n° 15487 | Fiche technique | 42309 caractères | 42309Temps de lecture estimé : 24 mn | 20/02/13 corrigé 10/06/21 |
Résumé: Justine apprend les ruses des hommes en les faisant parler, sans tomber dans leurs filets. Elle s'informe sur les jeux de l'amour en lisant et elle soulage ses tensions, pour être prête et aguerrie le jour où elle se décidera à offrir corps et cœur. | ||||
Critères: f fh cadeau cousins campagne soubrette cérébral revede init exercice portrait | ||||
Auteur : Cheminamants (Telle éprise qui croyait apprendre.) Envoi mini-message |
Sur les coteaux plantés de vignes au pays de Bourgogne, vit Justine. La jeunette est joliment pulpeuse et ses attraits bien nombreux. Au premier regard, certains remarquent plutôt ses cheveux longs, d’un brun tirant sur le noir, qu’elle brosse souvent pour accentuer leurs reflets soyeux. C’est le cas du curé qui la connaît bien. Quant aux dames d’église, elles ont plutôt tendance à se signer avec des « doux Jésus, sainte Mère » en la voyant passer devant leurs maisons. Eh bien oui ! Les yeux de leurs fils sont attirés comme des aimants par la poitrine des plus avantageuses et elles craignent un début d’égarement des fistons, ou pourquoi pas… du mari. Allez savoir ! Sa taille est de guêpe, tout juste à mettre entre des braves mains aimantes et travailleuses. Mais nous nous égarons. Revenons à Justine.
Bien née, mais sans rente aucune, elle est ici depuis sept ans, au service de la famille Montfort, des cousins éloignés, installés là depuis toujours. Elle est jolie comme un cœur, d’un tempérament optimiste, maligne comme on en voit certainement peu, sur neuf kilomètres à la ronde jusqu’à Meursault et coquine encore plus. Elle seconde Madame Lucotte l’intendante, dans l’entretien de la maison.
À Meloisey, petit village de Côte-d’Or, il y fait bon vivre en l’an 1872, malgré le phylloxéra qui est à l’œuvre en Bourgogne depuis l’année dernière. La brunette gentiment délurée se réjouit de pouvoir y fêter ses vingt-trois ans dès le chant de l’été et rêve d’un mariage dans l’année.
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Nous sommes le jour du seigneur au 19 mai.
Justine profite des premiers beaux jours et s’en va après la messe sur la petite sente appelée la Meusserotte qui longe le clos Fortier par sa droite et rejoint le chemin menant au mont sur les Hautes Côtes. Arrivée là, elle s’assied sur une des grosses pierres tout à côté du Calvaire portant sa grande croix. Sur le coteau, les pieds de vigne font tristes mines malheureusement, mais à cet âge-là, une si jolie frimousse a bien d’autres préoccupations.
Sa tête est pleine de désirs charnels qu’elle voudrait bien ne plus vivre en solitaire et son sang bouillonne en pulsions parfois difficiles à maîtriser. Rien ne l’arrête pour le moment, afin d’en apprendre un peu plus sur les hommes. Enfin pas tout à fait, puisqu’elle se réserve pour un futur mari et n’accepte aucune main sur elle.
Sans perversité aucune, elle écoute donc et observe les stratégies de conquête des quelques courtisans du coin qui s’empressent auprès d’elle et les rabroue si besoin. Aucun jeu de main pour ces coquins ! Cette occupation de simple documentation sur le terrain lui prend une heure par-ci, une heure par-là depuis quelque temps. Rien de tel que de les avoir en face ! Car il ne lui suffit plus pour s’affranchir des choses de la vie de lire ce que la Bible raconte sur Sodome ou Babylone, cités perverties, pas plus qu’en dévorant les comédies théâtrales de Marivaux qu’elle emprunte à la bibliothèque de la maison. Grâce à tout cela, Justine en femme nouvellement éclairée se fait fort de ne tomber dans aucun filet, si ce n’est de sa propre volonté.
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Tiens, justement en voilà un qui arrive ! Il est de ceux qui essayent en vain de la convaincre que s’allonger dans la paille vaut mieux qu’un mariage. Mais Hippolyte qui donne la main dans les vignes chez les Maulins n’est pas à son goût. Elle le lui a déjà dit maintes fois, alors tant pis pour lui s’il revient s’y casser les dents !
