entretenir notre complicité. Celle-là même qui me donne un agréable surplus de vie dans les arcanes de votre toile.


Ne plus avoir ces messages, Madame, et ne pas savoir jusqu’à quand, voilà à quoi me condamne votre départ, voilà ce qui ressemble à une séparation.


Alors, je me dois de vous informer que, pour conjurer le sort, j’ai déposé trois choses dans vos bagages. Trois attaches, aussi légères que celles qui retiennent les dessous que je vous imagine porter sur les sentiers de vos corps-à-corps. De celles qu’un simple baiser suffit à dénouer. Trois infimes traces, aussi virtuelles que nos échanges, sous forme d’un regard, d’une pensée et d’une douceur.


Des regards, vous en provoquerez sans doute des dizaines au cours des prochains jours. Des pensées, encore plus, et de bien plus licencieuses. Quant aux douceurs, je vous souhaite de trouver le temps et les mains pour vous en gaver. Cela ne m’empêche pas pour autant de vous jeter ces sortilèges, par bagages interposés. J’ai veillé à ce que ces respectueuses intentions ne prennent pas trop de place. Elles sauront rester discrètes et ne contrecarreront aucun débordement sensuel, si fugitif soit-il.


En revanche, si la curiosité ou une solitude passagère vous donnait envie de les découvrir, alors amusez-vous à imaginer ce qu’elles pourraient bien être, à partir de ce que nous avons déjà partagé. Je vous confie le soin de donner vie à ces respectueux liens, sous la forme qui vous plaira. À votre retour, vous lirez ici-même le fond de mes pensées. Peut-être se révéleront-elles semblables aux vôtres. Je ne le considérerai pas comme une coïncidence.


***


Mombasa, 23 décembre, 4h22 heure locale


Oui Monsieur, je suis partie… Pour mieux revenir, comme à chacune de mes escapades. De vous à moi, je ne saurais dire si cette séparation est attachante. Ce dont je suis certaine : je m’attache de plus en plus aux séparations. Avec le temps, peut-être aussi une sorte de maturité ou de sagesse, ces moments sont sources de révélations de moi-même, semblables à un lâcher prise.


Comme si la peur de perdre pour toujours un être cher, la perspective de plénitude éprouvée au détachement d’un autre, toxique/parasite, ou enfin la satisfaction toute simple de me retrouver seule avec « mon vrai moi », m’amènent à poser par les mots tout ce que j’ai dans mon cœur et sur ma conscience. Tel un impact entre mes sentiments et la réalité. Ceux que je ressens sans pouvoir les exprimer, comme s’ils étaient emprisonnés, et qui trouvent la voix de l’évasion au moment du détachement.


Parlant de coïncidences, Monsieur, et pour revenir à votre lettre, je lis « l’Aleph ». Les lignes et philosophies de Paulo Coelho m’accompagnent et me renvoient au souvenir de nos correspondances. Celle, notamment, où nous évoquions d’autres vies, que nous aurions vécues ; dans lesquelles nous nous serions connus.


Souvenir immatériel, certes, mais rempli de réalité et, je l’espère aussi (en tout cas, j’aime m’en persuader) de sincérité. Aussi flous qu’une silhouette au travers d’un vitrage translucide, ce sont vos traits que je dessine au gré de nos échanges, car il faut bien donner une image, sans doute idéale, pour donner un soupçon de chair et de vie.


S’agissant des échanges charnels sachez que pour moi, Monsieur, ils sont une poésie, plus qu’une fantaisie. Fantaisie est affaire d’une nuit, tandis que poésie serait celle d’une vie. À ce jour, aucun n’a été digne de poésie. Souvenez-vous que je suis une jeune femme aux airs faciles, mais à la réalité difficile. Même si je m’amuse, avec un semblant de nonchalance ou d’impudeur, il n’en reste pas moins un acte pur et intense, qui ne se mesure pas dans le temps mais par la force qu’on lui accorde.


Pour en revenir à vos attaches : des regards, durant mon périple, il y en a eu à chaque rencontre, d’une rare authenticité. De ces gens qui n’ont plus que cette reconnaissance comme raison de survie et rendent ainsi leur quotidien vivable. Des pensées aussi, pas forcément liées aux précédents ; sinon, elles resteront un mystère. Traversant la méditerranée, bravant les conflits, elles étaient agréables et douces à imaginer, dans l’attente de mon retour. Aussi douces que le velours, d’un amant impatient de me retrouver pour m’enlacer, m’étreindre, me faire fondre de plaisir, torturé par la séparation. Vaste programme…


Pourtant, je reste indifférente et ne suis pas pressée de rentrer. J’aime cette forme de détresse suscitée par la distance, dans laquelle je me sens désirable et désirée. Peu importe que cela soit futile et/ou éphémère. Elle flatte mon ego.


