n° 15068 | Fiche technique | 88707 caractères | 88707Temps de lecture estimé : 51 mn | 10/07/12 corrigé 11/06/21 |
Résumé: Ce texte est une étude sociologique sur... Non attendez, il s'agit plutôt d'une histoire d'amour. Disons de fesses, elle est d'ailleurs basée sur des faits réels. Qui sont à majorité fictifs si l'on y réfléchit. Rhaaa, je ne sais plus. | ||||
Critères: fh telnet fsoumise hdomine strip vidéox photofilm pénétratio fsodo coprolalie sm gifle fouetfesse confession -regrets -fsoumisah | ||||
Auteur : Ponderosa Envoi mini-message |
À bas l’époque de 9 semaines 1/2 et des histoires qui terminent aux urgences. De nos jours, si une rencontre bdsm tourne au vinaigre, on lance le safeword à nos copines et on bannit le type du site où on l’a rencontré. Les carottes sont dans l’aïoli, je répète, les carottes sont dans l’aïoli. Je peux donc surfer régulièrement sur la toile sans trop craindre le grand méchant loup, sur mon site préféré de rencontres bdsm appelé, en toute simplicité, « adopteunmaitre.com ». Le pendant masculin aurait fait scandale, mais que voulez-vous, il faut que ce soit branché ; si on oublie les cœurs en guise de points sur les -i- de Maître et de Masochisme, on n’attire pas la frileuse petite soumise débutante, loi de la nature SM oblige.
J’aime cette grande plate-forme où les personnes se croisent anonymement, où le choix de tel ou tel quidam est scellé en quelques secondes, où les hommes qui ne mettent pas de photos ont moins d’une chance sur cinq cent mille (j’ai fait le calcul) d’être retenu par leur potentielle future-ex soumise. Ce concept de restauration rapide pour « célibataire aux exigences particulières » m’affriole les sens : on regarde le menu, on passe la commande et on se fait livrer dans les plus brefs délais. Le principe du site est simple : on se fait une petite fiche de profil, on met une photo et on attend le premier message. Pour une femme par exemple, une description sommaire est appréciée ; cependant, qu’on mette notre tour de taille ou la page 156 du bottin ne fait aucune différence : nous aurons au final le même nombre d’invitations à la débauche.
Ce soir est une session de vache maigre ; sur les trois MP reçus, (comprenez Message Privé, comme dans le film Vous avez un message, mais version bdsm) aucun de potable. Le premier est de Joris25 ; je ne sais s’il s’agit de la taille de son engin ou de son département, mais dans les deux cas, je ne suis pas intéressée (trop peu subtil/trop loin). Le deuxième est de MlleSteph. Elle a dû envoyer ce mail à tous les membres vu qu’elle ne rentre pas dans ma recherche. Mais je la comprends, car sur internet les femmes sont des hommes, les soumises des ados et les esclaves des agents de la cybercriminalité. Il n’y a bien que les hommes qui en soient vraiment. L’identité de nos jours me semble être un concept dépassé ; bref, je ne lui réponds pas. Le troisième est de Marc109 et pas des plus glorieux dans l’histoire de la messagerie virtuelle :
« …tu baiz ? »
Non, Marc109, je ne « baiz » pas, en tout cas pas avec toi. Je me résigne pendant une seconde à ne pas trouver laisse à mon collier pour ce soir, puis décide de prendre les devants. Un petit tour dans la section recherche et j’ai devant moi les quelques 563 dominateurs censés me correspondre. Devant cette population pléthorique, je rajoute un filtre de mon cru : l’orthographe. Trois clics plus tard, je me retrouve nez-à-nez avec « L’Impitoyable », un homme d’une trentaine d’années et ressemblant vaguement à l’acteur barbu du Robin des Bois de mon enfance. Je fantasmais dessus : un point pour lui. Il est bélier, habite Paris, boit occasionnellement de l’alcool et ne fume pas. Encore un point. Il se définit comme inflexible, aimant le courant goréen mais n’y adhérant pas totalement, voulant d’une relation de confiance où la soumise y aurait « sa place naturelle », une relation dirigée par un patron « qui ne pourrait être quelqu’un d’autre que lui ». Cette vision des choses que d’aucuns jugeraient sexiste et misogyne me séduit. L’idée d’un homme fort, sosie de Matthew Porretta – mon Robin des Bois tant adulé – et sentant bon l’after-shave me transporte vers le mont Fantasme illico. Je lui envoie sans plus attendre un message sans prétention de trois lignes, mettant bien entendu trois heures pour l’écrire :
« Cher Impitoyable,
J’aime beaucoup votre vision des choses. En fait, je la trouve belle et pense pareil. Je crois qu’elle nous parle, tout simplement, comme un vieil instinct. Je pense aussi que la plupart des femmes, même si elles ne se l’avouent pas, recherchent quelque part ce genre de domination.
Peut-être à bientôt. »
Je glousse en cliquant sur envoyer, excitée à l’idée de la réponse. J’insère un DVD dans le lecteur et me mets en condition pour des heures délectables devant Six Feet Under. Couette, chocolats, chat sur les genoux, tout est en place, le générique commence… À la dernière note de musique, je vais vérifier mes messages. Rien. Grommelle, grommelle. Re-série, re-vérification cinq minutes après. Toujours rien. Le DVD défile ainsi, entrecoupé à intervalles réguliers de check-points qui font chou blanc ; résultat, je ne comprends rien à l’histoire. Ce n’est que quatre heures après que le fameux « toutoum » retentit, tel le glas d’un futur idyllique avec un Maître parfait au poil soyeux et à la voix impérieuse.
« Chère Ponderosa,
Tout d’abord, merci pour ton message, ce genre d’attentions fait toujours plaisir.
Pour être honnête, j’utilise volontairement une annonce certes en accord avec ma pensée, mais sans fioriture et très crue dans sa formulation, pour deux raisons. La première c’est que, si sur un site qui s’appelle « adopteunmaitre », on ne peut pas s’autoriser à être franc, où va le monde ? La seconde : le tri. Une telle annonce me permet de faire le tri entre les filles motivées et les fantasmeuses pas sérieuses.
Bien sûr, avec ce choix stratégique, le nombre de réponses que je reçois reste limité. Mais quand quelqu’un mord à l’hameçon, j’ai droit à un gros poisson… Actuellement, je fréquente une soumise du site, mais c’est une étudiante roumaine qui doit retourner pour toujours dans son pays la semaine prochaine. Est-ce un signe, que tu me contactes au moment même où je me remets en recherche ? »
Mon gloussement réveille le chat qui s’enfuit en courant, puis revient une seconde après ayant oublié ce pour quoi il avait quitté son nid douillet. Ohlala, les choses sérieuses se concrétisent. Je saute sur mon clavier et tape les mots suivants :
« Vous avez raison d’être franc dans votre profil, les annonces type recherche d’emploi retranscrites en mode bdsm nous font rester sur notre faim. Et je suis désolée que vous perdiez votre soumise. Vous étiez ensemble depuis longtemps ?
