Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 15033Fiche technique23288 caractères23288
4016
Temps de lecture estimé : 17 mn
15/06/12
corrigé 11/06/21
Résumé:  Trois histoires courtes, par trois auteurs différents, sur le thème « Inconnue familière ».
Critères:  #recueil #drame #nonérotique #historique fh inconnu handicap telnet amour fsoumise jalousie massage fellation pénétratio jeu yeuxbandés
Auteur : Collectif Antilogies      Envoi mini-message
Co-auteur : shiva__      Envoi mini-message
Co-auteur : Olaf      Envoi mini-message
Co-auteur : Hidden Side

Collection : Antilogies
Inconnue familière

La collection « Antilogies » regroupe des textes courts (si possible entre 1500 et 6000 signes) mis en ligne sur le forum de Revebebe le 30 du mois qui suit une proposition de sujet « antilogique » par un des membres.

Tous les lecteurs peuvent avoir accès au forum : Concours et jeux d’écritures ; Antilogies et autres jeux (ré) créatifs ; les textes ou Antilogies et autres jeux (ré) créatifs ; les discussions.







Juin 2012 – Inconnue familière




Inconnu familier



Par Hidden Side




Cyril examine le combiné comme un animal étrange qui viendrait d’expirer dans sa main.



Il s’assied pesamment sur un carton bourré de livres. Demain, Laura aura dix ans. Déjà dix ans… Le regard de sa fille n’a plus croisé le sien depuis la moitié de sa jeune vie. Peut-être que Valérie a raison, qu’il est trop tard. Un sursaut enragé l’anime soudain : on peut peut-être divorcer de sa femme, mais pas de ses enfants !




oo000oo




Il a dissimulé sa Clio deux rues plus haut, pour ne pas qu’on le repère. Cyril épie le hall de l’école, à travers les hautes grilles de l’enceinte. Il s’est garé sur le boulevard à plusieurs reprises, ces dernières semaines, dans l’espoir d’apercevoir, depuis l’habitacle moite et puant, la chair de sa chair s’égayer dans le flot des élèves.


La première fois qu’il a vu cette nymphette aux longues nattes brunes, portant crânement son lourd sac à dos mauve, il n’était pas sûr que ce soit Laura. Elle évoluait au milieu d’un groupe de gamines, riant et piaillant. Son visage, son sourire… Malgré la distance et les années, une conviction sourde lui martelait le cœur. Cyril n’avait pas osé quitter la voiture.


Aujourd’hui, c’est différent. Il va l’approcher, essayer d’en trouver le courage du moins. Il n’a pas le choix, s’il veut offrir à sa fille son cadeau d’anniversaire, une chaîne en or ornée d’un lourd pendentif, gravé à son prénom. Un présent onéreux pour une enfant de cet âge, mais qui ne compensera jamais l’absence et le temps perdu…


La voilà qui déboule, entourée de ses amies. Laura se dirige droit sur lui, les joues comme des pommes, ses dents de porcelaine prêtes à croquer la vie, les prunelles aussi vives que celles de l’écureuil. Le souffle de Cyril s’accélère ; le reconnaîtra-t-elle ? Elle le dépasse, sans l’aumône d’un regard. Aux yeux d’une enfant, les adultes tels que lui sont inexistants.


D’un pas traînant, il s’insère dans son sillage. L’aborder devant ses camarades la mettrait mal à l’aise, il ne veut pas lui faire cet affront. La petite troupe se sépare enfin. Laura grimpe dans un bus avec une copine flamboyante. Lorgnant sur les gamines du coin de l’œil, il les suit. Son front s’empourpre. Il a cessé d’être père pour chuter au stade de simple géniteur.


Cinq arrêts plus loin, sa descendance dévale les marches du véhicule. Fébrile, il lui colle aux basques, des accroches plein la tête mais aucune phrase qui ne convienne. Disparue, son aisance de cadre sup’, ce bagou qui faisait tant craquer les américaines. Cette gosse, il sait qu’il ne la lui fera pas.


