Mon cher directeur d’agence entre en coup de vent dans mon bureau, une liasse de papiers à la main :
- — Tiens, Fabrice, un truc qui devrait t’amuser ! C’était un PDF, je te l’ai imprimé.
Curieux de nature, bien que soupçonnant un truc pas triste, je prends la pile de papier qu’il me tend et je lis en diagonale la première feuille :
- — Une appli complète en Cobol ? Eh bé, ça ne court pas les rues ! Depuis le temps que les experts enterrent ce vieux langage informatique, je trouve qu’il survit plutôt bien !
- — Je savais que ça allait te plaire !
- — Attends un peu que je sache de quoi il en retourne…
- — C’est un truc tordu comme tu les aimes ! Tu vas fatalement adorer !
Je continue ma lecture sur les feuillets suivants :
- — Peut-être, peut-être ! Mais, j’ai la nette impression que c’est un rattrapage de rattrapage, ton truc ! Houlà, c’est déjà passé par des tas de main ! Un festival de plantages, presque un catalogue des trucs à ne pas faire !
- — On ne peut rien te cacher. En effet, c’est ceux de Nice qui ont d’abord eu le bébé, ça a foiré. Puis ceux de Lyon ont mis leur nez dedans, avant que Paris ne récupère à son tour le machin. Et, en désespoir de cause, c’est chez nous, les pingouins de Calais, que ça atterrit !
- — C’est remonté en ligne droite du sud au nord ! Pas même un petit détour chez les bretons ou les alsaciens, non ?
- — C’est ça, rigole ! Toujours est-il que si tu arrives à sortir quelque chose de cette… euh, chose…
Je consulte le feuillet suivant, lentement, paisiblement. J’attends un peu, j’aime me faire désirer, puis je lance :
- — J’ai carte blanche ?
- — Je te donne trois jours pour me faire un état des lieux et me dire si c’est jouable.
- — Trois jours ? Trois comme deux plus un ? Te voilà bien généreux !
- — Je ne vais pas te faire un dessin : si on s’en sort, ce n’est que du bonus pour toi comme pour moi.
- — J’avais compris. Et si je décrète que c’est jouable ?
Mon directeur s’adosse au mur, bras croisés :
- — Alors je te donne carte blanche, à condition de ne pas faire exploser les budgets. Nous sommes une SSII, pas les Petits Frères des Pauvres ! Le client, on ne peut pas dire qu’il soit content, d’après les infos du siège ! Ça va faire une bonne année qu’il fait le pied de grue !
- — Ok, j’analyse la chose, et je te dis quoi au plus vite.
- — Bien. Priorité absolue à ce truc en Cobol : tu t’enfermes à double tour dans ton bureau, tu peux même faire ça chez toi, tu ne réponds à personne, sauf à moi. Compris ?
- — Bien chef, oui chef !
- — Je te file les codes pour accéder à l’appli, elle est sur le réseau national. Enfin, les machins qui ont été écrits, mais tu auras déjà une bonne idée, sachant que tous les écrans ont été validés par le client. Tu as au moins ça de bon ! Et te fiche pas de moi !
- — Jamais de la vie, chef !
J’ai pris mon directeur au pied de la lettre, je suis donc reparti chez moi étudier le dossier.
--oOo-—
Comme j’avais droit à trois jours, j’ai pris les trois jours. En réalité, il m’en a fallu que la moitié. Ça n’allait pas être du gâteau que de concrétiser le dossier, mais ça m’amusait, un défi. Surtout en Cobol, et pas une version récente !
Un peu avant de donner ma réponse, j’ai voulu en savoir plus. Je me suis connecté au réseau de la boîte et j’ai cherché la photo de qui était commercialement en charge du dossier : une certaine Sophia Mancini, une brune italienne, assez jolie à regarder. Tiens, un truc amusant : elle se prénomme Sophia et elle travaille à l’agence de Sophia-Antipolis, Nice…
Je lance mon logiciel de téléphonie et je l’appelle :
- — Bonjour, Sophia Mancini ? Je suis Fabrice Raventhun, de l’agence de Calais.
- — Oui, bonjour. Que puis-je pour vous ?
Jolie voix… mais ce n’est pas le propos.
- — Le dossier « Caucade », je présume que ça vous dit quelque chose…
Un léger blanc au bout de la ligne.
- — Oui, c’est moi qui suis en charge du dossier…
- — Quelque chose dans votre voix me dit que ça ne vous ravit pas !
- — Honnêtement, je n’aurais jamais dû accepter ce dossier, mais il fallait le savoir ! Pourquoi m’appelez-vous ? Si c’est pour me passer un savon, sachez que j’ai déjà largement eu ma dose, ces derniers mois !
- — On vient de me confier le bébé. Soyons clair : ceux qui ont fait la première analyse se sont plantés en beauté, ce qui explique pas mal de choses. Mais c’est rattrapable, à prime vue.
- — C’est rattrapable ? Vous voulez dire quoi par-là ?
- — Ce ne sera pas du gâteau, mais ce fameux programme en Cobol est néanmoins réalisable assez vite.
- — Vous… vous êtes sûr ? C’est… c’est vrai ! ?
C’est bien la première fois que j’entends un tel soulagement au téléphone. Pourtant, je suis habitué à passer pour le sauveur de la dernière chance !
- — Ne vous emballez pas ! Je n’ai pas encore dit oui. De plus, je ne sais pas si j’aurais l’aval de ma hiérarchie.
- — Ah…
Ou comment passer de la délivrance à l’abattement !
- — Il me faut quelques infos supplémentaires, histoire de bien savoir où je mets les pieds. Épargnez-vous la peine de m’enjoliver le tableau, j’en sais déjà un peu. Je veux de votre part la stricte vérité.
- — Je suis une commerciale, vous savez… Mon but est vendre.
- — Je ne suis pas votre client, c’est plutôt vous qui l’êtes. Je ne vous cacherai pas le fait que votre dossier est pourri. Il ne l’était pas à l’origine, mais on dirait que toutes les misères du monde ont décidé de s’inviter.
- — À qui le dites-vous ! Ça a failli me coûter ma place. Ça m’a d’ailleurs coûté mon avancement ! C’est dégueulasse : j’ai trimé comme une malade durant des années, j’ai fait de mon mieux, et par la faute d’un seul dossier et de connards qui n’ont pas fait leur boulot, c’est moi qui trinque ! Oh pardon !
- — Je comprends, je comprends !
- — Euh… je… vous n’avez rien entendu !
- — C’est déjà ressorti par l’autre oreille…
- — Je peux… euh… vous croire ?
- — Vous n’avez pas le choix. Bon, revenons à nos moutons : d’après ce que j’ai pu comprendre, vous pouvez parler librement. Donc racontez-moi tout sur ce fichu dossier « Caucade »…
Et la conversation dura une bonne heure. Encore heureux, côté tarification, que ce fut sur le téléphone internet, donc coût zéro euro et zéro centime !
--oOo-—
J’ai accepté le dossier, à condition d’avoir les coudées franches, et personne dans les jambes. J’ai décidé de tout recommencer car ce qui avait été déjà réalisé n’était pas dans l’esprit du vieux Cobol, mais plutôt en orienté Objet, sauce UML. Or le vieux Cobol est diamétralement opposé aux nouvelles modes de conception.
Bref, il fallait bien reculer de trente ans pour écrire ce programme. Mais voilà, il y a trente ans, j’étais encore dans les jupes de ma maman. Ceci étant, j’ai commencé ma carrière informatique à maintenir des programmes parfois écrits vingt ans plus tôt. Bref, on peut dire que j’ai cinquante ans de connaissance en Cobol, même si j’approche mes quarante ans. Vous suivez, arithmétiquement ?
J’ai ressorti de mes cartons un antique générateur. Il faut coder à la main, pas de souris, un bestial fichier texte en entrée avec des symboles cabalistiques dedans, mais ça fonctionne nettement mieux que la plupart des générateurs actuels qui me bouffent la moitié de mon disque dur, qui sont sans doute très beaux, très esthétiques, mais qui me pissent dix mille lignes de code, là où j’en écrirais le centième du quart de la moitié.
