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n° 15353Fiche technique8173 caractères8173
Temps de lecture estimé : 6 mn
20/12/12
Résumé:  Cette histoire aurait pu se perdre... Et peut-être que ça n'aurait pas été grave. Mais j'avais envie de la partager.
Critères:  portrait
Auteur : J. Deaux            Envoi mini-message
La ronde

Aujourd’hui sur la ligne 4 du métro, les parisiens se croisent et se bousculent comme à leur habitude. Amorphes, le regard vague et le teint pâle, les tristes sires sont de sortie. À croire que plus personne ne sait sourire dans cette ville, que tout le monde a perdu sa joie de vivre.


Tous ? Non… Quelque part assise au fond d’un wagon, une jeune femme lutte contre la dépression ambiante.

Le visage tourné vers la fenêtre, regardant défiler les stations, Aurore rêve. Elle pense à son compagnon Victorien qu’elle retrouvera bientôt et aux doux moments qu’ils passeront ensemble. Elle l’imagine en train de passer ses mains sous sa robe pour constater l’absence du sous-vêtement usuel, visualise presque comme s’il était devant elle son regard se mettre à pétiller. Son esprit divague et elle songe à leurs corps soudés dans une étreinte qui n’en finit plus. Après, ils iront se coucher et elle se réveillera dans ses bras… Aurore sourit.


Ce sourire aurait pu se perdre et mourir sur les lèvres de sa propriétaire sans que personne n’en sût jamais rien, mais il a été intercepté par Georges.

Il en reste presque sonné d’ailleurs, Georges. Ce sourire sorti de nulle part lui semble magique, contagieux ; il s’infiltre, balaye toutes les pensées négatives, et s’installe pour la journée. Et à bien y réfléchir, elle ne semble pas si mal se présenter, la journée ; à se demander pourquoi il boudait devant son café ce matin, vraiment. Georges sort de la station le pas léger, l’esprit alerte, et c’est avec un grand bonjour sonore et presque chantant qu’il salue tous ceux qui croisent son chemin.

Et justement, sur son chemin se trouvait Nadine, la réceptionniste de sa boîte.


Elle en a renversé son thé, la pauvre Nadine. Il faut dire que les gens qui prennent la peine de lui adresser la parole se font rares, à tel point que des fois elle se demande s’ils ne la confondent pas avec une des plantes vertes. Un jour, elle a même failli se teindre les cheveux en vert pour voir comment ils réagiraient. Ils lui mettraient peut-être de l’engrais?

Alors ce bonjour plein d’entrain et de gentillesse, ça l’a secouée. Comme quoi, elle exagère sans doute un peu… Tiens, comme hier soir avec son petit ami, qu’elle a traité comme un moins que rien, tout ça à cause de sa mauvaise journée à elle. Puis zut, elle va s’excuser. Nadine se saisit de son téléphone et commence à taper sur les touches.


Benoît vient de recevoir un texto.

Rien d’anormal : Benoît reçoit beaucoup de textos, surtout maintenant qu’il est parti travailler sur Paris. Encore que, il faut avouer que ces derniers mois, ça commence à être moins fréquent. Au final, la distance fait son œuvre et ses amis d’enfance l’oublient. Enfin, il fait avec, surtout depuis qu’il a rencontré Nadine. Avec elle, il se voit marié, avec des enfants ; il l’aime, tout simplement. Mais hier Nadine était énervée, l’a accusé de tout, de rien, une vaine dispute qu’il n’a pas réussi à comprendre. Il en a pleuré après son départ. Alors ce texto rempli de mots doux et d’excuses… Benoît est content, la vie est belle tout d’un coup. Tiens, d’ailleurs, maintenant qu’il y pense… Il va donner un coup de main au nouveau stagiaire qui galère avec la photocopieuse ; après tout, lui aussi est passé par là !


Enfin quelqu’un s’est décidé à aider le pauvre Frank.

