n° 15165 | Fiche technique | 31639 caractères | 31639 5323 Temps de lecture estimé : 22 mn |
22/09/12 |
Résumé: Cinq histoires courtes, par quatre auteurs différents, sur le thème « Compagnie solitaire ». | ||||
Critères: #sciencefiction cérébral fellation pénétratio délire #recueil | ||||
Auteur : Collectif Antilogies (Groupe d'auteurs recomposé au gré des thèmes antilogiques) Envoi mini-message Co-auteur : OlivierK Envoi mini-message Co-auteur : Olaf Envoi mini-message Co-auteur : Moscaria Envoi mini-message Co-auteur : Hidden Side |
Collection : Antilogies |
La collection « Antilogies » regroupe des textes courts (si possible entre 1500 et 7500 signes) mis en ligne sur le forum de Revebebe pendant le mois qui suit une proposition de sujet « antilogique » par un des membres.
Tous les lecteurs peuvent avoir accès au forum : Concours et jeux d’écritures ; Antilogies et autres jeux (ré) créatifs ; les textes ou Antilogies et autres jeux (ré) créatifs ; les discussions.
par OlivierK
1 – Rapport du père Daniel X… , exorciseur du diocèse, à Mgr l’évêque de X… (Extrait)
… Tout le nécessaire ayant été dûment fait, l’intervention du démon me semble hors de cause dans le cas de Mme Camille X… Bien au contraire, son comportement relève d’un mysticisme dont l’histoire de l’Église a fourni maints exemples au cours des siècles. Je ne ferai pas l’affront de rappeler à Monseigneur le nom des vénérables saintes s’abîmant ainsi dans la divine adoration. S’imaginant que je ne pouvais l’observer dans l’obscurité du confessionnal, cette jeune femme est tombée en extase et son visage m’a rappelé celui de Sainte Thérèse d’Avila tel qu’il est représenté par le Bernin, chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome, que Monseigneur doit connaître.
2 – L’évêque de X… et son vicaire épiscopal. (Extrait de conversation)
3 – Maître Basile X… , avocat, à son associé Antoine X… (Extrait de conversation)
4 – Rapport de M. Maurice X… , détective privé (Extrait)
… Après deux semaines de filature lorsque Mme Camile X… sortait de chez elle, et ayant passé le reste du temps en planque devant votre domicile (sauf la nuit quand vous étiez présent à ses côtés) je puis affirmer que votre épouse n’a pas rencontré d’amant, ni d’amante. Elle s’isolait parfois dans les toilettes de certains cafés ou dans des sanisettes, mais jamais accompagnée par que ce soit. Il lui est arrivé de se rendre dans des cabines d’essayage et de quitter la boutique sans rien acheter. Personne n’est venu la rejoindre dans les dites cabines. J’ajoute donc à ma note de frais les factures de quelques slips féminins ou tangas qu’il m’a bien fallu acquérir afin de mieux la surveiller. Je rappelle que je suis célibataire et peu porté sur la gent féminine.
5 – Cabinet du professeur André X…, psychiatre.
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par Moscaria
Encore que, si Chantal se retournait, elle décèlerait une ombre de tristesse teintée d’admiration dans les yeux attendris de la baronne, tandis que celle-ci la regarde disparaître, dynamique et fière trentenaire élancée, vers les portes dorées de l’ascenseur.
Elle ne se retourne pas. D’une pirouette mentale à présent familière elle a, en quelques pas, chassé de ses pensées Émeline Delisle de Fresnay et tous les commensaux de cette interminable réception, plus tous les électrons qui gravitent autour d’elle du matin au soir, courtisant ses orbitales les plus improbables comme si elle était l’unique proton de l’espace. Elle a chassé les actionnaires, les clients, les fournisseurs, les commerciaux et les comptables. Elle les chasse chaque soir.
La nuit, elle est seule.
Il n’y a pas de taxi en bas. Il n’y en a jamais eu. Il est tard et la ville est éteinte. Chantal déconnecte son portable.
Rentrer à pied prend dix minutes en coupant par le parc. Solitude pure et pleine lune originelle. Une brise d’été fraîchit déjà son col. Contemplant les rues vides, ouvertes devant elle, elle dégrafe un bouton pour laisser le vent frais la flatter librement et se met en route, tête haute et sourire aux lèvres.
Elle se surprend à pavaner, caressant l’illusion de posséder la ville et d’en avoir chassé jusqu’au moindre occupant. Une ville pour elle seule.