J’ai l’impression d’être un informaticien des années soixante-dix face à mes écrans tristounets en mode texte, sans l’ombre d’une couleur ou d’un simple trait graphique, mais j’avance à pas de géant. J’ai balancé hier matin sur le réseau ma maquette, avec un émulateur d’environnement. Dans l’après-midi, le client a pu manipuler, il est très content. Sophia m’a confié qu’il aurait dit :
- — Si c’était ce bonhomme qui avait, dès le départ, écrit mon programme, il y aurait belle lurette que tout ce merdier serait fini !
Bref, Le client est content, Sophia est contente, mon directeur d’agence est content, et même le siège ! Même si certains font une tronche d’enfer jusqu’au sol. Mais ça, je m’en fiche allègrement !
Et puis, paf : le truc con !
- — Comment ça ? Aller chez le client ?
- — Oui, il veut vous avoir sous la main, Fabrice… Je suis désolée, il insiste lourdement…
- — Mais il n’a JAMAIS été question que je bouge ! Nous sommes à l’ère d’Internet et de la virtualisation, je n’ai aucunement l’intention de traverser toute la France, même s’il fait meilleur chez vous que chez nous !
- — Il… il insiste !
- — Sophia, dites-lui que c’est NON.
- — Mais vous êtes célibataire, pas de famille, pas d’enfant…
Ah la belle excuse ! Fichu réseau social de notre saloperie de SSII qui permet de tout savoir sur tout le monde de la boîte ! Mais que fait la CNIL ?
- — Et alors ? Être célibataire justifie tout ? Sauf erreur de ma part, vous êtes aussi célibataire. Vous accepteriez facilement de venir visiter notre Cap-Blanc-Nez et ses cent trente-trois mètres de haut ?
Elle me promet de faire ce qu’elle peut. Tout ce qu’elle peut. En fin d’après-midi, elle me téléphone, catastrophée :
- — Il insiste lourdement… Il EXIGE que vous veniez, il dit qu’il en a le droit. Il est même passé par-dessus ma tête, je crois même que le siège est au courant…
- — Excusez-moi du terme, mais il fait chier, votre client !
- — Je… je n’y peux rien…
Silence… après quelques bruits étranges se font entendre, des feuilles froissées peut-être, elle reprend :
- — Je vais voir comment… je vous dis quoi dès que possible !
- — Ok. De toute façon, je ne bouge pas d’ici.
Moins d’une heure plus tard, elle me recontacte, sa voix annonce plus ou moins la couleur :
- — Fabrice… je… enfin…
- — Laissez-moi deviner, Paris exige ce que le client exige, non ?
- — Oui. Comment vous avez deviné ?
- — Vous ne connaissez pas encore assez bien notre charmante direction centrale et ses méthodes, ma chère Sophia.
- — Mettez-vous à ma place ! J’en ai ma claque de ce dossier à la con, mais je n’ai pas le choix ! Là-haut, ils claquent des doigts, et hop, en bas, on doit obéir.
Je ricane sans m’en cacher :
- — Quelle grande découverte !
- — Oh, ça va ! Je croyais que je voyais enfin le bout du tunnel, et… euh, enfin bref, je crois que Paris va vous contacter pour vous dire de venir. Écoutez, je vais faire mon possible pour que votre séjour se passe au mieux, je vais vous réserver la meilleure chambre, même s’il faut que je le fasse sur mon salaire.
- — Comment ça, votre salaire ?
- — Je me suis déjà renseignée : votre venue, c’est sur mon budget. C’est Nice qui demande, donc c’est Nice qui paye. Et comme il ne reste plus grand-chose dans l’enveloppe d’origine…
Je soupire, je me cale dans le fauteuil :
- — Décidément, rien de nouveau au royaume pourri des SSII… la nôtre surtout…
- — Je ne vous le fais pas dire, mais il faut qu’on se sorte du pétrin. Bref, je dois faire avec ce que j’ai, mais j’espère bien qu’au bout de ces trois semaines, ce sera définitivement fini !
- — J’ai quand même une bonne nouvelle à vous annoncer : je pense que je peux réduire ma visite à deux semaines, au plus. Moi non plus, je n’ai pas trop envie de m’attarder avec ce dossier, même si vous m’avez vanté les charmes de votre région…
- — C’est vrai qu’elle est belle, ma région ! Vous verrez, vous n’aurez peut-être plus envie de repartir là-haut. C’est fou le nombre de personnes qui sont restées ici !
- — Pourquoi ? Là-haut, c’est la banquise avec ses pingouins ?
- — Oh, ne le prenez pas mal ! C’est quand même plus ensoleillé ici que chez vous, non ? C’est l’un des nombreux charmes de mon coin !
- — Et il en est quoi, des autres charmes de votre coin ?
- — Venez, et je vous les ferai découvrir !
- — C’est une charmante proposition ! D’ailleurs, vous faites partie des charmes de votre coin, non ?
- — Euh… merci…
Je ne sais pas pourquoi, je m’entends dire :
- — J’ai une idée, une bonne idée : vous m’hébergez chez vous, comme ça, pas d’hôtel et pas trop des restaus. Donc économie ! Vous êtes célibataire, donc pas de problème, je me trompe ?
- — Euh… c’est que… j’ai un tout petit F2, une seule chambre.
- — C’est pas grave, une seule chambre, votre lit est bien à deux places, non ?
Silence…
- — Vous… vous aimez la plaisanterie…
- — Je vous signale que je dors tout nu, mais vous pouvez dormir en gros pull à col roulé, pas de problème !
- — Euh…
- — Blague à part, vous avez bien un convertible ?
- — Non, je n’ai pas de convertible…
- — Au moins, un canapé ?
- — Un tout petit…
- — Un matelas, vous avez bien un matelas, non ?
- — Non…
- — Pas même un lit de camp ?
- — Non…
Silence, deux fois…
- — Quand vous invitez des gens chez vous, vous les casez où ?
- — J’invite rarement des gens chez moi… sauf quand… euh… j’ai rien dit !
- — Laissez-moi deviner : sauf un « ami » de passage ?
- — Euh oui…
- — Eh bien, le problème est réglé : imaginez que je sois un ami de passage.
- — Vous… plaisantez, là ! ?
- — Vous trouverez bien un petit morceau de votre lit et de vos draps pour moi ?
- — Arrêtez !
Silence, trois fois…
- — Sophia, plaisanterie lourde mise à part, je veux bien venir pour quinze jours, mais à la condition expresse que je ne sois pas abandonné dans votre coin dans mon petit coin. Quand je suis ici, même célibataire, je suis toujours entouré. En moyenne, je suis à peine un à deux jours seul le soir. Ce qui ne veut pas dire que je mets n’importe qui dans mon lit. Non, mes soirées sont occupées, je sors, je reçois beaucoup. Vous comprenez ?
- — Oui… je sors et je reçois aussi de temps à autre… Je n’aime pas trop être seule, moi aussi…
- — Très bien, nous nous comprenons. Alors, nous pouvons arranger nos affaires ainsi : je crèche chez vous, je ne suis plus seul, vous n’êtes pas seule, vous faites des économies, et je visite votre région en votre compagnie. Ça vous convient ?
- — Ai-je le choix ?
- — Oui, bien sûr, vous pouvez dire « non ».
- — Si je dis « non », vous ne venez pas…
- — Il y a un risque…
Elle soupire bruyamment :
- — Je n’ai donc pas le choix ! Mais… comment dire ça…
- — Oui, je vous écoute…
- — Enfin, qui me dit que…
- — Que ?
- — Qui me dit que vous n’allez pas me sauter dessus ?
Là, c’est moi qui soupire :
- — Je reconnais que vous êtes charmante, enfin en photo en tout cas, vous êtes mignonne, c’est vrai, mais je ne crois pas avoir déjà forcé la moindre femme à mettre un bout d’orteil dans mon lit !
- — Je peux vous croire ?
- — Pour dire comme vous : vous n’avez pas trop le choix !
Un silence, elle semble réfléchir, puis annonce :
- — Je ne vous connais pas depuis longtemps, mais, tout ce que vous avez dit, vous l’avez fait. Je sais bien que c’était pour le boulot, mais… mais je peux prendre le risque.
- — Je vous signale, chère Sophia d’Antipolis, que si je viens, c’est aussi pour le boulot. À moins que…
- — Oh taisez-vous !
- — Alors ?
- — Ai-je le choix ?
- — On a toujours le choix !