Aussitôt arrivé, il s’empresse :
Justine fait mine de ne pas être intéressée par le sujet qui la préoccupe et pour délier la langue de ce grand jeunot, il suffit juste qu’elle le dissuade de s’épancher sur toutes ses bonnes idées grivoises pour qu’il reprenne de plus belle. C’est même un petit délice de l’entendre en rajouter un peu plus à chaque fois, jusqu’à ce que la demoiselle décide qu’il en suffit pour ce jour. Ça fait ni une ni deux, le voilà qui se lance :
Hippolyte continue :
Sans rancune pour un sou, il a repris le chemin et Justine attend un peu avant de revenir au logis prêter la main pour le déjeuner.
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Ce repas est un moment que Justine aime beaucoup, tout particulièrement quand arrive l’instant où la cloche sonne pour servir le café. C’est une tâche dont elle s’acquitte avec plaisir, puisqu’elle lui permet de faire des allers-retours des cuisines à la salle où est dressé le repas et de rester ensuite debout près du buffet. Elle aime beaucoup écouter tout ce qui se dit quand la famille est à table et observe à la dérobée le fils unique de vingt-huit ans.
Constantin est là, comme à son habitude et parle avec son père et sa mère des biens de la famille et de son inquiétude au sujet de la maladie des vignes. Puis monsieur Montfort aborde d’un air préoccupé le résultat des élections d’il y a trois mois qui ont divisé l’Assemblée nationale au sein de la toute nouvelle troisième République et des pensées plus libérales qui gagnent du terrain. Madame Montfort reste souvent en retrait des préoccupations politiques des hommes de la maison.
Constantin vit ici dans deux pièces qui lui sont réservées, au bout du couloir de droite au premier étage.
Justine l’aime bien car il l’a toujours traitée avec gentillesse et lui témoigne même quelques égards. L’année précédente, il fut le seul à lui offrir un cadeau pour son anniversaire à la fin juin. Il avait mis dans sa poche de veste une jolie brosse à cheveux dont elle se sert tous les jours, ainsi qu’un petit billet de bons vœux précisant que le présent venait de lui. Elle avait couru dans les couloirs, visité toutes les pièces jusqu’à ce qu’elle le croise pour le remercier vivement avec grande émotion et des effusions à n’en plus finir. Un bien bon souvenir, c’est vrai.
Le temps court vite à observer et à rêvasser de la sorte et elle se désole d’avoir à desservir le dernier plateau, ce qui la prive d’en apprendre un peu plus sur ses idées et ses goûts.
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La fin de la journée se passe au mieux pour Justine qui vaque à ses occupations jusqu’au soir. Puis après le dîner, elle croise Constantin qui se rend chez lui, alors qu’elle sort de la bibliothèque, à l’autre bout du couloir, un livre sous son châle.
Elle n’a qu’une idée, s’éclipser avec le roman pour échapper à cet interrogatoire car le sujet traité est des plus libertins. Elle essaye de s’en sortir au mieux :
Sans attendre plus longtemps, il attrape le livre des mains de Justine très embarrassée et le feuillette en prenant tout son temps. Elle ne sait plus où se mettre, mais ne peut qu’attendre la fin du supplice.
Sainte Mère ! le voilà maintenant bien décidé à la questionner, pense Justine très contrariée.
Il ne manque plus que ça ! qu’il en fasse la lecture, d’autant qu’il a certainement tout compris ! Mais elle présume qu’elle n’y coupera pas et suppose même à le voir sourire à présent qu’il prend un malin plaisir à la taquiner puisque après quelques secondes de silence, il poursuit :
« Je commençais à désespérer que nous pussions couronner l’œuvre, lorsque Pierrot s’avisa de mouiller de sa salive la foudroyante machine. Ô nature ! nature, que tes secrets sont admirables ! Le réduit des voluptés s’entrouvrit ; il y pénétra : que dirai-je de plus ? Je fus bien et dûment déflorée. Depuis ce temps-là, je dormis beaucoup mieux. »
Puis il s’attarde encore sur quelques pages avec un sourire de plus en plus malicieux, avant de refermer le livre. Le voilà à présent à fixer Justine droit dans les yeux. Elle fait front et ne baisse pas la tête. Le silence est de plomb. Enfin il lui tend le livre et Justine s’en va aussitôt en longeant le couloir pour regagner sa chambre un étage plus haut, aussi tranquillement que s’il s’agissait d’un livre sur la broderie.
