Le 6 janvier
La jeune actrice, déjà très appréciée du public, frappe à la porte du grand metteur en scène.
- — Cindy, j’allais sortir voir les rushes. Mais si tu as quelque chose à me dire…
- — Oui, Marco. Il faut qu’on parle.
- — Ça ne peut pas attendre demain ?
- — Non, parce que justement le problème, c’est demain.
- — Tu ne peux pas venir demain ! ?
- — Si, la question n’est pas là. Mais j’ai vu sur le plan de tournage que le 7, nous devons faire la scène du lit.
- — Oui, et alors ?
- — Je ne peux pas.
- — Comment cela ? Tu as lu le scénario, tu l’as approuvé, tu as signé un contrat…
- — Je ne peux pas.
- — En plus, je vous ai pris tous les deux, Fred et toi, parce que précisément, connaissant votre relation, vous pouviez aller très loin.
- — Oui, mais notre relation a changé.
- — Moi, je ne rentre pas dans les histoires de vie privée ; je travaille avec des professionnels.
- — Je ne sais pas quoi te dire, mais ce qui est sûr, c’est que demain je ne pourrai jamais faire ce qui est demandé par le scénario.
- — Une scène de lit pour moi, ce n’est pas exactement ce qui est écrit dans le scénar.
- — Explique un peu.
- — Je veux dire que pour faire un film romantique, on tourne des scènes sensuelles. Pour faire un film sensuel – ce qui est le cas ici – on tourne des plans érotiques, sexuels. Et c’est au montage que l’on coupe pour avoir juste ce que l’on veut. Il me faut du matériel pour choisir l’image précise que je cherche.
- — Raison de plus. Pour te dire la vérité, je ne veux plus que ce mec mette les mains sur moi. Rien que la scène du baiser aujourd’hui, ça m’a dégoûtée.
- — Oui, je vais voir les rushes, mais j’ai peur en effet que ce soit à refaire.
- — Tu vois !
- — Oui, mais alors quelle solution tu m’offres ?
- — Je demande à être doublée pour les scènes de cul.
- — Quoi ? !
- — Lui, il a bien été doublé dans les poursuites en voiture. Ce n’est pas lui qui conduit. Moi, c’est pareil.
- — Mais je n’ai pas sous la main, comme ça, une nana qui peut prendre ta place. En plus, du jour au lendemain, je ne peux pas en trouver une.
- — Et Nathalie ?
- — C’est ridicule enfin ! Nathalie est plus petite que toi. Elle n’a pas les mêmes seins. Elle est brune…
- — Moi, c’est niet.
- — Enfin, on en a parlé tout l’été dernier de cette scène. Tu étais parfaitement d’accord. Tu me disais que tu étais prête à aller le plus loin possible. Je me souviens très bien que tu m’as dit que tu voulais le prendre dans ta bouche. Tu m’as même dit à l’époque qu’on pouvait faire mieux que la fellation de Maruschka Detmers dans le « Diable au corps ».
- — Oui, mais en août, nous étions bien ensemble. Mais ce salaud, je ne le supporte plus. Voilà, la vérité. On signe des contrats en été et on tourne en hiver. C’est là le problème. D’accord, c’est une vedette, une star, tout ce que tu veux, mais c’est vraiment une ordure. Tu peux comprendre cela ? Il m’a démolie. J’ai eu du mal à m’en remettre. Crois-moi. Et je suis sûre qu’il jouit à l’avance à l’idée que demain, je vais lui prendre le sexe par la main, comme il est écrit dans ce putain de scénario.
- — C’est moi qui ai écrit le film. Alors, je t’en prie !
- — J’en ai parlé à Nathalie. Elle est d’accord. Si on consent à un dédommagement financier…
- — Tu crois que ça se passe comme ça ? Bon, soyons concrets. Prenons le putain de scénario et voyons jusqu’où tu peux aller. « Rebecca pousse Basile dans la chambre et elle referme la porte. » Jusque-là, ça va. Ça ne te pose pas de problème ?
- — Non.
- — « Ils se regardent avec l’impudeur des grands fauves. Elle s’approche de lui, le prend fermement par la ceinture de son pantalon et le traîne jusqu’au lit. »
- — Ça va encore.
- — « Elle le caresse à travers l’étoffe. Il la fait tomber avec souplesse sur le lit. Sa robe remonte en corolle autour d’elle. Elle ne porte pas de culotte. »
- — Stop ! Je ne vais pas plus loin. C’est le maximum de ce que je peux supporter.
- — « La main de Basile remonte lentement sur la jambe droite de Rebecca. Il lui caresse le genou, puis la cuisse, puis progressivement… »
- — N’insiste pas. Je t’ai dit mes limites. Si tu ne veux pas me faire doubler, moi, fais-le doubler, lui. Avec un inconnu, avec n’importe qui, je suis prête à tout : mais avec lui, rien à faire !