- — Vous vous contredisez !
- — Faites votre choix…
Deux jours plus tard, je sonne à sa porte.
–oOo–
Mille deux cent kilomètres en une seule fois, ce n’est pas rien. Il n’y avait peut-être que de l’autoroute, mais un peu plus de douze heures assis derrière un volant, c’est pénible à la longue ! J’aurais pu y aller en train ou en avion, mais j’ai préféré avoir ma petite voiture sous la main pour me déplacer et surtout pour repartir au plus vite, car si je peux liquider la dernière partie au plus vite, je ne serais absolument pas contre.
Je suis parti, hier, vers dix-neuf heures, après avoir fait une longue sieste. La nuit, il y a moins de monde, et la nuit, ça me convient parfaitement, d’autant que je suis habitué aux nocturnes de programmation, avec sa copie à rendre au petit matin.
Je suis aux abords de Nice. Je reconnais que le paysage local n’a pas tout à fait la même allure que sur Calais, le coin est plutôt montagneux et assez aride. Muni de mon oreillette, je téléphone à Sophia. J’entends un bâillement à titre de bonjour.
- — Ne me dites pas que vous dormiez encore ? Il va être huit heures !
- — Huit heures ? Ah ?
- — Oui, huit heures. Bon, je suis à quelques minutes de chez vous, d’après mon GPS.
- — De chez moi ! ?
- — Oui, de chez vous, j’ai pris la route hier soir.
- — Mais… mais… vous ne deviez venir que dans deux jours ! ! !
- — Eh bien, j’ai fait plus court ! Au fait, impossible de vous joindre hier soir, vous avez fait la fête ?
- — Hier ? Ah oui, j’avais oublié mon portable à la maison…
- — Et lire ses messages quand on rentre ?
Gros soupir :
- — On croirait entendre ma mère ! Hier soir, cher monsieur, quand je suis rentrée, je n’avais pas la tête à ça !
- — Oh-oh, dois-je comprendre que vous n’êtes pas seule ?
- — Ça veut dire quoi, ça ? Mais si, je suis seule ! Euh… Enfin…
- — Vous auriez aimé ne pas être seule ce matin… non ?
- — Oh, et puis zut !
- — Rassurez-vous, vous ne serez plus seule durant quinze jours ! N’est-ce pas merveilleux ?
- — Taisez-vous ! Vous êtes saoulant ! Au fait, vous avez faim ?
- — Plutôt ! J’ai les crocs !
- — Café, baguette, confiture, ça vous va ? J’ai même du miel !
- — Merveilleux !
Quelques minutes plus tard, j’arrive au pied d’un petit immeuble. Je sonne, la porte s’ouvre. Trois étages à pied plus haut, dans l’encadrement de sa porte, elle m’attend, short blanc, t-shirt rouge. Le moins que je puisse dire est que ma logeuse est plutôt mignonne. Pas très grande, mais mignonne ! Nettement mieux au naturel que sur sa photo.
Elle me fait un grand sourire et me tend la main :
- — Soyez le bienvenu à Nice, Fabrice !
Je m’empare de sa main, pas pour la serrer mais pour l’attirer à moi. Je lui claque un gros bisou sur la joue – sa peau est plutôt sucrée…
- — Merci !
- — Vous commencez bien !
- — Dans le Nord-Pas-de-Calais, là-haut, c’est la bise, au moins quatre fois. Donc, ne vous plaignez pas : je ne vous en ai fait qu’une seule sur chaque joue.
- — C’est bien ce que je disais : vous commencez bien !
J’entre, passant devant elle ; une bonne odeur de petit déjeuner flotte dans l’air. Sur le balcon, une table avec bol, baguette et divers m’attend. Je reconnais qu’elle marque un point : ce n’est pas souvent que je peux prendre le petit déj’ dehors…
C’est curieux, j’ai l’impression de passer sous un scanner. Je me retourne, elle était en train de m’étudier de haut en bas. Elle rougit légèrement et passe devant moi :
- — Allez-y, c’est prêt.
- — Merci, merci !
Alors que je dévore, elle picore. Ce qui ne l’empêche pas de me détailler à nouveau. Je demande :
- — Vous n’avez jamais rencontré un français de là-haut, ou bien vous n’avez jamais rencontré un bon informaticien programmeur ?
Elle rit :
- — Ni l’un, ni l’autre !
- — C’est vexant pour mes collègues informaticiens !
- — Pas tant que ça ! Si ces idiots avaient correctement fait leur travail, vous ne seriez pas en train de dévaliser toutes mes provisions !
- — Je mange tant que ça ? Il me faut un bon déj’ consistant pour commencer la journée !
- — Comme vous avez roulé toute la nuit, votre journée est déjà bien entamée, comme la baguette !
- — Vous êtes bien chipoteuse pour une simple baguette ! Il m’en faut deux par jour, vous savez !
- — Eh ben ! Il vaut mieux vous tuer que vous nourrir, vous !
Une fois le petit déjeuner pris, elle me demande :
- — Vous faites quoi ? Vous venez avec moi au boulot, ou vous préférez dormir un peu ?
- — Option numéro deux. Comme ça, je serais en forme pour visiter Nice by night !
- — Vous avez de l’espoir !
- — N’êtes-vous pas ma charmante guide pour me faire visiter votre charmante région ?
- — Vous ne lâchez rien !
Quelques minutes plus tard, je suis dans sa chambre ; gênée, elle dit :
- — Bon, ma chambre est un peu bordélique, oui… mais vous n’étiez censé venir que dans deux jours !
- — C’est pas grave ! Quand je dors, je ferme les yeux, vous savez !
Je fais un geste vers son lit, elle m’arrête :
- — Attendez, il faut au moins que je change les draps !
- — Ce n’est pas la peine !
- — Mais, ça ne se fait pas !
- — Mais si que ça peut se faire !
Et je m’écroule sur son lit ! Elle râle pour la forme, puis se décide à quitter la chambre, sa chambre. Elle revient sur ses pas :
- — Fabrice… je vous fais confiance, vous… euh…
- — Non, non, non ! Moi, je dors ! Point. Non, je n’irai pas ouvrir tous vos tiroirs à la recherche de vos strings et de vos petites culottes ! Vous pouvez partir tranquille au boulot !
- — Dit comme ça, je suis encore moins rassurée !
- — Rassurez-vous, Sophia, je n’irai pas non plus mettre la main sur vos soutiens-gorge, ni même sur vos bas !
- — Taisez-vous ! ! !
- — Ni sur vos sextoys, promis !
Ah là, je crois que je viens de toucher un point : elle rougit comme une tomate bien mûre !
Elle soupire bruyamment, me lance un « au revoir » et j’entends la porte claquer. Moi, je suis tout aussi claqué, et je sombre petit à petit dans un bon sommeil réparateur, au milieu des draps et de ses oreillers soyeux, baignant dans son odeur légèrement sucrée…
–oOo-—
La trop grande luminosité de la pièce me fait ouvrir un œil. D’abord, je me demande où je suis, car je ne reconnais rien. Puis, petit à petit, mon cerveau se remet en marche : c’est vrai, je suis chez Sophia, dans sa chambre, dans son odeur. Tant bien que mal, je m’assieds sur le lit, je m’étire dans un grognement d’ours mal famé.
- — Vous êtes toujours comme ça au réveil ?
- — Hé ! ?
Je tourne la tête, mon hôtesse est debout, juste à côté de moi. Je demande :
- — Il y a longtemps que vous êtes là ?
- — Assez pour assister à votre sommeil puis votre réveil…
- — Ah…
Je secoue la tête, je cherche des yeux un réveil, une horloge, un truc qui donne l’heure.
- — Il est bientôt quatorze heures, Fabrice.
- — Quatorze ? J’ai dormi six heures alors…
- — Oui, vous savez encore compter.
- — Au fait, que faites-vous là ?
- — C’est MA chambre, vous savez ?
- — Oui, oui, mais vous n’êtes quand même pas restée depuis ce matin ici, à me contempler dormir !
Elle ricane, les bras croisés :
- — Vous vous surestimez ! Je suis simplement revenue manger quelque chose. Mon appart est très proche de mon boulot, dix minutes à pied maxi.
- — Dix minutes à pied seulement ? Vous avez bien trouvé !
- — Oui, mais ça me coûte bonbon ! Ce qui explique que ce ne soit pas bien grand.
