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Temps de lecture estimé : 11 mn
17/03/12
Résumé:  Petit traité sur les apprentis violonistes de la vie et des sentiments.
Critères:  fh vacances voyage portrait humour -humour -articles
Auteur : Limonova      Envoi mini-message

Série : Belle sans seigneur

Chapitre 03
L'homme qui aimait les chattes, le thé et sa mère

– L’homme qui aimait les chattes, le thé et sa mère –




Dans le précédent épisode je mettais en lumière et parfois en valeur la musique, le champagne, les grands espaces habitables, et mon conjoint. Je clos la série par un hommage appuyé et poétique à une personne qui dit m’avoir aimée à la folie, mais de toute façon sa folie était dans tout. Et puis, dixit Patrick Besson, on ne devrait pas dire histoire d’amour, mais simplement histoire, parce qu’arrive toujours un moment où il n’y a plus d’amour. Et c’est parfois le meilleur.







Les chattes, parce qu’il y avait toujours un petit peu de sa maman dedans, le thé, parce qu’il aimait ça et le côté british que cela lui donnait, et quant à sa mère, eh bien il n’y avait qu’à observer le garde-à-vous saint-cyrien dès lors que le numéro de celle-ci s’affichait sur son téléphone.


Elle vient de faire le ménage dans sa salle de bain et a trouvé une trousse rouge électrique contenant deux flacons en plastique, avec quelques gouttes de M7 d’YSL dans l’un et de Serge Noire de Lutens dans l’autre. Elle les balance dans la poubelle. C’étaient les parfums de son ex, du temps où sa peau se les appropriait pour en embaumer chaque parcelle de son corps. Aujourd’hui ce sont des odeurs âcres et vaguement moisies. La faute au temps, et à son odorat.


Il y a quelques années de cela, elle l’attend à l’aéroport, ne l’ayant jamais rencontré auparavant. Quelques échanges épistolaires sur la difficulté d’être ou ne pas être en été, la marque de son dentifrice à lui et la longueur de ses chaussettes. Elle aime les mi-bas pour hommes, et les mollets dépassant d’un ourlet fatigué lui font de la peine. Il en faut peu de nos jours pour se donner l’illusion d’être de grands explorateurs. Alors dès que les mi-bas masquent les mollets quelle que soit la position périlleuse de ces derniers, elle en conçoit une gratitude éplorée. Elle a appris qu’il a un nom et prénom formés de nombreuses consonnes, et très peu de voyelles, ces dernières arborant des trémas nordiques. Ce qui lui a fait dire dans un échange :



Ce pourrait être comme pour les Bernadotte, encore qu’ils n’insistent pas pour s’appeler Jean-Marie, Edgard et Vincent là où ils sont. Elle connaît des gens comme ça, Russes blancs d’origine qui, cent ans après, s’obstinent à prénommer leurs enfants Ivan, Anton, Vladimir, alors que ces derniers sont incapables de dire « da » et de citer deux villes impériales. Elle est plongée dans ses réflexions lorsqu’il surgit sur sa gauche, avec un grand sourire, de soulagement ne nous y trompons pas, de ne pas avoir fait le déplacement pour une boulotte lunettée, écartant ses dents carnassières.


Elle est pressée de quitter cet aéroport, n’ayant plus le besoin de lui jurer ses grands dieux que non, pas du tout, elle n’est pas celle qu’il croit et qu’il y a erreur sur la personne. Car il n’est pas mal. Un peu raide, un peu trop mince, un peu trop dégarni, mais pas mal. Elle ne sait pas encore qu’il se trouve merveilleusement beau.


Allez, on y va. La voiture rôtit au soleil, il fait chaud, elle est en short, lui en costume bleu marine sur chemise blanche. Elle se fait l’effet d’une welcome guest à Miami. Climatisation, péage, coup de fil d’une amie : « colis réceptionné ? », et direction Nicole, l’affection immuable de sa vie, une dame approchant les soixante-dix ans, solaire, chaleureuse, et prête à offrir son toit, sans en demander la raison. En arrivant ils croisent son fils, qui lui fait la bise, le sourire et l’œil en coin. Ils ont couché ensemble, mais il y a si longtemps qu’il lui semble qu’elle avait encore de l’acné. Il salue le nouvel arrivant, l’éjecte derechef de son monde de surf, de nuits à la belle étoile et se sauve réparer une roue de VTT.



