n° 15095 | Fiche technique | 23536 caractères | 23536 4000 Temps de lecture estimé : 17 mn |
01/08/12 |
Résumé: Cinq histoires courtes, par cinq auteurs différents, sur le thème « Douloureusement attentionné ». | ||||
Critères: fh couple amour fdomine cérébral revede pénétratio jeu fouetfesse confession -revebebe -couple #recueil | ||||
Auteur : Collectif Antilogies (Collectif) Envoi mini-message Co-auteur : shiva__ Envoi mini-message Co-auteur : louise gabriel Envoi mini-message Co-auteur : Olaf Envoi mini-message Co-auteur : Hidden Side |
Collection : Antilogies |
La collection « Antilogies » regroupe des textes courts (si possible entre 1500 et 6000 signes) mis en ligne sur le forum de Revebebe en suivant une proposition de sujet « antilogique » par un des membres.
Tous les lecteurs peuvent avoir accès au forum Concours et jeux d’écritures : Antilogies et autres jeux (ré)créatifs - les textes,
ainsi qu’à celui-ci : Antilogies et autres jeux (ré)créatifs - les discussions.
Antilogie vivante
par Louise Gabriel
Je ne sais plus tout à fait comment cela a commencé ; sans doute, les enlacements de mots ont fini par me piéger. J’étais ensorcelée, captive d’une alchimie verbale. Je me suis pendue consentante à une bien drôle de mélodie.
C’est amusant, j’avais depuis pas mal de temps testé, expérimenté les douleurs diverses et variées, les délires jusqu’à souhaiter et même supplier les traces ineffaçables, les cicatrices, ces esquisses à même la peau que je pouvais contempler sous la douche, quand les lignes plus blanches brillent sous l’eau… Je me suis plongée dans ses désirs pervers de dominer, manipulateur à ne plus bien reconnaître les limites, à les faire réécrire à l’infini, à plusieurs croisés au hasard, leur ordonnant de recommencer à tracer la longue estafilade qui ornait le centre de mon buste comme un sternum en supplément…
Mais jamais, au grand jamais, le physique n’a réussi à tutoyer les souffrances que m’a infligées ma cervelle… Je vous ai offert de longues heures, de longues lettres. J’ai commis cette cruelle erreur de croire au partage, à l’échange, à la réciprocité dans cette rapidité, cette voracité dont je faisais preuve… mais de longue durée. De l’épistolaire au réel, a priori tout subit l’usure du temps.
Vous distilliez l’espoir, souffliez sur les braises, pour ne pas laisser crever le feu tout à fait, et puis arrivaient, immanquablement, les : désolé, je n’ai pas le temps… je vous reviens dès que…
Le temps, cela se prend comme tout le reste. Alors « douloureusement attentionné » eh bien oui, ces miettes d’espérance que vous jetiez à la va-vite, en disant je reviens, moi figée dans l’attente jusqu’au supplice, dans l’espoir… Vraiment c’est une saloperie sans nom, l’espoir.
J’ai cessé d’espérer, je vis dans le moment présent. Monsieur, vous êtes une antilogie vivante…
Ps :
De moi un jour, vous avez fait une aveugle.
Pour mieux sentir votre émotion de papier
J’ai fermé les yeux, si fort, à coudre mes paupières
Pour encenser ma peau de vos mots lumière.
J’ai attaché mes mains pour ne plus me souvenir que des vôtres,
J’ai lié mes poings, entravé mes gestes,
Imprimé ma chair de leur parcours ruisselant.
J’ai fermé la bouche,
J’ai laissé couler sur mon épiderme
La majesté de votre présence.
J’ai dégusté jusqu’à l’outrance la symphonie du silence.
Je me suis enfermée dans les murs de mon jardin,
Cultivant jusqu’au délire l’abstinence sonore.
J’ai tout fait taire,
Pour seulement faire hurler mon ventre,
Par-delà les clôtures de la vraisemblance.
Allégeance suprême aux désirs extrêmes,
Faire vivre l’éphémère au-delà de l’éternité.
Monsieur, n’avez-vous donc jamais existé ?
J’ai bu comme une assoiffée l’or pur de vos phrases,
J’ai engouffré toutes vos images,
J’ai dessiné le plus beau des voyages,
Vos mains en refrain incertain
Calligraphiant ma peau de hasard.
