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23/03/12
Résumé:  Charlotte et Rignac, les héros de "La femme à l'Ombrelle" se découvrent en partant sur les traces de Pierre Desbois, un soldat des guerres napoléoniennes, ancêtre de Rignac.
Critères:  fh fbi hplusag uniforme campagne voyage amour cunnilingu aventure -historiqu
Auteur : Margeride            Envoi mini-message

Série : Brises de Mer

Chapitre 02
Le cavalier de l'Empereur

– Le cavalier de l’Empereur –



Le capitaine de vaisseau Rignac a mis fin à une brillante carrière d’officier de marine qui ne correspondait plus à ses rêves de jeunesse. Esthète, habité par ses souvenirs, il mène une vie confortable mais assez solitaire. Par une fin d’après-midi pluvieuse, il rencontre dans un bar de Saint-Germain-des-Prés une jeune femme, Charlotte, qui évoque pour lui un tableau de Monet « la femme à l’Ombrelle ». Portés par une attirance réciproque qui les inquiète et les fascine, ces deux êtres entament une liaison passionnée. Après une première nuit d’amour, Charlotte découvre que son amant est le descendant d’un ancien paysan de la région de la Margeride devenu général d’Empire.




I



Perdue quelque part entre la Lozère, la Haute-Loire et le Cantal, la Margeride est un havre de verdure. C’est un endroit de rêve pour « bobos » épris de tourisme vert. Mais à la fin du XVIIIe siècle, la Margeride, c’est le bout du monde : un pays âpre, des vallées encaissées, des forêts de pins et de hêtres, des landes à peine égayées par quelques genêts.


L’hiver un froid sec, glacial, vous pénètre. Lorsque le vent se déchaîne, on se sent abandonné dans un paysage figé de Jugement Dernier. Il n’est pas rare, vers le mois de février que le thermomètre descende autour de — 30°. Parfois, la neige survient dès septembre et ne repart qu’en mai. C’est un pays qui forge le caractère. Un pays beau, mais d’une beauté sauvage, qui se mérite. Les villages sont isolés. Çà et là quelques fermes apparaissent au détour d’un bosquet. Les chemins carrossables sont rares, on est loin de tout.


Les paysans ne sont ni très prospères, ni misérables, ils vivotent. On élève des moutons et parfois quelques vaches ou un cochon dont la viande salée vient améliorer l’ordinaire des jours de fête. Il y a seulement une trentaine d’années que la Bête du Gévaudan a fini de hanter ces lieux, mais son souvenir est toujours là. Le soir, on ferme soigneusement les portes des maisons et on évite d’évoquer ces jours de terreur. Les rares fois où l’on ose en parler, on dit seulement « La Bête », et les femmes se signent en entendant ces mots. Beaucoup sont encore persuadés qu’elle n’était pas un animal mais une créature venue de l’Enfer, un châtiment divin annonçant l’Apocalypse.


En cette fin d’après-midi de novembre 1798, un homme avance d’un pas résolu sur un chemin creux, au milieu d’un paysage sibérien. Il est chaudement vêtu d’une veste en peau de mouton, le bonnet enfoncé jusqu’aux yeux. Il s’aide, pour avancer dans la neige compacte qui recouvre le sol gelé, d’un solide bâton ferré. C’est Pierre Desbois. Il n’a que seize ans mais c’est déjà un colosse. Quelles que soient les rigueurs météorologiques, dès que les travaux de la ferme de ses grands-parents lui laissent quelques loisirs, il aime parcourir les landes et les forêts. Il est sans doute le seul de tout le pays qui regrette de n’avoir pas vécu au temps de « La Bête ». « Pour sûr je l’aurais tuée et tout seul encore, cette charogne » a-t-il lancé un jour en entendant un vieux du village en parler. Dans la bouche de tout autre, ces mots auraient suscité des railleries, mais Pierre, lui, on le prend au sérieux. C’est vrai qu’il n’avait que 14 ans lorsqu’un loup a tenté d’attaquer l’une de ses bêtes, un de ces jolis veaux de l’Aubrac qui font la fierté de son grand-père. Il n’a pas hésité un instant : grondant comme un ours, il s’est jeté sur le fauve et, armé d’une grosse branche, il l’a mis en fuite, au prix d’une belle estafilade sur le bras.


Si Pierre se hâte en cette fin de journée, ce n’est sûrement pas par crainte, il ne craint personne, ni homme, ni animal. Ce n’est pas non plus pour retrouver les jeunes du village, il les trouve ennuyeux. Ce n’est pas même pour conter fleurette à une belle car, lui qui n’a peur de rien, est plutôt emprunté à la vue d’un corsage. Il dépasse les premières maisons du hameau, aux toits couverts de neige, et frappe à la porte d’un bâtiment collé à l’église. Après quelques instants, un homme apparaît.


Grand, mince, d’aspect austère, il porte une soutane usée, mais ses yeux brillants de bonté démentent son aspect sévère. C’est l’abbé Dosière, le curé de Rignac. Malgré les quelque quarante années qui les séparent, le jeune paysan voue une admiration profonde au vieux prêtre. Fils cadet d’une famille de petite noblesse de l’Artois, ancien aumônier du régiment de Bourbonnais, Dosière est un vétéran de la guerre d’indépendance américaine, cette guerre qui va changer le monde, même si nul ne le sait encore.


Sans jamais porter d’arme, il a traversé les combats, animé d’un courage tranquille qui impressionnait les soldats les plus aguerris. Inlassablement, indifférent au feu, il parcourait les champs de bataille, apportant un peu de réconfort aux blessés et aux mourants. À Yorktown, où s’est jouée la naissance de la jeune nation, il a secouru le marquis de Laval, colonel de son régiment, qui se trouvait en fâcheuse posture après avoir été désarçonné. Sa conduite lui a valu de recevoir le ruban rouge de la Croix de Saint-Louis des mains du comte de Rochambeau.