- — Oui, j’imagine. C’est vrai que chez moi, c’est plus grand… Mais vous allez me dire que Calais et ses environs, ce n’est pas la même chose que Nice. Je me trompe ?
- — Allez à la fenêtre et dites-moi si vous voyez la même chose chez vous…
Intrigué, je me lève, et d’un pas pas très assuré, je me dirige vers la fenêtre. Je cligne des yeux, la lumière est trop vive. Peu à peu, je m’habitue, le paysage se dessine petit à petit, coloré, très coloré et vivant. Je contemple la vue sur les collines, cette végétation assez luxuriante dans laquelle se nichent, ci et là, des petites maisons blanches et rouges. Sans parler du ciel bleu de chez bleu. Une vraie carte postale.
Je me retourne vers Sophia, et je constate :
- — Oui, vous marquez un point ! Chez moi, c’est plutôt le règne du vert avec souvent du gris par-dessus.
Elle ne me répond pas, elle rougit, me regardant un peu plus bas que mon visage. Je me demande quoi, et je l’interroge muettement. Elle se contente de me faire un sourire en coin. Je baisse la tête et…
Et je constate que je suis en pleine forme dans mon caleçon ! Le chapiteau est tendu au maximum !
Un bref moment, je ne sais pas quoi faire, puis, soudainement, je me décide, les bras sur les hanches :
- — Eh bien quoi ? Vous n’avez jamais vu un homme au réveil ?
- — Euh si… mais…
- — Mais quoi, jamais autant ?
- — Ne me faites pas rigoler ! J’ai connu mieux que ça !
- — C’est cela, oui…
- — N’empêche que nous ne nous connaissons que depuis quelques heures que déjà vous m’exhibez votre machin sous mon nez !
Je m’approche d’un pas d’elle, elle recule légèrement. Je rétorque :
- — Osez me dire que vous n’avez jamais rencontré un mec et que vous n’avez pas zigzigué ensuite dans la foulée ?
- — Zigziguer ? Tiens, je ne connaissais pas ce mot-là !
- — Ça ne répond pas à ma question ! Et puis, je ne vous l’ai pas mis sous votre nez, il me semble ! Et de plus, il est habillé, mon machin, comme vous dites !
- — Cachez-moi cette horreur !
Elle attrape un oreiller et le propulse vers ma virilité tendue. Je bloque le projectile avant qu’il ne vienne faire du dégât. Elle en profite pour sortir de la chambre. Je pose l’oreiller sur le lit, quelque chose me dit que ça ne va pas être triste pour ces prochains jours !
--oOo-—
Me voici à présent exhibé dans l’agence de Nice ! Avec ma virilité en avant ? Mais non ! Sophia m’a traîné à son travail afin que je rencontre ses collègues et surtout que je prenne connaissance de divers petits points de détail du fameux dossier qui a commandité ma venue en bas de la France, moyennant mille deux cents kilomètres en voiture.
Petits points de détail ? Tu parles ! J’ai lu en silence les trois feuillets, puis je les ai posés sur la table. J’ai ensuite affiché mon sourire le plus crétin sur ma figure impassible et j’ai innocemment demandé :
- — C’est quoi, ça ?
- — Euh… les petits points que le client voudrait intégrer… balbutie Sophia.
- — C’est une aimable plaisanterie, je présume ? Je croyais le cahier des charges arrêté depuis des mois ?
Michel, le chef d’agence de Nice intervient :
- — Le client demande ces suppléments à titre de dédommagements, et aussi parce qu’il vous sait capable de les implémenter.
- — Moui… en clair, je n’aurais pas dû être si bon, c’est ça ?
Silence. Sophie avoue :
- — Bé… il y a un peu de ça…
Je reprends les feuillets, je jette un dernier coup d’œil dessus et calmement, sans hâte, je les déchire devant les yeux stupéfaits de mes interlocuteurs.
- — Et bien, ce sera NIET.
- — Mais ! ?
- — Faut pas pousser Mémé dans les orties ! Vous avez lu ce qu’il réclame, votre foutu client ? Rien de plus que des semaines de développement, quasiment cinquante pour cent en plus. Avec, en prime, le fait de devoir casser une partie de ce qui a déjà été fait pour ajuster les nouveautés !
- — Vous n’exagérez pas ?
Je me tourne vers le chef d’agence, un grand machin de presque deux mètres de haut, mais ce n’est certainement pas lui qui me fera peur. Je me lève pour coller mon nez sous le sien, même si je dois me mettre sur la pointe des pieds :
- — Vous avez déjà fait du développement, il me semble ?
- — Oui, j’en fais toujours, de moins en moins…
- — Donc, je présume qu’il vous reste de beaux restes… Alors, comment vous présenteriez le fait qu’il faille transformer toutes les jointures « de un vers n’» en relations « de n’vers n’» ? Enfin, pas toutes mais la plupart ! Avec bien sûr, une belle table de jointure entre les deux ? Sans parler des modifications des formulaires, écrans de saisie et autres états ? Vous savez très bien le bordel que ça va générer !
- — Vous n’exagérez pas un peu ?
- — Non, je n’exagère pas, et vous le savez très bien ! Votre attitude le démontre très bien ! Si j’avais tort, vous ne seriez pas si… passif !
Je détourne, je m’approche de la porte. En passant près de Sophia, je m’arrête :
- — Je présume que vous étiez au courant de ces… ajouts ?
- — Ça vient de tomber…
- — Ah bon ? Et depuis quand ?
- — Euh…
Le grand chef d’agence pose sa main sur mon épaule :
- — On le sait depuis une semaine.
Prestement, je me retourne :
- — Et ça vous aurait écorché de me le dire ?
- — Vous ne seriez jamais venu…
- — Vous savez que je peux repartir aussi sec ? C’est d’ailleurs ce que je vais faire ! Je veux bien être gentil, mais de là à être pris pour une poire, il y a un grand écart !
- — Vous ne pouvez pas repartir !
- — Ah bon, et pourquoi, je vous prie, Michel ?
- — Vous êtes un employé du groupe, vous devez accomplir votre travail, point !
Je le regarde bien dans les yeux, avec un grand sourire carnassier, et je lance :
- — Eh bien, je démissionne ! Et vous vous débrouillerez avec votre foutu dossier !
- — Vous divaguez, ce ne sont que des paroles en l’air. Je ferai comme si je n’avais rien entendu !
- — Des paroles en l’air ? Je commence à en avoir ma claque de cette foutue boîte presse-citron ! Des paroles en l’air ? J’appelle mon chef, là maintenant, et je lui fiche ma démission, et vous verrez bien si ce sont toujours des paroles en l’air !
Je sors mon portable de ma poche de chemise, et je commence à composer le numéro. Michel m’arrache littéralement le téléphone des mains.
- — Et en plus, il allait vraiment le faire ! dit-il en voyant les premiers chiffres du numéro que je composais.
- — Rendez-moi ça immédiatement !
- — On se calme, Fabrice, on se calme !
- — Mon téléphone !
Le géant écarte ses mains en signe d’apaisement et dit :
- — Allons dans mon bureau et causons calmement ! Il commence à y avoir un peu trop de monde autour de nous.
- — Mon téléphone d’abord.
- — Ok, mais ne téléphonez pas avec !
- — Vous n’êtes pas en mesure de me donner le moindre ordre !
Néanmoins, nous nous sommes retrouvés tous les trois dans son bureau.
--oOo-—
Ça va faire une bonne semaine que je suis à Nice. Nous avons trouvé un arrangement à l’amiable. Arrangement assez curieux, mais il satisfait toutes les parties. Pas vraiment toutes, puisque je continue à squatter chez Sophia et que je lui ai même pris sa chambre ! Elle dort sur le canapé, et parfois dehors, chez une copine. Quand je lui ai demandé pourquoi elle ne dormait pas dans des bras masculins, elle m’a jeté un regard noir ! Je lui ai demandé alors :
- — Dois-je comprendre que vous préférez les bras féminins ?
- — Vous insinuez quoi, là ?
- — Que vous soyez peut-être un brin lesbienne sur les bords…
- — Quoi ! ?
- — Il n’y a aucun mal à être lesbienne, vous savez !
Elle hésite entre me mettre une gifle et laisser tomber :
- — Vous êtes impossible !