Les considérations les plus vastes et les moins impliquantes émaillent la conversation, lorsque Nicole se lève et leur annonce qu’elle va au marché.



Elle la regarde partir en souriant, les jambes relevées sur le canapé, lorsque le diablotin d’un bond vient la rejoindre et défait deux boutons de son marcel blanc, le soutien-gorge ensuite, et lui fait cette déclaration inoubliable :



Il les tète aussitôt, comme s’ils recelaient un reste de thé. Elle se demande combien de fois a pu marcher le truc de la phrase idiote et décalée. Mais ça la fait rire. Il embrasse bien, seins, bouche, même si c’est un peu mécanique.


Bon, ça suffit comme ça. Au bout d’un moment la salive est partout, ça colle, c’est poisseux et ça abîme le brushing. Ils ont rendez-vous dans un restaurant de plage avec la fameuse copine. Il pose parfois ses doigts sur les siens dans la voiture, au moment de changer de vitesse. Ils arrivent, la mer, les vagues, le vin blanc tiède, le poisson avec plein de citrons sculptés au gré de la fantaisie et de l’ennui du commis cuisinier.


Elle se lève pour aller aux toilettes. En se lavant les mains, elle regarde son reflet dans le miroir et se doute que ce type va être son type. Elle revient, sous les regards des consommateurs de crustacés et elle en a assez de la mer, des vagues, des moucherons dans son vin blanc, certains cristallisés dans les glaçons censés le rafraîchir.


Ils reprennent la route. Il reçoit un appel, où elle perçoit un ton acariâtre qui lui demande « à quelle heure que par hasard pouvait-on espérer sa venue ». Elle regarde droit devant elle, se retenant pour ne pas pouffer, tandis que lui marmonne des chérie, vol raté, client chiant, la petite va bien, oui ?, ah super elle a mangé, ça c’est vraiment une bonne chose, tu me manques, si tu savais, comme après deux heures sans toi, etc. « Daphné », dit-il en raccrochant. La maman de la petite qui a super bien mangé aujourd’hui. Il lui semble subitement que ce garçon aime être malmené, ou aime l’autorité.


Arrivés chez Nicole, « goûthé ». Ensuite elle ne se souvient plus, y a-t-il eu dîner ou pas, peu importe, chambre au fond du jardin, et dans les toilettes encore plus au fond, elle découvre qu’elle a ses règles. Elle l’en informe, il s’en fout, pas elle, et après essorage de ses seins, il faut bien essorer son sexe, et elle se retrouve les mains jointes, mimant un vagin dans lequel il promène sa queue. Elle n’a jamais rien connu d’aussi drôle et aussi éloigné de l’acte amoureux. Pour atténuer la monotonie du procédé, elle resserre parfois les paumes. L’humanité compte enfin un orgasme de plus.

Le lendemain, elle le redépose à l’aéroport. À bientôt.


Elle a eu une relation d’un an avec cet homme. Il la faisait rire, aimait le cachemire, encore plus lorsqu’il venait d’elle, était horriblement snob, mais n’avait pas saisi toutes les nuances du concept, car snob avec les petites gens. Il l’a emmenée dans des endroits qu’elle n’a pas aimés, comme le Murat, le Bon et des machins sinistres du 16e. Elle l’a initié à son univers littéraire, musical, cinématographique, gastronomique. Ils ont quinze mois de différence, elle est l’aînée, et du fait des galaxies qui la séparent financièrement, humainement et moralement des femelles constituant son vivier, il s’est mis dans la peau, involontairement ou pas, d’une sorte d’escort boy. C’est un brave béotien dans son genre. Un soir il lui a annoncé qu’il quittait la mère de sa fille, elle l’a félicité pour son courage et a enchaîné avec l’impossibilité pour elle de lui rendre la pareille. Il a eu une mimique étonnée, du genre de celle qu’ont eu les contemporains de Copernic en leur temps.


