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n° 15483Fiche technique20766 caractères20766
Temps de lecture estimé : 12 mn
16/02/13
corrigé 10/06/21
Résumé:  Les Rita Mitsouko avaient raison...
Critères:  bizarre jalousie cérébral nonéro
Auteur : Rain      Envoi mini-message
Les histoires d'amour finissent mal

Si j’avais été curieux, si je n’avais pas eu la flemme de chercher la définition d’un mot dont j’ignorais la signification, je ne me serais pas retrouvé dans cette galère ! Vous me demandez une explication ? Une confession ? Je vais vous les donner, même si elles ne peuvent justifier et encore moins excuser ma conduite impardonnable. Je m’en tiendrai néanmoins aux faits, en vous racontant réellement ce qu’il s’est passé. Ensuite, vous pourrez juger et établir le diagnostic qui vous plaira, je m’y plierai de bonne grâce.


Pour les quarante ans de ma femme, je désirais lui offrir un cadeau original. Mais voilà, je n’avais pas d’idées particulières, comme pour la plupart de ses anniversaires, et, le derrière vissé sur ma chaise, devant l’écran de mon ordinateur, je réfléchissais à l’objet qui la transporterait de joie.


Le temps s’écoulait lentement, j’avais écrit cadeaux originaux dans Google et j’en étais toujours au point mort, malgré les nombreux résultats donnés par le célèbre moteur de recherche. Ce dernier ne m’était pas d’un grand secours et se contentait de me suggérer des babioles sans intérêt. Je décidai alors de modifier ma requête et écrivis coffrets-cadeaux. Le premier lien sur lequel je cliquai me conduisit sur un site où un onglet intitulé bien-être attira mon attention. Un nouveau clic et me voilà sur une page qui proposait diverses formules de chèque-cadeaux dont une retint immédiatement mon attention.



Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Ma femme adorait que je la masse et, plusieurs fois par semaine, je prenais soin de son dos pour son plus grand bonheur. Malheureusement, le centre de bien-être était trop éloigné de notre domicile et je fis donc une nouvelle recherche en y incluant notre ville.


Je choisis de cliquer sur le premier lien et me retrouvai sur un site d’annonces où des massages étaient proposés par des centres ayant pignon sur rue, mais aussi, à ma grande surprise, par des particuliers. Certains avaient même posté une photo d’eux et expliquaient qu’ils acceptaient de vous masser à domicile sans prendre le moindre frais de déplacement.


Au début, je pensai à une arnaque, un plan de dragueur à deux balles, mais je m’aperçus qu’ils travaillaient aussi bien avec les hommes qu’avec les femmes et qu’il n’y avait aucune vénalité dans leur démarche, qu’ils se comportaient en professionnels sérieux et consciencieux.


Du moins, c’est ce qu’affirmait la fiche qui les présentait. Je ne pus m’empêcher de regarder si des femmes n’offraient pas le même genre de services. Il y en avait quelques-unes, mais elles demeuraient minoritaires par rapport aux hommes. Pendant que je détaillais les diverses annonces, le téléphone sonna. S’en suivit une longue conversation professionnelle qui me fit oublier mon idée de cadeau jusqu’au lendemain.




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Le radio-réveil affichait 6 h 23 lorsque j’ouvris un œil, réveillé par ma femme qui bredouillait des phrases incompréhensibles. Je compris rapidement qu’elle rêvait. Elle a toujours parlé en dormant et je m’y suis habitué, même si je l’interroge de temps à autre pour chercher à savoir ce qui se passe dans ses songes. Elle murmurait quelque chose que mes oreilles avaient du mal à identifier.


Pita. Voilà ce qu’elle ne cessait de répéter !


Ses propos devinrent plus clairs lorsqu’elle s’exclama :



Je demeurai immobile et cessai de respirer en tendant l’oreille pour essayer de comprendre les mots qu’elle proférait dans cette langue que je maîtrise mal.