- — D’après ce que j’en sais, vous n’avez pas de petit ami. Pourtant vous êtes mignonne !
- — Donc mignonne implique petit ami ?
- — Ou implique aussi petite-eu amie-eu… Peu importe. Ceci dit, ce n’est pas logique ?
- — Vous êtes peut-être un bon programmeur, mais pour le reste, vous êtes un primate !
- — Honga-Honga !
- — Oh ! Et puis merde !
Et elle quitte la pièce.
Voilà ma vie à Nice avec Sophia : une série d’accrochages, au départ, miniatures qui prennent souvent des proportions dantesques ! Parfois, je me dis que je serais plus tranquille à l’hôtel, mais voilà, l’hôtel, c’est cher, même si ce n’est pas moi qui paye. Ils sont près de leurs sous chez nous, pardon, à la boîte ! Bon, il est vrai que j’ai demandé un petit supplément salarial pas piqué des vers, la contrepartie étant l’hébergement chez ma tendre et délicate commerciale. Une façon comme une autre d’équilibrer le budget.
Mais de temps à autre, j’entends une voix féminine, celle de Sophia clamer :
- — Mais pourquoi j’ai ce type dans les pattes ?
- — Mais quel primate, mais quel primate ! Faut descendre de son arbre !
- — Mais fermez-là ! Bouclez-là ! Si c’est pour entendre des trucs pareils, économisez votre salive et vos trois neurones pour cette saloperie de programme !
- — Ça me coûtera ce que ça me coûtera mais je vais vous le payer, moi, votre fichu hôtel !
Et bien d’autres… Ça met un peu d’animation dans ma vie niçoise, entre lignes de code.
- — Au fait, Môssieu le codeur veut manger quoi ce soir ?
- — Un petit truc au maroilles avec des chicons, pardon, des endives braisées, ça irait ?
- — Mais arrêtez avec ces conneries ! On n’est pas dans un film ! On est dans la vraie vie, à Nice, Côte d’Azur, en bord de mer !
- — Ok, alors moules-frites !
- — Oh et puis merde ! Je me demande pourquoi je cherche à discuter avec vous ! ? Vous allez fatalement me répondre une grosse connerie dont vous serez content ! Je me demande franchement pourquoi je m’esquinte ! Maintenant, j’ai compris pourquoi vous êtes célibataire ! Mis à part la directrice d’un zoo ou d’un cirque, aucune femme sensée ne peut vouloir de vous !
- — Il est quelle heure ?
Un torchon en main, son poing sur sa hanche, elle soupire :
- — Bientôt dix-neuf heures, pourquoi ?
- — On peut aller manger dehors.
- — Si tôt ? Ah oui, j’oubliais que, là-haut, vous faites comme les poules, vous mangez tôt !
- — Les poules se couchent tôt, moi, je ne dors jamais avant minuit, une heure du mat’
- — Alors pourquoi manger si tôt ?
- — Mon estomac réclame.
Elle soupire à nouveau, les bras ballants :
- — C’est une raison qui se tient.
- — Bon, j’attends une heure pour faire la moyenne avec votre heure et on mange dehors, c’est moi qui invite !
- — Oh quelle générosité ! Et pourquoi cette… générosité ?
- — Vous ne trouvez plus vos mots ?
- — Excusez-moi, c’est la première fois que vous daignez m’inviter !
- — Le programme avance bien, je vais plus vite que prévu. Je puis me le permettre.
- — Le programme avance bien ? Vous voulez dire que vous en voyez le bout ? Vraiment ?
- — Oui, ça va même plus vite que prévu ! Satisfaite ?
Elle s’approche de moi, très dubitative :
- — Vous dites pour me faire plaisir ? Ou pour me faire bisquer ensuite ?
- — Non : pour me faire plaisir…
- — Euh, je ne comprends pas bien ?
- — Laissez tomber. À vingt heures tapantes, je vous embarque manger un truc dehors, et pas dans une brasserie. Alors, faites-vous belle !
- — Que je me fasse belle ? Comment ça ?
- — Que j’ai envie de sortir avec une belle fille, à en faire baver tous les machos du coin ! Et Dieu sait qu’il y en a par ici !
Elle soupire encore une fois :
- — Je me demande bien qui est le plus macho, les latins d’ici, ou vous avec vos raisonnements à la mords-… Oups !
- — Ouiii ? Continuez votre phrase, ma douce enfant…
- — Bouclez-là ! Sinon, vous irez faire votre sortie au restau avec une fille fagotée avec un sac poubelle !
- — Waow ! Je demande à voir ! Le pire, c’est que ça vous irait sans doute très bien ! Vous êtes naturellement mignonne.
Elle rougit malgré elle et soupire une dernière fois avant de quitter la pièce :
- — Avec vous, je ne sais jamais si vous êtes sincère, ou si vous vous foutez de moi…
Et comme elle part aussitôt, je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche pour lui répondre : les deux, ma chère…
--oOo-—
Un peu plus tard, dans un petit restau pas trop loin de chez elle, un truc typique, comme elle l’a indiqué. C’est vrai que c’est typique : belle déco, ambiance comme il faut ! Tandis que nous mangeons, la conversation roule sur tous les sujets ! Surtout sur elle…
Elle porte son verre à ses lèvres :
- — Toujours avec cette histoire de lesbiennes ?
- — Vous ne me détrompez pas…
- — Encore un fantasme de macho, ça, le couple de lesbiennes !
- — Oui, ces pauvres filles qui se gouinent entre elles, parce qu’elles n’ont encore jamais rencontré la biloute magique !
- — Pfff ! C’est cela, oui ! Tiens, pendant que vous en parlez, vous qui êtes du Nord : ça veut quoi exactement « biloute ?
- — Hum… je dirais que c’est proche de votre mot « cong ».
- — Comment ça ?
Elle boit une gorgée, je réponds :
- — Biloute signifie « personne » dans le sens bonhomme/bonne femme, c’est affectif, mais ça désigne aussi l’attribut masculin. En plus petit, il est vrai. Ce qui est l’inverse de votre « cong » local qui est nettement plus féminin, si je ne me trompe…
- — Épargnez-moi les détails, Fabrice !
Elle boit une autre gorgée. Je m’amuse à imaginer le liquide qui part de ses lèvres sucrées, qui glisse sur sa langue, dans sa gorge, derrière ses seins pour aller disparaître plus bas… Je m’étonne moi-même d’avoir ce genre d’idée. Elle coupe court à mes pensées saugrenues en demandant :
- — À votre tour, Fabrice : pourquoi un mec comme vous n’a pas de femme, ni de petite amie ? Vous n’êtes pas trop mal de votre personne, si on fait abstraction de votre façon… euh… déplacée de causer.
- — Merci de me trouver pas trop mal. Merci, mignonne Sophia !
- — Ça ne répond pas à ma question !
- — Peut-être un peu difficile quant à mes goûts, et mon travail m’a coupé de pas mal de monde, il est vrai.
- — Monsieur est difficile ?
- — Je vais finir par le croire… de plus, quand je rencontre une fille qui me plait vraiment, j’ai la sale manie de la vanner.
Elle marque un petit temps d’arrêt avant de rétorquer :
- — Qu’essayez-vous de me dire ?
- — Que je vous vanne. Pourquoi ?
Elle pose ses coudes sur la table, ses deux poings sous son menton :
- — Je commence suffisamment à comprendre les informaticiens et leur logique booléenne, comme ils disent, pour me faire une petite idée.
- — Et vous en concluez quoi ?
- — J’en conclus ce que je veux bien conclure. Il faut avoir un peu plus de courage dans la vie, plutôt que lancer des fils dans l’eau et voir ce qui pourra bien en sortir.
- — Vous pêchez ?
- — Je ne mordrai pas à l’hameçon. Si vous avez quelque chose à dire, dites-le simplement, comme un être humain normal. Ou bien, taisez-vous.
Je fais quoi ? Je suis perplexe, car je ne sais moi-même pas très bien ce que je veux. Je fais une très rapide auto-analyse, et sans mentir, j’avoue de mon ton le plus détaché :
- — Vous me plaisez, c’est vrai.
- — Et c’est pour cela que vous me faites tourner bourrique ?
- — Je pense que oui, ça doit être un mécanisme de défense. Il est vrai qu’il y a quelques années, j’ai subi quelques déconvenues avec des femmes.