La vitrine d’une boulangerie lui fournit enfin l’occasion qu’il attendait. Laura a stoppé net devant les religieuses au chocolat. Il s’approche posément, le cœur battant au fond de la gorge, tentant ne pas l’effrayer. Puis, ouvrant la bouche, il laisse s’incarner la première formule venue :



Elle le dévisage avec une assurance à peine étonnée.



Laura fronce les sourcils, plus intriguée qu’inquiète de cette offre.



Elle a dû en voir défiler, des « amis de maman ». Assez pour que ces visages anonymes finissent par gommer celui de Cyril. Ça ne le surprend pas, Valérie a toujours été très appréciée des hommes.



Que lui répondre d’autre ? Que cet inconnu familier n’est autre que son père ? Qu’à l’issue d’un divorce affligeant, il n’a rien trouvé de mieux que s’enfuir au pays de l’oncle Sam ?


Précédé de la fillette, il entre dans la pâtisserie.



La commerçante les regarde avec insistance tandis qu’il paie. Depuis son comptoir, elle a dû le voir accoster Laura. Cyril ressent dans toutes les fibres de son corps l’imposture qui se joue… Il doit sortir d’ici, très vite, avant de ne plus maîtriser ses émotions, avant que les gens ne deviennent trop curieux.



Sa voix s’est cassée sur la fin de la phrase ; une appréhension soudaine émerge dans les yeux de Laura. Ne pas parler aux inconnus, surtout s’ils ont l’air bizarre !



Avant qu’il ne puisse sortir le paquet de sa poche, la gamine a tourné les talons. Cyril renonce à lui courir après. En embuscade derrière ses petits pains dorés, la boulangère ne le quitte pas du regard. Il titube jusqu’à un banc, près de l’arrêt de bus. Ces instants volés ont déjà l’amertume des regrets.








Inconnu familier



Par Shiva__



C’est à ma dernière déglutition que j’ai eu une pensée toute personnelle :



Perplexe, je termine mon Danone, sur cette réflexion pleine d’intérêt pour moi, comme si c’était une révélation ! Ces brefs moments de solitude, à l’heure du déjeuner, sont des instants propices à ressasser une quantité de souvenirs et de questions sans importance… quand je n’ai plus de sous pour aller « shopper ».


Et aujourd’hui, c’est le cas. J’ai fermé l’agence pour une heure. Ma petite « déjeunette » terminée, je tue le temps à chopper sur ce site marqué par la pomme du pêcher divin, à la recherche de rencontres sans engagement.


Je suis hôtesse d’accueil. Mes parents me voyaient carriériste, business woman. Un métier « noble » comme ils disent, et plus honnête, parce que « les secrétaires sont toutes des putes ». Mes parents : des Bidochons en puissance. Les chiens ne font pas des chats, dit-on, eh bien il faut croire que je suis féline plutôt que Câline (c’est le nom de leur chienne). Quoique je sois chienne aussi ; question de contexte.


Je perds moins mon temps à flirter derrière l’écran avant un rendez-vous, qu’avec un type qui me tient la jambe pour obtenir un rencard et me gâche une soirée entre copines (souvent un mauvais coup, en plus !). Avec internet au moins, j’échange et je zappe. Il avait sans doute raison, l’autre, en prétendant que j’étais une pute, à coucher avec Pierre, Paul, Jacques… Avec ce que je sais faire, si je me faisais payer, je serais riche. Quelle conne ! Qui sait, il n’y a qu’un pas à franchir entre hôtesse d’accueil et call-girl.


Les profils défilent à l’écran au gré des clics mécaniques de la souris. Et pour cause : je ne suis pas très emballée par ce que je vois aujourd’hui. Les visiteurs, les favoris, les coups de cœurs,… Non, rien de rien. Je repense à ceux que j’ai déjà rencontrés, ceux que je n’ai pas encore, ou pas envie, de rencontrer et ceux que je ne veux surtout pas rencontrer.


