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Temps de lecture estimé : 9 mn
14/12/12
Résumé:  Alice, rêveuse dans l'âme, a peut-être trouvé son prince charmant.
Critères:  fh jeunes boitenuit revede portrait -prememois
Auteur : Imre            Envoi mini-message
Alice au Pays des Rêves

Alice devrait être formidable. Et pourtant, elle est loin d’être merveilleuse. Bientôt 19 ans et encore des broches plein les dents. Quand elle se regarde dans la glace, elle se fait un peu peur. Mais ce n’est rien, comparé à sa vie de tous les jours. Car dans ces moments-là, c’est aux autres qu’elle fait peur. Sans compter qu’elle porte des lunettes. Non, bien sûr, pas de celles que portent les top models des revues. Oh là là, que nenni ! Des lunettes épaisses, tout comme ses verres.


Jamais elle n’a pensé remplacer ses affreuses lunettes par des verres de contact. Et puis, à quoi bon ? Dans les soirées, personne ne la regarde. Ou alors c’est pour se moquer d’elle. Alors elle bosse ; elle est à fond dans la philo. Les lettres, c’est ce qu’elle aime. Et elle se dit souvent : « Peut-être qu’à force de parler de lettres j’en recevrai une, enflammée, d’un amoureux inconnu. Et là, ce sera le coup de foudre. »


Boum ! Le coup est arrivé ; mais la foudre n’est pas venue, en revanche. Ce serait plutôt le montant de la porte de sa chambre qu’elle vient de recevoir. Affranchie, la petite (qui fait quand même 1,74 m). Normal : à rêvasser du prince charmant, on ne regarde pas ce qu’on fait.


Mais parlons plutôt de cette soirée de fin de cycle (estudiantin, ne mélangeons pas tout !). Elle s’y prépare depuis déjà belle lurette. Chercher une robe qui ne fasse pas trop tarte. Des petites ballerines. Surtout pas de talons ; oh, que non ! Une fois elle en a mis. Elle en a coincé un dans une grille juste devant la porte d’entrée de la disco. Où tout le monde passait. La honte. Elle a tout d’abord cru qu’elle pourrait continuer à marcher comme si de rien n’était. Mais il lui a bien fallu se rendre à l’évidence. Casser l’autre talon pour ne pas trop ressembler à Long John Silver de L’île au trésor. Il est vrai que c’était à une soirée costumée qu’elle se rendait. Mais, en princesse, elle se voyait mal boiter toute la soirée…


Bon, je m’égare un peu. Revenons à nos moutons, ou plutôt à notre brebis égarée. La voilà donc devant la glace, toute sérieuse, avec sa belle robe bleu ciel et ses ballerines aux pieds (je la vois mal les mettre ailleurs). Elle se trouve jolie, tout de même. On se moque, mais elle a de beaux seins. Elle en profite pour les remonter un peu en y plaçant ses mains comme des balconnets. Ce qui fait ressortir un peu le haut et lui donne une belle prestance. « Ah, tu vois, se dit-elle. Y a du volume. Tout n’est pas perdu. Enfin, pas encore. Mais bon, je ne suis pas non plus Cendrillon. Et pour la pantoufle de vair, ce sera pour une autre fois. »


Et là, comme ça lui arrive bien souvent, elle se retrouve dans un rêve éveillé. Un jeune homme est derrière elle. C’est à peine si elle l’a entendu arriver. Mais elle sent ses mains d’une chaleur inouïe sur ses épaules et une bouche aux lèvres toutes douces venir déposer, tel un papillon, un baiser sur le haut de son cou. Baiser qui la fait frissonner de plaisir. Tout son corps est en émoi. Sa respiration devient haletante. Ses seins remontent au rythme de sa respiration. Ils sont prêts à exploser. Puis les mains descendent sur ses bras nus. Elle ferme les yeux. La caresse est douce, comparable à une plume qui volette. Pourvu que ça dure longtemps. C’est tellement bon.



La bouche ouverte prête à gober un œuf d’autruche, elle se retourne du côté de la porte de sa chambre qui vient de s’ouvrir énergiquement.



Encore à moitié dans les nuages de son délicieux rêve, elle renvoie son frère sans ménagement en le poussant dans le dos.



Et la porte de claquer. Faisant un courant d’air qui embarque par la même occasion tous ses rêves.




ooo000ooo




La soirée arrive enfin. Elle ne s’y rend pas toute seule. Non mais. Faut pas croire. Moche peut-être, mais pas idiote pour tout le monde. Elle a quand même quelques amies. Une, quoi ! Et jolie en plus, très jolie même. Ingrid. De son âge et de mère Allemande. Qui lui a donné toute sa blonde beauté.


Ce n’est pas tout ça : il faut encore se trouver un cavalier. Elle excelle dans le genre. Mais ce serait plutôt sur un grand échiquier rempli de cases… Bah, elle aura peut-être plus de chances que la dernière fois. Elle prend place sur une chaise le long de la piste de danse. Les jambes croisées, la robe s’est légèrement relevée ; ça lui donne une contenance, qu’elle se dit. Pourquoi, nul ne le sait. Peut-être même pas elle.


Et elle attend, elle attend. Qu’une âme charitable veuille bien l’inviter à danser. Pour s’occuper, elle regarde autour d’elle. La musique est douce. Des couples se sont enlacés sur la piste. Des caresses furtives se glissent sous les pulls des filles. Des baisers amoureux sont échangés. Certains durent tellement longtemps qu’elle est prête à appeler le Samu au cas où la respiration de certains donnerait des signes de faiblesse.