- — Vous fourrez donc toutes les femmes dans le même sac ?
- — Vous marquez un point…
C’est à mon tour de boire une gorgée. Je me sens comme un frêle esquif sur une mer qui commence à s’agiter sérieusement. Je pousse un gros soupir :
- — Oui, vous marquez un point. Je me méfie des femmes trop mignonnes, elles sont dangereuses pour ma santé.
- — Combien ont été dangereuses pour votre santé ?
- — Trois… À chaque fois, j’ai cru que c’était la bonne. Et une année plus tard, alors que je commençais à faire des projets à long terme : patatras !
- — Pourquoi patatras ?
- — Je préfère pas trop répondre… sachez néanmoins pour faire rapide que le rôle du trahi n’est pas amusant du tout…
Elle me fixe, ses deux poings toujours sous son menton :
- — Trois femmes vous ont joué un sale tour, soit. Mais ne me dites pas, qu’après ça, que plus aucune femme n’a traversé votre vie… enfin, votre lit, plutôt.
- — J’ai bien eu des aventures, ci et là. Mais rien de bien concluant. Je devais être trop sur la défensive…
Elle pince ses lèvres :
- — Fabrice, je ne sais pas bien ce que je dois en penser… Je me demande si vous n’êtes pas en train de me mener en bateau. Ou… ou bien que vous essayez de m’apitoyer pour que je couche avec vous. C’est ça, le problème avec vous : on ne sait jamais sur quel pied danser !
- — Comment voulez-vous que je vous le dise ? Je sais que je suis parfois un sale gosse, mais de là à m’accuser de manipulation !
- — Parfois un sale gosse ? Parfois ! ? Vous êtes toujours un sale gosse, capricieux, et le pire, c’est que vous savez qu’on vous passera vos petits caprices parce que vous savez qu’on a besoin de vous ! Vous avez peut-être des problèmes avec des femmes, mais de là à faire porter le chapeau à toutes les autres, il y a une sacrée marge !
Ses yeux se font très sombres, avec des lueurs étranges qui les zèbrent ci et là. C’est à la fois très attirant, excitant et inquiétant.
- — Vous exagérez, Sophia. Je ne suis pas un enfant de chœur, soit, mais de là à me dépeindre comme un vil manipulateur, vous y allez un peu fort !
- — Prouvez-moi le contraire !
- — Comment ? Vous ne croyez pas ce que je raconte. Si je parle vrai, vous allez dire que c’est de la manip de ma part. Je fais quoi ?
- — Les hommes sont tous des manipulateurs, j’en sais quelque chose. Une fois qu’ils ont ce qu’ils veulent, vous n’existez plus. Je commence à comprendre la chanson !
- — Ok, j’ai compris : je suis un homme, donc je suis un manipulateur ? J’en ai autant à votre service : les femmes sont toutes des traîtresses qui vous plantent un poignard dans le dos !
- — Oh ! Co… comment osez-vous dire ça ? Moi, une traîtresse ?
- — Oui, une traîtresse comme les autres ! Vous n’avez rien oublié de me dire, comme ces modifs exigées par le client ?
- — C’est mon chef qui m’a demandé de ne rien dire !
- — La belle affaire !
Elle se lève brutalement, sa chaise manque de valser. Déjà certains clients vous regardent. Elle approche sa tête de la mienne par-dessus la table, me faisant incidemment admirer son décolleté et ses mignons seins qui s’y nichent, ce qui n’aide pas trop à la concentration !
- — Vous avez le choix : ou bien on enterre la hache de guerre, ou bien ce n’est plus la peine de rester ici en tête-à-tête.
- — Vous voulez quoi, vous personnellement ? Qu’on arrête de se chamailler, ou que je disparaisse ?
- — Il y a des jours où je vous tuerais volontiers à petit feu, tellement vous êtes invivable. Je vais être claire et nette : professionnellement, j’ai pour l’instant besoin de vous, je veux en finir avec ce dossier à la con, ne plus en entendre parler, tirer un trait dessus. Et vous aussi, plus vite fini, plus vite débarrassé. Non ?
- — Je ne peux que vous donner raison. C’était la partie professionnelle…
Par-dessus la table, je me rapproche d’elle, mes yeux dans les siens :
- — … et pour la partie personnelle ?
Surprise, troublée, son nez touchant presque le mien, elle marque un temps d’arrêt :
- — Je ne sais pas, franchement, je ne sais pas…
Je jette un coup d’œil alentour, puis je lui dis :
- — Finissons notre dessert et allons ailleurs, ce sera plus simple ainsi.
- — Vous avez raison.
Quelques minutes plus tard, nous cheminons dehors vers le bord de mer. Nous sommes un peu plus calmes, je cogite comme un fou, mon sens inné de l’analyse essaye de recoller tous les morceaux, afin de dégager un schéma potable, car je nage complètement dans les supputations les plus floues !
Là-bas, au bout de la rue, je crois distinguer un truc bleu, la mer ?
- — C’est bien la mer que je vois ?
- — Oui, c’est la mer. Vous voulez aller voir ?
- — Oui, ça va faire quelques jours que je suis arrivé et pourtant, je n’ai jamais vue la mer d’ici, ni la fameuse Croisette.
Elle pouffe :
- — La Croisette, c’est à Cannes… pas à Nice.
- — Ah bon ?
Nous éclatons de rire, l’évacuation de nos stress respectifs. Puis nous continuons notre chemin vers la mer. Maintenant, ça va faire dix bonnes minutes que nous longeons la Méditerranée et ses flots très calmes.
- — Au fait, Sophia, c’est marée haute ou basse ?
- — Là, à vue de nez, marée basse.
- — Eh bé, elles ne sont pas très profondes vos plages par ici ! Je comprends mieux pourquoi on s’entasse dessus !
- — J’ai déjà vu des photos du Touquet, je reconnais que c’est très différent. Vous avez largement du sable pour faire du char à voile.
- — C’est plutôt à Berck. Mais quelqu’un qui confond Cannes et Nice est mal placé pour vous reprocher ce genre de détail.
- — Vous vous améliorez ! Je suis ébahie !
Je préfère ne rien répondre. Une minute se passe. C’est elle qui rebondit :
- — Vous pensez en avoir encore pour combien de temps ?
- — Une semaine maxi, sans doute.
- — Sûr ?
- — Oui, à quatre-vingt-quinze pour cent. Sauf si, entre-temps, vous avez oublié de m’avouer un « détail ».
- — Vous savez tout. Enfin, vous en savez autant que moi. Mais je ne m’avancerais pas pour Michel.
- — Votre charmant chef serait-il un spécialiste des coups en douce ?
- — Plutôt ! Mais passons…
Je m’arrête pour contempler la mer, les mains dans les poches, une légère brise souffle. Sophia en fait de même. Peu après, c’est plutôt elle que je regarde, que j’admire. Elle s’en rend compte :
- — Vous faites quoi, là ?
- — Je préfère vous regarder vous, plutôt que la Méditerranée…
- — Pourtant, vous m’avez souvent sous les yeux, à ce que je sache.
- — Oui, c’est vrai. Mais ici, le contexte est différent…
Un peu troublé, j’ôte les mains de mes poches et je m’approche d’elle. Elle incline légèrement la tête.
- — Sophia, nous étions bien partis tous les deux avant que je ne vienne ici à Nice. En vous découvrant réellement sur place, j’ai pu constater que vous étiez trop mignonne pour moi. Du coup, je vous ai beaucoup chambrée. Désolé… On efface tout et on recommence à zéro ?
- — Un reset, comme vous dites ?
- — Oui, un reset.
Elle est dubitative, elle incline un peu la tête, se mordant les lèvres, cherchant quoi répondre. Elle est trop craquante ainsi. Je me jette à l’eau :
- — Sophia, vous me plaisez beaucoup et… ça m’emmerde beaucoup ! Vous êtes si… enfin. Mais vous êtes ici, à Nice, et moi, je suis de là-haut.
- — Et… ?
- — Et je ne veux pas d’une aventure d’une semaine. Car si vous êtes telle que je crois, ça me ferait trop mal de vous quitter.
Elle relève la tête, ses yeux sombres étincellent, sa voix a une petite colorisation colérique :
- — En général, les hommes ne s’embarrassent pas avec moi de telles considérations : ils me sautent dessus ! Point barre !