Dosière est un humaniste, comme le marquis de Laval il est franc-maçon mais, à la différence de celui-ci, farouchement conservateur, il est épris des idées des Lumières et se montre d’abord enthousiaste lorsqu’éclate la Révolution Française. Il rêve d’une monarchie libérale, d’une société telle que l’imaginent ces Encyclopédistes qu’il admire. Mais l’exécution du roi et surtout celle de la reine ébranlent ses convictions. L’horreur des guerres de Vendée, le climat de haine qui règne dans le Paris de la Terreur achèvent de le dégoûter.


Il quitte ce tumulte, échappant probablement ainsi à la guillotine, pour devenir simple curé de campagne dans ce village perdu au milieu de rien où il apprendra la chute de la Convention et la mort de Robespierre. Évoquant l’homme qui fit trembler la France, Dosière dira un jour à Pierre :



Dosière s’est vite aperçu que sous des airs patauds, le jeune Desbois a l’esprit vif. Tout intéresse ce garçon qui passe des heures à l’interroger sur l’Amérique, Georges Washington, Lafayette, les philosophes, la Révolution… Pierre a soif d’apprendre, de comprendre. Il s’imagine parcourant l’immensité du Nouveau Monde, il se voit trappeur affrontant des animaux fantastiques et vivant parmi ces indiens qui le fascinent. L’abbé lui apprend à lire, à écrire et à compter. Il pense faire de lui un prêtre, pourquoi pas un missionnaire, mais Pierre a d’autres rêves.


Depuis l’enfance, la passion de Pierre ce sont les chevaux. Bien sûr, pour un simple paysan, posséder un cheval de selle est un rêve inaccessible. À Rignac, seul Monsieur Jeanlin, un gros négociant en bestiaux qui vit ordinairement à Mende et vient passer les beaux jours dans sa propriété, non loin de la ferme des grands-parents de Pierre, en possède trois. Pierre pourrait passer des heures à les regarder paître tranquillement puis, sans raison, piquer un galop, s’agaçant l’un, l’autre de coups de dents et de sabots. Au printemps dernier, il s’est enhardi jusqu’à franchir les barrières du domaine Jeanlin pour tenter de toucher les animaux. Au début, il n’a pu les approcher. Dès qu’il s’avançait à leur rencontre, les chevaux s’enfuyaient en secouant leurs crinières, lui jetant des regards à la dérobée, comme pour le narguer.


Mais Pierre est patient et, au fil des jours, les bêtes se sont habituées à sa présence, surtout une pouliche à la robe d’un joli gris brun. Il apprendra plus tard que cette couleur se nomme « louvet ». Il n’oubliera jamais la sensation du souffle chaud de l’animal reniflant sa main et la douceur de son museau la première fois qu’il l’a caressé. Un matin, n’y tenant plus, il a enfourché sa nouvelle amie. L’expérience a été rude, quelques cabrioles et il s’est retrouvé à terre mais, malgré les contusions, il n’a pas renoncé. Avec ténacité, il est remonté sur le dos de la pouliche pour chuter de nouveau. Petit à petit, il a pu tenir en selle plus longtemps et, un jour, après bien des échecs et bien des bleus, l’animal l’a accepté. Il a appris d’instinct à le diriger à l’aide de ses seules jambes. Lorsque la neige est revenue, en octobre, renvoyant les chevaux à l’abri des écuries, Pierre était devenu un excellent cavalier, un de ces hommes qui paraissent faire corps avec leur monture.



Charlotte, allongée sur le lit, avait enfilé, sans la boutonner, une chemise blanche prise dans la penderie de son amant. Son menton volontaire posé au creux des mains, elle écoutait, l’esprit vagabondant vers des lieux et des temps disparus.


« Dieu qu’elle est belle », songea Rignac.



C’était, tu vois, une blonde vénitienne légèrement frisée, le teint pâle, les lèvres gourmandes. Sur le tableau elle porte une de ces robes de style antique, un peu transparente, qui étaient à la mode sous le Directoire. Elle est à demi allongée, sur un divan, la robe dévoilant les mollets, elle a les pieds nus, ce qui était très osé pour l’époque. Quand j’étais adolescent, ma mère m’emmenait souvent au musée, ce qui était très ennuyeux, mais Dieu que j’ai pu fantasmer en pensant à ce tableau ! Ce corps que le pinceau de l’artiste laissait deviner sous le voile de tissu vaporeux… On apercevait le bourgeon d’un sein nerveux, comme recouvert d’une sorte de brume.



Charlotte avait ôté la chemise.


Il se plaça derrière elle et écarta les cheveux de la jeune femme, posant les lèvres sur sa nuque. Ses mains remontèrent de son ventre à sa poitrine, massant tendrement les seins ronds. Puis il l’allongea et, de la pointe de la langue, il se mit à suivre la courbe de sa colonne vertébrale, provoquant de délicieux frissons. Sa bouche s’attarda sur les rondeurs de la croupe ferme de Charlotte. D’un doigt, il massa longuement le haut du sillon des fesses, s’aventurant de plus en plus bas. Charlotte se retourna…



En riant, elle saisit Rignac par le cou et attira son visage sur la toison fine de son pubis. Il l’embrassa longuement sur le mont de Vénus, puis sa langue descendit vers la fente inondée de son sexe. Il s’efforçait de faire durer le plaisir, s’approchant du clitoris puis s’en éloignant, pour s’en approcher de nouveau. Tantôt sa langue se faisait dure, comme pour la pénétrer, tantôt plus câline pour effleurer ses lèvres intimes. La jeune femme ondulait sur le lit, les bras en croix, le souffle court. Du pied, elle réussit à faire tomber la serviette de bain qui ceignait les reins de Rignac et entreprit, de l’exciter du bout de ses ravissants orteils. Lorsqu’elle vint, en une longue plainte, il resta un long moment la joue posée sur l’entrecuisse de Charlotte.



Il sourit, il se sentait terriblement excité et en même temps empli de tendresse.



Il disparut dans la salle de bain et ressortit douché, rasé de frais, vêtu d’un costume de flanelle grise, taillé dans un tissu épais. Charlotte remarqua le mouchoir blanc glissé dans la poche, à la Cary Grant.