Je suis entourée de mecs pleinement disposés à satisfaire mes envies libidineuses. À commencer par Antoine, mon coloc’. Je pourrais n’en faire qu’une bouchée si j’en voulais. Tantôt désorbité comme le Loup Tex Avery, lorsque je monte les quelques marches qui mènent à ma chambre ; tantôt transi avec des yeux de merlan frit, quand je lis, studieuse, un bouquin dans le salon.


Mes copines sont folles de lui et jalouses de moi. Je reconnais qu’il est canon, ce beau blond aux yeux bleus. De la matière il en a, grisante, pour une écervelée comme moi. On s’adonne parfois à des jeux de mains, jamais vilains, comme des mômes. Dommage, je préfère les bruns.


Futile je suis et ça me convient. Peu m’importe de collectionner les aventures avec des mecs de passage, des inconnus, même si je passe pour une salope. Fuck the fake ! : je réalise mes fantasmes, tant que je peux. Et mon jardin secret, je sais le préserver.


Et puis, s’enticher, c’est pas mon truc ; les sentiments et les films à l’eau de rose me donnent la gerbe. C’est pour ça que j’avais lamentablement jeté Paul au détour d’une discussion à propos de l’Amour, un peu trop philosophique à mon goût. Mon « pseudo » Myosotis69 ne fait pas de moi une fleur bleue.


J’ai cru que Jacques ferait l’affaire. C’était un « nain » (mon critère, c’est 1,80 m ou plus). M’enfin, l’apparence ne compte pas pour ces choses-là, même si je préfère me satisfaire, et pas me contenter. Son allure athlétique et son assurance avaient fini de me convaincre qu’il serait parfait pour développer et explorer des jeux encore inconnus pour moi, et sans attaches, parce que lui ne sait pas ce que c’est. Malheureusement, le sexe non plus il ne sait pas. Enfin si, il sait pour lui, mais pas pour moi. Il aimait jouir, mais pas me faire plaisir. Il était si Charismatique, Orgueilleux, Narcissique, Nuisible, Arrogant, Rancunier, Dominateur. Bref, ciao le connard.


Tiens, un message de « Pierre » :



Surprise, je me disais qu’il avait raison. Je ne sais plus comment ça s’est poursuivi, direct et détaché il m’intriguait autant qu’il m’excitait. Malgré quelques brefs entretiens téléphoniques, mails et tchats, je ne connaissais rien d’autre de lui que sa voix étrange et la vague idée que je me faisais de lui d’après ses descriptions succinctes. J’ai accepté de le retrouver à l’hôtel.


13 h, sms :


Chambre 210 ; à tout de suite, bise. Pierre.


Je monte, toque à la porte qui s’ouvre : personne. Je m’avance lentement dans l’obscurité, dépose mon sac, ôte mon trench-coat, découvrant mes dessous carmin, comme scénarisé. Une main saisit délicatement mes hanches, je sens une chaleur qui se rapproche, un souffle dans mon cou, une caresse dans mon dos, un tissu qui glisse sur ma peau, s’enroule autour de mon cou. L’adrénaline s’emballe, moment de panique, frayeur furtive, (« je contrôle, je contrôle »)… Non, il ne serre pas.


Mes yeux à présent bandés, son corps nu collé au mien, il me retourne face à lui. M’embrasse tendrement, aussi léger et doux que la soie. Ses lèvres tatouées sur ma peau, je frissonne. Ses mains appellent les miennes aux caresses : il est doux, mais pas gras. Pas tout à fait light non plus. Grand et ferme. Passée la frontière des effluves artificiels, je sens une essence familière. C’est étrange. Un temps… Silence.


Un ange passe…


Guidée, à pas hésitants, une pression sur mes épaules m’incite à m’asseoir sur le bord du lit. Je bascule en arrière sous ses caresses aussi voluptueuses que délicieuses. Mes mains se perdent dans son épaisse crinière, mes reins appellent les siens. Doucement, il s’empare de moi, me remplit d’attention. La sensation naturelle que je lui appartiens, comme jamais à un autre, me submerge. Je me sens possédée ; vulnérable.