Pourtant elle est bien chamboulée et troublée d’avoir vécu cela, consciente aussi qu’il ne la regardera sans doute plus jamais pareil.
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Elle ferme sa porte et s’affale de tout son long sur le lit étroit, le livre toujours dans sa main. Puis, avec l’envie d’oublier l’incident qui la tourmente, elle se plonge dans la lecture et écourte sa nuit en s’abandonnant aux plaisirs qu’apporte le puits féminin. Mais elle est bien seule pour mouiller ses doigts de son liquide intime.
Ses profondeurs reçoivent cette visite très régulièrement depuis déjà longtemps et elle multiplie ses fouilles exaltantes, inspirée par les passages les plus explicites des livres suggestifs sur les amours et la vie des sexes.
Mais cette nuit pour la première fois, le visage de Constantin s’impose à elle lorsqu’elle fait entrer le manche de sa brosse à cheveux dans son antre pour parfaire sa jouissance. Surprise, elle arrête brusquement son mouvement de friction en espérant chasser l’intrus. Peine perdue, aussitôt qu’elle reprend le jeu sur ses lèvres intimes ouvertes par le plaisir ou autour de son clito durci sous ses pressions, il est de nouveau là. Elle finit par renoncer à lutter contre l’image souriante. Elle le laisse installé dans ses pensées en complice, pendant qu’elle s’occupe de sa féminité jusqu’à l’épuisement.
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Bien tôt le lendemain matin, à l’heure du petit déjeuner, le brave Justin est venu la chercher dans la cuisine, sans lui dire la raison de cette pressente convocation.
Elle le suit. Debout sans bouger à l’entrée du salon, où se prend ce repas léger, elle est bien chagrine devant monsieur et madame Montfort installés autour de la table. Constantin est là, assit dans un fauteuil près de la cheminée. Il ne s’est pas retourné vers elle à son arrivée et regarde par la fenêtre. Elle tortille son tablier et attend, songeuse. Elle a bien quelques petites idées, mais pense plutôt à sa lecture d’hier.
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Le moment est venu de savoir et c’est monsieur qui prend la parole :
Justine préfère feindre la surprise, mais elle imagine que Constantin a pu parler à ses parents du livre et ils doivent juger qu’il n’est pas convenable pour une demoiselle.
« Quel soulagement ! ce n’est que cela », pense-t-elle. Vite, elle réagit :
Constantin choisit ce moment pour tousser de manière légèrement exagérée et lui adresse un regard furtif de connivence qui semble lui dire : « voyez, je n’ai rien dit ! », tandis que son père reprend la parole en se montrant choqué :
Elle fait le tri.
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Oh que ça, oui ! Justine a bien l’intention de s’expliquer sur les approches masculines. Mais pourquoi donc préciser qu’elle pousse un peu ces messieurs à user de beaux discours galants pour satisfaire sa propre curiosité, sans rien leur donner en échange. Elle n’est pas sotte ! Téméraire oui, imprudente non ! C’est sans doute dans un de ces moments qu’elle a été surprise. Mais pas hier, il n’y avait personne à la ronde.
Elle remet vite fait ses idées en place, puis se lance :
Il ne faut pas plus d’une seconde pour que le visage de monsieur Montfort devienne des plus radieux.
Justine souffle un bon coup, complètement rassurée sur les faits. D’ailleurs elle se retient de sourire en y repensant.
À ce moment, il semble que Constantin accompagne ses paroles d’une œillade discrète pour Justine, puis il pose sa tasse de café sur le plateau et reboutonne sa redingote. Monsieur Montfort éteint son cigarillo et passe ses mains dans les cheveux pour replacer quelques mèches faussement rebelles, tandis que madame prend son châle.
Ils sortent ensuite du salon, passent le long de quelques pièces, montent l’escalier des maîtres et traversent le grand couloir de gauche du premier étage.
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Bien avant d’arriver devant la bibliothèque, Justine leur demande de faire silence et d’écouter de toutes leurs oreilles ce qui se dira quand elle sera seule avec Louis. Surtout, ils devront attendre dans le couloir jusqu’à ce qu’elle les fasse pénétrer dans la pièce. Ils acceptent surpris.
