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n° 14875Fiche technique14240 caractères14240
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Temps de lecture estimé : 10 mn
23/03/12
Résumé:  Mathilde prend de la hauteur et vole de ses propres ailes.
Critères:  inconnu collègues médical uniforme danser fête avion voir strip champagne aventure
Auteur : Limonova      Envoi mini-message
Ciao ciao bambina

Mathilde vient de recevoir son planning de vols du mois. Une seule rotation de deux jours au Portugal, le reste est une alternance d’allers-retours et de journées off. Elle est hôtesse de l’air sur moyen-courrier et hésite à passer chef de cabine. Tout a tellement changé, toutes ces grèves, l’ambiance entre collègues, l’impression croissante de travailler dans un car qui volerait, l’inconfort des passagers qui se répercute sur leurs exigences de plus en plus lassantes. Mais en souvenir de l’enthousiasme qui l’anima à ses débuts, elle s’accroche. Combien de temps encore ?


Ce soir, elle est invitée à une soirée. Et demain, elle fait un Paris-Rome, assez tôt le matin. C’est Victoire qui invite, hôtesse (de maison) hors pair. Elle organise de savants mélanges de statuts socio-professionnels hétéroclites qui enchantent l’assemblée. Elle a appelé Mathilde avant-hier :



Mathilde aime bien Virginie, mais aussi les silhouettes cohérentes, et voir cette dernière s’entêter à enfiler des habits au chausse-pied lui fend le cœur.



Victoire ne rate pas une occasion de s’offrir un jeu de mot sur la profession de Mathilde. Ils sont éculés comme Hérode mais Mathilde met un point d’honneur à réagir comme si l’Almanach Vermot s’était mobilisé tout entier.


Elle se prépare. Elle a décidé de s’habiller en célibataire qui compte bien le rester. Blouse avec lavallière, pantalon noir feu de plancher, et mocassins en velours de smoking. Cheveux tirés, zéro bijouterie, et à peine au-dessus de zéro de maquillage. Elle fait un peu hiératique et anti-moustique.


Elle arrive avec deux bouteilles de champagne, une de Deutz pour la compagnie, et l’autre de Cristal Roederer pour elle et Victoire. Elles se la partagent au fond de la cuisine dans des ambiances de conspiration qui finissent en éclats de rire, et parfois bouteille cassée.


Elle est parmi les premiers, et les premiers ne sont pas ceux qu’elle préfère, alors elle se dirige vers la cuisine et décapsule une bière, qu’elle boit au goulot. Le liquide froid coule lentement dans sa gorge puis elle le sent se répandre dans les endroits anesthésiés de son corps. Elle entame un dialogue chaleureux avec la bouteille, puis une autre. Victoire miroite de temps à autre, râle parce qu’il y a des retardataires. Mathilde explique à la seconde bière, qui est son interlocutrice du moment, que demain elle travaille très tôt et que, d’après le règlement, elles ne devraient pas autant copiner.


Des exclamations de joie proviennent du salon et Mathilde s’y rend. On pousse des « Oh » des « Ah » devant la lampe Hervé Van Der Straeten que Victoire a récemment acquise. Mathilde retourne à la cuisine, se réinstalle sur son tabouret et Virginie déboule, tout excitée, en jupe fendue, au départ par le fabricant, puis de plus en plus par le léger embonpoint de cette dernière.



Mathilde attend la suite, qui ne vient pas.



Mathilde se demande si l’expression est heureuse et chronologiquement compatible. Sa copine la bière lui souffle qu’on s’en fout et qu’elles, elles le sont au moins.


Un assez bel homme fait irruption dans la cuisine, dont le visage s’éclaire à la vue de Virginie. Elle se penche vers le four pour l’ouvrir, en retire un plat en sauce qui lui glisse des mains, tombe, éclate et répand de la sauce partout, y compris sur Mathilde. On entend un crac, les deux fentes se sont rejointes, celle de la jupe et celle de Virginie.


Le bel homme complète la découpe de la jupe, sous les gloussements de sa propriétaire. Il glisse un doigt conquérant sous le string et entreprend une dactylographie intime. Mathilde observe la scène et les dégâts sur sa mise. Elle va informer discrètement Victoire qu’elle va en profiter pour rentrer.



Zut, pense Mathilde mais Antoine est déjà là qui fait tinter les clés avec un sourire faussement compatissant.