Car elle se sent enfin réellement toute seule. Pas ce vide vulgaire qui la tenaille au ventre quand elle réunit le Conseil, s’adresse à la presse ou visite ses usines où les ouvriers se taisent en la voyant venir cernée de chefaillons répandus en courbettes mais prêts à la trahir quand le vent tournera.
Ni ce calme du soir, quand elle goûte au repos de son loft grandiose avec vue sur les quais. Cette solitude-là est pleine de souvenirs, de familier, de confort sur mesure conçu par elle et pour elle, pour ne pas se sentir… seule.
Il l’avait embrassée, puis prise, sur son divan de cuir qu’elle rêvait d’essayer.
Elle avait joui comme… peut-être comme jamais. Comme il y a longtemps, en tout cas. Il y a longtemps…
Ses claquements de talons résonnant dans la rue, Chantal s’engage en direction du parc. Elle sursaute soudain. Un vacarme de métal éclate à côté d’elle. Une boule hérissée s’élance des poubelles, qu’elle renverse, et détale en miaulant vers le fond d’une ruelle.
Chantal recouvre son calme en deux respirations mais la sueur froide sur son échine a tendu toute sa chair en un réflexe de survie. D’un coup d’œil circulaire, elle inspecte la rue. Son cœur retrouve un peu un rythme raisonnable mais elle se sent moite. Le vent vient de tomber. Elle a besoin d’air.
Elle marche face au vide, au milieu de la rue, les bras grand ouverts pour se rafraîchir. Elle se dit qu’on l’observe, que le raffut du chat aura réveillé quelqu’un qui lorgne à présent par sa fenêtre.
Elle se fiche qu’on la voit. Elle est belle et puissante. Surtout, elle est seule et tout lui appartient ce soir.
Elle déchante en arrivant au parc, constatant que les grilles sont fermées pour la nuit. Elle n’a qu’à contourner, quitte à se promener quelques minutes en plus. Sauf que depuis le chat, il lui tarde de rentrer. La lune, jusqu’alors bienveillante, lui propose à présent des ombres inquiétantes. Elle presse le pas. Elle ne se sent plus seule…
Longeant la grille, elle jette des regards fréquents derrière elle. À son passage, les ombres des gouttières et des balcons forgés se déforment et la suivent, comme ces monstres gris qui peuplaient ses terribles nuits d’enfant unique. Ils bougeaient, elle le sait. Elle les a vus bouger. Ils craquaient dans la nuit. Sa seule compagnie.
Elle a senti un bruit. Elle n’a pas entendu ; elle sait qu’il a eu lieu. Elle se dit qu’ils approchent. Elle voudrait déguerpir mais se sent ralentie. Elle avance comme dans l’eau, comme à contre-courant. Elle imagine leurs bras qui se tendraient vers elle, si velus et puissants qu’elle se laisserait faire.
Elle entend des pas et se ressaisit. Elle court. Quelques foulées plus loin, un portillon ouvert claque au vent forcissant. Une entrée de service qui donne sur le parc. Sans doute mal fermée. Chantal s’y précipite, se cache dans des branches et ne fait plus de bruit.
La lune braque un faisceau sur son visage hagard. Elle sent des voix. Deux hommes au moins. Le portillon grince. Elle détale.
Sont-ils armés ? De couteaux, qui déchiquetteraient son tailleur chic pour exposer son corps à la lune cireuse. Que diront-ils en découvrant sa lingerie ? Qu’elle n’est qu’une pute comme sa copine baronne ?
Elle s’enfuit dans le parc, coupant par le gazon, se griffant aux buissons. Des branches la giflent. Si les hommes l’attrapent…
Surtout, ne pas lutter, se rappelle-t-elle. Ce n’est pas ta faute. S’ils ont des armes à feu, fais tout ce qu’ils exigent. Elle se voit à genoux, un canon sur la tempe, s’appliquant à sucer les sexes érigés de tous ses agresseurs. Elle hurle.
Elle court, trébuche, se blesse. Se relève. Retombe. Elle est perdue. Soudain, un portail apparaît. Elle s’y précipite, se brise un ongle sur la gâche coincée.
Chantal s’effondre. Elle sait qu’ils vont la prendre, la toucher, la remplir. Mais quand ils demanderont si son mac la baise bien, elle criera qu’elle n’a pas d’homme, qu’elle est seule, seule et forte et jamais vaincue.