Je suis nul en anglais, mais Peter, ass et fuck font néanmoins partie de mon vocabulaire. J’étais abasourdi, blessé aussi, et ne sachant pas comment réagir, je me contentai d’attendre ce qui allait se produire. Mais, Cécile se tut et sombra dans un sommeil calme et profond.


Je quittai le lit et allai prendre le petit déjeuner. Peter occupait mes pensées. Il me fallait une explication. Du moins, ma jalousie en avait besoin.



Au moment où elle apparut dans l’encadrement de la porte de la cuisine, un sourire radieux aux lèvres, dans sa chemise de nuit qui masquait à peine ses formes, j’étais sous le charme, ne parvenant pas à détacher mon regard de sa poitrine ou de ses fesses lorsqu’elle alla chercher son mug de café.


Un baiser mouillé et quelques banalités échangés en prenant le petit-déjeuner m’avaient fait oublier Peter.




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En fin d’après-midi, je quittai mon boulot avec des douleurs au niveau du dos. J’avais voulu aider le boss à déplacer son énorme bureau en chêne et je m’étais bousillé les reins. Je démarrai la voiture en le maudissant et espérai que Cécile me prodiguerait un massage le soir venu.


Cette pensée permit à mon cerveau de faire le lien avec mon idée de cadeau et je décidai de m’en occuper dès mon retour, car l’anniversaire de ma femme était le mercredi suivant.


Cécile n’était pas encore rentrée du collège – elle est prof d’anglais – et j’en profitai pour m’installer devant mon PC. Je retournai sur le site d’annonces et relevai le numéro d’un homme que j’avais sélectionné uniquement sur son physique. Je voulais faire plaisir à ma femme et ce Stéphane, que les femmes appelleraient beau ténébreux et que les hommes qualifieraient de con prétentieux, possédait toutes les caractéristiques physiques qui font fondre Cécile. Du texte qu’il avait laissé pour se présenter, je ne me souvenais que d’une chose : le massage portait un nom à coucher dehors (un truc d’Inde), il durait deux heures et coûtait nettement moins cher que ceux proposés par d’autres hommes qui n’avaient pas posté de photos ou avaient des faciès peu avenants. Peut-être aurais-je dû être moins radin ?


Je l’appelai tout de suite et tombai sur sa messagerie. Je lui laissai un message en lui expliquant mon projet de cadeau et lui donnai mes coordonnées.


Cécile rentra vers vingt heures. J’avais oublié que le principal avait organisé une réunion pour préparer les classes pour l’année prochaine, mais je m’étais mis aux fourneaux et nous prîmes le repas devant la télé.


Après m’avoir massé le dos, elle était fatiguée, moi aussi, et nous allâmes nous coucher.




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Dans les embouteillages matinaux, mon portable vibra dans ma poche. Je l’extirpai non sans difficulté de mon pantalon et pris la communication :



J’ignorais qu’il travaillait si tard et fus presque touché de l’effort qu’était prêt à faire cet individu. Mais je voulais que la surprise soit totale et annonçai à cet homme :





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Les journées qui précédèrent l’anniversaire de Cécile se ressemblèrent. Chaque soir, la fatigue nous harassait, mon dos me faisait toujours atrocement mal et Cécile se plaignait de Sophia, l’autre prof d’anglais du collège, qui voulait récupérer sa classe de troisième européenne composée d’élèves doués en langue.


Le lundi, je ne l’écoutais plus, après un week-end où elle m’avait bassiné avec cette Sophia, tandis que mon lumbago me soutirait des couinements malgré les nombreux anti-inflammatoires dont je m’abreuvais. Ce jour-là, en quittant mon travail je me rendis chez notre médecin qui me prescrivit de plus puissants anti-inflammatoires et des myorelaxants.


Le mardi matin, je me sentais déjà mieux.


Le mercredi matin, je laissai à Cécile une enveloppe contenant l’argent en liquide pour Stéphane ainsi qu’un généreux pourboire, et lui expliquai que vers quinze heures son cadeau serait là. Je l’embrassai tendrement et ne pus m’empêcher de lui dire :




Certaines fois, on ferait mieux de fermer sa gueule !