- — Honnêtement, si j’étais sûr de tourner la page, de vous oublier, je vous aurais déjà sauté dessus, comme vous dites.
- — Ah ? Et qu’est-ce qui vous retient ? La peur de souffrir ?
- — Vous êtes dure !
- — Vous êtes un adulte, pas un gosse de dix ans !
De plus en plus troublé, je m’approche néanmoins un peu plus près d’elle :
- — C’est pas vous qui clamez, en long, en large et en travers, que tous les hommes sont des profiteurs, des manipulateurs ?
- — Et alors ? Oui, les hommes sont des manipulateurs, des salauds mais…
J’ai la révélation :
- — Mais vous avez du mal à vous en passer…
- — Oui, c’est bien là ma faiblesse.
Je pose mes mains sur ses épaules, je sens sa peau à travers son fin chemisier, elle s’agite, elle fixe à nouveau le sol, elle ne me regarde pas :
- — Oui, c’est là ma faiblesse ! Je vais finir par croire que je suis une pauvre idiote ou une masochiste !
- — Non, je ne pense pas, Sophia… Je vous comprends, je suis dans le même cas que vous : je me méfie des femmes, pourtant j’ai un mal de chien à m’en passer.
Elle se calme un peu, lève la tête vers moi et questionne :
- — On fait quoi ?
- — Advienne ce que pourra…
- — Pardon ?
Ce furent ses derniers mots avant que je capture ses lèvres. Au diable le futur, vivons au présent. Peut-être que cette femme me fera encore plus mal que toutes les autres. Tant pis ! Au moins, j’aurais vécu quelque chose avec elle. Même pour quelques jours, mais avec la sensation que ces jours-là compteront beaucoup plus que des années !
--oOo-—
Encore une nouvelle journée ensoleillée qui s’annonce. Il n’y a pas à dire, c’est quand même plus joyeux ici, à Nice, que chez moi à Calais. Enfin, c’est différent, dirons-nous. La tête bien calée dans l’oreiller, la chambre traversée par les rayons du soleil, un vague murmure venant de l’extérieur, je commence à comprendre pourquoi, par ici, on a parfois la flemme de se lever tôt.
Se lever ? Et pourquoi donc ?
Pour un fichu programme en Cobol à la con ? Pardon, je rectifie : fichu programme à la con en Cobol, ce vieux langage de programmation n’y est pour rien, même si on a fait nettement mieux depuis le temps. Oui, ce n’est pourtant les langages qui manquent pour écrire des applications orientées gestion ! Mais bon, le client veut du Cobol, il aura du Cobol. Point barre.
Oui, point barre. Néanmoins, pour l’instant, je suis mal barré, je n’ai franchement pas envie de mettre mon nez dans le code. Pas du tout !
Je cligne des yeux, je manque un peu de sommeil, sans doute. J’ai une grande faim, vorace, dévastatrice, comme si j’avais couru le marathon sur ses quarante-deux kilomètres réglementaires. Et une soif inextinguible.
Mon cerveau toujours dans le brouillard, je lève la tête vers la table de chevet. Un réveil, des livres, une lampe de chevet, des trucs indéterminés… Je suis dubitatif : non, ce n’est pas exactement ça. Oui, j’ai effectivement faim et soif, mais pas d’un petit déjeuner…
Quoique, je me sens en capacité d’avaler une baguette complète avec un pot de miel entier ! Même deux ! C’est vrai que ça se mange tout seul !
Alors que je suis perdu dans mes rêveries, j’entends juste à côté de moi une sorte de sourd grognement, je pivote aussitôt : Sophia est endormie, son charmant corps à moitié découvert, ses mignonnes courbes bien dévoilées !
Oh oui, j’ai immensément faim et soif d’elle !
C’est alors que je me souviens…
--oOo-—
Flash-back, comme on dit au cinéma…
Elle et moi, hier, le restau, la balade, la mer… Elle face à moi, d’aspect si fragile sous la lune, les faibles vagues…
Elle se calme un peu, lève la tête vers moi et questionne :
- — On fait quoi ?
- — Advienne ce que pourra…
- — Pardon ?
Ce furent ses derniers mots avant que je capture ses lèvres. Au diable le futur, vivons au présent. Peut-être que cette femme me fera encore plus mal que toutes les autres. Tant pis ! Au moins, j’aurais vécu quelque chose avec elle. Même pour quelques jours, mais avec la sensation que ces jours-là compteront beaucoup plus que des années !
Ce n’est pas la première fois que j’embrasse une femme, il y a longtemps que j’ai fini d’entretenir une comptabilité précise à ce sujet, mais c’est bien la première fois que j’éprouve une telle sensation !
--oOo-—
Vous savez ce que c’est que de désirer une femme plus que tout ? De vouloir la posséder, tout lui prendre ? Eh bien, pour moi, c’est le cas !
Il y a tellement de choses à prendre chez Sophia que je ne sais par où commencer ! Ses lèvres sucrées, son cou tout doux ? Ses seins frémissants, ses tétons érigés ? Son ventre tout câlin, ses hanches si courbes ? Ses fesses dodues, son cul mignon à croquer ? Son pubis délicat, ses lèvres suaves ?
Peu importe, je veux tout, je mettrai le temps qu’il faudra mais tout sera à moi, possessivement, absolument !
- — Pas ici, quand même ! gémit-elle.
Comment ça, pas ici ? C’est alors que je réalise que nous sommes sur un boulevard en bordure de mer, elle plaquée contre un réverbère et moi qui mets mes mains et mes lèvres partout sur son corps frémissant.
- — Peu importe ! dis-je imperturbable, sans ôter mes mains de ses courbes, ni mes lèvres du creux de son cou si tendre.
Soudain, pris d’une inspiration subite, je la soulève sans effort dans mes bras telle une enfant, puis je dirige posément avec mon précieux fardeau vers la plage.
- — Vous… vous faites quoi ?
- — Je fais ce que j’aurais dû faire dès le premier jour !
Et sans lui laisser le temps de répondre, je l’embrasse, bien décidé à me laisser embraser complètement et me brûler les ailes, peu importera la suite. Carpe diem, c’est bien ce que j’ai envie de faire, profiter de l’instant présent, profiter d’elle, tout lui prendre, tout lui donner !
Je ne sais pas combien de temps s’écoule, je ne connais rien d’autre que la chaleur de ses lèvres, leur douceur, leur goût sucré !
Je me contrefiche du sable qui voltige sur nos visages, dans nos cheveux, qui s’introduit dans nos vêtements ! Rien ne m’importe plus que Sophia.
Je n’y tiens plus ! Après avoir ôté, je ne sais comment, les boutons de son chemisier, je plonge, nez en premier dans son décolleté, ma bouche désirant à tout prix goûter ces fruits ronds et sucrés, croquer dedans sans réserve ! Elle gémit, tressaille un peu, mais me laisse faire, ce qui m’enhardit un peu plus.
- — N… non, pas ici, quand même ! proteste-t-elle faiblement.
- — Et pourquoi pas ?
Écartant du bout du nez un bonnet de son soutien-gorge, je capture alors son téton que je torture aussitôt, elle gémit de plus belle, j’adore ses petits bruits incongrus et si excitants ! Peu après, c’est sa poitrine nue et frémissante qu’elle offre à mes baisers voraces et ma bouche carnassière !
- — Non… non, pas ici ! Allons chez moi ! murmure-t-elle.
- — Ah non, tu serais capable de m’échapper ! Et ça, ma mignonne, il n’en est pas question !
- — Tu… tu ne crois pas que… que ça ne serait pas nettement mieux dans… dans mon lit ?
C’est vrai que c’est un argument de poids ! Aussitôt dit, aussitôt fait, je la soulève dans mes bras, et sans plus attendre, je galope vers son appartement, tandis qu’elle tente tant bien que mal entre deux baisers fougueux, de refermer son chemisier et de remettre un peu d’ordre dans ses cheveux. Quelques passants nous dévisagent curieusement, certains intrigués, d’autres plus souriants, mais je n’en ai cure ! Tant pis si ma réputation est grillée dans ce quartier !