Signé le gros poisson »
J’étais allée en Roumanie il y a quelques années, impatiente de visiter le château de Bran, château qui a inspiré Dracula. Il se tenait là, magistral dans ses Carpates enneigées, envoûtant et mystérieux. Mais la visite de l’intérieur m’avait déçue ; ce côté aseptisé, offert aux yeux des centaines de touristes chaque jour… j’avais peur que mon brun ténébreux ne subisse le même sort.
Mon dernier mail ne se mouille pas, je le trouve même médiocre ; étant d’une nature paresseuse, je préfère qu’il fasse le premier pas. Nouveau message de sa part :
« Tu es connectée là ? »
Et quel premier pas… une conversation en temps réel. Je me lance tout de même, consciente de la désillusion que pourrait entraîner mon entrée dans ce château qu’est ce dominateur aux traits si fins.
Cette demande est le juste contrecoup de ma théorie sur le web : « sous-effectif de soumises sur les sites de rencontre et fainéantise féminine ».
Je trouvais qu’il prenait un ton prétentieux et surtout qu’il allait vite en besogne. Mais après tout, il avait un peu raison. Combien de discussions j’avais entamées sur le même fil conducteur, et finissant toujours pareil, avec cette impression de dominer les choses tellement l’autre veut plaire pour arriver à ses fins, quitte à ne pas faire de vagues. Et puis n’était-ce pas hypocrite de parler à un dominateur, sur un site qui ne laissait aucun doute sur nos intentions respectives, et de faire comme si je voulais continuer à causer peinture pendant une semaine ? Non. Pour une fois, je voulais changer la donne.
Et maintenant, voilà que je rougis et me plais étrangement à tenir ce genre de dialogue.
Le long silence qui suit me démontre que c’est moi, l’intolérante. Cet échange me plaît (et commence à m’exciter…) et la seule chose qui me vient à l’esprit c’est de sortir les griffes. La sincérité de cet homme est rassurante et je me donne l’impression d’une bêcheuse rabat-joie et castratrice. Dommage qu’internet ne puisse rendre le ton des répliques, il me ferait peut-être un peu moins passer pour une hystérique, et lui pour un obsédé.
Ça tombe bien, j’en ai une bonne paire. Mais il est hors de question que je lui cède tous ses petits caprices qui me semblent un peu trop pervers. Je me demande s’il aborde les filles dans la rue avec le même genre de discours : « Bonjour, vous êtes rasée mademoiselle ? Non ? J’aurais parié le contraire ». Vive les joies de la franchise des messageries instantanées.
Quand je me déconnecte, il est 23 h, le gus ne doit pas être dupe. Mais je ne compte pas recontacter ce type. Je ne sais même pas son prénom.
Une semaine passe et arrive le week-end. Un samedi soir de finale de match où aucun de mes amis n’est disponible pour faire un tour dehors. Je viens de terminer un bouquin et la dernière saison de Six Feet Under. En résumé, je m’ennuie, je m’ennuie et je m’ennuie. Je décide d’aller faire un petit tour sur adopteunmaitre pour ouvrir mes messages et découvrir avec étonnement qu’il n’y en a aucun de Monsieur L’Impitoyable. La première impression que j’ai laissée était-elle si mauvaise que ça ? Même si c’est moi qui suis partie comme une malpropre, je suis vexée devant son mutisme. Je remarque qu’il est connecté d’ailleurs. C’est soit lui, soit les cinq derniers jours de vaisselle à faire.
Pour la première fois depuis notre rencontre, mon correspondant fait un trait d’humour. En regardant l’heure une seconde fois, je me rends compte qu’il est 3 h passées. Nous avons parlé pendant plus de 5 h. C’est ce que j’appelle : une discussion virtuelle réussie. À la fin, il lance :
Vive les joies de la franchise des messageries instantanées. En quelques heures, on peut reconstituer un aboutissement de révélations intimes qui auraient pris trois semaines dans la vraie vie.
J’avais découvert beaucoup de choses sur lui, ce qui ne le rendait que plus intéressant. Il était libanais d’origine (j’adorais le charrier sur ça), était passionné par son métier, avait même fait trois ans de psycho en parallèle à ses études d’ingénieur, avait quelques petites manies psychorigides et était un fan inconditionné de David Bowie. Ça tombait bien car moi aussi. Son côté de pervers rebutant n’avait pas sorti son museau de la soirée. J’appréciais franchement ce nouvel ami, comme après toutes les rencontres qui se terminent bien et qui nous laissent un goût de plaisir virtuel sur la langue. Je m’endormais doucement et sans mal, bercée par Space Oddity.
Dimanche matin. Un dimanche matin qu’on peut qualifier de ploplo, en jogging/débardeur et cheveux gras, la panoplie complète de la glandeuse dominicale. Monsieur Le Juge (le chat) dans mes pattes, à miaouter jusqu’à plus soif pour avoir son bol de croquettes, me tient compagnie et cela me suffit amplement. Je me surprends à avoir une petite pensée pour Saad et même à sourire légèrement. D’ailleurs, je m’empresse d’ouvrir tous les fichiers qu’il m’a envoyés et de commencer une nouvelle série, un anime, pour découvrir son univers. Je fais une pause au sixième épisode pour lui passer un petit coucou, par sms cette fois-ci :
« Watashi wa Kira desu ! Me reconnaîtras-tu ? »
« Idiote, je n’ai pas envoyé Death Note à 36.000 filles hier ! »
« Alors je suis démasquée… »
« Internet ? »
« J’arrive »
Et c’est ainsi qu’on transforme un dimanche prévu pour réviser en tchat interminable. Je le trouve drôle, drôle, et intelligent. Et drôle. Nous sommes bien sûr arrivés au moment où je me devais d’envoyer une photo qui tienne assez la route pour qu’il ne m’en demande pas une deuxième. Je choisis celle pendant ces vacances à la mer où, accoudée à un mur, je lance un large sourire à mon père qui agite un shaker en slip Dumbo l’éléphant (en prenant soin de couper cette partie de la photo pour ne plus montrer qu’une fille radieuse sur la plage). Il a continué à me parler, ce qui était plutôt bon signe, mais a insisté pour en voir une autre, ce qui ne m’allait pas du tout vu que je n’en avais qu’une de potable. Après moult négociations, je cède sous le poids de l’engouement qu’il met à vouloir me voir sous toutes les coutures. Son « Tu es très mignonne » me fait même rougir.
Quant à lui, je le trouve parfait. Il m’envoie des dizaines de photos de lui lors de ses voyages au Liban, à Prague, au Maroc… Je me découvre un côté midinette à aduler un globe-trotter style « ouais bébé, j’ai fait le tour du monde, t’es éblouie, c’est normal » alors que je lui propose la Roumanie, le Cantal et la Tranche-sur-Mer. Mes gros seins devraient pouvoir jouer en ma faveur pour la prochaine fois. Je garde ce joker de côté, s’il m’avoue être un expert en littérature russe et posséder son haras. Non mais. À l’heure d’aller se coucher, j’ai peine à quitter ce nouveau compagnon.