II



La pluie de ces derniers jours avait fait place à un froid sec. Charlotte marchait, un peu au hasard, les joues fouettées par l’air glacial. Elle avait hésité après le départ de Rignac, tentée qu’elle était de l’attendre dans ce vaste appartement feutré et élégant où elle se sentait bien, presque trop bien. Car cette envie même l’inquiétait. En partant, elle lui avait seulement laissé un mot, sur un de ses bristols bleu pastel : « Je ne peux pas rester, je t’appellerai. C. ».


Tout était allé trop vite, il lui semblait que sa vie s’emballait, elle avait besoin de se retrouver avec elle-même, de faire le point. Une longue promenade dans les rues de Paris allait l’aider à se vider la tête, à retrouver un peu de lucidité. Des sentiments mêlés traversaient son esprit, l’attirance, oh oui, l’attirance mais aussi l’angoisse d’être déçue, encore déçue…


Charlotte était née à la Ciotat, une petite ville populaire, pas très loin de Marseille. En ouvrant la fenêtre de sa chambre, au troisième étage d’un immeuble juste derrière le port, elle pouvait voir les installations des chantiers navals qui, jadis, avaient fait la prospérité de la ville et de ses habitants. C’était dans ces chantiers que Karel, son grand-père, avait trouvé du travail après avoir fui sa Tchécoslovaquie au mois de janvier de 1938, lorsque les bottes nazies se faisaient menaçantes autour de Prague. Quelques semaines de plus et il n’aurait sans doute pas réussi à traverser l’Autriche annexée au Reich. Enfin, après maintes péripéties, il avait atteint les bords de la Méditerranée pour participer, ironie de l’histoire, à la construction du « Maréchal Pétain », qui devait être le bateau de croisière le plus luxueux de son temps mais finira au fond de la baie de la Grenade un jour de 1961 après avoir été rebaptisé « La Marseillaise ».


Charlotte adorait son grand-père, un bel homme, toujours souriant, qui portait la casquette comme personne. Il lui faisait penser à Gabin dans « La bête humaine ». Il appartenait à ce monde aujourd’hui disparu de « l’aristocratie ouvrière ». Militant communiste de cœur, il avait, bien sûr, été ébranlé par le Printemps de Prague mais n’avait jamais renoncé aux idéaux qu’il s’était forgés au cours des années sombres de l’occupation.



Et puis aussi peut-être aussi parce que le vieux Karel symbolisait l’une des périodes les plus heureuse de sa vie, lorsqu’adolescente farouche à la beauté naissante, elle faisait tourner les têtes des garçons de son lycée. Elle songeait à ces moments de sensualité délicieuse, au mois de juin, avant qu’arrivent les estivants, lorsqu’elle allait se baigner nue dans les calanques avant d’offrir au soleil son corps bronzé. Elle avait l’impression de faire l’amour avec l’air vif des brises marines. Et puis il y avait eu la fac à Aix et la rencontre avec son futur mari… Ça, c’était moins drôle…


Elle marcha, marcha encore, perdue dans sa rêverie. En passant devant le Musée Grévin, elle fut tentée d’entrer mais elle poursuivit son chemin. Elle s’arrêta à la boutique de la Comédie Française, où elle aimait flâner pour se plonger dans l’ambiance du théâtre, elle adorait le théâtre. Elle resta assez longtemps à regarder la Pyramide du Louvres en songeant à l’histoire complètement folle qu’elle avait racontée à Rignac la veille, sur la péniche. Elle commençait à ne plus sentir ses jambes : la fatigue et le froid. Elle décida de rentrer chez elle. Mais, en passant place de l’Odéon, elle prit une autre direction.




III



Lorsqu’elle entra dans la salle presque vide du Grand Bara, seul un vieux au visage ridé comme un fruit desséché, sirotait un verre de vin assis seul près de la porte. Il avait un regard d’un bleu délavé incroyablement intense. Oudinot, debout derrière son bar lisait le journal, elle remarqua qu’il portait des lunettes rondes posées sur le bout de son nez, ce qu’elle trouva amusant. Il sourit en la reconnaissant.



Sans lui demander son avis, il lui servit un porto.



Il se tourna vers le vieux qui, perdu dans ses songes, semblait fixer un point sur le mur sans le voir.



La voix était étonnamment forte, avec un accent alsacien marqué. Charlotte trouva étrange qu’une telle voix puisse sortir d’un corps d’apparence aussi frêle.



Ils passèrent dans une petite salle derrière le comptoir, meublée comme un salon anglais, les murs étaient tendus de velours vert, avec pour seule décoration une photo en noir et blanc encadrée : Un homme, en treillis, coiffé d’un béret de parachutiste, la poitrine couverte de médailles, le visage émacié projeté vers l’avant comme le bec d’un oiseau de proie, avec cette dédicace « Le général Bigeard à l’adjudant-chef Oudinot, en souvenir de leur rencontre. Paris le 14 juillet 1997. Marcel Bigeard ».



Alors, quand ils ont compris que cette promesse ils la tiendraient jamais, les meilleurs se sont fait tuer ou se sont révoltés et puis les autres, eh bien, ils avaient une carrière, une famille, des traites à payer… Il y a eu le putsch. J’étais tout jeune légionnaire et j’y serais allé comme les autres, on voulait tout foutre en l’air. C’est le commandant Cabiro, le patron de mon régiment, le 2° REP, qui m’a évité cette connerie. Il m’a expédié en permission : « On ne discute pas Oudinot, c’est un ordre !… » Je pense qu’il trouvait que j’étais trop jeune pour la taule, il devait le savoir que c’était une connerie, une connerie héroïque, mais une connerie quand même. Tu sais, j’avais pas encore tout à fait 18 ans, j’avais triché pour m’engager. C’est en débarquant à Marseille que j’ai appris que l’armée s’était révoltée en Algérie. C’était un bordel ! Des CRS partout, les cocos, les syndicats, tous pensaient que les paras allaient renverser le gouvernement.