Je ne sais plus trop bien comment j’ai réussi à ouvrir la porte, ni comment nous avons atterri dans son lit, mais c’est avec fébrilité que j’enlève tous ses vêtements sans me soucier d’où ils peuvent voltiger ! C’est avec une passion renouvelée que je découvre les moindres courbes de sa mignonne anatomie, ses seins à croquer, son ventre tout doux, ses jambes soyeuses et son triangle étrangement barré un petit trait vertical tout sombre.
- — Ne… ne me regarde pas comme ça !
- — Tu es belle, très belle et je veux t’admirer !
- — Tu… tu ne devrais pas !
Toujours est-il qu’elle lance ses bras autour de mon cou et m’attire impérativement à elle, me planquant sur son corps brûlant ! Nous roulons sur le lit, nos lèvres rivées, nos peaux soudées. Puis, tout à coup, nous nous séparons, haletants, manquant d’air.
Elle est allongée sur le dos, bras en croix, je me redresse, m’agenouillant auprès d’elle, la caressant délicatement. Elle me sourit d’une façon étrange…
Je ne cherche pas à comprendre, je me jette littéralement sur elle pour lui faire subir à présent plein de bonnes choses que j’aurais dû faire quand je suis arrivé, il y a trop longtemps, à Nice ! Ne jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire tout de suite, surtout côté sexe !
Cette maxime vaut aussi pour la programmation, mais là maintenant, je n’ai absolument pas l’esprit branché ordinateur ! J’ai bien autre chose en tête et surtout entre mes mains et sous mes lèvres !
Sophia est complètement offerte à mes caresses, à mes baisers, et j’en profite ! Car je n’ai absolument pas envie de me freiner ! Cette femme, je la désire trop, j’ai trop envie de la posséder, de l’avoir à moi, complètement. Oui, j’ai déjà désiré des femmes, mais jamais à ce point, comme si ma vie en dépendait !
Ma bouche gobe ses tétons, mordille ses seins, se niche sous ses globes laiteux puis, insatiable, elle couvre de baisers embrasés la plaine de son ventre pour venir ensuite à l’orée de son pubis luisant. C’est alors que je lève le nez pour admirer le spectacle de son sexe entrouvert, surmonté d’une fine bande de poils pubiens, telle une flèche qui m’indique la marche à suivre…
Avec une évidente satisfaction, je constate qu’elle mouille déjà, et capturé par ses effluves troublantes, je m’empresse d’aller honorer de ma langue une si jolie fente ! À peine ai-je commencé à goûter à son intimité tout humide qu’elle soupire bruyamment d’aise ! Sadiquement, je prends mon temps, je glisse, je fouille, furetant, creusant ci et là. Elle se cabre, elle gémit, elle adore.
Moi aussi, j’adore le goût de sa cyprine et je ne me gêne pas pour la boire, lapant en elle du creux de ma langue sa liqueur blanche.
Puis, sans prévenir, j’attaque son petit bouton rose qui me nargue depuis tout à l’heure ! Elle pousse un petit cri rauque qui m’excite plus encore ! Comme secouée par des décharges électriques, son corps, ses membres tressaillent, son ventre palpite, sa fente se détrempe plus encore, ruisselante, telle une source.
Assoiffé, je bois tout, détrempant son clitoris turgescent et ultra-sensible. À chaque coup de langue que je donne vicieusement, elle se cabre, hululant des cris étranges, comme brisés, cassés.
Soudain, elle repousse ma tête, m’empêchant de continuer à la torturer ainsi :
Je relève la tête, elle répète, impérative :
- — Viens ! Viens vite en moi ! Viens !
Je me glisse entre ses jambes qu’elle écarte sans réserve, je me frotte un peu sur elle, posant mon sexe bien dressé sur son pubis, sur son ticket de métro, puis, lentement, je descends le long de ce fin tapis de poils pubiens.
J’ai décidé d’y aller doucement, pour mieux faire durer le plaisir… Mon gland glisse à présent sur sa petite fourrure sombre, puis il s’introduit délicatement dans sa fente humide. Elle remue du bassin pour que je plonge en elle, mais je continue ma descente…
- — Viens ! Me fais pas languir comme ça !
- — Taratata, tu subiras…
- — Tu es vraiment un gros salaud dans ton genre !
- — C’est pour mieux te faire jouir mon enfant !
Elle tente de se rapprocher de ma verge qui s’enfonce entre ses lèvres distendues, mais je réussis à ne pas me faire happer. Elle gronde :
- — Même au pieu, tu es un gros salaud !
- — Tu te répètes, mon enfant !
Elle s’agite, ses ongles entrent dans ma peau :
- — Tu vas finir par me baiser, oui ou merde ?
- — Tu es vraiment malpolie, mon enfant !
Ses ongles strient mes chairs, la douleur est à la fois aigue et excitante.
- — Viens ! Viens ! Mais tu vas venir, bordel !
- — Non, non, non… profite…
- — Salaud, salaud, salaud ! Pourquoi tu fais ça ?
- — C’est pour mieux te baiser, mon enfant !
Et qu’un puissant coup de rein, j’entre férocement en elle, elle crie, des secousses l’agitent sans cesse, tandis que je la pistonne brutalement, implacablement. Elle me plaque sur elle, me labourant le dos, une lancinante litanie sur ses lèvres.
Je ne comprends pas bien ce qu’elle dit. Sans cesser de la labourer, je tends l’oreille, je décrypte ces sons répétitifs qui sortent de sa bouche :
- — Salaud ! Quel salaud ! Oh mais quel salaud !
Peu après, nous explosons tous les deux, nos corps soudés, moi complètement enfoncé en elle, expulsant tout ce que je possède en salves épaisses, me rivant plus encore en elle par de puissants coups de reins !
Avant de sombrer dans une demi-mort, je songe que c’est étrange d’entendre des gros mots dans la bouche de ma Sophia, mais que c’est aussi terriblement excitant !
Et la nuit ne fait que commencer !
Les autres nuits aussi !
--oOo-—
À première vue, Sophia n’est pas douée pour la géographie ! Quand elle m’a proposé de trouver un juste milieu entre Calais et Nice, moi, j’imaginais plutôt un lieu du côté de Lyon. À la place, nous nous sommes installés à Biarritz, enfin pas tout à fait, mais je présume que le village du nom d’Arcangue ne vous évoquerait rien. Ce n’est pas précisément avec vue sur la mer, mais nous n’en sommes pas trop loin en vélo. Le coin est verdoyant et pas toujours très plat, il n’y a pas foule, sauf peut-être durant les grandes vacances, mais ça nous convient parfaitement.
Derrière chez nous, il y a un petit bois plein de pins, leur senteur est forte et enivrante, mais combien de fois ai-je eu le plaisir de faire l’amour à ma Sophia à l’ombre de ces grands arbres ? Souvent, très souvent !
Notre façon de faire l’amour est souvent vache, elle adore m’insulter, j’adore la punir de ses invectives ! Et croyez-moi, la palette des punitions en matière de sexe est très vaste. Le seul problème est qu’elle aime tout ce que je lui fais subir.
L’une des dernières fois que j’ai voulu la châtier, ce fut par une entrée des artistes à sec, sans préparation, enfin si, un peu quand même. Ce ne fut pas sans mal de ma part ! Résultat : elle a adoré, moi, j’ai eu le kiki hors service pour un certain temps ! Une petite masochiste, ma Sophia ! Maintenant, avec un peu plus de lubrifiant, nous recommençons souvent ! Et je ne vous parlerai pas du reste !
Et je ne parlerai même pas des autres coins et recoins du secteur ! Je ne vais quand même pas révéler à tout le monde nos petits secrets !
Quand nous avons déménagé, ma plus grosse crainte concernait le débit Internet, afin que nous puissions travailler à distance, car j’ai pu négocier royalement avec ma boîte afin de créer la mienne. J’ai même réussi à avoir le beurre et l’argent du beurre, et même la crémière en prime, puisque que ma commerciale préférée a fait partie du lot. Ce qui est logique puisque ma Sophia est un beau petit lot ! En résumé : pas de problème, tout va bien !
Tout va très bien. Dehors, un petit bout de onze mois fait ses premiers pas avec sa mignonne maman, et moi, je suis derrière ma caméra numérique en train de saisir toutes ses hésitations, ses craintes et ses rires…
Oui, tout va bien !
PS : merci à Favasso pour la première relecture