« Lundi brumeux, lundi brumeux » comme le dit le proverbe. Un temps à échanger des sms en cours toute la journée avec mon boute-en-train libanais et à parler le reste de la soirée avec lui sur le net, allant jusqu’à oublier le resto où je devais aller avec une copine. Sur le coup des 22 h 30, silence radio de son côté. Au moment où j’envisage l’AVC qu’il est en train de faire derrière son ordi, incapable de taper les lettres sur le clavier puisqu’il ne les reconnaît tout bonnement plus, mon portable se met à vibrer. C’est lui. Arrive ce moment dans les rencontres internet où il faut passer à des choses plus solennelles, comme entendre la voix de l’autre. C’est d’ailleurs une source d’angoisse plus ou moins tangible, qui consiste à imaginer que la personne parfaite avec qui on a des discussions fabuleuses aurait la voix d’un castrat italien, ou, pire, d’un ado de quatorze ans en plein mue car… c’en est vraiment un.
J’espère à ce moment-là que mon rire gras sonore ne l’effraie pas trop.
S’en suit une explication linguistique des pays arabes des plus passionnantes. Les sujets de conversation fusent, malgré ma peur des blancs qui passent inaperçus en virtuel. On rentre même dans des détails plus intimes comme ses relations passées, mes relations passées, celles qui ont complètement foiré. Il me fait part de ses doutes quant à sa liaison avec cette étudiante roumaine, qu’elle n’était pas ce qu’il attendait chez une femme. Je lui réponds qu’il est peut-être un peu difficile et qu’au lieu d’attendre quelque chose de quelqu’un, il pourrait apprendre à apprécier la personne pour ce qu’elle est. Il ne semble pas adhérer à ce principe-là.
J’aurais trouvé cette phrase ridicule si quelqu’un d’autre l’avait prononcée. Mais avec lui… sa voix… je suis comme envoûtée. Ayant déjà parlé très longtemps, on en était venu à ce moment dans la soirée où, exténués, on se dévoile un peu plus.
Après un silence et sur un ton très doux, il déclare :
Cette phrase me laisse abasourdie quelques secondes. Le sommeil embrume ma conscience et je ne distingue plus ce qui est réel de ce qui serait un songe. C’est dans cette atmosphère un peu vaporeuse que je réponds sans réfléchir :
Peut-être l’ignore-t-il (encore faut-il que ce soit possible) mais je me masturbe avec la main qui ne tient pas le téléphone depuis dix bonnes minutes.
Et d’un ton tout à fait calme et posé, il déclare :
J’adore sa façon de couper la conversation, de dérouter, comme il le disait au début.
Il me raconte alors une de ses aventures avec une femme dans un hôtel, comment il lui a tiré les cheveux, mise par terre, fait ramper « comme une merde ». Comment il s’est défoulé sur elle. Et comment elle a pleuré, longtemps, dans un grand soulagement. Elle l’a remercié après, sincèrement. Aussi étrange que ça puisse paraître, je trouve son histoire très touchante.
D’une voix fluette, je lui réponds qu’en effet, il se pourrait bien que je développe tous mes charmes pour qu’il accepte de me prendre à quatre pattes.
Le vouvoiement était arrivé le plus naturellement du monde et n’avait surpris ni lui, ni moi.
Le rouge de mes pommettes, la moiteur de mes mains et mon air peu assuré devaient se ressentir jusqu’à son domicile.
L’idée de lui parler en face me glace les sangs. Je ne sais plus quoi répondre.
Comme j’aimerais pourtant.
Il rit.
Il devient agressif ce qui manque de me faire jouir. Le contraste entre sa voix douce et posée du début et ce concentré de perversion est saisissant. Je gémis sans m’en rendre compte.
Mon explosion est sensationnelle, magistrale. Rarement je m’étais autant laissée aller. Des frissons parcourent mon corps me donnant l’impression d’être tombée sur mon âme-sœur sexuelle. Je n’ai qu’une envie : me blottir dans ses bras pendant qu’il me caresse les cheveux, tous deux le sourire aux lèvres du moment exceptionnel qu’on a passé. On reprend notre souffle petit à petit et c’est moi qui réentame la discussion.
Je souris béatement, comme une gamine.
Je l’entends rire. Nous nous lançons quelques banalités avant de se quitter, comme s’il était possible d’enchaîner sur quelque chose après ça. Malgré tout, je trouve que rien de ce que nous disons n’est prosaïque.
Quand je raccroche, il est 3 h 45. L’appel aura duré six heures. Tout de suite après, je reçois un sms :
« J’ai adoré. C’était très fort. »
J’ai bien envie de répliquer qu’il joue un peu sa petite sangsue. Mais je ne lui réponds pas, d’une part parce que j’aimerais bien faire autre chose de ma nuit (comme dormir, accessoirement) et d’autre part, et non des moindres, je n’ai pas un forfait sms illimité. Je prends donc le temps de me brosser les dents, me mettre en pyjama, lorsque mon portable vibre de nouveau. Et pendant que le robinet coulait, il avait visiblement laissé trois autres messages :
« Bonne nuit. »
« Tu dors ? »
« Je te trouve très libérée, c’est reposant. »
Et le dernier :
« Tu ne veux pas répondre ? »
Je lui explique donc brièvement les deux points primordiaux du pourquoi je ne réponds pas, et sombre lentement dans le pays des rêves et de la luxure…
… pour peu de temps puisque mon réveil sonne trois heures après. Dure journée en perspective ! Et ce n’est que mardi. Rien qu’à l’idée de somnoler toute la journée, j’ai envie de repartir au fond de la couette en ronronnant et de n’en sortir qu’après hibernation et épuisement des stocks de graisse. Ce qui me fait penser que j’ai sauté le repas d’hier soir. Une petite douche où je me trouve plus sexy que jamais dans la glace grâce à mon nouveau rôle de soumise et me voilà prête à partir. C’était sans compter un message de mon ami chronophage :
« Bien dormi ? »
Nos échanges commencent décidément de plus en plus tôt. Je suis sûre que s’il pouvait s’inviter dans mes rêves il le ferait. Je lui réponds rapidement pour avoir le prochain bus, et continue une fois à l’intérieur, ainsi que le reste de la journée. Son travail lui laisse visiblement assez de temps libre pour m’envoyer des tonnes de textos, la majorité adorables et d’autres complètement déviants. J’ai pourtant le sentiment que niveau perversion, je ne suis pas au bout de mes surprises avec lui.
Quand j’arrive à la porte de chez moi le soir, en plus des miaulements du matou et autres supplications de le divertir, la sonnerie spéciale « Saad » retentit. C’est un morceau de rap d’Orelsan qui dit, en substance : « […] C’est la biatch la moins moche de son bled paumé, donc tous les gars du coin rêvent de la dégommer ! » et qui nous fait beaucoup rire. Et fantasmer, avec le mot dégommer.
La requête ne m’effraie pas plus que ça, vu que j’en ai déjà fait beaucoup pour des ex. J’accepte donc et me mets à la tâche avec enthousiasme : lingerie sexy, je commence par des clichés lascifs, allongée sur mon lit, en essayant d’éviter d’inclure Monsieur Le Juge qui mâchonne ses croquettes dans un bruit sourd. Puis je baisse mon soutien-gorge pour donner l’air d’un « petit coup vite fait », un peu débraillé. Je me rends compte qu’il verra alors mes seins pour la première fois.