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Dès mon retour, tout excité, je me précipite dans le salon croyant y trouver Cécile en pleine lecture comme c’est souvent le cas lorsqu’elle m’attend les mercredis.


Je l’appelle. Aucune réponse !


Je grimpe les escaliers. À mi-chemin, j’entends le bruit de la douche dans la salle de bains. Cécile se fait belle pour son anniversaire. Elle doit se douter que j’ai réservé une table dans un restaurant.


Je retourne dans le salon, me sers un verre de whisky et attends qu’elle descende. Comme il faut un long moment aux femmes pour s’apprêter, j’en suis à mon troisième verre lorsqu’elle me rejoint. Elle est à tomber dans cette robe noire qu’elle revêt pour l’occasion et qui met en valeur sa poitrine dont je devine les tétons sous le tissu. Je lui souhaite de nouveau un joyeux anniversaire et enchaîne immédiatement avec mon cadeau-surprise. Je brûle d’envie de savoir si elle a apprécié mon attention :



Je suis aux anges et manifeste ma joie en lui souriant :



Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’est un massage yoni, mais ce Stéphane devient tout à coup antipathique. Je bous de rage. De la fumée doit s’échapper de mes oreilles comme les personnages de Tex Avery. J’imagine mes mains qui se resserrent autour de la gorge de cet enfoiré et écrasent sa trachée jusqu’à ce que ses yeux jaillissent de leur orbite. J’essaie tant bien que mal de ne rien laisser transparaître et, d’une voix que j’espère calme, demande à ma femme :



Je n’entends pas la suite. Mon cerveau s’est focalisé sur masseur, massé, caresses, plaisir. Tous ces termes me hérissent les poils. Quel fumier ce Stéphane ! Et comme un con, je lui ai laissé un pourboire à ce fils de chienne ! Mais l’être humain a besoin de savoir le fin mot de l’histoire même s’il sait que cela va être douloureux. Je pousse donc ma femme à être plus précise :



Un ange passe. Son visage est cramoisi. Mon cerveau turbine à fond la caisse, des visions de meurtres défilant à l’intérieur de ma boîte crânienne.


Je suis sur le point de lui demander s’il s’est passé quelque chose entre eux, quand on sonne à la porte.


Ma femme va ouvrir et, du salon, j’entends :



Je m’approche à pas de loup de la porte d’entrée pour accueillir ce Peter qui me rappelle inévitablement le songe érotique de Cécile au cours duquel le pénis britannique de ce bâtard envahissait le cul de ma femme.


Je le toise d’abord avec dédain avant de l’examiner de pied en cap.


Bâti comme Johnny Weissmuller, de grands yeux bleus, la petite trentaine, le British m’accueille d’un hochement de tête alors que ma femme baisse la sienne, comme si elle était embarrassée.


Je mets évidemment les deux pieds dans le plat. Je ne suis plus moi-même ! Cette histoire de massage yoni et le rêve érotique de Cécile me font disjoncter.



Le visage de Cécile devient blême. Mister Peter de mes deux paraît décontenancé, sa lèvre inférieure est agitée d’imperceptibles tremblements que mon œil détecteur de froussard remarque sans peine.



Elle ne terminera pas sa phrase.




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Que s’est-il passé ensuite ? Je l’ignore. J’ai dû m’endormir à un moment donné car je suis réveillé par du bruit à l’extérieur de ma baraque. Une manif est en train de se dérouler devant ma porte. J’entends quelqu’un qui s’exprime à travers un mégaphone bien que je ne comprenne pas ce qu’il baragouine.


Arrivé dans la cuisine, je constate que le rouge est devenu la couleur dominante. Un véritable abattoir ! Du sang ! Partout ! À plusieurs endroits des traces de mains ensanglantées apparaissent sur les murs ou sur les meubles.