Ils s’écrivent beaucoup, s’aiment autant, et un jour il lui organise la visite de son nouveau logement. Très belle adresse, se dit-elle en descendant du taxi. Mais nulle trace de son nom sur l’interphone principal. En fait, il est voisin de Madame Da Silva, la logeuse, un peu sur le côté de l’immeuble, « qu’el n’est pas là moussieu, mais el va arrriver dou soupermarché ». Moussieu arrive, et en rentrant chez lui elle a envie de pleurer. Le soir elle se cogne contre toutes les parois de la douche, tellement c’est étriqué, prend une serviette au hasard et se met au lit en imaginant cette vie tous les jours. Tout marche par deux chez cet homme, les enfants, les pensions, les droits de garde. Elle mettrait sa main à couper qu’il n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin et que deux ou trois autres histoires avec enfants, séparations et crédits supplémentaires le raviraient.


Lui pendant ce temps joue une comédie très subtile qui consiste à se forger un personnage détaché des femmes, tellement qu’il aurait presque du mal à faire la différence entre Michel Simon et Elle MacPherson. Du coup il fait son germanopratin, des Duras à la main seul aux terrasses des cafés et l’air enjoué de Benjamin Biolay. Ça c’est la soupe qu’il lui sert.


Dans la rue, ils renvoient une image assez flatteuse, et il ne se lasse pas de le remarquer. Ils se disputent, sur le nombre de ses amants, sur des broutilles, comme le jour où, la prenant pour une coursière, il l’envoie chercher chez Mariage Frères un thé quelconque. Elle n’a pas que ça à faire, mais fait semblant d’avoir cherché sans trouver et il lui dit « franchement t’es pas douée ». Elle s’en félicite intérieurement et l’envoie promener. Elle commence à se rendre compte qu’elle ne connaît aucun de ses amis, ni fréquentations, à part l’ours polaire qui lui tient lieu de frère. Un jour elle lui dépose un disque, et tombe nez-à-nez avec sa fille de trois ans environ, assise en train de mâchouiller des coquillettes à l’eau et au beurre, mmmm. Elle sent que la petite a envie de faire sa peste : c’est son papa, c’est qui cette dame, doivent se bousculer dans sa tête. Mais elle sent également que la dame n’est pas du genre à s’extasier sur les pestes et encore moins faire des guili-guilis. Alors elle observe. La dame se dit que les enfants c’est bien, mais encore mieux lorsque ce sont les siens.


Un soir ils sont au lit, elle lui montre un site de récits où les bébés rêvent, et où la série d’un certain Julien, si sa mémoire est bonne l’a particulièrement marquée. Elle ne sait pas encore qu’elle vient d’embellir l’existence de son amant, ses heures perdues, celles qu’il perdra encore, bref que l’envergure qu’il recherche désespérément de tout son être, est là, dans ce site sur lequel sa vie se passe désormais, entre thés, maman, et auteures qu’il place et replace dans des restaurants de front de mer.


Leur relation se délite, ils s’ennuient, il n’a jamais rien à proposer, commence à glisser des évocations de soirées fréquentées entre amis, associés, dont elle n’a que foutre, pour être franche, puisqu’elle ne les connaît pas. Elle imagine les vilaines tables, la vilaine vaisselle, ce parisianisme laborieux et dépareillé, fait de petites phrases sur « Oh lla lla lla, ça c’est du lourd mon grand, hé l’autre, ça tient les neuf trous dimanche, Sidonie ne baise plus ou si, Félicie aussi etc.. »


Il adore donc les enfants, au même titre que le thé, sa mère et baiser. Il adore les faire. Ce qui donne lieu un soir lors d’une relation sexuelle, à un dialogue comique, alors qu’il peine à jouir, faisant appel à toutes ses ressources protestantes, pornographiques, et géographiques. Et comme rien ne vient, vient cette phrase :



Elle le regarde et lui suggère que ce n’est pas une bonne idée.