Comment se pourrait-il qu’ici je ne fasse appel,
À toutes les métaphores, à toutes les mises en scène ?
Je me suis contentée d’étincelles, pour allumer
Un gigantesque feu de joie.
Mais monsieur, vous que le désir féminin interpelle,
Comment croyez-vous qu’il naisse, vive et parfois meure ?
Si ce n’est en regard du vôtre exprimé.
Si vous venez à vous taire, vous enterrez ce qui venait de naître.
Il ne suffit pas de regarder le violon.
Aussi tendues que soient ses cordes,
Il lui faut l’effleurement, le pincement,
Pour le faire vibrer dans l’émotion.
Aussi beau soit l’instrument,
Aussi parfait qu’un stradivarius,
Il n’est rien, mais rien du tout,
Sans l’archet et son virtuose.
Pour jouer de la musique, il faut être deux.
Deux harmonies qui se complètent
Deux gestuelles qui se reflètent.
Vous ne l’avez point compris.
Délibérément je me suis enchaînée,
Consciemment ma peau j’ai sciée,
Ficelée, entravée jusqu’à la folie.
Monsieur, je vous salue et soyez heureux.
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Douloureusement attentionné
par Shiva__
Bisou mon ange, tu vas bien ? Passe une belle et agréable journée. J’ai encore envie de toi.
Ma fesse droite vibre aussi furtivement que la durée de vie du SMS qui vient d’arriver. Le énième d’une série qui n’en finit pas. Depuis cinq mois, si j’avais réservé un cochon pour un euro à chacun de ses messages, j’aurais pu partir cet été en croisière sur un catamaran aux Seychelles, plutôt que destination Bordeaux. En quelques secondes, l’action de mon pouce et de la poubelle tactile confie ces quelques mots au passé. Je fuis.
Au début, je répondais, mêlant un soupçon d’ironie, juste assez pour préserver cette amitié étrange aux règles établies dès le départ. Depuis nos premiers échanges à cette soirée OVS ; depuis ce premier rendez-vous dans ce café ; depuis ce premier baiser langoureux, dans cette rue pavée, au cadre mystique. Je suis faible et lâche.
Ça me pinçait le cœur, persuadée qu’il se lasserait. Parce qu’il m’avait fallu du temps et quatre tentatives avortées pour enfin décider d’achever cette relation pour de bon, qui réduisait mon cœur comme peau de chagrin, me déprimait, me rendait hystérique. Je refusais d’y mettre fin brutalement, et ce « Restons amis ! » me convenait parfaitement. C’était sans compter qu’il garderait une forme d’emprise sur moi, me rappelant sa présence quotidienne dans mes souvenirs, m’empêchant d’avancer et de vivre pour moi. Un boulet.
Mon seuil de tolérance à la douleur est élevé, mais pas infini. Je l’ai dépassé. Je n’en peux plus. Il refuse de comprendre : c’est définitivement terminé. Cette distance depuis cinq mois est une torture entretenue par ses multiples attentions. S’il s’agissait seulement de quelques messages quotidiens… Mais il y a aussi ces fleurs, ces tenues affriolantes et ces jouets, livrés chez moi, dans la perspective d’une nouvelle partie coquine… Autant de présents lourds de sens concernant ses projets.
Je ne suis pas sa seule amie, seulement la meilleure dans le registre « Fornications ». Il est addict, autant que je l’ai été, parce que nous recherchions les mêmes jeux. Je croyais résister à la tentation des sentiments. Mais après trois ans le piège inavouable se refermait et je ne pouvais me résoudre à cette relation sans avenir.
« Je t’aime ». Combien de fois me suis-je interdit de le lui dire, de le lui écrire ? Il serait parti aussitôt, aurait disparu sans un mot. Je ne voulais pas de ça ; souffrir d’aucun « nous » c’était déjà trop. Partir pour en garder les meilleurs souvenirs possibles, comme une star qui disparaît à l’apogée de son succès devenant intemporel ; éternel.
***
Un tête à tête d’explications fermes est exclu. Cela aboutirait à un cinquième avortement, auquel je ne pourrais survivre. La proximité de sa présence physique me troublerait des pieds à la tête. Je serais chancelante, perdant mon assurance, sa main frôlerait ma taille et retiendrait ma chute, avant de m’emmener dans une chambre d’hôtel. Ma passion de faire l’amour serait plus forte que ma raison. Mes sens s’abandonneraient à nos ébats dès que sa langue effleurerait mes lèvres, affolant mon érection. Expert de tout ce que j’aime, il respecterait chacun de mes péchés mignons pour mieux me convaincre de rester.
