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n° 15242Fiche technique16039 caractères16039
Temps de lecture estimé : 10 mn
01/11/12
Résumé:  On connaît la musique...
Critères:  f h fffh fhhh collection voir exhib fmast hmast partouze conte -occasion -mastf -masth
Auteur : Aline Issiée      Envoi mini-message
Longtemps, je me suis touché de bonne heure

« Longtemps, je me suis touché de bonne heure… » C’est en souriant qu’il avait écrit cette phrase, la veille au soir, avant de froisser la page et la ficher au panier. Pourtant, elle lui semblait particulièrement pertinente ce matin-là : son érection matinale était d’autant plus prononcée qu’il restait dans une sorte de demi-sommeil, allongé dans le grand lit qui faisait face à la fenêtre de son appartement, la main posée sur son membre, faisant naître une sorte de femme imaginaire à côté de lui, surgie des plis des draps froissés.


Cela faisait combien de temps qu’il ne se réveillait plus avec un vrai corps de femme, auprès duquel on s’approche, dont on épouse les formes, que l’on commence à caresser ? Un mois, deux, trois ?


Il avait beaucoup pratiqué l’éveil progressif des filles qui avaient partagé son lit. Ventre à dos, il commençait par mettre sa bouche sur le cou de la fille, qui, généralement, remontant ses jambes en position fœtale, venait se coller contre lui. Alors il passait un bras autour de la taille, sans marquer d’intention particulière de réveiller sa compagne. Mais en même temps, son sexe dur venait doucement se poser sur le sillon du cul… Les gourmandes commençaient alors à réagir, sans ouvrir les yeux, se retournaient vers lui, en s’étirant : il sentait les seins venir s’écraser contre sa poitrine, il insinuait une jambe entre deux cuisses qui s’entrouvraient, une de ses mains venait caresser le sexe encore endormi, l’autre commençait à jouer avec les seins qui frémissaient… Commencer ainsi, en introduisant son membre dans une vulve qui s’ouvrait doucement, pendant que la femme se réveillait en gémissant des mots doux, encore enrobés de sommeil, était une des meilleures façons pour lui de faire l’amour.


Certaines filles, les paresseuses, préféraient d’ailleurs ne pas se retourner : il les prenait alors par derrière, insinuant de plus en plus son membre entre les jambes fermées, murmurant à l’oreille de la belle endormie, lui conseillant de continuer à rêver : qu’elle le laisse simplement faire, pendant qu’il lui ouvrait tendrement le sillon des fesses, pour frotter le bout de son gland dans l’entrejambe, entre le petit trou plissé et les lèvres qui peu à peu s’humidifiaient sous ses doigts.



Elles se laissaient faire, même celles qui avaient déjà largement eu leur part la veille au soir, baisant jusque bien avant dans la nuit. Il faisait alors glisser son sexe dans les parois humides, allait taper, de plus en plus fort, au fond du vagin, faisant se contracter de plaisir le corps à peine sorti du sommeil.



Il sentait le sexe si largement s’ouvrir, mouiller encore et encore : il lui suffisait alors de venir titiller, entre le pouce et l’index, le clitoris déjà dressé, pour que la fille se pâme.


Parfois, il lui était même arrivé d’être devancé : la fille, ayant senti dans le rapprochement matinal des corps son bâton durci, s’était laissée glisser à l’intérieur des draps, jusqu’à ce que sa bouche soit bien en face du membre, et avait commencé à le sucer avant même qu’il n’ait posé la main sur elle. Il avait du mal alors à garder son érection, pris presque par surprise : souvent, il devait empaumer la chevelure enfouie sous les draps, pour diriger le rythme de la fellation, le ralentir un peu. Puis il sortait son sexe de la bouche de la fille, la retournait en rabaissant la couette pour admirer le corps qui, de lui-même, prenait la position voulue : la tête sur l’oreiller, le bassin relevé, à genoux dans le lit : il lui suffisait de venir se positionner derrière pour pouvoir admirer le sexe qui s’ouvrait en même temps que le jour se levait. Les « suceuses du matin » étaient souvent les mêmes qui acceptaient la sodomie : il les pénétrait longuement, sautant parfois de l’anus au vagin, jusqu’à bien les faire jouir – histoire de les remercier de la pipe matinale. Quand elles s’abattaient sous lui dans le lit, alors à son tour, il jouissait, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, et parfois, si elles s’étaient retournées à temps, dans la bouche même qui, quinze ou trente minutes avant, l’avait complètement réveillé…


Ce n’était certes pas parce qu’il baisait dès l’aube qu’on pouvait le traiter d’éjaculateur précoce ! Et c’était vraiment une merveilleuse façon d’entamer une journée… Mais depuis quelque temps, il ne ramenait plus aucune femme chez lui, il ne cherchait plus à séduire et avait même renoncé à certaines bonnes copines toujours disponibles, amantes-amies avec qui il avait noué des liens plus ou moins distendus, mais toujours décontractés. Il faut dire que dans son milieu, si souvent féroce (il était musicien-arrangeur-parolier pour une maison de disques qui produisait des artistes à l’ego insupportablement démesuré), sa bonne humeur, sa longue silhouette et son apparente simplicité lui attiraient les faveurs de toutes sortes de femmes.