Sur la route elle pense au champagne, la radio diffuse l’air de Greenfields et des larmes lui montent aux yeux. Antoine est contrarié de la voir dans cet état mais ne dit rien, lui caressant doucement la joue. Antoine est le play-boy de la bande mais il y a un accord tacite entre eux. Ils s’apprécient, mais apprécient davantage leur amitié. Une fois dans l’appartement, elle installe Antoine sur le canapé avec son copain à lui, un double Martini, et va préparer sa valise. Elle met son uniforme, le manteau par-dessus et revient voler la dernière gorgée du verre d’Antoine.



Devant la porte, Antoine la coince :



Retour chez Victoire. Les lumières sont tamisées, la musique est lénifiante, la politique, la philosophie, l’art, le sexe et la dépression se court-circuitent mutuellement. Mathilde va dénicher son champagne, que Victoire a inauguré, siffle une coupe, fouille dans son sac, en sort un iPod, revient au salon, le pose sur une station et les premières notes de Let’s Stay Together d’Al Jarreau emplissent la pièce.


Elle entame un mouvement lascif du corps, défait lentement son manteau, sa veste, tout en dansant. Elle ferme les yeux, met dessus l’image d’Obama chantant la chanson puis, bouton par bouton, découvre son buste. Elle rouvre les yeux, l’assistance est ébahie, puis quand ils réalisent qu’elle se livre à un strip-tease, c’est la liesse générale.


Elle dégage un bras du chemisier, puis l’autre, et ce dernier est rattrapé par un homme qui enfouit son visage dedans. Elle trempe son doigt dans le premier verre à sa portée, puis se caresse le cou, les clavicules, et finit par le sillon séparant ses seins. Ses seins, qui ont chaud, qui enflent dans leur prison de soie. Elle en libère un qui, toujours maintenu par le triangle, remonte presque jusqu’au cou. Elle retrempe son doigt dans un verre, lui fait faire le tour du téton et s’approche d’une bouche à laquelle elle l’offre. Une main se propose de libérer l’autre sein, mais elle la redirige vers l’agrafe du soutien-gorge.


Ainsi délivrée, elle se couvre pudiquement la poitrine. Désapprobation bruyante de l’assistance. Elle réclame du champagne, on lui en propose, mais ce n’est pas le bon. Victoire rallie et pallie rapidement l’incident. Elles échangent un baiser langoureux, pour la première fois. Mathilde la repousse et ramène ses mains dans le dos pour défaire sa jupe. Elle la retient ensuite, et par petits déhanchements la fait glisser le long de ses jambes jusqu’à ce qu’elle forme un petit tas au pied de ses orteils carmins. Elle se retourne, se cambre, écarte le morceau de soie d’un côté, puis de l’autre. Elle se retourne, puis envoie un baiser aérien (comme dirait Victoire). Tonnerre d’applaudissements. On veut la toucher, l’embrasser, empoigner son vagin, ses fesses, la doigter, comme pendant les festivals de Rio. Elle ramasse son uniforme, s’esquive dans la chambre d’amis et s’écroule de sommeil.



Le lendemain elle se réveille, se douche à la hâte, repasse son uniforme et sur les lieux de ses méfaits et se sauve direction CDG. Briefing avec l’équipage, pas de consigne particulière, les pilotes s’avancent pour se présenter. Merde, Laurent, pense-t-elle, en reconnaissant le commandant de bord. Elle demande le galley arrière mais il insiste pour l’avoir à l’avant, c’est à dire pour servir également le cockpit et la classe affaire. Il est Dieu à bord, donc elle sera à l’avant. Ils ont été amants, ont failli se marier et il s’est entiché d’une hôtesse au sol, autant dire d’une pâquerette de la profession. Elle ne lui en tient pas rigueur mais passe beaucoup de temps à ignorer ses appels et effacer ses messages, car la pâquerette n’était pas douée pour décrypter les états d’esprit, et chaque changement d’humeur de son amoureux donnait lieu à des caquètements angoissés de « keskiya keskiya ».


L’équipage monte dans l’avion, chacun inspecte la zone qui lui est dévolue, vérification des prestations, remplissage de paperasse. Mathilde s’affaire et ne remarque pas que Laurent est sorti de l’avion. Elle se baisse pour ramasser un gobelet tombé par terre, et en se relevant glisse le long de Laurent qui s’est quasiment collé à elle. Elle le foudroie du regard, il hausse les épaules et dit simplement :



Il lui demande un café, qu’elle prépare très mauvais, exprès. Il comprendra SON état d’esprit.


