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Sans queue ni tête

Quand les trois Blouses Blanches, d’excellente humeur, se penchèrent sur le berceau, ce matin-là, elles avaient le sourire aux lèvres :

• — Mais voici une petite qui ne chopera aucun adénome, fibrome, sarcinome ou carcinome, dit la première B. B.
• — Et son métabolisme la garantira de toute infection, lésion, contagion et coqueluchon, dit la seconde.
• — Quant à moi, je lui attribue une espérance de vie AAA +++, grâce à l’excellence des transferts par tryglocérines, emphitérologines et hémoglobines, renchérit la troisième Blouse Blanche, qui ne voulait pas paraître moins généreuse que les deux autres.

Comme si elle avait compris l’avenir radieux que ses trois gentilles B. B. lui prédisaient, la nouvelle née esquissa un sourire qui défripa son visage de toute jeune arrivée.

Mais soudain, par une entrée latérale qui portait le panneau « PORTE CONDAMNÉE », une quatrième Blouse Blanche pénétra brusquement dans la pièce, en retard et de fort mauvaise humeur car sa blouse n’était pas aussi blanche que celle des trois autres B. B., mais légèrement grisou, disons blanc cassé quoi : ce que c’est que d’acheter sa lessive Unilever dans des magasins à prix discounts !

Les trois autres lui cédèrent la place devant le berceau, et la mauvaise B. B., appliquant sans ménagement sur le torse de la petite Bébée, un stéthoscope dont la ventouse ressemblait à celle d’une pieuvre, réfléchit un instant et conclut :

• — Certes, je peux pas défaire vos prédictions diagnosticales, mes chères consœurs, cependant je vous avertis que cette enfant devra subir une épreuve, euh, allons, qu’y a-t-il dans notre stock de maladies ?
• — Non !, s’écrièrent les trois bonnes BB, pas une orpheline, quand même ?
• — Ahahah, ricana la quatrième BB, mais c’est justement là que j’interviens ! Je vous le dis : si cette enfant veut pouvoir continuer à creuser son trou, la petite Bébée ne devra JAMAIS avoir de contact direct avec de l’H2O. Ni dedans, ni dehors ! Et si elle a un quelconque contact avec de l’eau, de la pluie, ou une humidité quelconque, je vous le prédis : elle ne mourra pas, non, ni ne sera malade : simplement, elle sera transformée de telle manière que toutes les blouses blanches du monde ne la reconnaîtront pas !
• — …

Et, laissant voleter autour d’elle les pans de sa blouse grisou, comme deux ailes de chauve-souris qui n’auraient jamais vu d’adoucisseur senteur lavande et mimosa, la sinistre Blouse Blanche disparut par la Porte Condamnée (elle aussi).

La petite Bébée survécut pourtant, grâce aux soins des trois autres, à la prescription de la vilaine Blouse Blanche n° 4. Elle fut simplement condamnée au sec. Jamais une goutte d’eau, sinon sous forme de gélatine tremblotante. Même la nourriture était d’abord essorée, avant de lui être présentée. Quant au Monde Extérieur… Si Bébée avait une idée assez exacte de ce qu’était le Sahara, elle ne pouvait se représenter la neige qu’en regardant les blouses des médecins qui se succédaient autour d’elle. Pour l’hygiène, c’était simple : Bébée se lavait grâce à un gel hydro-alcoolique, et ses parfums étaient extra-dry.

Après plus de dix-huit ans d’une réclusion forcée dans une maison au taux d’humidité réduit à sa plus simple expression grâce à des capteurs hydrophiles disposés de bas en haut, elle était heureuse, grâce à sa constitution d’acier – mais si elle grandissait en force et en beauté, elle n’en sentait pas moins, de plus en plus souvent, une sorte de vague à l’âme remplir la sécheresse de son cœur. Or, toutes les vagues étaient dangereuses pour elle !