Il fourrerait d’abord sa langue dans mon antre bavant d’impatience, avant d’y plonger sa verge gonflée par l’attente. Il serait performant, plus qu’à l’accoutumée, persuadé qu’il ne faudrait que cela pour me convaincre de choisir le meilleur de mes amants, le plus inventif, le plus performant, le plus…
Je sentirais l’humidité gagner l’intérieur de mes cuisses, mes bras l’enlacer fermement, avant qu’un de ses doigts s’agite sur mon petit trou, et de me cambrer sur le lit ou sur une table pour une délicieuse sodomie.
Il saurait me faire jouir à répétition, de multiples façons, caresses, souffles et pénétrations. D’y penser, mes mains tremblent et s’égarent sur mon corps. Je me sens déjà fébrile. Encore plus de penser aux moments post-coïtaux, noyés dans ces silences toujours amèrement trop longs.
***
Ces rituels, je les connais par cœur. Je prends ma plume virtuelle :
Paul,
Je fais le deuil de mes illusions. Utopie de l’amour vrai et pas seulement charnel, impossible avec toi, que je ne désespère pas de vivre avec un autre. Mais pour cela, il faut que tu m’oublies. Je sais combien tu m’aimes, à ta manière. J’aspirais à être la rose privilégiée de ton « pairi-daiza », plutôt que ton églantine. J’en ai pourtant de nombreuses qualités. Celles-là même qui me rendent exceptionnelle à tes yeux.
Tu prétends que je suis une idéaliste, parce que tu refuses de croire à ma philosophie. Tes histoires, inventées pour me garder dans ta prison, sont autant de garde-fous et prétextes dénués de sens, dans lesquels tu t’égares et qui t’empêchent de vivre pleinement heureux. Je ne suis pas physalis : j’aurais préféré que tu assumes, plutôt que de me cacher.
Tu joues de l’amour qui me reste encore pour toi, ignorant que ma déception dépasse aujourd’hui ce sentiment qui devient mépris. Tu es pitoyable de t’accrocher en ignorant ma souffrance. N’as-tu pas compris que je voulais préserver ma dignité, abstraite et contenue pendant ces mois, ces années, parce que je nourrissais secrètement l’espoir d’un « nous ». De rayon de soleil, je voulais devenir ton étoile, ton astre culminant, plutôt qu’une fade lueur au milieu de ta pénombre.
Quels fantasmes pervers sers-tu avec toutes tes attentions ? Depuis deux mois j’ai cessé de te répondre, je refuse tes colis, tes cadeaux… Tu ne comptes plus pour moi. J’ai été cet ange qui comblait les parenthèses vides de ta vie, si nombreuses qu’une seule amante ne te suffisait pas. Je ne peux plus en souffrir. Au nom de notre précieuse amitié, respecte mon choix et oublie-moi. Adieu.
Claire
***
Paris, Hôpital Pitié-Salpêtrière, 9 août 2032
Je me réveille la bouche sèche et pâteuse des effets de l’anesthésie, encore dans le gaz au milieu de cette chambre inconnue. Un moment de panique, avant de voir Claire encore endormie, à mon chevet.
Ma belle et tendre Claire, à la fois indomptable et sauvage, pourtant si douce et généreuse. Si elle ne m’avait pas quitté il y a vingt ans, jamais je n’aurais compris la perte de ce trésor si rare et précieux qu’est l’amour. Jamais elle ne serait devenue véritablement unique à mes yeux, à mon cœur.
Il m’aura fallu son message d’adieu pour en prendre conscience. Un électrochoc insupportablement plus douloureux que la flèche de Cupidon. Je ne pouvais me résoudre à la perdre pour toujours ; encore trop curieux d’apprendre d’elle. Floué par mes certitudes, celles qu’elle entretenait avec délices ; lesquels nous trompaient, figeant nos émotions.