Cependant, il a demandé du porno. J’enlève tout, me mets à quatre pattes et me prends ainsi de profil, les fesses en évidence, la levrette étant ma position favorite avec tirage de cheveux et claques sur les fesses à volonté. Pour la suivante, je m’accroupis et rentre un doigt dans mon vagin. Il voulait du porno, il va en avoir. Les poses se succèdent ainsi, jusqu’à atteindre environ quinze photos triées sur le volet. Nouveau message de sa part :
« Dépêche-toi un peu. J’ai autre chose à faire que d’attendre les photos d’une salope en manque. »
Ce petit encouragement ne manque pas de finir de m’exciter ; je résiste malgré tout pour être à point quand je l’aurai au téléphone ce soir. J’expédie les fichiers honteux (en vérifiant par trois fois avant d’appuyer sur la touche envoi) et attends sagement et quelque peu nerveusement sa réaction. Orelsan me fait sursauter.
Gros coup de chaud. J’apprécie décidément beaucoup les mots crus…
Je raccroche après des heures de conversation torride et insultes bien choisies, me rendant compte que j’ai manqué le repas du soir, encore une fois, et qu’il est bien trop tard pour que j’aie l’envie de cuisiner quoi que ce soit. En revenant de la salle de bain, je retrouve sans surprise cinq messages sur mon portable.
« Tu me rends dingue. »
« J’adore tes photos, j’adore tes courbes, je ne cesse de les regarder. »
« Je t’adore. »
« Parle-moi bébé. »
« Ta voix me manque. »
Je glousse bêtement en voyant toute cette attention soudaine envers moi, et lui réponds que j’adore qu’il m’appelle bébé, que ça fait macho mais qu’il me fait aimer ça.
« Et qu’est-ce que tu penses de chérie ? Je trouve que ça fait couple moderne. J’aimerais que tu m’appelles comme ça. »
« Je ne suis pas fan, mais comme pour beaucoup d’autres choses, j’y prends goût grâce à toi… mon chéri ^^ »
Demain va juste être impossible. Il faut qu’on trouve un soir dans la semaine pour ne pas se parler parce que ce rythme ne va pas tenir très longtemps.
C’est son sms de 7 h qui me réveille le lendemain.
« J’ai rêvé de toi mon adorée. J’ai hâte de te voir. »
Il fait chaud au cœur, ce n’est pas de refus dès le matin.
Ayant mon mercredi après-midi de libre, j’en profite pour aller faire quelques emplettes avec une amie de la fac. Lingerie, talons, vernis à ongles… Elle ne me reconnaît pas avec cette nouvelle « femme » sous ses yeux ; je lui raconte brièvement l’histoire.
Nous passons la soirée ensemble, à faire des crêpes et jouer à la Wii avec son copain. J’explose les scores à Just Dance et je raconte à nouveau le sitcom de ma vie à son cher et tendre, qui rit toujours à mes pratiques déviantes. Il me dit que ce gars-là a l’air super accroché et qu’il a entendu mon portable vibrer toute la soirée. Je profite d’un instant seule aux toilettes pour le regarder : vingt-deux messages (qui pourraient être résumés en sept s’il ne faisait pas des phrases aussi courtes). Les dix premiers sont très tendres, remplis de mots passionnés, mais les suivants sont écrits d’une main qui semble plus anxieuse :
« Tu ne réponds pas ? »
« Je commence à m’inquiéter. »
« J’ai appelé sur ton fixe, ça n’a pas répondu. »
« Tu devrais me le dire si tu sors quelque part. »
« Tu me manques là, idiote. »
« Bon… tu me répondras quand tu auras le temps, petite garce que j’adore. »
Je le délivre de son questionnement incessant en lui racontant ma soirée chez Céline. Réponse :
« Tu aurais dû me le dire. J’ai bloqué ma soirée pour toi et je t’ai attendue. Ça n’est juste pas très délicat de ta part. »
Je me répands en excuses et lui confie naïvement que je ne pensais pas qu’il fallait que je le prévienne de quoi que ce soit. Il me rassure en disant que c’est déjà oublié. Je me suis quand même pris une sacré soufflée… C’est à ce moment-là que je réalise qu’il a peut-être tendance à m’étouffer. Mais après tout, ses messages sont un vrai rayon de soleil dont je ne pourrais plus me passer.
Je rentre chez moi où je m’endors directement, sachant bien entendu qu’il fait de même.
« Je vais bosser. Je bande comme un con dans mon costume à cause de tes photos. »
Même s’il peut sembler un peu cru au réveil, pour moi c’est toujours un bonheur.
On se parle encore toute la journée via des sms, il m’en envoie pendant ses réunions alors que ses patrons croient qu’il prend des notes. En ce moment tout va bien pour lui, il a eu une promotion et dirige maintenant une équipe de trente personnes. Contre toute attente, cette hausse de salaire m’excite ; je ne me savais pas aussi vénale. Quand je lui en fais part, il rit.
« Mais non tu n’es pas vénale. C’est d’ailleurs très excitant. »
« J’aimerais être ta petite pute et te faire des fellations contre rémunération, selon le prix de la prestation. »
« Tu vas me ruiner mon amour. »
« J’aimerais aussi danser pour toi, être ta geisha. Prendre soin de toi le soir quand tu rentres du travail exténué, avec un massage de pieds ou un petit plat que tu aimes. »
« Tu es la fille que j’ai toujours rêvé de rencontrer… Il faut absolument qu’on se voit, pourquoi ne viendrais-tu pas ce week-end ? »
J’avoue que je n’y avais pas du tout pensé. Il y a quelques heures de train mais c’est sans changement et très faisable. Peut-être un peu tard pour réserver les billets.
« Je passe à la gare demain =) »
Ce projet de dernière minute me propulse directement à trac-land. Pourvu que ça marche, pourvu qu’il me plaise. Je n’ai pas trop de doute quant à la réciproque, il a l’air tellement attaché à moi à ne pouvoir se passer de nos discussions pendant cinq minutes. Il a réussi à saturer ma boîte de réception en quelques jours seulement, un record. Je suis bien avec lui, je me sens protégée, admirée, excitante. Je lui ai confié tous mes fantasmes et il a été soulagé de pouvoir enfin parler des siens à quelqu’un. Je me suis aussi livrée à lui dans un registre plus sérieux, faisant fi de mes craintes, mes névroses, mes complexes. Il m’a appris à les oublier pour n’être plus qu’une servitrice du désir qui est là pour lui et non pour se regarder le nombril. On s’est découvert des montagnes de points communs, les mêmes goûts musicaux, le même humour, et étrangement, la même date d’anniversaire. Et je n’ai même pas eu l’occasion de terminer les Death Note tellement mon temps lui a été consacré.