Il a parfois des illuminations, qu’il ressert à volonté, comme elle a pu le constater, qui consistent à vouloir que l’objet de son amusement du moment soit « exsangue, au bord du gouffre, pour pouvoir te ramener à la vie et à moi, rien qu’à moi, te soigner tel l’oisillon blessé que tu es », car il y a quelque chose de raélien en lui. Il a décrété qu’elle était une femme d’âge mûr, oui, évidemment, puisque sa mère à elle ne la convoque plus pour le dîner du jeudi soir, qu’elle ne lui rappelle pas que c’est l’heure d’appeler les enfants, ou bien qu’elle est sa mère et qu’à ce titre la France est en danger si sa fille lui cache une troisième tasse de thé le matin.


Tout ceci prend fin un été, il y a trois ou quatre ans. À Saint-Jean-Cap-Ferrat. Décor idyllique, literie merdique, il nage souvent dans la mer, elle regarde les yachts, a envie d’en louer un, mais il ferait trop moussaillon dedans, va au village respirer un peu, et appeler les siens. Ils visitent des jardins, il cache son ennui, elle cache son ventre boudiné par les règles, oui, elle sait, elle a ses règles tout le temps avec lui, ou presque, les balades sont à couper le souffle, il les fait avec des chaussures en daim marron merveilleusement inappropriées, mais ça y est, elle sait qu’il est bizarre. Leurs univers sont en pleine expansion.


À un déjeuner, il la prend en photo, et s’arrange pour prendre en photo également pour commencer, et peut-être tout court ensuite, une blonde qu’elle n’a pas remarquée. Ils n’ont absolument pas les mêmes goûts.


De retour dans la chambre, il la baise comme une poupée gonflable sur une housse en plastique de dressing, à cause des règles, elle ne pense qu’au bruit du sommier. Bon, c’est l’heure des chichis à la boulangerie, elle n’en peut plus de lui. Trois jours c’est énorme. Quand elle revient, elle le retrouve « médusé ». Quelques méduses lui ont réglé son compte. Pommade, compresses, c’est presque la fin des vacances. N’oublions pas un petit « quickie » en guise d’adieu, qui les fait rire tous les deux. Il lui murmure à l’oreille « tu sais mon amour, où que je sois, quoi que je fasse, quel que je sois, je suis à toi pour toujours, ne l’oublie pas ».


Le lendemain l’avion. Trois jours après une lettre de rupture, il adore écrire, ça lui fait plaisir, alors elle laisse faire. Il lui apprend qu’il ne lui a jamais été fidèle et ce, dès leur première rencontre. Elle apprend qu’elle est méchante, qu’elle n’a pas voulu venir avec lui (où ça ? tenir compagnie à Madame Da Silva ?), il a couché aussi avec Anouchka Glacée, tu sais, la fille qui écrit bien avec presque pas de cul dans ses récits, « un peu barge mais qui se croit équilibrée », Valérie la banquière de 1,80 m, il a essayé, il n’a pas pu, la serveuse tunisienne de sa gargote habituelle, etc. etc.


Ils se revoient un an après dans un café, il lui mordille l’oreille, elle pense que son brushing va encore y passer, sont censés recoucher ensemble, vont à l’hôtel, elle lui demande s’il a des préservatifs, il dit non, et manifestement le concept lui est aussi étranger que le sexe tantrique, alors elle dit qu’il ne se passera rien, elle a son attestation d’absence de besoin de trithérapie délivrée par l’Hôpital Américain et elle y tient, ça y est, il grogne, il a chaud, il a froid, il mange une salade César du room service, engloutit ses Suchard au lait, elle regarde ce parfait inconnu et elle lui dit gentiment qu’il peut continuer la soirée où bon lui semble.


Il aura été sa plus belle illustration de la phrase de Céline sur l’amour, l’infini et les caniches.