Nous avons été à Bordeaux. Et ce voyage aux Seychelles dont elle rêvait tant, nous l’avons fait, grâce à sa somme d’euros accumulés dans ce vieux cochon de plâtre. Aujourd’hui, je ne flirte plus qu’avec la mort. Claire à mes côtés, fidèle, même si je ne la comble plus autant que par le passé. Je sais sa douleur, spectatrice de me voir ainsi la proie de cette saloperie qui me ronge le bide.
Je remercie le ciel qu’elle ne soit pas à ma place. Sa capacité de résistance à la douleur aurait eu raison de sa vie. Le cancer aurait eu le mot de la fin ; décelé trop tard, fatal pour elle, avant la première hospitalisation. Lors d’une interview, feu Robert Hossein avait confié de Candice : « Si je ne vivais pas avec elle, elle me manquerait, même si je ne la connaissais pas.»
Pourvu qu’à moi, la mort laisse encore le répit d’une éternité, car là où je dois aller, Claire me manquera beaucoup trop ; je vivrai l’enfer.
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L’homme sans cœur
par Hidden Side
Je suis un être biomécanique. Voilà huit mois, on m’a greffé un cœur artificiel, constitué de deux groupes motopompe autonomes en titane recouverts de matériaux hémocompatibles, pilotés par une électronique de pointe reproduisant le fonctionnement du muscle cardiaque. Oui, nous sommes bien en 2013, pas en 2030, et je suis le premier des cinq patients équipés par le professeur Charpier, au terme d’une opération de deux heures trente qui aura tenu en haleine les cardiologues du monde entier, ainsi qu’une bonne part des financiers de Wall Street. Une demi-réussite, vu que nous ne sommes plus que trois à être encore en vie. Il serait plus correct de dire en « état de survie »… Je ne me plains pas, l’équipe médicale fait tout ce qu’elle peut pour m’être agréable.
Insuffisant cardiaque à 29 ans, j’étais condamné à brève échéance : il ne me restait que quelques semaines à vivre, quelques mois au mieux. 4 000 greffons chaque année pour 100 000 malades dans le monde, ça voulait dire une chance sur cent de s’en tirer. J’avais déjà accepté mon sort, je m’étais résigné… si tant est que ce soit possible. On a toujours un espoir, l’espoir d’un espoir, un quelque chose d’infime à quoi se raccrocher. Plus pour ceux qui nous entourent, d’ailleurs – la famille, les amis – que pour soi-même. À voir succomber les autres autour de soi, on perd peu à peu la force d’y croire. Comme ces prisonniers dans le couloir de la mort, j’imagine.
J’étais le candidat idéal pour cette opération de la dernière chance, j’allais ouvrir la voie à toute une série de malades en attente de greffe et, même si je ne survivais pas, je passerais à la postérité… Voilà pour la partie positive du discours. La réalité, c’est que même quand on a très peu à perdre, on s’y accroche farouchement. Et le fait que la recherche sur le cœur artificiel ait plus d’un demi-siècle d’existence (je sais, ça paraît dingue !) ne me rassurait pas plus que ça. La plupart du temps, ce rêve s’est terminé en cauchemar, en boucherie indescriptible.
Indication pour la transplantation : autorisation compassionnelle sur des patients en phase terminale. Survie moyenne : 79 jours, avant survenue d’accidents vasculaire cérébraux ou embolie pulmonaire. Déplacements contraints par les éléments extracorporels (compresseur, alimentation électrique et tutti quanti…). Charmant.
La startup Française qui a développé le joujou de 900 grammes qui bat dans ma poitrine n’en est pas à son coup d’essai. Ils ont déjà vendu un million de valves cardiaques biocompatibles, lesquelles empêchent la formation de caillots sanguins fatals aux malades. Mais être le premier patient à recevoir un engin de ce genre dans la poitrine, même après des milliers d’heures sur banc d’essai… bordel, on a l’impression de donner son corps à la science de son vivant !
Une fois le succès de l’implantation confirmé, j’ai eu mon heure de gloire, ma bobine dans tous les journaux. Et, plus tard, l’occasion de répondre aux questions des télés. Certains ont fantasmé sur ce « premier pas de l’homme vers l’immortalité », des extrémistes m’ont menacé de mort, mon histoire personnelle à fait le tour du net. Et c’est ainsi que je suis entré en contact avec Nadia…
J’ai reçu des centaines de lettres, provenant pour certaines de ferventes « admiratrices ». Visiblement, mon statut de héros célibataire livrant son combat épique contre la mort et la maladie (pour le bien de l’humanité toute entière et, accessoirement, pour sa propre survie) me paraît d’une aura quasi christique. Elles étaient toutes prêtes à s’arracher mon cœur… Le dernier chic, dans le genre sexy morbide.