J’arrive tout de même à dégoter le dernier billet pour Paris, un peu cher puisqu’en première classe. Départ demain soir, arrivée 21 h. Je ne prends pas le retour puisque je serai en vacances, et que je pourrai rester plus longtemps si le courant passe entre nous. J’ai la boule au ventre et les mains qui tremblent. Céline m’accompagnera, pour me donner les derniers conseils de maman en vigueur, récupérer le chat et me soutenir dans cette épreuve que je trouve, ma foi, plutôt anxiogène.
Apparemment, il existe quelqu’un d’encore plus nerveux que moi. Quelque part, ça me rassure. Saad quant à lui n’a pas l’air plus décontenancé que ça ; de retour dans mes pénates, son texto réveille les papillons qui sommeillaient dans mon ventre :
« Qu’est-ce qui te ferait plaisir pour ton anniversaire ? C’est peut-être un peu tôt mais je ne peux plus le retenir. »
Je l’appelle.
J’éclate de rire.
J’éclate de rire à nouveau. Il y a un blanc, puis il se lance :
Je prends une petite voix de fille un peu sotte qui nous ramène aux premiers temps de notre rencontre, où je me moquais de son délire à la « Who’s your Daddy ». J’ai juste envie de sauter à pieds joints dans cette perversion, de me faire des couettes et de me faire défracter par un homme plus fort que moi.
Il rit, d’une manière des plus séduisantes que je n’aie jamais entendue.
Les voisins doivent penser qu’un médecin est chez moi en train d’inspecter mes amygdales ; tant pis, j’assume. Je retombe sur le dos sonnée, encore grisée par ses râles de jouissance si doux à mon oreille. Il me demande comment je me sens, comme à son habitude. Il a l’air comblé.
Lorsque nous raccrochons, je reçois encore quelques messages qui me souhaitent bonne nuit. Et j’en passe une excellente, avant le Grand Jour…
J’ose à peine comparer l’histoire que je suis en train de vivre avec mes relations passées. J’ai connu quand même quelques autres hommes avant lui, rencontrés en vrai ou sur internet ; certains sont restés dans ma vie plus d’un an, d’autres quelques jours. Mais je ne me rappelle pas avoir eu cette sensation d’être aussi épanouie, de me laisser aller complètement sans la peur d’être jugée (la passion des premiers temps jouant un rôle important aussi, j’imagine). Saad est quelqu’un d’intègre, de posé, je dirais même de sage. Ce n’est pas le genre d’homme à vous mentir ou être lâche. Il me répète souvent qu’il travaille pour être un homme meilleur, à l’image de ses parents profondément altruistes… un homme bon. Et c’est si rassurant.
Il m’a avoué ne pas être tombé amoureux souvent. Une fois en fait, d’une femme qui lui aurait fait beaucoup de mal, le quittant du jour au lendemain sans explication, le laissant plusieurs mois après dans une grande détresse. Il m’a aussi répété combien il était heureux d’être tombé sur moi, que je lui apportais beaucoup de fraîcheur, beaucoup de douceur. Qu’avec moi, il pouvait être lui-même et particulièrement au lit, ce qui lui était précieux. On se parlait de détails dans notre vie qui nous rendaientt unique, comme le fait qu’il ait longtemps cherché un parfum qui lui corresponde vraiment, finalement trouvé à L’Occitane. Qu’il aimait chacun des meubles de son appartement, choisis minutieusement. J’aimais son côté pointilleux, étant moi-même une perfectionniste avertie. Je lui racontais mon amour pour les bonsaïs, les félins, le cinéma et l’art contemporain. Il me dépeignait sa journée-type, qui me paraissait très solitaire au final. Il ne se liait pas beaucoup avec les gens, passait ses week-ends à regarder des films, dormir et jouer aux jeux vidéo sur son écran géant. D’un certain côté, j’y trouvais mon compte, moi qui n’étais pas non plus très avide de bains de foule.
À 14 h 30 ce vendredi, j’ai rendez-vous au centre médical de la fac. Voulant éviter le port du préservatif ad vitam aeternam, nous avions décidé de nous faire dépister pour les IST. Le médecin est un peu en retard puisque j’ai le temps d’échanger des sms pendant une heure avec Saad.
« Où es-tu ? »
« Dans la salle d’attente. »
« Tu reviens quand ? »
« Dans 1 h je pense. Il a du retard, désolée mon chéri ! »
« Je me sens seul. »
« Ah bon ? Pourquoi ? »
« Anne… es-tu sûre de toi ? »
« Euh… en général ou à propos de ce soir ? »
« Les deux. »
« En général oui et pour ce soir aussi… pourquoi tu me demandes ça ? »
« Je voulais m’en assurer. J’aimerais qu’on évite de faire des plans sur la comète pour éviter d’être déçus ensuite. »
La conversation prend une tournure étrange. Je rentre dans la salle d’examen un peu perplexe. Il est rare pour lui de m’envoyer deux sms de suite sans préciser qu’il « m’adore » dans l’un d’eux. Je bavarde avec l’infirmière pendant la prise de sang, puis je rentre chez moi pour me préparer. Céline est devant la porte et me jette son fameux regard du « je suis si excitée ! C’est comme si c’était moi ce soir qui baguenaudais avec un parfait inconnu ». Il ne me reste plus très longtemps avant de partir pour la gare, je me douche, fais ma valise, et enfile la tenue qui me met le plus en valeur, le tout en papotant avec ma fidèle comparse. Quand je sors de la salle de bain, elle écarquille ses billes bleues.
Elle me re-rappelle les règles de bonne conduite quand on rencontre un inconnu (je les écoute à peine puisque je les connais par cœur), me dit au revoir avec un mouchoir blanc sur le quai de la gare pour que je me tape l’affiche, puis je les regarde lentement s’éloigner, elle, sa désapprobation et le chat dans sa caisse qui se contrefout royalement du départ de sa maîtresse.
Deux heures de train, ce n’est pas grand-chose. Mais deux heures à se ronger les ongles d’inquiétude sur le déroulement de la soirée, c’est interminable. Heureusement qu’on continue de correspondre :
« Et toi, tu aimerais que je porte quoi ce soir ? »
« Tes habits du week-end, que tu sois détendu. Un jogging fera l’affaire. »
« Ça va ? »
« Oui mon cœur, et toi ? »
« Oui. »
Le fait qu’il devienne un peu froid ne fait que se rajouter à mon stress. Et pour couronner le tout, je me rends compte que j’ai complètement oublié de m’épiler. Je vais sûrement le décevoir, à ma grande crainte. Je commence à ne pas me sentir bien et décide de dormir un peu pour oublier.
Quand je me réveille, mon lecteur MP3 n’a plus de batterie. Je regarde l’heure, plus que quinze minutes. Apparemment, j’avais beaucoup de sommeil en retard.