Alors elle se redresse, ôte ses chaussures, s’agrippe aux barreaux et, en trois enjambées, escalade la grille et la franchit, les pointes acérées à deux doigts de larder sa cuisse ou pire. Elles n’accrochent que sa jupe, qui se déchire intégralement, révélant satin fin et bas filés de mille éraflures.
Elle court vers chez elle. S’ils la rattrapent, elle devra s’ouvrir à toutes leurs verges, s’en prendre par-devant et d’autres par derrière, parfois en même temps et les sucer par paires. Savourer leurs semences mélangées en cocktail. Et ruisseler de sperme. Chantal cherche ses clés, presque nue dans la rue.
Ça y est ! La porte claque. Chantal Longpré-Verville s’effondre sur le sol. Elle arrache d’un geste son chemisier en soie. Ses doigts s’enfoncent enfin sous son delta trempé. La voilà seule avec elle-même. Fouillant sous le satin, elle se pénètre enfin, ferme très fort les yeux et jouit, dents serrées, jusqu’au cri déchirant qui la laisse haletante.
Et là, elle fond en larmes. À l’étage, un carreau s’est brisé et un courant d’air frais, suivi d’un bruit de pas sur le verre cassé, confirme ses craintes. Elle n’est pas seule chez elle…
Alors, elle se défait de ses derniers haillons et, entièrement nue, elle rampe en pleurant jusqu’au divan de cuir.
ooo000ooo
par Hidden Side
Depuis plus d’un an, je file à une vitesse toujours croissante vers l’étoile la plus proche du soleil, Alpha Centauri. Dans ce gouffre interstellaire, mon immense vaisseau n’est qu’un grain de poussière, une parcelle de matière perdue dans le néant. Sans la présence de Sheila à mes côtés, cela ferait longtemps que je serais devenu fou.
S.H.E.I.L.A : Simula Hautement Évolué, Interfacé en Langage Adaptatif.
Autrement dit, un être synthétique qui, à bord, remplace médecin, infirmière, aide de camp et confesseur. Physiologiquement, Sheila peut même devenir mon… « amie », au sens prosaïque du terme. Un ange gardien, en somme, chargé de veiller en permanence sur ma santé, tant physique que mentale.
Ses concepteurs lui ont conféré les traits harmonieux et juvéniles d’une femme de vingt ans, censée inspirer la sympathie et la confiance. Ce n’est pas vraiment le sentiment qu’a éprouvé mon épouse en découvrant le co-pilote qu’on m’a choisi : une pure beauté, dotée en prime d’une poitrine très… maternelle.
Cela fait déjà quelque temps que ça ne va plus, avec Isabel ; l’une des raisons qui m’ont poussé à postuler pour cette mission – être le premier homme à aborder un nouveau système solaire. Pur hasard ou obscure destinée, j’ai finalement été choisi parmi des milliers de volontaires. Dans tout ça, Sheila n’est censée être qu’une pièce d’équipement parmi d’autres. Même si, le plus souvent, elle adopte un comportement incroyablement humain.
L’a-t-il testée personnellement ? Ça ne m’importe guère, en réalité. Voyager avec une poupée gonflable plus intelligente qu’Einstein ne me fait ni chaud, ni froid. Au fond de mon âme, je me sens insensible, glacé. En moi, les ressorts du romantisme et du désir semblent brisés pour toujours. Trop d’affrontements stériles et de déchirements…
Les premières semaines, ma femme m’a envoyé quelques messages vidéo, de plus en plus longs à me parvenir. J’y ai découvert une autre Isabel, souriante, enjouée. M’avait-elle déjà remplacé ? Ou s’agissait-il d’une bonne humeur de circonstance, une opération de com’ pilotée par l’agence spatiale et les états confédérés ? Je lui ai répondu sur un ton neutre, quasi mécanique… Même Sheila aurait fait preuve de plus d’humanité.
Détectant une baisse de moral préjudiciable à notre mission, Sheila m’a alors questionné sur mon épouse, sur les sentiments que j’éprouve encore pour elle. La gynoïde fait ça très bien, simulant à merveille l’empathie, l’intérêt, avec même cette pointe d’humour provoquant qui la rend si… désirable. La bonne marche du vaisseau – automatique – n’exigeant que très peu d’attention de notre part, nous avons beaucoup parlé : de ce que nous aurions à accomplir une fois à destination, mais aussi de moi, de mes attentes, de mes rêves.