Ils arrivent. Justine entre et referme bien vite la porte derrière elle. Au bout de quelques minutes, le père, la mère et le fils Montfort entendent sa voix :
Ensuite, Louis enchaîne d’un ton doux et convaincant :
Alors Justine d’une voix excédée s’exclame :
Après un silence de quelques secondes, Justine reprend d’une voix assurée et ferme :
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Aussitôt après, Justine sort de la bibliothèque et referme la porte derrière elle. Dans le couloir, impassible face à eux trois, elle les fixe du regard et leur demande de parler en sourdine pour ne pas éveiller l’attention de Louis. Chose facile cette fois-ci, car le plus coriace, monsieur Montfort a perdu sa verve et reste sans voix. Il en est rougeaud, gêné, choqué et honteux d’avoir été le témoin d’un tel échange verbal.
Madame Montfort semble simplement embarrassée, tandis que Constantin… c’est indéfinissable. Justine ne peut deviner ce qu’il pense ou ressent. Mais elle espère son pardon d’en être arrivée jusque-là. Justine repense à ce qui vient de se passer.
Et l’instant d’après, ils se retrouvent tous déconfis de la voir passer au sourire, puis à l’éclat de rire. Constantin en devient livide.
Monsieur Montfort sort enfin de sa léthargie en rétorquant à grande voix :
Avec un tel tapage, Louis ne pouvait qu’entendre et le voilà qui se retrouve dans le couloir, en face d’eux, d’un air médusé. Voyant tout ce monde, il réalise qu’ils avaient les oreilles tendues et trouve plus sage de ne rien dire de compromettant.
Madame Montfort regarde tour à tour Justine et Louis, puis parle à son tour d’une voix particulièrement basse et hésitante.
À écouter les mots choisis avec attention par madame Montfort, Justine pense avoir compris et quand les deux femmes croisent leurs regards, juste une seconde, elle sait qu’elle a raison !
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La jeunette propose à tous d’entrer et de s’installer dans la bibliothèque pour quelques explications. Les chaises et les fauteuils suffisent tout juste.
Mais Justine qui se doit de le défendre et de protéger ce qui peut l’être, ne le laisse pas répondre :
Il est temps que toute la vérité soit dite et madame Montfort réplique :
Ainsi les cornes sciées avant même d’avoir eu le temps de pousser, monsieur Montfort semble à présent bien penaud, fort embarrassé. Cela ne se fait pas de savoir que sa femme réchauffe son lit avec de fort bonnes idées. Louis, Justine, c’est déjà beaucoup, mais devant son fils !
Un homme si calme, si réservé, passant des heures et des heures dans sa chambre, quand il n’est pas à s’occuper de leurs vignes, plutôt que de courir le monde et ses divertissements. Le père sait bien que son fils devra un jour se dessaler, mais les mots entendus sont si crus ! et le visage de Constantin s’est décomposé dès les premières répliques.
À présent, il semble bien ressaisi, à l’entendre :
Mais son regard s’est fait plus insistant pour Justine. Il a gagné son effet en détendant l’atmosphère et a amusé son père par la même occasion, puisque celui-ci rajoute en riant à son tour :
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Justine toute joyeuse fait demi-tour et se sauve d’un pas léger. Sa jupe laisse voir le bas de ses jupons qui se balancent et caressent ses mollets à chacun de ses pas. Elle leur tourne le dos et quelque chose se passe, en elle, autour d’elle, partout, quelque chose qui s’infiltre à travers sa jupe, comme si cela traversait le tissu, puis ses jupons. Ses fesses frémissent. Elle ne veut pas se retourner, ni doucement, ni vivement, mais elle est persuadée qu’il s’agit du regard de Constantin posé sur elle, inquisiteur, transperçant.
Cet homme, très attirant à vrai dire… et savoir que ses yeux sont posés sur ses rondeurs. Peut-être qu’il sourit, peut-être qu’il apprécie, c’est très plaisant, mais que c’est donc difficile de l’avouer ! Elle n’est pas vraiment déstabilisée, juste troublée, amusée aussi. Il la fixe et la déshabille sans gêne, une impression qui se transforme en certitude au fur et à mesure qu’elle avance.