Parcourant certains de ces courriers d’un œil critique, je me suis attardé sur les photos de madones dorées au soleil, obus propulsés vers le ciel. Mon torse pâle et malingre, couturé de cicatrices aux lèvres roses, ne s’appuierait pas contre leurs poitrines généreuses. Mon seul attrait, pour ces chasseuses d’audimat avides de se propulser au sein de la faune des people ? Ma gloire éphémère… Au milieu de cette rivière de bons sentiments et de sournoises intentions surnageait une lettre, remarquablement fraîche. Des encouragements sincères, une profondeur d’âme étonnante. Pas de photo, mais une adresse mail. Nadia, en ligne, prête à bavarder avec un solitaire au cœur junkie, gavé d’électricité.
Le plus gros effort possible pour moi, monter un escalier un peu raide (débit sanguin maxi de 9 litres par minute). Déjà mieux qu’avec un cœur malade. Mais pas suffisant pour me permettre une activité normale… En tout cas, pas avec un câble d’alimentation qui me sort de l’abdomen et 6 kg de batteries externes lithium-ion à traîner et à changer toutes les 4 heures. Autant dire que mes journées sont reposantes… et parfaitement ennuyeuses.
Mes discussions avec Nadia constituent des oasis bienfaisantes au milieu de ce nulle part médicalisé. Nous avons commencé par quelques mails, une prise de contact où j’occultais mon présent léthargique et refusais encore d’envisager un futur improbable. À la place, je me suis passionné pour l’histoire de sa vie, assoiffé de mieux la connaître. Nadia a répondu avec une honnêteté déconcertante à toutes mes questions, des plus anodines aux plus indiscrètes. À ma demande, elle m’a même envoyé des photos, des portraits en noir et blanc qui me permettent de rêver d’elle. Heureusement que le muscle cardiaque n’est pas l’organe officiel du sentiment amoureux…
Régulièrement, elle me rejoint en songe, dans des endroits exotiques où nous faisons l’amour. Toujours parfaitement attentionnée, elle fait en sorte de m’éviter toute douleur. Nulle autre qu’elle sait aussi bien m’amener au plaisir, et plusieurs fois il m’est arrivé de me réveiller dans des draps gluants…
Hier soir, le professeur Charpier m’a annoncé que j’allais recevoir un nouveau cœur. Dans quelques semaines, au pire un mois ou deux. Je n’ai qu’une crainte, ne pas tenir jusque-là. Nadia, je t’en prie, attend-moi !
Texte dédié à Bilitis, dont l’histoire m’a beaucoup touché…
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Lisse
par Olaf
La morsure que Paul m’a faite sous le sein droit me fait mal. Je vais devoir me passer de soutien-gorge ces prochains jours. Malgré le désagréable tiraillement de la chair meurtrie, je ne peux m’empêcher de sourire. Les autres voyageurs du métro doivent me prendre pour une folle. Ils n’ont pas tort. Paul aussi l’a cru.
Je n’ai pourtant rien joué. Certaines émotions me traversent, puis me submergent sans que je puisse y résister. Je n’ai plus envie de le cacher. Si l’homme n’est pas de taille, je n’ai depuis longtemps plus espoir que le temps y change quoi que ce soit.
***
J’ouvre un œil, après une nuit très excitante, ponctuée de délicieuses envolées sensuelles. Beaucoup de douceur aussi. Tout ce que j’apprécie pour une première fois.
Au moment même où son parfum pénètre mes narines, je vois une superbe rose rouge dans un soliflore, posé sur la pile de livres à côté de mon lit. Agréable attention. Je peux m’attendre à ce qu’elle soit suivie d’un petit déj’ au lit, en amoureux. Puis de quelques nouvelles douceurs. Cris et chuchotements. Quelques mignardises aussi, tant qu’on y est.
Un rendez-vous pour le lendemain ? C’est bien naturel, pas envie de rester trop longtemps éloignés l’un de l’autre.