Je réalise que le coït n’est plus seulement sexuel. C’est différent, je lâche prise. La chaleur intense qui m’envahit, comme la lave d’un volcan, je bouillonne soumise à son étreinte, aussi forte qu’un étau. Une fusion s’opère. Sensation décuplée de ne rien voir de mon inconnu. Son parfum entêtant m’obsède, convaincue qu’il m’est familier, incapable de l’associer à quiconque. Mon plexus explose dans un concert de décibels. Et… plus rien.


Quelques minutes s’écoulent durant lesquelles les derniers spasmes s’atténuent, pendant que le calme intérieur revient, blottie entre les bras de Pierre. Moment de tendresse atypique, propice à me rendre la vue :



L’ocytocine opère et les messages que mon cœur reçoit réveillent mon aversion pour ce genre de situation ; la nausée s’invite malgré moi. Je cours expulser mon malaise dans le lavabo. Il paraît que les larmes sont le sang de l’âme blessée. Et la gerbe ?








Petite mort



Par Olaf



C’était à la fin du XIIème siècle, lorsque les samouraïs mettaient encore le Japon à feu et à sang. Tawara était parmi les meilleurs. Il excellait dans le maniement de l’arc et du sabre. Sa maîtrise de la torture des prisonniers, par la corde et les nœuds, arrachait des aveux aux plus récalcitrants. Magnanime, il leur tranchait le cou sitôt obtenu ce qu’il attendait d’eux. En d’autres circonstances, ils s’en seraient montrés reconnaissants.


Il n’avait pas non plus son pareil dans la conquête des femmes. Qu’il s’agisse de les forcer, de les séduire ou de les aimer, il était endurant comme aucun autre, et savait maîtriser les plus récalcitrantes.


Il n’en eut pas besoin avec Hamako. Il l’avait sauvée des pires sévices qui avaient suivi la mise à sac de son village. Son père venait de se faire transpercer sous ses yeux par un autre guerrier. Il l’avait soulevée de terre et maintenue fermement devant lui sans même arrêter son cheval. Prise de guerre, intouchable pour tout autre que lui.


À la nuit tombée, la fureur des combats enfin apaisée, il consomma leur union. Terrorisée, elle se laissa faire, docile jusque dans ses plus fougueux élans. En retour, peut-être à cause de son apparente fragilité, il se montra presque prévenant, au point qu’elle commença à prendre plaisir à ses nombreux assauts. Lui épargnant la vie, il l’installa dans sa modeste demeure.


Elle se montra reconnaissante. Il apprécia particulièrement sa manière sauvage de se soumettre. Surtout les longs cris stridents qu’elle poussait lorsqu’il la pénétrait, à mi-chemin entre l’effroi et le désir naissant. Une manière qu’il appréciait de l’entendre honorer le brutal conquérant qu’il était, tout en gardant secrètement la maîtrise de leurs plaisirs.


Il se laissa peu à peu ensorceler. Au point de perdre le goût des prises de guerres, au hasard de ses hauts faits militaires. Il ne s’en montrait que plus empressé au retour de ses longues absences. Elle s’offrait alors avec raffinement, sachant le faire patienter avec habileté, pour mieux de vaincre à sa guise. Il se jetait alors sur elle, la fouillait, s’emparait d’elle de toute la force de ses reins puissants, la rejetait, pour mieux la reprendre. Parfois, après maintes étreintes, au moment de s’avouer vaincu et de sombrer dans le sommeil, il lui laissait prendre sa main et guider ses doigts entre ses cuisses. La sensation des délicates aspérités qui ornaient sa grotte d’amour, celles-là même qui lui permettaient d’un simple effleurement de la faire gémir de plaisir, l’accompagnait longtemps encore.


La chance tourna un froid jour de novembre. Alors qu’il mettait la dernière main à la reconquête d’un village qu’un shogun malintentionné avait occupé, il fut informé qu’une bande de pillards s’apprêtait à attaquer son propre village. Il trucida quelques misérables paysans qui avaient eu le tort de transformer leur faim et leur désespoir en révolte, avant de parcourir comme l’éclair la trentaine de kilomètres qui le séparaient de sa femme.