Elle le sait, elle le sent !
C’est délicieux de… l’empêcher d’en imaginer plus. Et pour cela, elle met ses mains posées bien largement ouvertes sur sa jupe au niveau de ses fesses, mais elle ondule des hanches pour lui laisser tout de même un petit plaisir. Jolie, coquine, mais… quand même, un petit bout de plaisir, elle veut, juste pour lui. « Grand bien vous fasse, monsieur le curieux, il vous restera votre imagination pour le reste ! »
Elle ressent bien ces choses-là, intuitive, perspicace, femme, très femme, surtout à cet instant. Elle se tient bien droite, la tête haute, cambre ses reins ce qui redresse ses seins. Sûr de son charme et de l’effet qu’elle produit, elle prend en grand le virage au bout du couloir. C’est à elle à présent de se régaler ! Mais c’est court deux secondes pour tourner la tête vers lui et constater qu’il est bien en train de la regarder. Merveille !
Son plaisir dure encore lorsqu’elle dégringole les escaliers. Elle a croisé son regard et elle n’a pas baissé les yeux. Non ! Pas plus que lui. Après tout est-ce étonnant, à y regarder de plus près, puisque le même sang coule dans leur veine par un lointain cousinage.
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Elle s’en retourne sur le chemin qu’elle a pris hier et qui ramène ses pas sur le mont des Hautes Côtes. Elle s’assied sur l’herbe cette fois-ci et s’adosse au Calvaire qui porte sa croix.
Elle chantonne, soulagée, heureuse d’avoir blanchi son honneur. Elle cueille quelques petites fleurs de printemps et fait des tresses avec les tiges des jolies pâquerettes. La couronne sera finie d’ici peu.
Ainsi absorbée, elle n’a pas vu arriver Constantin. Sans rien dire, il s’assied à côté d’elle, enfin juste assez décalé pour poser sur l’herbe un dossier bien épais et bien ficelé, entre eux deux. C’est bien, un peu de distance, pense-t-elle en jetant un coup d’œil vite fait au paquet qui les sépare. Sûrement quelques feuilles d’un travail laborieux qui parle de grappe, de raisin et de vendange pour que la récompense soit un jus couleur de sang à boire jusqu’à la lie. C’est comme ça au pays de bourgogne !
Elle garde le silence elle aussi. C’est comme ça au pays des émois…
Quelques oiseaux gazouillent dans un buisson, juste un peu plus loin. Il ne dit rien. Elle respire paisiblement. Elle ne dit rien. Tout juste un petit regard en coin pour l’apercevoir une fraction de seconde, quand il passe une main dans ses cheveux pour replacer quelques mèches qui sont décoiffées aussitôt par le souffle du vent. Un sourire timide qu’elle lui offre pour son geste plaisant, pour sa main. Il cueille à présent quelques pâquerettes et lui tend avec un sourire en retour. C’est bien, un petit sourire plein de sagesse, pense-t-elle en faisant attention que son cœur ne batte pas trop fort.
Elle accepte les fleurs et reprend la tresse. Elle s’attache à croiser patiemment les tiges bien serrées. Au fur et à mesure, il lui tend d’autres fleurs. Ses gestes sont délicats, ses mains sont fines. Il aime la regarder. Elle le sait, parce qu’elle sent ses yeux posés sur ses doigts. Et il y a des mots qui n’ont pas besoin d’être là pour dire les choses. De nouveau un regard furtif sur le paquet. En même temps, elle pense, elle pense, en continuant la tresse. Elle est jolie comme un cœur, Justine, et maligne comme on en voit certainement peu, sur neuf kilomètres à la ronde jusqu’à Meursault et coquine encore plus.
Une petite lumière traverse son esprit. Elle sait ! C’est une femme et les femmes sentent ces choses-là.
La couronne est finie. Il lui prend des mains et la regarde.
En disant cela, il dépose la couronne de fleurs sur sa tête.
Puis il se relève et s’en va.
Elle attendait ce moment depuis tout à l’heure. Qu’il parte en laissant pour elle le dossier soigneusement posé sur l’herbe. Et elle n’est pas surprise en ouvrant le paquet de lire :
« À vous ! Anagrammement vôtre ! » sur la première feuille originelle de la pièce de théâtre.