Puis un mois ensemble, une année…
Au moment où Paul s’approche avec le plateau, je commence à paniquer. Putain, dans quel voyage prétend-il m’embarquer ? Il m’a bien baisée, ça oui. Mais de là à… à quoi ? À fouiller en moi ? À mettre sa brosse à dents à côté de la mienne ? À aller chercher le courrier dans ma boîte aux lettres, après avoir descendu le sac à ordures ?
Je me redresse vivement. À sa mine dépitée, je réalise à quel point mon regard doit être noir, et peu reconnaissant de ses efforts romantiques de la nuit. Quelle ingratitude. Une vraie salope. Il ne sera pas le premier à le penser. Ni à le dire. S’il en a le courage.
Car c’est bien là le nœud du problème. Il m’a bien fait l’amour, certes, mais mes orgasmes ont été si… comment dire, si prévisibles. Ses élans m’ont comblée, là où j’en avais besoin. Mais il n’a pas éteint mes impatiences, ma soif de risques.
C’est ça, Paul est un homme qui ne prend aucun risque. J’abhorre ce trop-plein de facilité. J’ai besoin qu’on me fasse déborder. Je me méfie instinctivement d’un mec qui m’enflamme sans m’incendier à cœur. Le seau d’eau et le sac de sable à côté du lit, très peu pour moi.
C’était bien pourtant. Et sa peau est si douce. Comme ses gestes. Et le balancement de ses reins. Une belle manière d’exprimer le désir, l’impatience maîtrisée.
Paul est lisse. Enfin ce qu’il m’a montré de lui. Cela ne suffira pas pour se mélanger. Mieux vaut arrêter avant que cela devienne trop douloureux.
Il a un air si triste en disant cela. Comme s’il l’avait su depuis la première caresse. Cette lucidité me trouble, je baisse ma garde. J’hésite à partir en courant, ou à lui laisser une seconde chance.
Là, c’est lui qui ne capte plus. Mes remarques l’ont échaudé. Mon indécision le met en colère. Basculant dans une tout autre attitude, il commence par me jeter le contenu d’un des verres de jus d’orange à la tronche, inondant au passage les draps et nos habits éparpillés par terre. Puis il s’empare de moi, une main sous chaque aisselle et me soulève hors du lit. Il plonge son regard au fond de mes yeux pendant qu’il me tient fermement en l’air.
Ces yeux, cette bouche. En colère, il est franchement beau. Trop beau. Je le veux encore. Au moins une fois. Je pose mes mains sur son visage. Il faiblit, me laisser retomber sur le lit. J’enlève mon haut trempé, collant, et lui offre mes seins.
Il se jette sur moi, de tout le poids de son corps. J’arrive à m’esquiver. Il me reprend en mains. Fermement. La queue déjà raidie contre ma cuisse. D’une main, il me plaque dos contre le lit. De l’autre il prend la pointe de mon sein droit entre pouce et index. Et il tire, tire, tire… La douleur est fulgurante, sublime, transcendante. Jusqu’où osera-t-il aller ? Je veux tenir, ne pas lui faire le plaisir de crier.
Je ne ressens aucune violence en lui, juste une tonitruante virilité, et la soudaine faculté de se lâcher. Au moment où la sensation devient insupportable, je bascule dans une émotion inconnue, et hurle à pleins poumons, de douleur et de plaisir.
Il pose sa paume sur le mamelon meurtri. Puis il avance sa bouche. Tout va si vite maintenant. Je n’aurais pas dû le provoquer. Si, justement, c’est divin, il me fait autre. Il se découvre. Il me fait béante.
Au moment où je ne m’y attends plus, il me mord cruellement sous le sein. Un peu de sang colore ses lèvres. Plus rien ne pourra l’arrêter. Sûr de sa victoire, il écarte mes cuisses, et plonge ses doigts agiles dans mon ventre. Sans ménagement aucun. Il sourit de me découvrir dégoulinante.
***
Plus rien ne l’a arrêté. Vraiment rien.
Il m’a quittée une heure plus tard, délicieusement dévastée. J’ai apprécié ses prises de risques. Enfin, question de risque, dans cette histoire, c’est moi qui prends le plus grand. Il y a si longtemps que je n’avais plus eu envie de faire confiance.
J’ai aussi aimé ses douceurs. Mais pas que… Ah, ça non !
De quoi sourire dans le métro. Malgré le rappel de sa douloureuse attention à mon égard.