Les passagers embarquent, beaucoup d’Américains en correspondance. En business, un couple maussade, trois jeunes gens extasiés, des surclassés sûrement, et deux hommes. Ça va, pense-t-elle. La chef de cabine ferme la porte, passerelle retirée, Mathilde fait les démonstrations de sécurité et au moment du masque à oxygène, elle touche la tête d’un passager et lui demande pardon. Il sourit et répond :



Le commandant souhaite la bienvenue, annonce le temps de vol, l’itinéraire emprunté et indique aux passagers à l’avant qu’ils seront particulièrement choyés aujourd’hui. Mathilde a envie de lui dévisser la tête. La chef de cabine et elle s’installent, se harnachent et l’avion est dégagé du parking. Le temps de roulage est long, l’avion s’immobilise enfin, le cockpit annonce le décollage et le mastodonte s’élance sur la piste. Il prend de la vitesse mais Mathilde ressent quelque chose d’anormal dans sa façon de rouler, comme si la piste était une succession de dos d’ânes. Parfois la roue principale roule sur les éclairages et cela secoue un peu, mais là c’est véritablement comme si l’avion cherchait à décoller mais rechutait juste après. Le passager qui a reçu le masque à oxygène la scrute attentivement. Elle se compose un visage neutre. L’avion s’élève enfin mais l’anomalie persiste, les dos d’ânes continuent mais en l’air cette fois. L’avion bouge violemment, elle commence à avoir peur, ils sont ballottés de droite à gauche et ce n’est jamais bon en phase de décollage. La cabine est étonnamment silencieuse, la chef de cabine se penche vers elle et lui dit d’une voix blanche :



Le passager la regarde toujours. Il est beau, c’est déjà ça. Mieux que la vision de Laurent comme dernière image. Enfin l’avion se stabilise. Elle se lève, va aux toilettes, elle est livide. Elle entend l’appel du cockpit, se dit que la chef de cabine va y aller. Elle sort pour apprendre que le commandant la réclame.



Elle sort pour préparer le tralala de la business, serviettes mouillées, presse, déjeuner. Le couple maussade refuse tout en bloc, les jeunes se jettent avidement sur, un des hommes demande un simple verre d’eau et elle est déçue que son passager dorme. Le cockpit déjeune à son tour et elle s’installe avec une citrate de betaine pour rêvasser à sa soirée d’hier. Qu’est-ce qui lui a pris. La solitude ou l’envie du quart d’heure de gloire ? Les deux à ce point ?


Son passager émerge de son sommeil et se dirige vers les toilettes. L’avion amorce sa descente. Il la regarde, lui sourit, elle lui demande s’il veut son plateau repas, il éclate de rire en secouant ses boucles châtain et lui dit :



Elle fait l’annonce de l’imminence de l’atterrissage, sa collègue inspecte les ceintures et les dossiers et elles reprennent leur place. Et puis l’avion entame un cercle, puis un autre, encore un autre. Laurent sort du cockpit, ne semble pas très à l’aise, se dirige vers une trappe située à l’avant de l’appareil et essaie manuellement une manœuvre dont elle ne comprend pas le sens. Les traits fermés, il se relève pour regagner sa place, mais avant se penche et leur glisse :



L’avion se pose à une vitesse folle, les pilotes essaient de freiner la course en braquant, contre-braquant, les pneus crissent, Mathilde a compris que les volets sont hors service et que seul un obstacle peut les arrêter. Soudain l’avion pique du nez et s’immobilise au bout d’une dizaine de mètres. Ils entendent les sirènes hurler.


Vite, vite, déployer les toboggans, pousser les passagers, brusquer ceux qui s’attardent sur leurs bagages.


L’évacuation commence, elle rentre dans le cockpit, Laurent est blessé mais conscient, le co-pilote s’escrime sur son harnais. À deux, ils parviennent à l’extraire de son siège, ils n’ont pas le droit de quitter l’avion avant les passagers mais elle supplie le co-pilote de le faire. Il entoure Laurent de son bras, s’approche du toboggan quand soudain SON passager surgit, passe l’autre bras de Laurent autour de son cou et tous trois glissent vers la terre ferme.


Elle enchaîne les évacuations. Avec un steward, ils parcourent rapidement la cabine, elle est vide. À son tour, elle s’élance, un pompier la rattrape en bas, elle court vers l’ambulance où se trouve Laurent, ses quatre membres sont là et valides, alors elle le traite d’enflure et, épuisée, va s’asseoir près d’une autre ambulance.


Elle ne fume plus mais donnerait tout pour un mégot. Dieu que les choses sont fugaces futiles et vite fatales. Hier de l’alcool, de la musique, des bêtises en tout genre, et aujourd’hui Die Hard. Un ambulancier s’approche d’elle et lui demande dans un français hésitant de bien vouloir se soumettre à un examen médical. Elle monte dans l’ambulance et SON passager la rejoint. Elle se pousse pour lui faire de la place, il sourit et dit :