« Je suis arrivé. Je t’attendrai devant la gare. »
Je ne suis plus que boule d’angoisse. Passant dans un tunnel, je tombe sur mon reflet dans la vitre et suis fière de la personne qui est en face. Une jolie jeune fille, épanouie, sûre d’elle mais sans prétention non plus, qui a mis du temps pour s’habiller et se maquiller. Des petites sandales aux couleurs de printemps, une jupe courte blanche et un haut corail décolleté qui met en valeur mon teint. Je m’attribue un 9,5/10 sur l’échelle de la confiance en soi, d’autant plus que deux hommes ont insisté pour monter ma valise sur le rangement. Je souffle un bon coup et me lève lorsqu’on entre en gare…
C’est pas vrai. Non mais c’est pas vrai. J’ai oublié d’enlever mes sous-vêtements dans le train. Saad étant la personne la plus gentille (paradoxalement) qui m’ait été donné de rencontrer ces dix dernières années, il va sûrement plaisanter et me serrer dans ses bras. J’espère en tout cas.
Quand je franchis les portes automatiques, mon cœur s’emballe et ma vision se brouille. J’ai la gorge sèche et les mains moites. Je ne le vois pas tout de suite puis, au loin, distingue ce qui semblerait être lui s’approchant vers moi. Il porte des habits décontractés, bleu marine, a plongé les mains au fond de ses poches et a relevé les épaules. Un grand sourire se dessine sur mes lèvres. Nous nous faisons la bise cordialement et repartons en direction de sa voiture.
Je suis tout sourire, très heureuse de le rencontrer enfin. Cependant je ressens un certain malaise. Il aurait ri à cette dernière réplique il y a quelques jours.
Nous descendons les escaliers et rentrons dans sa voiture. Il me dit une phrase sans vraiment faire attention à moi et démarre. Je lui pose quelques questions sur sa journée, il y répond. Sans plus. Je ne me sens pas à ma place… Arrivés à un feu, il plonge sa main dans mon décolleté et la retire aussi sec.
Les larmes me montent aux yeux. Je regarde au loin et essaie de penser au minimum de choses possibles pour faire passer l’émotion. Lorsqu’il change de vitesse, sa main heurte ma cuisse. Je m’excuse et l’éloigne. L’ambiance est glaciale. Dans un élan de tendresse toutefois, je pose ma main sur sa nuque et commence à le câliner. Il la prend et la pose sur sa cuisse. Je la retire, voyant que ça le gêne pour passer en cinquième.
J’ai l’impression qu’il interprète mal tout ce que je fais, qu’avec lui des petits riens sans importance deviennent un motif pour me bouder. Je lui repose des questions sur sa famille, sa ville, sur des détails insignifiants mais qui sont toujours mieux que ce silence de plomb qui me rend extrêmement mal à l’aise. Je profite de ce passage à vide pour envoyer un message rassurant à Céline suite à son :
« T morte ? Dans 5 min j’appelle Interpol. »
Nous arrivons chez lui, il m’aide à porter ma valise jusqu’à son appartement et je découvre pour la première fois l’antre de mon doux ami. Je lui demande gentiment s’il veut me faire visiter mais il refuse, partant dans le salon.
Je suis complètement déboussolée. Je ne sais pas trop ce que je dois penser. Je décide de me déconnecter et de laisser faire les choses. Je m’assieds sur le canapé à ses côtés. Il me tire à lui et regarde sous ma jupe.
En d’autres circonstances, j’aurais trouvé ce jeu amusant et particulièrement excitant, mais le malaise palpable qui règne en maître depuis la gare, et même avant quand j’y réfléchis, abat les murs de cette confiance en moi que je pensais si forte ce soir. Je m’approche de lui doucement, comme attirée par un aimant. Il chuchote :
Nos lèvres se collent, nos langues se mélangent. Il viole presque ma bouche en introduisant profondément la sienne. Je n’aime pas trop sa manière d’embrasser, mais j’adore le contexte dans lequel il le fait, comme pour me dominer et prendre possession de moi. Il se lève, m’allonge complètement sur le canapé, écarte mes jambes et se jette sur moi en mimant une pénétration. Je raffole de ses coups de rein simulés, rapides et forts. Il enlève ma culotte et vient recommencer son manège, me mordillant le cou simultanément comme pour accroître sa domination. Je ne peux m’empêcher à cet instant d’établir la comparaison avec la bestialité coïtale des félins. Tout d’un coup il s’arrête, me regarde, m’ordonne d’ouvrir la bouche et crache à l’intérieur.
Il reprend ses coups de rein pendant que j’avale sa salive. C’est la première fois que quelqu’un crache dans ma bouche. Il arrête brusquement et me fait lever. Il retire tous mes vêtements et me manipule comme une poupée gonflable qu’il viendrait d’acquérir, me faisant tourner sur moi-même pour vérifier qu’on ne l’aurait pas lésé sur la marchandise.
Il me donne plusieurs fessées, très fortes qui manquent de me faire tomber, puis écarte mes fesses. Lorsqu’il rentre un doigt dans mon anus, je laisse échapper un cri de surprise plus que de douleur.
Mon humiliation atteint son paroxysme. Tout se passe très vite, il enchaîne les gestes brusques et infamant comme s’il n’obéissait plus qu’à ses pulsions. Je savoure ce plaisir de soumission ultime en étant reléguée au rang d’objet sexuel. Il me saisit le bras et m’emmène à sa chambre non loin comme un mac amènerait sa prostituée pour vérifier ses compétences.
Je n’ai même pas le temps de voir son appartement ; il fait sombre et mes pensées sont floues.
Il n’attend même pas ma réponse et me jette sur le lit. Il lance d’un ton impérieux :
Je le vois enfiler un préservatif à côté de moi, très rapidement, et revenir se placer derrière moi. Il s’enfonce sans mal et commence un va-et-vient frénétique, salvateur. Je me caresse en même temps en évitant l’orgasme à plusieurs reprises. Il me tire les cheveux, me claque les fesses, vient mettre un, puis deux, puis trois doigts dans ma bouche pendant que je gémis sans relâche. Ses deux mains prennent ma bouche comme s’il tenait les rênes d’un cheval et qu’il montait une jument en chaleur.
Tout son corps se contracte à cet instant ; il ralentit, puis se retire doucement pour aller mettre le préservatif rempli à la poubelle. Il se rhabille et me demande ce que je désire faire ; un film ? Pourquoi pas… La scène est surréaliste.
Le Cercle des poètes disparus ne me fascine guère. Non pas qu’il ne soit pas intéressant, disons juste qu’il me laisse le goût d’une soirée ratée. Sans un mot, nous nous plongeons dans le scénario pour surtout ne pas avoir à nous côtoyer. Je le regarde de temps en temps comme pour espérer un retournement de situation, comme s’il allait soudain se tourner vers moi, me sourire en grand et déclarer « je t’ai bien eue hein ! » à la Surprise sur prise. En attendant que cet événement peu probable arrive, je reste triste et apathique, prisonnière de mon mutisme, craignant qu’il ne me trouve inintéressante au possible.
Cette impression de l’énerver me fait mentir, je n’ai pas envie que la situation empire à cause de mes états d’âme.
J’acquiesce, mentant pour la deuxième fois.
Tout s’écroule, les discussions qu’on a eues, la grande affection développée pour chacun. C’est un parfait étranger que j’ai devant les yeux, comme si l’homme virtuel s’était éteint. Plus de marques d’attention, plus de sms à longueur de journée. Le film défile et je me pose mille questions. À la fin, je lui demande si je peux aller prendre une douche. Il accepte.