Et puis de Gaulle à la radio, la statue du Commandeur et tout est rentré dans l’ordre. De Gaulle, ce que j’ai pu le haïr à l’époque ! Mais maintenant je sais qu’il avait raison, je me suis calmé tu vois… Alors pourquoi je te raconte ça ? Bon, le commandant, il a pas connu tout ce merdier, trop jeune, il fait partie de ceux qui sont arrivés après, l’armée moderne. Mais tu vois, les officiers de sa génération, on les a vu se pointer tout proprets, bien instruits, plus à l’aise dans une conférence que dans la boue. Ils venaient là pour faire carrière, comme ils auraient été à la SNCF ou dans une banque. Mais pas lui. Lui, il était différent, il venait poursuivre un rêve. La première fois où je l’ai vu, tu sais ce que je me suis dit ? Eh bien, je me suis dit « Oh putain le con » !


Charlotte étouffa un rire.



Alors il a passé tous les examens pour commander des bateaux. Il avait pas 40 ans et déjà cinq galons ! Ça te dit rien mais c’est plutôt fortiche et là, alors qu’il allait être nommé à l’État-major de la Marine qu’est-ce qu’il fait ? Il part ! Mais le problème c’est qu’aujourd’hui, il vit seulement dans ses rêves, c’est en train de le vieillir avant l’âge. Il a quoi, 46 ou 47, maintenant ? Tu vois l’autre jour, quand il t’a aperçue, j’ai eu l’impression que ça lui faisait un choc, je crois que je l’avais jamais vu comme ça. Oh, c’est pas un moine. Tu sais, pour nous c’était une fille dans chaque garnison, enfin pour lui dans chaque port, et il avait du succès, le bougre !



Oudinot la regarda, son visage souriant était soudain devenu grave.





IV




Charlotte était rentrée chez elle. Elle s’était installée sur le canapé et tout d’un coup, elle avait attrapé le téléphone. Elle voulait être près de lui, tant pis, elle ne voulait pas passer à côté de ça, quitte à souffrir encore, à souffrir à en crever. Elle avait lâché ces trois mots comme on lance une bouée de sauvetage. En entendant sa voix, tout l’agacement que Rignac avait ressenti en apprenant qu’elle s’était volatilisée, avait disparu.



En raccrochant, Charlotte s’était sentie comme sur un nuage. Maintenant, elle savait ce qu’elle voulait. Elle avait besoin d’être avec cet homme dont la vie était tellement éloignée de la sienne, mais qui lui semblait faire partie d’elle. D’être avec lui, pour une heure ou pour la vie.


Rignac sonna. Elle ouvrit si vite qu’il se demanda un instant si elle n’attendait pas derrière la porte. Elle s’était changée : un jean un peu usé, épousant ses longues jambes avec cette douceur que prend le coton épais lorsqu’il a beaucoup été porté, les cheveux dénoués, les pieds nus. Rignac ressentit un véritable coup de cœur. Dans cette tenue si simple, elle lui semblait peut-être encore plus belle. Un instant après, Charlotte se pelotonnait dans les bras solides de son amant, de son compagnon ? Qui sait ?



Il y a comme une sorte de magie, lorsque l’on passe la porte d’Italie et que, tout d’un coup, l’avenue de Fontainebleau se transforme en Nationale 7. « Nationale 7 », un parfum de vacances un peu désuet, on imagine des voitures décapotées filant entre des rangées de platanes. Il y a comme un zeste de Belle-Époque, lorsque l’on prend ainsi, par le chemin des écoliers, la direction du sud.


Mais affronter les routes de la Margeride en hiver avec la Bentley aurait relevé de la gageure. C’est donc à bord d’un Range Rover, l’un des tous premiers modèles, affichant gaillardement ses vingt ans, qu’ils filaient dans l’atmosphère un peu cotonneuse de cette nuit d’hiver. Rignac conduisait en souplesse, sans brutaliser les deux tonnes du vénérable engin, propulsé allègrement par son énorme moteur huit cylindres à la consommation gargantuesque. Sur une longue ligne droite longeant la Loire, brillante comme un miroir, ils firent frissonner un radar de la maréchaussée. Mais les pandores n’insistèrent pas en remarquant, négligemment rangée à côté du permis de conduire, sa carte d’officier.


Ils roulaient depuis trois heures environ, lorsqu’ils atteignirent la petite ville de Cosne-Cours-sur-Loire. Ils décidèrent de passer la nuit dans une auberge confortable, au centre du village, une de ces auberges au style un peu désuet où l’on a envie de se laisser vivre. Leur chambre, meublée dans un style campagnard sentait bon la cire et le linge frais. Le lit, un peu étroit, était recouvert d’un de ces édredons épais, sous lesquels il est tellement délicieux de se glisser lorsqu’il fait froid au dehors. Ils avaient faim. En descendant à la salle à manger, Rignac montra à Charlotte une plaque en cuivre vissée au-dessus de la porte :


« Le Général Desbois, Baron de Rignac, Aide de Camp de l’Empereur a passé la nuit ici le 18 mars 1815. »





V



Il devait être trois heures du matin lorsque Pierre fut éveillé par le bruit d’une galopade. Il s’extirpa de sous sa couverture et vit que l’on avait ravivé le feu près du bivouac de l’état-major du régiment. Enveloppé dans un manteau, coiffé d’un bonnet de police, Le colonel Dornès qui venait de remplacer le colonel Belfort, à la tête du 12ème régiment de cuirassiers, était en grande conversation avec les deux chefs d’escadrons et un officier supérieur que son pantalon rouge désignait comme l’un des aides de camp du maréchal Berthier, major-général de la Grande Armée. Quelques instants plus tard, le trompette-major, Valcogne, arriva au pas de course, vêtu d’une simple chemise malgré le froid mordant. Dornès lui donna un ordre que Pierre ne comprit pas et Valcogne emboucha son instrument pour sonner le réveil.