Le 7 janvier
Dans le studio, tout est prêt. Les caméras sont placées dans les bons angles. Le lit est majestueusement paré. Les lumières sont une réussite totale. Le metteur en scène est ravi, mais tendu. Il fait évacuer le plateau des personnes qui n’ont rien à y faire. C’est toujours le cas quand on tourne des scènes un peu délicates. Marco dit :
On entend le clap :
- — PARADIS-MOI TOUT, scène 11, première prise.
Fred, dans le rôle de Basile, est poussé dans la chambre. À en perdre l’équilibre. L’équipe du film appréhende la suite. Cindy, alias Rebecca, apparaît alors. Ils se regardent, mais difficile d’y trouver l’impudeur des grands fauves : c’est plutôt la résignation des bœufs qui sentent l’abattoir. Marco fait la moue. Elle s’approche de Fred, le prend fermement par la ceinture et le jette sur le lit qui émet un grincement de protestation. Le cameraman se retourne vers Marco qui lui fait signe de continuer. Elle le griffe à travers l’étoffe qui grince. Il la fait tomber lourdement sur le lit. Sa robe chiffonnée lui recouvre le visage. Elle porte une culotte noire.
- — COUPEZ ! Enfin, Cindy, tu te fous de moi ! Qu’est-ce que c’est que cette culotte ?
- — J’ai pensé que c’était plus…
- — Plus quoi ?
- — Plus sexy…
- — Enlève-moi ça. On reprend.
En réalité, il fallut reprendre plusieurs fois. Mais finalement ils y sont arrivés : la porte, la ceinture, le lit, la robe qui remonte en corolle et pas de culotte. Enfin.
- — COUPEZ ! Nathalie, c’est à toi.
Nathalie, habillée strictement comme Cindy, prend donc sa place sur le lit. On lui refait un peu son maquillage. Elle a des yeux fatigués, comme quelqu’un qui a discuté jusqu’au petit matin de son nouveau contrat. Un peu de fard aux paupières devrait arranger les choses.
- — C’est inutile tout cela. On ne verra pas sa tête. Alors, dégagez la piste. On perd du temps. Tout le monde en place. Nathalie, s’il te plaît, remonte ta robe. J’espère que tu n’as pas de culotte, toi au moins.
Tout le monde rit dans l’assistance, sauf Cindy qui est déjà partie dans sa loge.
- — Moteur ! Coupez ! Mais enfin, qu’est-ce que c’est que cela ? Nathalie, tu as une toison maintenant ?
- — Oui, elle a repoussé. Bien sûr.
- — Mais Cindy est glabre ! Ce n’est pas raccord ! Merde, vous me faites chier ! Monique, à quoi ça sert que je paie une assistante ? Mais oui, c’était à toi de vérifier ! Bon, on ne va pas passer trois heures à discuter. Tu me l’emmènes et tu la rases ! Oui, toi !
- — Mais ce n’est pas dans mon contrat !
- — Quoi ?!
- — Je veux bien, à la limite, pour rendre service, mais il faudra une rallonge.
- — Oui, oui, d’accord ; je verrai cela avec les producteurs.
Vingt minutes plus tard, Nathalie a un sexe d’enfant. Un peu rouge, mais les maquilleuses s’affairent. On reprend. La main de Basile remonte lentement : genou, cuisse, grandes lèvres… Gros plan. On entend les mouches voler quand le pantalon du personnage principal tombe. Il porte un caleçon fourni par la production, avec des girafes et des dromadaires. Nathalie joue son rôle de doublure à la perfection. Elle descend le caleçon et prend dans sa main la verge star.
- — Coupez ! C’est parfait ! Maintenant c’est à toi, Jürgen. Où est Cindy ? Dans sa loge ? Mais elle n’a rien à faire dans sa loge ! Elle doit être disponible. On reprend.
Jürgen, celui qui doublait déjà Fred dans la poursuite en voiture, est déjà sur le lit. Cindy revient. Avec le sourire. On reprend dans les mêmes positions avec deux autres protagonistes ; tout doit être raccord. Cindy prend la verge doublure dans sa main. Elle joue un peu avec et, sans hésitation, elle la met très naturellement dans sa bouche. Elle caresse avec une grande sensualité les testicules de remplacement. Marco retrouve le sourire.
- — COUPEZ ! C’est parfait ! C’est du bon boulot.
- — Mais oui, mais moi…
- — Qu’est-ce qu’il y a Jürgen ? Tu as été très bien.
- — Ben justement… Il ne faut pas me laisser comme ça… En plan…
- — Allez Cindy, tout de même… Il mérite bien une petite récompense… Et puis, tu nous as assez cassé les pieds pour…
- — Bon, d’accord.
Cindy reprend sa fellation là où elle l’avait laissée, avec un appétit intact.
- — On tourne. Plus j’aurai de matériel, mieux ça vaudra. Le sexuel, au montage, nous donnera du sensuel.
Les rôles sont inversés. Alors que Jürgen, le cascadeur, se fait dorloter comme une star dans le lit majestueux, Fred, la vedette, est déjà dans sa voiture, une Chevrolet que la production a aimablement mise à sa disposition. Et il se dit que ce n’est pas si difficile de conduire vite.