Mais peut-on creuser un trou, fût-il celui de la sécu, sans avoir un jour envie de l’explorer dans son infinie profondeur ? Un jour, Bébée, après avoir consulté la météo qui affichait une canicule doublée d’une sécheresse réchauffée, prit par précaution un K-Way garanti waterproof, un grand parapluie et sortit de chez elle. Toute nue en dessous : elle aimait sentir le vent (sec, forcément, façon sirocco) lui caresser les jambes, les fesses, remonter son ventre et venir rafraîchir ses seins dressés… Car, il fallait au moins reconnaître ça aux B. B. : elles avaient eu parfaitement raison, la jeune Bébée était si bien faite qu’on bandait rien qu’en la regardant.

Elle marcha un certain temps, s’appliquant régulièrement un antitranspirant force 5, puis arriva devant la mer.

Que d’eau, que d’eau ! pensa-t-elle, en serrant son k-way bien contre elle et ouvrant son parapluie, pour se garantir de toute écume. Mais c’est alors qu’un nageur, sortant de l’onde et dégoulinant encore de gouttes salées descendant lentement sur son torse musclé et légèrement humide, s’avança vers elle.

Il était si beau que la pauvre petite Bébée en tomba instantanément amoureuse : mais comment faire quand on est une sorte de seiche ?

Bébée était si désespérée, mais si amoureuse qu’elle sentit une sorte d’humidité se répandre en elle. Hélas ! Le diagnostic de la sale Blouse Grise s’accomplit : car en même temps que Bébée mouillait tant et plus, en regardant, sous le petit slip de bain, durcir la belle bite du nageur, son ancien moi se transformait, fondait, en quelque sorte se délitait : la belle tremblait de désir, avait des larmes dans les yeux, le sexe aussi trempé qu’une piscine – mais le nageur semblait tout, sauf rebuté par ces manifestations physiques.

Il proposa simplement à Bébée d’aller nager avec lui… Elle dut lui avouer qu’elle ignorait tout de cette pratique. Alors, aussi facilement que s’il avait soulevé un oreiller de plumes, il la prit dans ses bras et l’emmena dans l’océan. Tout en marchant vers l’eau, il lui avait ôté le K-Way, jeté au loin le parapluie inutile, et demandé de poser sa petite main sur son sexe qui durcissait de seconde en seconde.

Bébée était en extase, mais en même temps, très inquiète : et la prédiction de la salope de Blouse Grise, alors ? N’allait-elle pas mourir, puisqu’elle était ainsi serrée contre un torse humide, la main sur une bite où, déjà, une goutte de sperme liquide à 99 % perlait, et qu’elle allait bien entendu avaler, nue parmi les vagues et prête à nouer ses jambes autour du torse de son amant, pour que celui-ci la prenne au milieu de l’écume ? L’H2O était aussi chaud que de la braise, oui…

Pour l’instant, tout semblait aller bien : les deux amants jouaient avec les vagues, sortaient de l’onde et, sur le sable, continuaient leurs ébats – Bébée suçant avidement la pine à goût de sel qui lui était présentée, lui la retournant, la léchant d’une salive si évidemment liquide qu’elle la remplissait de bonheur en même temps qu’elle déclenchait des giclées de cyprine, leurs bouches et leurs salives s’entremêlant… Quand enfin leurs désirs furent un peu rassasiés, Bébée expliqua à son amant le risque qu’elle prenait ainsi : car enfin, ne lui avait-on pas prédit, sinon la mort, du moins une transformation complète ?

Mais son amant, à ces mots, se mit à rire franchement (et elle ne peut s’empêcher, le voyant si rayonnant, de le serrer passionnément contre elle, en plaquant ses mains sur ces belles petites fesses si dures et en posant sa tête contre cette bite qui venait de la faire jouir si fort) :

• — Mais tu es déjà transformée, ma petite Bébée. Ne vois-tu pas que tu es une sirène ? Tu prendras, je te le prédis, tous les hommes dans tes filets.

Bébée décida alors que toute son histoire de blouses blanches n’avait ni queue, ni tête. Enfin, « ni queue », ce n’était pas gagné, et la suite lui prouva que non !