Comme par magie, le camp endormi s’anima, les commandants de compagnie se précipitèrent vers le colonel pour prendre les ordres. Les sous-officiers houspillaient les hommes occupés à rajuster leurs habits, accrocher leurs cuirasses et seller les chevaux. Comme ses camarades, le maréchal des logis Desbois, de la 4ème Compagnie du 12ème régiment de cuirassiers s’activa pour que son peloton soit prêt. Enfin il se passait quelque chose !


Ce qui, quelques instants auparavant, semblait chaotique pris forme. Les cavaliers s’alignaient par compagnie, tenant leurs chevaux par la bride. Le général Nansouty, commandant la 1ère division de grosse cavalerie, arriva au trot, flanqué du colonel Dornès et des officiers supérieurs. Malgré le froid et le manque de sommeil, le général avait fière allure, net, rasé, sanglé dans son uniforme bleu nuit à parements d’or. Sa voix puissante retentit dans la nuit :



À ces mots, Pierre sentit son cœur s’emballer. Quatre années bientôt qu’il servait au 12ème régiment de cuirassiers mais il n’avait encore participé à aucun combat. Victime de ses talents de cavalier, il avait été affecté, aussitôt après ses classes, à l’instruction des nouvelles recrues. Comme il savait lire, il était rapidement devenu sous-officier mais il en avait assez de la vie de garnison. Ce qu’il voulait, c’était partir à la conquête de l’Europe. Il repensa à sa déception lorsque, rejoignant son régiment au soir du 2 décembre 1805, quelque part en Moravie, près du village d’Austerlitz, il apprit que l’armée française venait de remporter une immense victoire sur les troupes autrichiennes et russes. Il sentit la colère monter en lui tandis que ses camarades lui racontaient comment ils avaient chargé à quatre reprises mettant en déroute la cavalerie du Prince de Lichtenstein. La veille encore, il avait cru revivre la même mésaventure lorsqu’atteignant les faubourgs de la ville d’Iéna, il avait entendu qu’une grande bataille venait de se dérouler et que les Prussiens fuyaient devant l’armée Impériale.


C’est en entendant parler des campagnes d’Égypte et d’Italie et de ce jeune général corse au drôle de nom, « Buonaparte », qui était devenu maître du Pays, que Pierre avait affirmé sa vocation militaire. L’abbé Dosière avait tenté de l’en dissuader mais devant la résolution du jeune homme, il avait pris le parti de l’aider dans la voie qu’il avait choisie. Pierre se souvenait de cette soirée de la fin de l’été de 1802. Ils étaient tous deux assis dans le jardinet de la cure, buvant du vin doux en bavardant.



L’Abbé était rentré dans la cure et était revenu avec une plume et du papier. Sous la lumière vacillante d’une bougie, il avait écrit ces quelques lignes :



À Monsieur le Général de Division

André Masséna


Mon Bien-Aimé Frère,

Le jeune Pierre Desbois souhaite embrasser la carrière des armes. Il est honnête, brave et instruit. Je le recommande à votre fraternelle bienveillance.

Baisers fraternels.

Abbé Dosière.


Il plia la feuille de papier, la cacheta avec un peu de cire et la remit à Pierre.


Dosière avait bien connu Masséna alors qu’ils fréquentaient tous deux la loge maçonnique « Sainte Caroline » à Paris. Le général, bien qu’en disgrâce suite à la capitulation de Gênes, qui lui avait valu de perdre le commandement de l’armée d’Italie, gardait de l’influence. C’est ainsi que Pierre fut affecté à un régiment d’élite, le 12ème de Cuirassiers et que, chevauchant dans la nuit parmi les 2600 cavaliers de la division Nansouty, il avançait vers son premier combat.


Le martèlement de milliers de sabots, les bruits de voix étouffés, le cliquetis des armes, créaient une ambiance extraordinaire. Parfois, lorsque la lune apparaissait entre les nuages, on discernait des silhouettes un peu fantomatiques. C’était des régiments qui avançaient. Toute la Réserve Générale de cavalerie était sur les traces des débris de l’armée prussienne. Pierre chevauchait juste derrière l’état-major du régiment. Une compagnie ouvrait la route, deux étaient placées en protection sur les flancs pour prévenir toute mauvaise surprise. Il ressentait une intense excitation alors que s’approchait l’heure de vérité, le moment où, pour la première fois, il affronterait un ennemi. Bercé par le pas de son cheval, il repensait à sa visite à Masséna, quatre années auparavant.




V



Le général s’était retiré dans sa propriété de Rueil, que l’on n’appelait pas encore « Rueil-Malmaison », et qui n’était autre que l’ancien château de Richelieu où, dit-on, Louis XIV enfant s’était réfugié pendant la Fronde. Le voyage vers l’Île-de-France fut une véritable expédition, cahots, routes défoncées, courtes nuits dans les écuries des relais de poste. Heureusement, grâce à quelques pièces données par Dosière, Pierre avait pu prendre la diligence. Malgré l’inconfort, ce périple fut pour lui une révélation. Tout ce qu’il voyait lui paraissait extraordinaires : ces villes fières, Clermont-Ferrand, Moulins, Nevers… ces fleuves, l’Allier et la Loire, la Loire surtout qui lui parut si majestueuse. Les forêts, elles aussi, étaient bien différentes de celles de sa Margeride natale, pas de buissons, ni d’arbrisseaux, pas de rocailles mais des arbres immenses, à perte de vue, dont les branches lui faisaient penser à la voûte d’une église. Il se sentait vivre, le monde s’offrait à lui. En découvrant la petite ville de Rueil, vers la fin d’un après-midi, il n’en crut pas ses yeux : elle lui parut si grande avec ses immeubles gigantesques, ses hôtels particuliers au milieu de parcs magnifiques, ce grouillement de gens, de chevaux, de voitures, ces boutiques remplies de richesses, d’étoffes somptueuses, de nourritures étranges, avec ces odeurs inconnues qui lui assaillaient les narines.