Des spadassins venaient de mettre le feu à sa demeure au moment où il déboula au grand galop. Il sauta de cheval, transperça quelques imprudents qui tentèrent de lui barrer la route. Il arriva enfin devant sa porte, juste à temps pour voir le chef des brigands enlever son épouse inanimée, et la jeter sans ménagements sur son cheval. Prise de guerre.

Il se rua à l’assaut, sabre levé. Épuisé par les combats précédents il n’eut aucune chance. Un formidable coup de masse le terrassa. Il tomba au sol, sans connaissance.


Il se réveilla après plusieurs jours et plusieurs nuits de douleurs et de délire. Un paysan l’avait traîné chez lui et soigné du mieux que possible, à moitié par pitié, à moitié par appât du gain. La vie sauve d’un samouraï de tel calibre pouvait valoir gros.

Mauvais choix ! Sitôt réveillé il dût se rendre à l’évidence que, sous la violence du choc, le guerrier était devenu aveugle. Perte sèche pour le bon samaritain, même en tenant compte de ce qu’il avait volé dans la bourse du blessé avant qu’il reprenne ses sens.


À cette époque, une telle infirmité était fatale. Chacun devait se prémunir contre les risques de misère. Aucune place pour la pitié. Le samouraï se souvint toutefois d’un maître acupuncteur de grand renom. Il le fit chercher et commença un long apprentissage de massage et d’acupuncture. La seule activité encore possible pour lui. Quelle déchéance pour un si fier combattant ! C’était pourtant le seul moyen de gagner de quoi payer logis et nourriture.


Surmontant sa colère face à l’adversité, il arriva en peu de temps à développer un incroyable sens du toucher. Les plus fines variations de pouls de ses patients ne lui échappaient pas. Il palpait aussi avec une incroyable facilité chaque point douloureux, posant les diagnostics les plus complexes, offrant le plus rapide soulagement à chaque malade qui lui confiait ses tourments.

Aussi habile dans l’art du massage que dans le maniement du sabre, il savait aussi procurer des plaisirs inespérés à quelques femmes de la noblesse des environs. La magie de ses mains réveillait les ardeurs. Les patientes affluaient, revenaient le voir, encore et encore.


Il n’en profitait jamais. Non parce que cela eut été trop risqué, mais parce qu’il sentait que de tels plaisirs volés ne pourraient lui apporter que des regrets. Il ne se refusait cependant pas, lorsque certaines nuit, pendant son sommeil, un corps tiède et fin venait se coucher contre son flanc. Aucun geste, aucun souffle ne lui avait jusqu’à ce jour permis de découvrir qui, de la très jeune fille, de la servante ou de la maîtresse de maison, cette cajoleuse pouvait être.


Dès qu’elle le sentait réveillé et prêt à accepter ses caresses, elle parcourait son torse à pleines paumes, comme pour prendre sa force en elle. Puis, elle glissait ses mains et ses lèvres jusqu’à son membre, raide, prêt au combat.


Lui, qui si longtemps avait pris et donné la vie au gré de son bon plaisir, se laissait faire. De quelques mouvements vifs elle faisait alors jaillir sa semence, qu’elle recueillait respectueusement dans sa bouche. Elle lui donnait ainsi, malgré la brièveté de ces jeux, un vif plaisir dont il savait se contenter. Rarement, elle se laissait remercier par un long et très doux massage. Jamais elle ne le laissa glisser ses doigts plus bas que son ventre. Il savait qu’elle s’enfuirait s’il tentait de la conquérir.


Il était en train de traiter un hobereau de la ville voisine, lorsqu’il entendit son bienfaiteur marchander avec un inconnu à la voix forte et impérative. Rempli d’effroi, son logeur vint l’informer qu’un chef de guerre se trouvait à leur porte, et exigeait qu’il guérisse sa servante d’un certain manque d’empressement.