Depuis presque une heure il cherchait désespérément où ranger cette fichue cartouche d’encre, en vain ! Heureusement, Benoît est venu à son secours ; et voilà, problème réglé. Un sourire envahit son visage jusqu’à présent déformé par l’angoisse et la contrariété. À croire que c’est contagieux, la bonne humeur… Il aura suffi de deux plaisanteries sur les premières tâches ingrates que sont obligés d’accomplir les stagiaires pour que son moral remonte en flèche. Après tout, c’est vrai : ce n’est pas parce qu’il commence en bas de l’échelle qu’il n’aura pas l’occasion de prouver ses capacités. D’ailleurs, il a une idée pour ça. Allez, hop ! Au travail ! Il va montrer à son patron ce qu’il a dans le ventre !


Hervé est bouche bée.

Il regarde, éberlué, le rapport de dix pages que vient de lui rendre le petit stagiaire sur l’ergonomie du système informatique de l’entreprise. Le môme a touché juste ! Tout dans ce rapport est vrai, et la solution apportée à la fin est simplement idéale ! Hervé se revoit 40 ans en arrière, plein de fougue et de bonnes idées. Ah! C’était le bon temps ! Un peu ému, il se rappelle l’époque où il mettait tout en œuvre pour gravir les échelons de la société, parfois au mépris de son couple. Heureusement, Josiane a su se montrer compréhensive et ils sont maintenant plus unis que jamais. Un sourire rempli de tendresse illumine le visage d’Hervé ; il saisit son téléphone et appelle la femme de sa vie : qu’elle se prépare, ce soir ils partent en voyage à Venise, il a envie de l’aimer follement.


Josiane sort du taxi qui l’a conduite à l’aéroport, la mine radieuse.

L’idée du voyage surprise semble l’avoir rajeunie de vingt ans, elle rayonne. Pendant son trajet, elle n’a pas pu s’empêcher de raconter au chauffeur la chance qu’elle avait eue de tomber sur son mari. Jamais elle n’aurait pu rêver mieux : tendre époux, amant fougueux, père attentionné… Il est tout ce qu’elle a toujours rêvé. Et à chaque fois qu’elle est sur le point de l’oublier, de se plonger dans son quotidien et ses habitudes comme un robot ménager, il arrive à lui rappeler à quel point la vie est belle avec lui à ses côtés. Josiane trottine gaiement jusqu’à la porte d’embarquement, direction Venise.


Marco regarde s’éloigner sa cliente, l’air pensif.

Elle l’a touchée avec cette histoire de mariage heureux de plus de vingt ans ; il espère qu’il arrivera à rendre Sonia aussi heureuse qu’elle. Bon, c’est vrai qu’en ce moment ce n’est pas vraiment évident entre eux, surtout avec la distance. Et c’est vrai aussi qu’il n’a pas été compréhensif si on y réfléchit bien… L’époux de cette brave femme aurait compris la nécessité de ce stage de deux mois à Bordeaux, il l’aurait soutenue au lieu de lui faire des reproches. Puis, deux mois, dans une vie, qu’est-ce que c’est ? Marco saisit son téléphone et compose un numéro. C’est décidé, il passera son week-end à Bordeaux.


Seule à la terrasse d’un café, un livre qu’elle ne lit plus à la main, Sonia rêve.

Elle pense à Marco, qu’elle va retrouver bientôt, à la joie que ça va être de lui faire enfin découvrir cette ville qu’elle apprend à aimer chaque jour un peu plus. Sonia prépare un plan de leurs futures balades, réfléchit aux restaurants les plus appropriés. Elle sent, sait, qu’elle va passer deux jours formidables, et ça la ravit. Ce revirement si soudain de la part de son homme est juste extraordinaire. Elle le sent, leur avenir est radieux. Seule à cette terrasse de café, Sonia est heureuse.


Ce bonheur aurait pu être perdu dans la masse des gens pressés avec leur déprime et leur rage, mais il a été intercepté par Victorien.

Tout de suite, l’image d’Aurore s’est imprimée dans son cerveau. Pourtant, les deux jeunes femmes ne se ressemblent pas du tout, mais… Peut-être est-ce parce qu’il s’est dit que ça serait bien son genre de rester là, un livre à la main, perdue dans ses pensées, comme si le reste du monde n’était pas là, seule avec elle-même. Le blues qui le suivait depuis quelques jours se retire brusquement, laissant place à des images plus joyeuses. Bientôt Aurore sera dans ses bras, il la pressera contre lui en l’embrassant fougueusement. Dans quelques jours, il pourra s’endormir paisiblement dans les bras de sa compagne…


Victorien sourit.