Bien que ses zones mémorielles soient bourrées d’un savoir encyclopédique, Sheila n’a aucun passé, aucun souvenir personnel. Aussi, durant nos longs tête-à-tête, je lui demande souvent de me lire des romans policiers et des récits d’aventure. Ou plutôt, de me les réciter. Ma « liseuse » s’acquitte de cette tâche avec plaisir, s’appliquant à retranscrire, par ses intonations et expressions faciales, toute la subtilité des émotions humaines. L’illusion est parfaite. La passion fait briller ses yeux d’émeraude, anime ses lèvres pleines et soyeuses, soulève sa poitrine sur le rythme rapide et oppressé de la lecture. Comédienne en pleine représentation, elle est plus alerte et vivante que ne le sera jamais Isabel. Durant ces moments privilégiés, j’en arrive presque à oublier que j’ai affaire à une machine, une Shéhérazade bionique capable de conquérir le cœur du plus sanguinaire des sultans, palais volant ou pas.
Je ne peux m’empêcher de trouver cette chimère blonde… séduisante. Oui, vraiment très attirante, je dois dire.
Dans ma situation, ressentir du désir pour une I.A. n’est pas éthiquement condamnable. Depuis l’avènement des homéoputes et du porno synthétique, le sexe « industriel » est devenu la norme, au moins dans les relations tarifées. D’autres que moi, d’ailleurs, se seraient jetés sur elle depuis longtemps… Faire l’amour à une femme-objet n’est qu’une variante raffinée de la masturbation, après tout. Pas de quoi fouetter un chat, ni éprouver le moindre sentiment de tromperie à l’égard d’Isabel… Laquelle, à quelques trillions de kilomètres de là, ne doit pas se gêner pour s’envoyer en l’air !
Pourtant, je ne tente rien. Je me contente de rester assis, le regard dans le vide, écoutant inlassablement ma compagne cybernétique me « raconter » la vie sur terre, et ses intrigues labyrinthiques au cœur d’immenses mégalopoles…
***
À la fin d’un roman noir plus sanglant que les autres, Sheila émet pour la première fois une objection :
Un instant, je reste sans voix.
Sheila se lève d’un geste souple, et, appuyant sur un interrupteur, fait jaillir du mur une table de massage.
Réagissant à mon regard interloqué, elle poursuit :
Retenu par une étrange pudeur, j’hésite à me mettre nu. Ridicule ! songé-je soudain, ôtant mes vêtements et exposant mon corps blafard et adipeux à la sublime gynoïde (j’ai quelque peu négligé l’exercice, ces derniers temps).
Dès que je suis allongé, Sheila baisse l’intensité lumineuse et s’approche de moi jusqu’à me toucher. Sa peau synthétique est douce, chaude, agréable… Tandis qu’elle commence son récit, une fable érotique terriblement excitante, ses doigts agiles courent sur moi, détendant avec un art consommé chacun de mes muscles. Étendu sur le dos, je me sens durcir presque instantanément. Je ferme les yeux, m’abandonnant au magnétisme de ses mots, au plaisir subtil que me délivrent ses mains. À chaque contact, de plus en plus précis, je frissonne.
Tout en maniant ma verge avec une retenue délibérée, Sheila me susurre de délicieuses ordures. À la fin du second chapitre, elle s’interrompt et me prend dans sa bouche. Tandis qu’elle m’avale et me pompe, me prodiguant ce qui s’avère être la meilleure fellation de toute ma vie, le système audio du vaisseau diffuse la suite de son récit. Elle ôte soudain son tee-shirt, faisant jaillir une paire de seins encore plus appétissants que je ne l’imaginais. Puis elle monte sur la table, cale ma bite entre ses globes laiteux et entame un va-et-vient irrésistible. Entre deux coups de langue à mon gland en surchauffe, elle me fixe avec une passion peu commune. N’y tenant plus, je l’asperge de mon sperme…
Je décharge en silence, ne sachant que dire. Sheila se relève tranquillement, avant de me déclarer avec un sourire :
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par OlivierK
Joseph sortit à cinq heures. Son chien avait voulu le suivre mais il l’avait repoussé, en refermant sur cet animal de compagnie la porte de son logis. Il prit son bâton et marcha vers la forêt. Il croisa un membre de la Compagnie de Jésus qui lui fit un salut onctueux, auquel il répondit par un simple hochement de tête.
Ce jésuite l’avait confessé autrefois, et lui avait dit que le vice solitaire était un horrible péché qui par ailleurs rendait sourd. Mais comme la formication avec toute autre personne qu’une légitime et unique épouse était également interdite, que faire ? Il était bien amoureux d’une jeune fille nommée Bénédicte mais il n’osait pas le lui dire. De toute façon, avant de l’épouser il fallait qu’il fasse son régiment, comme on disait alors. Il se débrouillait donc tout seul, ainsi que tant d’autres, en dépit de l’interdiction de l’homme d’église.