Mais justement : il ne pouvait plus, en ce moment, se consacrer trop à ces amitiés « particulières » et à ces dragues faciles qui, jusque-là, l’avaient comblé. Il avait une importante commande de ses boss, des arrangements pour deux albums d’une artiste qui commençait à avoir un sérieux succès, mais qui était si pénible dans ses exigences qu’il était obligé de travailler comme quatre. Le public voyait sur les écrans une jolie jeune femme douce, à la voix de contralto : pourtant, cette Catherine n’était qu’une abominable garce, vénale et autoritaire. Cela faisait trois mois qu’il vivait comme un moine, à cause d’elle !


Il en était quitte pour la branlette du matin, dans un demi-sommeil solitaire… Mais ce matin-là, après avoir écrit sans succès la moitié de la nuit, il aurait bien dormi plus longtemps : quel rêve, quel événement, avait ainsi produit le durcissement du long membre, dont le gland frémissait dans sa main ?


Il prit conscience qu’en fait, c’était une musique – enfin, si on pouvait appeler cela comme ça –, qui l’avait ému ce matin-là : quelqu’un, dans l’immeuble d’en face, jouait ou plutôt tentait de jouer du violoncelle.




- - -




Ludivine était, de l’avis général, « un drôle d’oiseau » : elle ne pouvait jouir qu’en musique. Elle avait beaucoup d’amants, car sa petite trentaine, sa silhouette plutôt élancée, la masse de ses cheveux bruns, son visage ovale qu’éclairait l’acuité d’un regard jaillissant parfois brusquement sous de lourdes paupières, lui valaient beaucoup de propositions… Surtout dans les bars à musiques ou les salles de concert qu’elle fréquentait ; très éclectique, elle aimait tous les styles, passant sans complexe du rock au classique, pouvant mouiller en écoutant Glenn Gould jouer du Bach ou Yo Yo Ma du Piazzolla… Évidemment, elle préférait sortir avec des musiciens : ce n’était pas très difficile, le milieu même semblait favoriser la baise, et les artistes très connus tentaient plutôt de fuir les filles qui s’offraient à eux. Ludivine, elle, se foutait bien de la notoriété. Elle n’aimait ni le ukulélé, ni Chopin. Mais musiciens ou pas, la seule chose qu’elle exigeait de ses amants était de choisir elle-même la musique qui résonnerait dans la pièce, pendant que la séance se déroulerait…


Le meilleur, pour elle, était de baiser avec un musicien, sur le morceau choisi par elle, que ce dernier interprétait. La dernière fois que cela lui était arrivé, c’était avec un groupe entier de rockeurs, quatre types qui visiblement, « partageaient tout »… Dans leur loge, elle avait mis en route le CD du groupe, et puis elle avait tranquillement proposé : un morceau pour chacun, donc entre trois minutes ou trois minutes et demi en elle, et puis au suivant ! Les mecs s’étaient d’abord récriés :



Mais ils avaient finalement cédé, parce qu’elle avait choisi, pour chacun d’entre eux, le morceau qui lui correspondait le mieux. Elle aimait particulièrement la basse, qui lui avait envoyé, pendant le concert auquel elle avait assisté juste avant, de profondes vibrations dans le bas-ventre. Sentir la queue du bassiste remuer en elle, tout en écoutant précisément la musique qui l’avait conduite là, multipliait son plaisir, ce qui troublait tant le musicien que lui aussi, pendant qu’il sentait l’orgasme de Ludivine lui contracter l’intérieur de la chatte, n’avait pu résister à une longue et crémeuse éjaculation. Les trois autres musiciens, qui attendaient leur tour la queue à la main, avaient eux aussi goûté à cette sensation particulière : sentir une fille jouir autant par le sexe que par l’écoute de leur propre musique…


Le groupe entier, après cette séance vécue comme un rêve, et pendant que Ludivine, qui s’était complètement déshabillée dès le début, continuait à danser nue, laissant ses seins bouger en mesure sur une reprise de « too late, too late », lui avait alors proposé de les accompagner pendant toute leur tournée européenne. Elle avait poliment refusé, en se rhabillant : le soir même, elle devait aller écouter un guitariste espagnol, émule de Paco de Lucia, sur des reprises de flamenco. Avec un peu de chance, le jeune musicien céderait à ses avances… Si la musique était bonne, évidemment…


Pourtant, même avec la meilleure des musiques, même si elle avait eu l’âge de rencontrer, comme Greco, Miles Davis au plus fort de sa beauté noire, jusque dans ses notes, elle ne se sentait pas complètement satisfaite. Ce fut un pianiste, dont les longs doigts, spatulés du bout, l’avaient caressée toute la nuit au son de « round about midnight », qui lui en fit prendre conscience. Comme tant d’autres, la musique libérait chez elle des torrents de sensualité, la désinhibait au point que les plaisirs, se surajoutant, se confondaient les uns avec les autres… Elle devenait clavier, embouchure, corde tendue, peau rebattue… Mais elle devait toujours en passer par « les autres ».