Il maudit sa renommée, mais ne put refuser. Les conseils de prudence du paysan terrorisé étaient inutiles. Il savait mieux que quiconque qu’au moindre doute sur l’innocence de ses gestes, la colère du chef de guerre s’abattrait sur lui, en même temps que son sabre. Il obtint néanmoins que le farouche soldat restât hors de la pièce où il pratiquait son art.


Sans mot dire, habillée, la femme s’allongea sur le tatami. Il était hors de question qu’il pose ses mains sur sa peau nue. Il prit ses pouls, détecta quelque déficit et quelques excès, tout en sachant qu’ils n’étaient pas la source de la frigidité. Il massa quelques points par-dessus le kimono, jusqu’à ce qu’il sente la femme prendre confiance. Elle le laissa glisser un doigt, puis une main sous l’ample vêtement de soie, malgré le danger qu’ils courraient tous deux.


Dès qu’il eut la douceur de la peau contre ses doigts, il comprit la raison d’un abandon si risqué. Son sens exacerbé du toucher lui ayant permis de découvrir qui était sa patiente. Le bilan de sa vie s’imposa en une fraction de seconde. Le reste de son existence contre quelques minutes de pur bonheur ? Il n’hésita pas.


Il glissa sa main le long du ventre de la femme, qui se laissa faire. Délicatement, il écarta les pétales de sa fleur de lotus. Le doute n’était plus permis. Détachant lentement son kimono, il se dénuda complètement avant de se glisser entre les cuisses de sa femme. Il la pénétra, d’un coup. Elle mordit ses lèvres jusqu’au sang, pour retenir les cris qui s’échappaient autrefois si spontanément de sa gorge. Elle enferma les hanches de l’aveugle entre ses cuisses. Malgré, ou peut-être à cause du danger, il se mit à la fouiller sans plus attendre, jusqu’au plaisir.


L’intensité de ce qui les unissait était telle, qu’après s’être longuement répandu en elle, il ne faiblit pas. Inlassablement il monta à l’assaut, se retira, remonta, se retira encore, pour mieux s’emparer d’elle. À l’instant où une nouvelle et puissante vague de plaisir crispa les reins de l’homme, elle s’abandonna, comblée. Son ventre se creusa, son dos se raidit, sa tête bascula en arrière. Submergée par l’orgasme, elle ne put retenir un gémissement de plaisir.


Il n’en fallut pas plus pour que son maître et seigneur, sans doute prêt au pire depuis le début, surgisse soudain à leurs côtés, bondissant et hurlant. Il vit les traits de la femme ravagés par cette volupté qu’elle lui refusait depuis des mois. Pris d’une rage irrépressible, il exigea réparation dans le sang.


Les codes d’honneur lui interdisaient toutefois de se venger lui-même. Seul un immédiat seppuku pouvait laver l’affront. Tawara le savait, il y était prêt. Le shogun posa son sabre en face de lui, à portée de main. L’aveugle prit une longue inspiration, comme pour se gaver une dernière fois de l’odeur de sexe et de jouissance. D’un coup, la lame s’enfonça dans son ventre, aussi profondément qu’il s’était enfoncé entre les reins de la femme.

Seul un reste de plaisir irradiant encore dans son bas-ventre lui permit de résister et de ne pas s’effondrer sous la douleur. Comme le voulait le rituel, il arriva même à s’infliger une deuxième entaille, croisant la première.


Le supplice était insupportable. La tradition voulait d’ailleurs qu’à ce moment, le vainqueur tranchât le cou de son adversaire pour lui épargner une longue et pénible agonie.

Reprenant le sabre en mains, le shogun leva les bras. Tawara offrit sa nuque. La lame siffla. La femme, la gorge tranchée, mourut sans laisser échapper d’autre gémissement que celui qu’elle avait offert à son époux.


Dans sa rage sanguinaire, le shogun refusait ainsi au samouraï une mort sereine. Il ne pensa pas pouvoir éprouver de plaisir à y assister, et s’en alla.


Le dernier murmure d’amour de sa femme au fond du cœur, Tawara quitta ce monde pas à pas.