Et les rêves qui la reprennent. Elle est cette fois sur la piste de danse. Son cavalier est l’as des as. Le Bébel des pas de danse en cascade… La foule a fait un cercle autour d’eux. Tous les regards sont braqués sur son danseur, et elle, bien évidemment. Ils dansent magnifiquement. Accrochés l’un à l’autre, ils forment un couple parfait. Sur le rythme d’une samba tout d’abord, puis d’un rock, d’une valse. Tout y passe, du classique au moderne. Et enfin un slow. La piste est alors envahie par les spectateurs. Ce qui permet à notre couple de se noyer parmi les autres. Elle adore ça, Alice, les slows. Serrée contre son homme, la tête au creux de son épaule. Et lui, la main qui se balade sur son dos, ses hanches. Un peu partout sur sa peau sensible. L’excitation est au rendez-vous. Elle se sent bien avec lui. Elle n’attend qu’une chose. Ce baiser. Ce merveilleux baiser, long, éternel, qui la fait chavirer. Elle en redemande, Alice. Elle n’est pas rassasiée. Encore et encore. Oh oui, que c’est bon ! Tout son corps est rempli de chatouillis.



C’est la fin de la phrase qu’elle entend. Juste les trois derniers mots.



Elle est encore dans ses pensées. Bien sûr qu’elle veut. Elle en veut encore, des baisers. Tout plein, même. À n’en plus finir. Mais elle ne peut pas le lui dire, au mec qui est là en face d’elle, debout à se tortiller les doigts. Comme s’il allait lui tricoter sa photo… Et là, sans crier gare, la voilà qui se met à rire, d’un rire nerveux. C’est à peine si elle peut s’arrêter.



Rouge pivoine, il commence à bégayer quelque chose d’incohérent. S’y reprend à trois fois. Mais sans plus de succès. Alors c’est Alice qui, se levant, lui prend la main et l’entraîne sur la piste de danse. Jamais elle n’avait fait cela. Timide comme un soupir, c’est pourtant elle qui a fait le premier pas. Les autres suivront, c’est un slow. Et pas trop compliqué pour une première.


Mais, à peine la danse commencée, la musique s’arrête. « Whisky time ! » crie le disc-jockey.



Il opine du chef alors qu’elle le prend par la main pour aller s’asseoir à une table près du bar. Assis l’un en face de l’autre, c’est à ce moment qu’elle se rend compte qu’il est mignon. Très mignon même. Il doit avoir le même âge qu’elle. Ils se regardent, et se regardent encore et encore. Le temps passe ; pas un mot n’a été échangé. Cela ne la gêne pas. Elle a l’habitude de ces moments de silence. Et lorsqu’elle veut s’exprimer, il décide d’en faire autant. Ils rient de bon cœur et veulent s’excuser. Mais à chaque fois c’est pareil. Leurs mots se mélangent, car ils ont le don de toujours vouloir parler en même temps. Et personne n’y comprend rien. Faut dire que le bruit que font les autres autour d’eux n’arrange rien.



Il n’en faut pas plus pour le requinquer. Encore un peu et les boutons de sa chemise vont sauter… Il est sur un petit nuage. Et sous de gros nuages en sortant de la discothèque. La pluie n’est pas loin. Mais bon, pour le moment tous les saints se sont retenus. « Accroche-toi, Jeannot ! pense-t-il en souriant. Comme dans le sketch de Guy Bedos. Mais ça s’arrêtera là, je ne lui ressemble en rien. Faut surtout que je jette cette timidité maladive qui me traîne aux basques. »




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Voilà nos deux tourtereaux (qui s’ignorent encore) installés, bien au chaud, à une table dans un coin discret. Elle a un Coca devant elle et lui un jus d’orange. Ils sirotent leur boisson tout en se jetant de petits regards furtifs. Ils n’ont pas encore vraiment parlé. Mais ils se sentent bien, là, tous les deux. Puis il se jette, et parle tout son saoul, même s’il ne boit qu’un jus d’orange.



Il rit de bon cœur de son gag, mais elle n’a pas compris. Elle doit être encore une fois ailleurs.



Tout en parlant, il gesticule comme s’il était un boxeur et manque de renverser et son verre et le petit vase dans lequel se trouve une belle marguerite rouge.



Et il revient à la description d’Alice. Il le fait si bien qu’elle croit encore une fois qu’elle est dans un rêve. Mais pas cette fois-ci. C’est bel et bien réel. Et qu’est-ce qu’il en fait, des compliments sur elle… Qu’elle a un joli petit nez, qui remonte un peu mais qui est adorable. Quelques taches de rousseur sur les joues, qu’il apprécie tout particulièrement. Et les jambes, de sacrées belles jambes. Qu’il a pu apercevoir une fois alors qu’elle portait une bien belle jupe. Puis il passe rapidement sur une poitrine trop souvent cachée. Et là, une fois de plus il rougit. Mais il n’a pas parlé de ses broches aux dents. « Il a du tact » se dit-elle.


La soirée a passé rapidement. Il est plus de deux heures du matin. Le bar va fermer. On leur demande de payer. Et Alice de remercier, euh… Comment il s’appelle, ce gentleman ? Elle ne sait même pas son prénom. Alors, d’une voix toute douce elle lui dit :



Moment de silence, puis Alice reprend ce qu’elle disait.





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C’est sur le banc des rêves qu’on les retrouve désormais tous les jours après les cours. Ils s’échangent des petits bisous, se tiennent par la main et se regardent amoureusement.


Un jour, c’est sûr, il va l’inviter chez lui. Pour une soirée mémorable. Mais nous ne serons pas là pour regarder ce qu’ils feront. C’est leur jardin secret.