Quand il en eut l’âge, il devint militaire. Sa compagnie fut isolée aux confins du désert, lors de la conquête inutile d’une lointaine colonie. Il se satisfit alors de l’arrière-train de l’un de ses camarades, qui ne demandait pas mieux. Après avoir quitté l’armée avec le grade de caporal, il revint dans son village. Grace au pécule qu’il avait amassé au péril de sa vie, il acheta un solitaire qu’il présenta à Bénédicte, en gage de son amour. L’armée l’avait en effet rendu audacieux. Mais Bénédicte était déjà fiancée à l’instituteur du village, si bien qu’elle refusa ce présent, en dissimulant à grand peine une furieuse envie de rire. Aucune autre jeune fille ne voulut de ce solitaire. Il le revendit, mais à perte. Cela lui permit quand même d’acheter un petit champ dont il fit un jardin. Par la force des choses, il avait repris ses pratiques solitaires, accompagnées, si l’on ose dire, de la seule veuve Poignet. Il faut dire qu’il était bougon, pas très beau et que les prestations de Martine, l’unique femme publique de la bourgade, étaient onéreuses. Il voulait bien vider ses bourses, mais pas au détriment de sa modeste bourse.
En effet, il gagnait fort chichement sa vie en aidant çà et là aux fenaisons, aux moissons et aux vendanges. Il braconnait parfois, et attrapait des truites en glissant ses mains sous les pierres des torrents. Il élevait aussi quelques lapins et quelques poules. Tout cela lui permettait de manger à sa faim. Mais il maigrissait pourtant, sans savoir pourquoi. La solitude, peut-être.
Le soir, alors que sa soupe cuisait dans le chaudron suspendu dans sa cheminée, il sortait de son placard un antique jeu de cartes et il faisait des réussites, que d’aucuns nomment solitaires. Elles échouaient la plupart du temps. Parfois il faisait griller sur les braises presque éteintes une côte de porc donnée par un paysan pour lequel il avait travaillé. Il en mangeait la viande et jetait l’os à son chien.
Ce jour-là, une fois le jésuite hors de vue, il aperçut une compagnie de perdreaux et regretta de n’avoir pas pris son fusil. À l’orée du bois, il se demanda s’il allait rencontrer l’ermite qui vivait dans une cabane, au milieu des châtaigniers. Il ne le vit pas. Il l’imagina en galante compagnie et cela le fit sourire. Il inspecta ses collets. Aucun garenne ne s’y trouvait étranglé.
Il ramassa des châtaignes, qu’il mit dans sa besace, où elles tinrent compagnie à la rave qu’il venait de voler dans un champ. Il aurait bien voulu trouver quelques champignons, mais la pluie avait été trop rare. Il se promit de déterrer un pied de pommes de terre dans son jardin afin de rendre sa soupe plus fortifiante.
Il alla dans le coin des airelles, posa son bâton et se mit à genoux. Un grondement soudain le conduisit à se relever et à se retourner. Les défenses du solitaire lui percèrent le ventre. Il en mourut. Mourut également le ver, solitaire lui aussi, qu’il hébergeait depuis quelques mois.
ooo000ooo
par Olaf
Aussi loin que je me souvienne, j’ai eu besoin de liberté. Un besoin absolu, que rien n’a jamais pu brider. Cela ne veut pas dire que j’évite toute compagnie. Bien au contraire, mais sans attaches, sans promesses, sans contingences. Rester avec l’autre aussi longtemps qu’on est bien, puis repartir chacun de son côté, sans regrets.
Avec le temps, j’ai réalisé que le pire poison de telles relations, ce sont les mots. Trop de mots changent de sens suivant qu’on les prononce ou qu’on les entend. Ainsi, des mots tels que « je suis bien avec toi » contiennent-ils souvent le germe d’une promesse d’éternité. Je n’ai pas de solution à ce problème.
D’ailleurs, des mots, Lydie et moi en avions échangés de toutes sortes au cours de la soirée. Des mots de rien, des mots de tout. Des mots qui coulent, qui colorent, qui tapent contre les tempes. Des mots, et quelques demi-mots aussi. Ceux que je redoute par-dessus tout. Ceux qui avouent, au moment où l’on s’y attend le moins, que certaines rencontres rendent la solitude de l’après insupportable. Que certaines alchimies instillent l’envie de rester encore un peu dans la douceur d’une éphémère compagnie.