Ma vue dans le miroir me fait sourire ; je me trouve jolie. Je retire mes vêtements un à un avec un peu de mal. Mal aux fesses, mal au cœur. Je m’accroupis toujours un peu groggy dans la baignoire, et, sous les gouttes d’eau brûlantes, libère mes larmes.
Nous nous couchons tôt, il s’endort tout de suite tandis que je ne trouve pas le sommeil avant le milieu de la nuit.
Je le retrouve le lendemain dans sa cuisine, découvrant au grand jour son appartement. Une décoration sobre mais de goût, un intérieur masculin, peut-être un peu triste.
Sa prévenance est toujours là, mais lui est distant, comme déconnecté de moi.
Nous buvons notre café très rapidement.
Je lui souris, sans réponse. Son absence m’arrange, je vais pouvoir aller m’épiler… Et zut ! J’ai oublié la cire. Je rigole intérieurement de la situation, déjà merdique au départ, et qui empire au fil des heures. J’ai hâte de le raconter à mes amies, c’est bien le seul point positif que je tire de cette rencontre…
Ses doigts me saisissant les joues me tirent de ma rêverie, il m’embrasse goulûment alors que je repose ma tasse. Avec la même délicatesse que la veille, il m’entraîne sur son canapé de sorte à ce que je sois allongée sur lui. Il relève mon haut et m’empoigne vigoureusement les seins. Il les triture ensuite comme de la pâte à modeler, pince mes tétons, les tord, leur fait subir un sort qu’ils n’ont jamais connu. Il me les frappe, longuement, en m’insultant. Puis demande à ce que je m’insulte toute seule. L’exercice m’excite au plus haut point, je ressens à peine la douleur. Je lui chuchote « plus fort… », « fais-moi mal… », « baise-moi… ».
Son agressivité me faire perdre la face, j’enlève ce que je porte et m’étends sur son tapis, me caressant comme une vulgaire chienne en chaleur. Il lance internet sur son écran géant et démarre plusieurs porno en même temps.
Nous nous branlons côte à côte, longtemps, avant qu’il n’en puisse plus et m’amène dans la chambre par les cheveux.
Je file dans la salle de bain avec les accessoires et enfile le tout. Je me fais presque honte dans la glace mais c’est ce qui me rend fière de moi dans le même temps. Je me présente devant lui, il est assis sur le lit contre le mur et se caresse doucement. Ma vue le fait s’activer plus énergiquement. Je me tortille, balance mes hanches de droite à gauche, touche mes seins, émets des gémissements, suce mes doigts, m’allonge par terre et en rentre quelques-uns dans ma chatte trempée. Je me relève, me tourne et écarte mon cul pour lui en mettre plein la vue. Je le vois enfiler un préservatif.
Il me fait écarter largement les cuisses, toujours avec les bas et les talons, et me donne un coup de rein rapide pour rentrer.
La position ressemble un peu à une grenouille mais je trouve qu’elle fait vraiment pute en manque de bite. J’adore. Je ne jouis pas cette fois-ci, mais me délecte de son orgasme à lui, de ses crachats dans ma bouche, sur mon visage, de toutes les insultes qu’il me lance. Quand il se redresse, je me caresse. Il part en me laissant là, pleine de désirs, me signifiant qu’il a pris son pied et que mon plaisir n’est pas son problème. Cette vision des choses me fait jouir en deux minutes.
Lorsqu’arrive l’heure d’aller à l’aéroport, il m’embrasse sur la bouche en partant me laissant néanmoins ce goût amer d’échec sur la langue. Il n’a plus l’air de tenir à ce que je le vouvoie, l’appelle Monsieur ; son détachement des choses et surtout de moi qui voulais tant être sa petite soumise manque une nouvelle fois de me faire pleurer.
Je file dans la salle de bain pour enlever chacun de ces maudits poils… à la pince à épiler. La tâche s’avère longue et fastidieuse, mais au moins elle chassera de ma tête les idées noires. Je garde mon portable à côté de moi, au cas-où. Il m’envoie un message pour me demander comment je vais, toujours très cordial mais surtout déprimant sans la petite touche d’affection qui me faisait tant chavirer. Je termine ce travail titanesque en une heure, impatiente qu’il me prenne comme il le souhaitait réellement. Je profite de ce moment solitaire pour appeler Céline.
Je ris. J’ai l’impression de n’avoir pas connu cette sensation depuis des siècles.
J’éclate de rire. Parler avec elle me soulage, enfin une voix familière qui me fait sentir en confiance.
Lorsqu’il ouvre la porte d’entrée, je suis dans le canapé en train de bouquiner.
Il m’apprend alors comment on commande les billets de train sur internet. Je suis contente qu’on partage quelque chose, même si ce n’est qu’un passage sur le site de la SNCF. Il ne fallait pas que mon bonheur dure trop longtemps ; au moment où je lui souris enfin sincèrement depuis mon arrivée, il jette :
Je m’effondre intérieurement. Je savais qu’entre nous ce n’était pas l’amour fou mais de là à me faire repartir illico chez moi, qui plus est, en feignant de me demander mon avis…
Je cache tous les sentiments qui me traversent en ce moment même, revoyant toutes les choses que j’aurais pu dire ou faire de mal. Est-ce à cause de la valise que je n’ai pas voulu qu’il porte ? Est-ce que ma voix en vrai est complètement différente de celle au téléphone ? Qu’est-ce qui le fait fuir à ce point… Lorsque quelques minutes après il me montre un épisode de Death Note et que je chantonne sur la musique, il me lance : « ne sois pas puérile… », je me sens minable. Je me retrouve là, bêtement tétanisée, à ne plus savoir quoi dire de peur de le froisser. Je me déteste, j’aimerais être une autre personne, une femme qu’il aimerait réellement, pleine de qualités qu’il saurait apprécier.
Je laisse échapper quelques sanglots sur son épaule.
Encore une fois, j’ai l’impression de le décevoir. Mais les mois qui vont suivre me montreront qu’il avait tort.
Nous nous mettons ensuite sous la couette et il s’endort paisiblement. Il est 14 h et je suis dans ses bras, au paradis malgré le contexte. Son odeur me berce et m’emmène au pays des rêves où avec plaisir, j’y rejoins un autre monde où il n’aurait jamais existé.
Le réveil est difficile, comme un coup de poignard me ramenant à la dure réalité des événements. Lui dort toujours. Je me retourne pour essayer de retrouver mon bonheur onirique, simple et artificiel, quand je l’entends maugréer :
J’ai envie de le gifler et surtout de fondre en larmes. Je déteste me voir comme ça, faible et impuissante face à mes sentiments. J’ai perdu tout contrôle de la situation, il n’y a rien que je puisse faire qui le rendrait heureux ou amoureux de moi à nouveau. Je décide de faire mon deuil maintenant, pour réduire les jours de tristesse et affronter l’évidence.