Pierre marcha assez longtemps, se faisant parfois bousculer, manquant même d’être renversé par un fiacre. Lorsqu’il découvrit, au bout d’une large avenue l’entrée imposante du château du Val, aujourd’hui disparu, Il hésita un long moment avant d’oser y pénétrer. Il franchit une première grille, puis un petit pont enjambant les douves, puis un portail encore plus grand et plus ouvragé que le premier. Il lui fallut alors traverser une immense cour pavée où se trouvaient des voiture attelées à des chevaux tous splendides et autour desquelles s’affairaient des cochers somptueusement vêtus.


Il arriva devant la porte d’entrée où un majordome, l’air suspicieux, examina la lettre confiée par Dosière. Jetant un regard hautain sur ses habits de paysan, l’homme lui fit signe de le suivre. Ils pénétrèrent dans un hall somptueux, d’un luxe dont Pierre n’aurait pu soupçonner qu’il pût même exister. Statues antiques, tapisseries, toiles de maître, lui sautaient au visage mais, ce qui l’impressionna peut-être le plus, c’était l’extraordinaire sol en marbre dans lequel il pouvait voir son image se refléter. Le majordome lui ordonna d’attendre et alla frapper à une porte.



Son guide pénétra dans la pièce, en prenant soin de refermer la porte, pour revenir un instant après. Il fit signe à Pierre de s’avancer et l’introduisit dans un petit cabinet de travail, richement meublé dont la porte-fenêtre donnait sur le splendide jardin à la française et les célèbres pièces d’eau qui faisaient la renommée du château. Le général était en civil, il portait un habit bleu vif, parfaitement ajusté, coupé dans un tissu moiré comme Pierre n’en avait jamais vu.


L’homme était assez grand, même si Pierre le dépassait d’une tête. Il scruta le jeune paysan d’un regard noir, perçant. Après un moment qui sembla à Pierre une éternité, Masséna se mit à parler d’une voix un peu saccadée, comme s’il essayait par son débit rapide d’évacuer toute l’énergie qui émanait de lui.



Masséna parcourut la lettre.



Masséna frappa le bureau du plat de la main avec une telle violence que Pierre sursauta.



Sa voix se radoucit, la colère était retombée comme elle était venue.



Pierre resta interdit.



Masséna l’entraîna par les corridors jusqu’à une petite salle à manger attenante à l’office. Une fille brune assise près de la fenêtre brodait. Elle était jolie, le teint mat, le regard sombre, les cheveux noirs relevés sur la nuque. Avec sa robe à la mode, parsemée de fleurettes, largement décolletée et nouée juste sous la poitrine, elle sembla à Pierre le comble de l’élégance parisienne. Masséna, la prit familièrement par le cou.



Elle parlait avec un accent un peu chantant que Pierre trouva charmant.



Masséna sortit de la pièce à grands pas, laissant Pierre interdit. Franca le fit asseoir et lui apporta du poulet, du vin et du fromage. En le servant, elle passait tout près de lui, s’arrangeant pour le frôler de la main ou de la hanche. Pierre se sentit tout intimidé, il mangeait de bon appétit sans dire un mot. Franca s’assit face à lui, de l’autre côté de la table, et le regarda, le menton posé sur ses mains croisées. Pierre, de plus en plus gêné, essayait d’éviter de plonger trop ostensiblement son regard dans le décolleté de la fille qui découvrait la naissance d’une poitrine assez menue mais fort aguichante. Franca rompit enfin le silence :



Elle partit d’un éclat de rire frais.





VI



Franca guida Pierre au travers de longs corridors dans une partie du château éloignée des pièces de réception. Ils montèrent un étage et Franca le fit entrer dans un petit appartement à la décoration assez simple mais qui lui parut merveilleusement confortable. Le garçon était épuisé par son voyage et le lit moelleux lui semblait particulièrement attirant.


Franca le prit par la main et l’entraîna dans une pièce où se trouvait une baignoire, Pierre n’en avait jamais vu, habitué à la morsure glaciale des ruisseaux ou au coin de l’évier de la ferme. Il fallut quelque temps pour que Franca remplisse la baignoire à l’aide d’un broc dont elle faisait chauffer le contenu sur un poêle en faïence.



Pierre ôta ses vêtements et se glissa dans l’eau chaude qui faisait rougir sa peau. Il se sentait merveilleusement bien. Il ferma les yeux. Sentant une présence, il les rouvrit et sursauta. Franca était revenue dans la pièce et, assise sur le rebord de la baignoire, l’air espiègle, elle le regardait, fixant particulièrement un certain endroit…


Pierre couvrit de ses mains un membre de jolie taille. Franca éclata de rire.



Sa main plongea dans l’eau et saisit sans hésiter le sexe du jeune homme qui prit aussitôt la consistance de la pierre. Délicatement, elle imprima à la hampe de chair un mouvement de va-et-vient. Sentant qu’il risquait de ne pas résister bien longtemps, elle l’abandonna et sortit de la salle d’eau.



En sortant de la baignoire, Pierre s’aperçut que ses vêtements avaient disparu. Il dissimula son érection sous un linge et, d’une démarche peu assurée, il entra dans la chambre. Toujours vêtue de sa robe, Franca était alanguie sur le lit. Pierre, gêné mais bandant comme un cerf, restait là planté, l’air un peu hébété.


Certes, l’une de ses cousines, une jolie fille un peu boulotte, lui permettait de l’embrasser sur la bouche et, parfois de caresser son intimité, cet endroit mystérieux et humide qui se cachait sous une épaisse toison. Elle l’avait même quelquefois conduit au plaisir dans sa main. Mais ces émois délicieux autant qu’hésitants ne l’avaient pas vraiment préparé à l’entreprenante et sensuelle Franca. Elle lui tendit la main pour l’inciter à la rejoindre. Pierre s’allongea auprès d’elle.