Lorsque je découvre le macchabée dans le salon, il lui manque la tête et les jambes. Je les retrouverai plus tard dans la baignoire. Sous la table de la salle à manger gît une disqueuse dont le disque écarlate me fait comprendre comment j’ai séparé les jambes et la tête du reste du corps.


Pas de cadavre de ma femme ! Elle est introuvable ! A-t-elle réussi à s’échapper pendant que je trucidais l’autre empaffé de rosbif ?


Si seulement j’avais cherché la définition de yoni, tout cela ne serait probablement pas arrivé.




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Je reste un moment à la table du salon et contemple le tronc ensanglanté de cet abruti de Peter. Je me sens en pleine forme ! Mes douleurs de dos ne sont plus qu’un lointain souvenir et je souris.


Quand au-dehors hurle une voix amplifiée par un mégaphone, mon sourire s’agrandit. Je ramasse la disqueuse et jette un œil par la fenêtre du salon. Des dizaines de voitures de police et une ambulance se sont garées devant chez moi.


J’éclate de rire en pensant à l’ambulance. Ils pensent pouvoir le réanimer ? À coups de défibrillateur, après lui avoir recousu la tronche et les guibolles ? Je suis saisi d’un violent fou-rire qui résonne singulièrement dans ma maison vide.


Deux policiers pénètrent dans le jardin de ma baraque.


Je ramasse la disqueuse qui est reliée à la rallonge que j’utilise lorsque je bricole. Plus de cinquante mètres de câble ! Je comprends alors que l’Anglais avait beau courir, je pouvais le poursuivre dans presque toutes les pièces.


Je me fends la poire de plus belle.


Les flics traversent précautionneusement mon jardin comme s’ils marchaient sur des œufs.


J’allume la disqueuse qui ronronne et vibre entre mes mains.


La suite, vous la connaissez. J’attends votre verdict.


Antoine Fournier, le 7 février 2013


PS : Dites à ma femme que je l’aime et que je suis désolé d’avoir tout foutu en l’air le jour de son anniversaire.




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Article de journal, rubrique faits-divers



Un anniversaire qui tourne au drame.



Un homme âgé de quarante-trois ans a perdu la raison le jour des quarante printemps de son épouse. Alors que le couple s’apprêtait à sortir dîner au restaurant, l’assistant d’anglais du collège où travaille celle dont on célébrait l’anniversaire, a sonné à leur porte. Madame F. a accueilli son collègue que son mari a copieusement insulté dès qu’il l’a aperçu.

Le jeune Anglais, effrayé par un tel comportement, a tenté de quitter le lieu, mais l’époux s’est rapidement montré violent et l’a roué de coups. Sa compagne en a profité pour s’éclipser chez ses voisins qui ont prévenu la Police.

Cette dernière, arrivée sur les lieux une dizaine de minutes plus tard, a passé près de deux heures à tenter d’établir un dialogue, à l’aide d’un mégaphone, avec le forcené. Ce dernier ne prenant pas part à la conversation, le Commissaire Moulinot a décidé d’envoyer deux de ses hommes dans la maison.

Ils avaient traversé la moitié du jardin lorsque le forcené s’est précipité hors de sa maison en brandissant une disqueuse raccordée à une rallonge. Heureusement, la rallonge s’est décrochée de la prise murale alors qu’il s’apprêtait à taillader le visage d’un fonctionnaire de police, qui peut dire aujourd’hui que sa vie ne tenait qu’à un fil.

Son collègue, terrifié par ce fou-à-lier qui se jetait sur eux, a sorti son arme de service et lui a tiré deux balles dans les jambes. Les policiers ont appréhendé le suspect et, quelques minutes plus tard, ont découvert les « restes » du jeune Peter Campton, âgé de trente et un ans, dont le corps a été sauvagement démembré à la disqueuse.

Madame F. n’arrive toujours pas à expliquer la folie qui s’est emparée de son mari, mais nous a affirmé qu’il finirait par donner des explications aux psychiatres qui sont en train d’évaluer sa santé mentale.