Elle s’acheta un violoncelle. Cet instrument lui parut tout naturel : ne devait-on pas, pour l’apprivoiser, ouvrir largement les jambes, se pencher vers lui et le soutenir comme on se penche sur un corps, et l’archet glissant sur les cordes ne produisait-il pas un son aussi violent que voluptueux ?


Elle ne serait jamais, elle le savait, ni Rostropovitch, ni Casals, ni même Jordi Savall. Mais elle qui aimait autant le baroque que Gabriel Fauré, de même qu’elle aimait coucher avec des hommes aussi différents que possibles, aux queues longues et fines, ou bien courtes et râblées, aux torses velus ou glabres, aux mains légères ou brutales, trouvait dans la compagnie de son instrument comme la plus merveilleuse des masturbations.


Elle espaça ses nuits de baise, les remplaçant par l’étude des rudiments du solfège et l’écoute attentive du répertoire du violoncelle. Plus elle avançait, plus il lui semblait que cet instrument, dont la pratique avait été si longtemps strictement interdite aux femmes, se rapprochait pourtant le plus de sa voix la plus profonde, produisant des sons d’une puissance sexuelle ne pouvant se comparer qu’à certaines voix de femmes, de Bessie Smith à Rosa Passos.


Elle prit l’habitude de répéter les morceaux étudiés, très tôt le matin. Elle se plaçait devant sa fenêtre, prenait l’instrument entre ses jambes, arrondissait les bras… Mais bientôt elle ne supporta plus le moindre obstacle entre le bois courbé de l’instrument et son propre corps. Elle enleva d’abord le haut de ses vêtements. Elle sentait ainsi, tout contre ses seins, la vibration de son violoncelle. Ses aréoles se contractaient, le bout de ses seins durcissait comme sous la plus habile caresse d’homme…


Ce matin-là, elle se mit complètement nue pour jouer. Entre ses jambes largement écartées, l’instrument pesait lourd… Mais les vibrations sorties de son archet et que ses doigts encore maladroits dirigeaient sur le manche, lui procuraient des sensations telles qu’elle n’aurait pas été plus excitée en branlant le sexe dur d’un homme plein de désir…


Elle se mit à jouer, pas trop bien, mais suffisamment pour que le plaisir commence à monter…


Elle s’arrêta, car son corps devenait si brûlant qu’il lui fallait le rafraîchir : elle jeta sommairement un grand tee-shirt sur elle, alla à la fenêtre, l’ouvrit, prit une grande respiration dans le matin frais qui se levait.


Ce fut alors qu’elle le vit : dans l’immeuble d’en face, un type la contemplait, avec autant d’attention que si elle était une apparition. Il était grand, bien bâti, portait (aussi négligemment qu’elle son tee-shirt) une simple serviette autour des reins, qui tentait de cacher un sexe visiblement dressé…


La rue était étroite, les voitures en bas passaient, mais ils habitaient l’un en face de l’autre, au sixième étage d’un vieil immeuble : ils auraient pu s’adresser la parole.


Mais on aurait dit que les derniers accords joués sur le violoncelle tenaient lieu de conversation.


Ludivine regarda sans aucune hésitation l’homme, aussi longuement et aussi intensément qu’à l’inverse, il le faisait ; puis, rentrant dans son appartement, elle rapprocha son siège de la fenêtre, alla chercher son violoncelle. Elle retira son tee-shirt, s’assit, posa le violoncelle devant elle et l’emprisonna dans ses jambes.


Les premières longues notes, perlées, de « chega de saudade » traversèrent la rue.


L’homme dénoua sa serviette, empoigna son membre : Ludivine le regarda qui se caressait et se déhanchait sur la musique qu’elle jouait.


Le bois frémissait contre elle, jamais elle n’avait joué ainsi…


L’homme semblait maintenant pris d’une frénésie, et sa main allait et venait sur le membre qui tressautait, comme entièrement tendu vers elle.


Alors, doucement, elle arrêta de jouer. Quand son archet vint mourir au bout du dernier accord, souriant à son voisin d’en face, elle retira l’instrument et le coucha à ses côtés.


Mais ses jambes gardèrent l’écartement que leur avait donné le violoncelle, et l’homme put voir dans tous ses détails le sexe brûlant, humide et ouvert de Ludivine.




- - -




Marcel et Ludivine ne le savaient pas, mais dans chacun de leurs deux appartements, la très célèbre photo de Man Ray « violon d’Ingres », représentant une femme transformée en violoncelle grâce à deux ouïes tracées sur son dos, était reproduite et placée précisément au-dessus de leurs lits respectifs.


Les ouïes de Kiki de Montparnasse frémirent légèrement, quand l’homme, éjaculant longuement, et la femme, qui se livrait ainsi à son regard, murmurèrent ensemble ce « oui » qui semblait se répercuter du portrait jusque dans leurs plaisirs « solitaires »…