Lorsqu’il se réveilla, au petit matin, il n’aurait su raconter exactement le déroulement de la soirée. Des sensations, des émotions se bousculaient dans sa mémoire dans une chronologie approximative : Franca nue, la douce fermeté de ses petits seins… son audace lorsqu’elle avait pris son membre dressé dans sa bouche, le plaisir extraordinaire qu’il en avait ressenti… la délicatesse de ses baisers… Il l’avait d’abord embrassée goulûment, presque avec voracité, mais patiemment, Franca lui avait appris à rendre ses baisers plus doux, plus tendres. Il y avait eu ce moment où, écartant les cuisses, elle lui avait montré son sexe, délicate fente sombre, bordée d’une fine toison… Elle s’était assise sur lui, guidant son membre gonflé au fond de son ventre, imprimant à leur étreinte un rythme lent. Lorsqu’elle le sentait près de venir, Franca ne bougeait plus. À la fin, elle accéléra la cadence, jetant son bassin à la rencontre du pubis de Pierre. Il se déversa en elle avec volupté.


Pierre resta deux jours durant lesquels ils ne quittèrent guère la chambre. Alors qu’il se préparait pour partir, Franca nue regardait, songeuse, le parc par la fenêtre. Il la prit dans ses bras :



Elle se retourna avec un rire un peu triste.





VII



Rignac et Charlotte étaient seuls dans la salle à manger de l’auberge. Elle avait demandé une tisane, lui réchauffait entre ses doigts un verre d’Armagnac à la belle couleur ambrée.



Rignac but une gorgée d’armagnac et saisit la main de Charlotte. Il adorait ses doigts longs et fins, ses ongles étaient recouverts d’un vernis rouge très sombre, une touche de sophistication dans sa tenue très décontractée.



L’œil de Rignac s’alluma…



Main dans la main, ils montèrent l’escalier étroit qui menait à leur chambre.



Son col roulé gisait au sol, elle le fixait d’un regard espiègle, les bras le long du corps, la poitrine nue offerte.



Elle le poussa contre la porte et tomba à ses genoux. Il y eu le craquement d’une fermeture éclair. Sans hésiter, la jeune femme dénoua la ceinture et abaissa le pantalon dévoilant un membre d’une splendide raideur. Elle le recueillit dans sa bouche avec douceur, enserrant de ses lèvres le gland gonflé, l’agaçant de sa langue. Progressivement, sa caresse se fit plus profonde, elle l’engloutissait aussi loin que possible, montant et descendant de plus en plus vite. Le sentant près du plaisir, elle l’abandonna un instant, frottant le sexe poisseux de salive contre sa joue tandis qu’elle posait ses lèvres sur les testicules tendus. Elle l’amena alors contre sa poitrine, dans le sillon des seins, puis l’effleura de ses mamelons. Enfin, elle l’aspira dans sa bouche, il eut un spasme et le sperme jaillit, de sa main, elle le masturbait pour en extraire la dernière goutte. Elle attendit qu’il ait fini de se répandre pour l’abandonner.





VIII



Le jour se levait lorsque le Régiment fit halte. Comme dans un ballet bien réglé, les sentinelles, mousqueton en main, se placèrent en protection tandis que les hommes mettaient pied à terre et s’occupaient de leurs montures. Un cavalier portant la tenue chamarrée des aides de camp de Murat arriva au grand galop. Quelques instants après la trompette sonna le rappel des officiers et, tout le long de la colonne, on vit se détacher des cavaliers qui se dirigeaient vers l’état-major du colonel Dornès. Le capitaine de Saint-Hellier, commandant la compagnie de Pierre alla, comme les autres, prendre les ordres.


Il revint au bout de quelques minutes et appela le sous-lieutenant Lefranc ainsi que Pierre. Tous deux accoururent :



Pierre chevauchait en tête du petit détachement, aux côtés du sous-lieutenant Lefranc. Ils traversèrent le village de Melligen, on ne voyait pas âme qui vive dans la rue principale. Sans doute effrayés par les combats, les habitants s’étaient barricadés chez eux. Juste avant Taubach, ils obliquèrent au sud-ouest et avancèrent à travers champs en direction d’une colline boisée d’où ils espéraient pouvoir observer la plaine menant à Erfurt.


Alors qu’ils escaladaient la colline, ils aperçurent, un bivouac. On distinguait des silhouettes revêtues de capotes grises.



Il n’eut pas le temps d’en dire plus, une salve venait de blesser deux cuirassiers et de mettre un terme définitif aux rêves de gloire du sous-lieutenant Lefranc. La mort de leur chef ajoutée à la surprise, jeta le trouble chez les cuirassiers qui firent mine de battre en retraite. Mais Pierre réagit avec un sang-froid étonnant pour quelqu’un qui n’avait jamais connu le feu. Tirant son sabre, il se précipita sur l’ennemi, sans même s’assurer que ses hommes le suivaient. Il s’aperçut alors que les Prussiens étaient une bonne cinquantaine, en train de se regrouper. Trop tard pour reculer :



Il renversa deux adversaires et plongea sa lame dans la poitrine d’un troisième. En voyant sa furie, ses hommes se ressaisirent. Ils se lancèrent sur l’ennemi au grand trot, sabre au clair. Le spectacle de ce colosse déchaîné, et de ces cavaliers cuirassés, montés sur d’énormes chevaux, eut raison du moral des Prussiens, déjà bien éprouvé par la bataille de la veille. Un colonel, le bras en écharpe cria à Pierre d’une voix résignée :



Pierre leva son sabre et ses hommes s’arrêtèrent à quelques pas des Prussiens hébétés. Ils avaient le regard vide, l’air épuisé, leurs uniformes étaient maculés de boue, ils avaient dû fuir toute la nuit. Le colonel, s’avança vers Pierre qui le salua :



Tandis que les Prussiens se rassemblaient, surveillés par ses cuirassiers, Pierre ordonna que l’on soigne les blessés et que l’on attache la dépouille du sous-lieutenant Lefranc sur le dos de son cheval. Prenant la lunette de Lefranc, il commença à scruter la plaine. D’abord il ne vit rien. Puis en se concentrant, il aperçut une silhouette, puis plusieurs puis des groupes d’hommes au loin dans la brume, qui marchaient vers l’Ouest. C’était l’armée Prussienne qui refluait en désordre vers la place forte d’Erfurt, tentant d’échapper aux troupes impériales.