Et puis surtout, je crains de perdre cette intimité avec moi-même, dès lors que je reprendrais mes masques pour mieux me fondre dans la masse.


***


Lu le 29 décembre


Madame, si vous lisez ces lignes, c’est que vous êtes de retour. Je vous ai promis de vous avouer ce que j’avais déposé dans vos bagages. Il est temps de le découvrir, si tel est votre désir.


Il y avait d’abord l’image d’un homme et d’une femme dans un parc, un jour tiède de printemps. Ces deux, dont je ne sais rien d’autre que la visible harmonie de ce qui les réunit, se sont trouvés, ou retrouvés, disons… sous un platane d’Orient. Ils se parlent, avec une émouvante intensité. La femme, habillée d’une robe légère, tient entre ses mains un livre que l’homme vient de lui offrir. Peut-être est-ce le symbole d’un mystérieux pacte. Ou le gage d’un improbable défi. Cap’ ? Pas cap’ ? Mais de quoi ?


Ils se parlent, longuement, sans se quitter des yeux. Enfin, l’homme entraîne la femme, main dans la main, vers un banc libre non loin de là. Elle s’y assied de manière à pouvoir d’emblée glisser ses pieds entre les mains masculines. Amusé, à peine étonné de cette impertinence, il commence un très lent et, apparemment, très agréable massage. La jeune femme se laisse peu à peu envahir par le trouble que les caresses provoquent en elle. Elle finit par fermer les yeux.


Voilà pour la pensée et la douceur. Quant au regard, je renonce à poser le mien plus longtemps sur ce couple. Tant de tendre complicité rend envieux, et je n’ai aucune propension au voyeurisme. Je les laisse à leurs jeux et me contente d’imaginer de quelle manière, au gré des attouchements, la jeune femme va s’abandonner et finir par écarter les jambes. Ils savent tous deux que cela sera. L’attente de l’instant et de la manière les amuse et les rapproche.


Le regard que l’homme glissera alors jusqu’au haut des cuisses, ce regard attendu, désiré, fera monter en eux quelque chose d’irrésistible. Puissent-ils en profiter de la plus agréable manière, à en perdre le sommeil.


Le peu qu’ils m’ont permis de contempler de leur rencontre suffit déjà à mes prochaines rêveries.


Il n’empêche… je sais un parc, Madame, non loin de chez vous.


***


Saint-Hilaire-du-Touvet, 30 décembre, 23h12


Un soir, au retour d’une de mes journées de plage et de massages, gavée de fruits exotiques et les yeux remplis d’un paysage à la végétation luxuriante, la tête riche de nouvelles rencontres, au contact d’une population aussi généreuse que malheureuse, j’ai pris une douche.


Aussi simplement, je suis allée fouiller dans ma valise, à la recherche d’un paréo. J’ai trouvé vos présents. Le paréo était prétexte. Ce fut moins pour rompre ma solitude que pour satisfaire ma curiosité. Vous commencez à me connaître, et je pense assez, pour avoir compris que je suis joueuse.


J’ai lu votre message avec attention et j’ai sorti vos présents un à un. Votre regard, comme vous vous en doutiez, n’était pas le premier. Le vôtre a eu ce je ne sais quoi de particulièrement touchant. Associé à votre pensée, il en est devenu troublant. J’ai alors tenté de les séparer l’un de l’autre, mais ils perdaient de leur sens, chacun de leur côté. Enfin, votre douceur… elle était fondante comme du chocolat fin au palais et aux papilles. Je me suis délectée de ce présent plus que des deux premiers, que j’ai pourtant précieusement rangés pour préserver leur beauté, comme on cache les fleurs de la lumière pour les faire sécher. On ne pouvait pas m’offrir de plus beaux cadeaux cette année.


C’est ainsi, Monsieur, que par ma main, celle de cet homme a glissé sur ma cuisse, cheminant timidement mais sûrement les courbes de mon corps. De mon lit, je me suis retrouvée dans ce parc, sous cet arbre, sur ce banc. J’ai senti cette main vivante qui remontait ma jambe, effleurant ma peau, jouant avec le tissu de ma robe, narguant mon entrejambe, juste pour voir…


Je vous connais assez d’imagination pour supposer jusqu’où mes rêveries m’ont amenée. Aujourd’hui, je sais de quelles douceurs vous seriez capable. Je comprends mieux aussi vos regards et pensées. J’aurais préféré qu’ils restent un mystère. Avec eux, votre immatérialité se transforme peu à peu en réalité, piquant au vif ma pudeur.


Qui sait, un jour tiède de printemps peut-être, dans ce Parc, non loin de chez moi…