Ma découverte de Lydie entrait sans doute dans cette catégorie. Aurais-je alors dû me taire lorsque j’ai réalisé qu’elle avait bu au même rythme que moi tout au long de la soirée ? N’avais-je en vérité que le désir de lui éviter de prendre des risques, lorsque je lui ai demandé si elle se sentait capable de rentrer chez elle par ses propres moyens ? Elle murmura d’une voix un peu pâteuse qu’elle en doutait, en effet.
Sans doute à cause de son état semi-somnolant, la source des mots s’est tarie pendant le trajet entre le restaurant et son domicile. Je me suis parqué le long du trottoir devant sa maison, et j’ai attendu quelques minutes, avant de poser la question suivante, logique conséquence de ce qui avait précédé, mais aussi ferment de différents possibles.
Vue l’absence d’ascenseur, nous ne serions probablement jamais arrivés au troisième étage avant le chant du coq, si je n’avais pas fermement saisi Lydie sous les bras. Je l’ai hissée tant bien que mal jusque devant sa porte. Elle plongea une main dans son sac et fouilla sans méthode. Elle trouva néanmoins sa clé du premier coup. Elle eut plus de difficultés à repérer l’emplacement exact de la serrure.
Après quelques éclats de rire, nous finîmes par pénétrer dans son antre. Elle fut toutefois incapable de trouver l’interrupteur de lumière. À défaut, elle se serra contre moi, comme pour se faire pardonner sa maladresse. Cela me permit de découvrir les moindres détails de sa ravissante anatomie. Elle me laissa éprouver la fermeté de ses petits seins, m’encouragea même à abuser de la dureté de ses pointes excitées, à me régaler de la rondeur de ses fesses, de la souplesse de ses hanches, et de bien d’autres délices qu’elle m’offrit avec une troublante spontanéité. Ce qui nous unissait était si fort que j’eus peu à peu l’impression de sentir ce qui se passait en elle, rien qu’aux variations d’odeur de sa peau.
Ses gestes se firent alors plus précis, mieux ciblés, agréablement caressants. Mais, vu son état, était-elle réellement encore capable de discernement ou s’agissait-il juste d’une sorte de réflexe de survie sensuelle ? Ne se laissait-elle pas submerger par un auto-allumage érotique, qu’un manque chronique de câlins rendait soudain inéluctable ? Elle ne me laissa pas le temps d’approfondir la question. Déjà ses doigts caressaient mon torse, sa bouche et sa langue laissaient des traces mouillées sur ma peau, son bassin excitait mon bas-ventre d’irrésistibles ondulations. J’ai tenté de me raccrocher aux mots, comme à une bouée.
Dont acte, jusqu’à l’allonger nue sur son lit, contre mon flanc. Elle reprit l’initiative.
Je m’exécutai, longuement, tendrement. Plus mes mains parcouraient son corps, plus je redoutais que ne se brise le fil ténu tissé entre nous au cours de la soirée. Ce genre d’attache m’importa peu, sur le moment.
Je sus m’appliquer à satisfaire ses moindres désirs, jusqu’au petit jour. Jusqu’au sommeil dans lequel nous plongeâmes main dans la main, bouche contre front, ventre contre ventre, repus.
***
Je la découvris en train de me regarder d’un air mi-soucieux, mi-attendri, lorsque je me réveillai. Ses premiers mots me prirent de court.
Elle m’aida alors à me réveiller complètement. Habilement, subtilement, obstinément, goulûment. Jusqu’à ce que je n’aie d’autre alternative que de jouir entre ses lèvres, mon visage enfoui entre ses cuisses, ma langue maltraitant sa petite tige. Elle s’offrit sans retenue et finit par rendre bruyamment les armes, inondant mon visage et mon cou d’odorantes sécrétions.
La bouche encore tapissée de mon sperme, elle remonta le long de mon ventre, s’attarda sur ma poitrine, avant de venir glisser sa langue entre mes lèvres. J’ai accepté ce partage de nos humeurs intimes comme on scelle un pacte. À la vie et à la petite mort.
Après ce que nous avions partagé, ses élans spontanés, son émouvante manière de s’immiscer en moi me donnèrent envie d’ajouter quelques heures à la nuit. Quelques heures en pleine lumière. C’est alors que je pris le temps de regarder autour de nous. Partout où se trouvait une surface pour poser quelque chose, des piles de livres s’élevaient. Dans tous les coins possibles gisaient des ouvrages de toutes tailles.