Portant le corps de son chef, escortant soixante-trois prisonniers dont un officier de haut rang, le détachement désormais commandé par Pierre se replia en direction des positions françaises. Ils avançaient depuis une demi-heure lorsqu’au débouché d’un bosquet, ils virent une troupe importante arrêtée sur le bord de la route. C’était des fantassins français, par petits groupes, ils se reposaient. Assis sur un rocher, un gros chef de bataillon, l’uniforme maculé de graisse, mordait dans une cuisse de poulet, une bouteille de vin posée à ses pieds. Il avait le crâne dégarni et les bajoues pendantes.


Pierre s’approcha et le salua. L’officier fixa sur lui ses yeux porcins et, d’une voix de fausset, il lui lança :



Pierre sentit la colère monter en lui, ce gros porc voulait lui voler sa victoire. Il sentit derrière lui un frémissement parmi ses cuirassiers et vit que certains avaient mis la main sur leur sabre. Il parvint à garder son sang-froid.



À ce moment-là, il y eu un bruit de galopade. Monté sur un somptueux cheval gris, un lieutenant venait de surgir. Le gros chef de bataillon blêmit car le nouvel arrivant portait l’habit vert, galonné d’argent des officiers d’ordonnance de l’Empereur. Sa voix se fit doucereuse :



Le gros chef de bataillon se décomposa. Malgré la différence de grade, il savait que ses galons ne pèseraient pas lourd face à cet élégant jeune homme qui appartenait à ce corps prestigieux et redouté que l’on surnommait les « yeux de Napoléon ». Un mot de Gougeard auprès du Maître et c’en était fini de sa carrière militaire, voire pire.



Pierre intervint :



Von Chaltz s’approcha de Pierre :



Pierre et Gougeard, partirent d’un galop allègre, laissant le gros commandant digérer son humiliation.



Au débouché d’une colline, les deux compères découvrirent un spectacle extraordinaire. La réserve générale de cavalerie était là, alignée par divisions, prête au départ. À perte de vue, on voyait les régiments : scintillement des cuirasses, hauts bonnets en poil d’ours des carabiniers, habits verts des dragons, tenues chatoyantes des hussards, étendards claquants au vent et, çà et là, les attelages des batteries d’artillerie à cheval. Il s’en dégageait une formidable impression de puissance. Sans dire un mot, Pierre et Gougeard s’arrêtèrent, fascinés par le spectacle.


Mais l’heure n’était pas à la contemplation et, bien vite ils piquèrent des deux en direction d’un carrefour marqué d’un calvaire en pierre. En approchant, Pierre s’aperçut que tous les généraux étaient là, il reconnut Nansouty et aussi Saint-Germain qui commandait sa brigade et il y en avait d’autres dont il ne savait pas les noms. Au milieu, un colosse à la longue crinière noire bouclée était penché sur une table pliante de campagne, scrutant une carte. L’homme portait un habit cramoisi orné de fourrure et rehaussé de somptueux brandebourgs d’or. À son côté pendait un sabre courbe, à l’orientale, dont le fourreau était magnifiquement ouvragé. Sa taille était marquée par la large ceinture d’or et d’argent insigne des maréchaux. C’était Murat.


Gougeard et Pierre se figèrent au garde-à-vous, attendant que le maréchal leur adresse la parole :



Murat l’empoigna par le bras et désigna la table où se trouvait une immense carte.



Pierre s’approcha de la carte et, de son doigt, il indiqua les mouvements de troupe. Jamais il n’avait été aussi heureux des cours de géographie de l’abbé Dosière. Lorsqu’il se releva, Murat le regarda avec un large sourire.



Il sauta en selle. Son cheval, sentant l’excitation de son cavalier se cabra. Murat se tourna vers Gougeard :





IX




Ils avaient repris la route assez tôt bien que la nuit ait été courte. Une neige, fine comme de la poussière, venait saupoudrer le pare-brise du Range Rover. Le soleil commençait à disparaître lorsque, peu après Saint-Chély-D’apcher, ils prirent une route étroite qui serpentait au milieu des bois et des landes. Au détour d’un virage, ils découvrirent dans la lueur des phares une pancarte « Rignac », ils traversèrent le village, quelques maisons grises groupées autour d’une petite église à laquelle était adossée une minuscule cure.



La plupart des maisons étaient noires, une seule d’entre elles était éclairée. Ils parvinrent à une place où se trouvait une mairie, étonnamment grande pour l’endroit et, au milieu d’un massif de buis taillés, une stèle supportant le buste d’un général d’Empire.



En sortant du village, ils prirent sur la droite, une longue descente au milieu des champs. Rignac s’arrêta devant une masse de rochers noirs, qui se détachait sur la neige, au milieu d’une grande clairière. Sous la lumière des phares, Charlotte s’aperçut que le rocher était en fait les ruines d’une grande demeure.



Ils arrivèrent devant une grille. Rignac descendit l’ouvrir et ils découvrirent, dominant une vallée, une vaste demeure, assez basse bien que possédant un étage. Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient éclairées.



Tandis qu’ils se garaient, la porte d’entrée s’ouvrit. Une femme, la trentaine, les cheveux courts, apparut.



Anne s’inclina, non sans quelque ironie dans le regard, et serra la main de Charlotte en la fixant, un peu plus que nécessaire.



Elle avait un nez un peu fort, mais son visage aux traits anguleux, halé par la vie au grand air, était agréable. Charlotte remarqua que, malgré sa tenue très campagnarde : un pantalon de velours passablement élimé et une chemise en laine à carreaux, elle avait un corps splendide.



Bien que Charlotte eût parlé tout doucement, Anne se retourna et lui décocha un sourire prometteur. Charlotte fut persuadée qu’elle avait, sinon entendu, du moins compris de quoi il retournait.