Quand il se lève, nous nous activons un peu pour aller manger au macdal. Ce qui me fait penser au cadeau d’anniversaire qu’il voulait m’offrir. Décidément, passer à autre chose s’annonce difficile si je décide de tout ramener à lui. Je me montre souriante, agréable, tout en gardant cette impression de l’ennuyer prodigieusement. À la fin du repas, il me demande d’aller « chercher des capotes à la pharmacie ».
Cette pensée me plaît aussi. En revenant, il ne prend même pas le temps de me déshabiller pour me posséder ; à quatre pattes, il soulève ma jupe et s’introduit profondément en moi. À ma grande surprise il y arrive sans mal, je dégouline. Cet homme me fait un effet monstre, j’aimerais tant pouvoir lui appartenir corps et âme… Je file ensuite sous la douche pour me débarrasser de toutes les odeurs de fluides corporels divers et variés qui m’ont recouverte ces dernières 24 h. Mon image dans la glace me fait froid dans le dos ; j’ai l’air fatiguée, étourdie, et surtout je suis couverte de bleus. Mes seins et mes fesses ne sont plus que le reflet de l’œuvre d’un sadique se défoulant sur moi, et même si je sursaute au premier regard, la vue de ce corps maltraité me plaît. Sans m’en rendre compte, il m’a amené en une soirée là où personne n’avait su s’aventurer. Lorsque je sors de la salle de bain, il est assis sur son canapé et tape un article qu’il doit publier pour son travail. Les lunettes qu’il porte le rendent encore plus sage, et encore plus attirant à mes yeux. Je m’agenouille à ses pieds, enlace ses jambes et pose ma tête sur ses genoux pendant qu’il retire son ordinateur. Je lui susurre :
Il me caresse les cheveux et me demande si je veux venir dans ses bras. J’accepte volontiers. Nous regardons un film puis partons nous coucher, chastement.
Le dernier jour que nous passons ensemble est froid, sans doute le plus distant si tant est que ce soit possible. Il m’adresse à peine la parole, me faisant clairement comprendre qu’il aimerait que je sois n’importe où ailleurs du moment que c’est loin de lui. J’oscille entre la crainte de lui déplaire et l’envie de lui donner une bonne gifle. J’ai hâte de partir mais à la fois le désir de rester éternellement dans cet ersatz de bonheur charnel. La dernière fois que nous faisons l’amour, ou plutôt que nous baisons comme des animaux, il me gifle sans relâche jusqu’à ce que je le supplie d’arrêter, puis me sodomise et me laisse en plan après avoir joui. Avant de s’endormir, il me montre le plan pour repartir à la gare avec les nombreux changements de TER et de métro, et me donne les dernières consignes pour partir de l’appartement. Éteindre le rétroprojecteur, fermer la fenêtre de la cuisine, mettre les clefs dans la boîte aux lettres. Je l’écoute tristement établir la liste des choses à faire, pensant que demain matin sera sûrement la dernière fois où je le verrai.
Je fais en sorte de me lever avec lui, et de boire mon café devant lui pendant qu’il repasse sa chemise.
Quand il revient de la chambre, il est habillé en costume et porte ses lunettes. Je le trouve beau.
Il sourit.
Il me prend la nuque et m’embrasse tendrement sur la bouche, m’imprégnant des vapeurs de son parfum. Enivrée, je ne peux m’empêcher de penser que j’aimerais qu’il m’embrasse ainsi tous les matins en allant au travail. Puis il prend son ordinateur et franchit la porte.
Je m’assieds sur le canapé, canapé que je commence à haïr, et m’effondre en larmes, ne retenant plus aucun sanglot, aussi bruyant soit-il. Je suis soulagée de pouvoir enfin m’épandre sans retenue, de laisser parler ce cœur malmené.
Lorsque je reviens chez moi, la solitude me frappe de plein fouet ; plus de messages, plus d’appels. Lui, qui était si présent, presque étouffant, s’en est allé aussi rapidement que je l’ai rencontré, laissant un immense vide derrière lui. Je passe les jours suivants à pleurer et me remettre en question, analysant nos discussions, retournant dans tous les sens les paroles qui auraient pu le repousser ; je suis exaspérée de ne rien comprendre. Nous échangeons quelques mots de temps en temps, mais rien de très intéressant et surtout avec cette sensation omniprésente de l’importuner. Je lui fais à sa demande des photos, une vidéo, mais arrête très vite ce petit jeu hypocrite le soir où dans un trop fort sentiment d’abandon, je le supplie d’être mon Maître. Il accepte en ajoutant :
Le lendemain, je coupe tout contact, m’étant rendu compte de laisser mon amour-propre dans la bataille.
Un an plus tard.
Je relis ce texte pour la première fois. Je n’ai pas oublié Saad, je pense à lui très souvent d’ailleurs ; il m’a envoyé quelques sms et e-mails tout au long de l’année, et plus particulièrement le jour de mon/son anniversaire. Je n’ai jamais répondu. J’ai eu quelques aventures entre temps, dont une juste après mon retour de Paris. Je pleurais dès que j’atteignais l’orgasme, le pauvre type n’a dû rien comprendre. Heureusement qu’il était patient. J’ai arrêté les relations dominant/soumise, n’y prenant plus mon plaisir et surtout n’y retrouvant pas cette intensité que Saad m’avait fait connaître. Son dernier message date d’hier : « Tu m’appartiendras toujours un peu ». Ça peut sembler étrange mais même si les faits remontent à un an, j’ai toujours cette sensation d’être à lui. Parfois, il m’arrive d’entrer dans un magasin L’Occitane et de retrouver son odeur le temps d’une inspiration. Dieu, ce qu’il me manque…
À bas l’époque de 9 semaines 1/2 et des histoires qui terminent aux urgences. De nos jours, si une rencontre bdsm tourne au vinaigre, on lance le safeword à nos copines et on bannit le type du site où on l’a rencontré. Et si c’est lui qui décide de nous rejeter, il ne reste plus qu’à oublier un peu plus chaque jour cette cicatrice imprimée comme une marque au fer rouge. La dépendance à un homme, à un Homme, est tellement belle, tellement profonde, que la chute est d’autant plus brutale. Elle nous laisse comme seule au monde, déboussolée à ne plus savoir qui l’on est vraiment, tourmentée par d’éternelles questions. Je ne regrette rien de cette expérience. Quelque part, elle m’a appris à me connaître et à savoir que pour un homme, je pouvais dépasser mes limites et abolir toutes ces barrières fixées inutilement. J’espère seulement rencontrer un jour la personne qui me les fera franchir de nouveau…
Je rêve souvent d’une étendue désertique au sol marécageux. Je le vois au loin, cours vers lui mais mes pieds s’enfoncent de plus en plus dans la boue. Lui aussi marche vers moi. Nous tendons nos bras et lorsqu’enfin je peux frôler ses doigts, il disparaît. Je regarde partout autour de moi, crie son nom, pars dans plusieurs directions. Mais jamais je ne le retrouve, jamais je n’entends à nouveau sa voix. Alors je pleure, et le marécage se transforme en océan, mêlant mes larmes à l’infinité bleue.