Assemblée Mondiale de la Pornographie Audio-Visuelle
Budapest, février 2013.
Assemblée Mondiale de la Pornographie Audio-Visuelle (A.M.P.A.V.) Tous les intervenants sont arrivés déjà depuis la veille au moins. La situation est grave. Avec Internet et les sites pornos gratuits, la profession est au plus mal. Bien sûr, la Hongrie reste prospère dans le domaine, mais elle est bien la seule à tirer encore son épingle du jeu. Il faut donc prendre des décisions ; tous les professionnels ont la mine grave et le moral dans les chaussettes, au point que les jeunes femmes mises à disposition des délégués n’ont rencontré que peu d’enthousiasme. Juste une petite fellation sous la table pendant le dîner du soir. La jeune Zsuzan (Gode de Cristal à Oslo) s’est même vu refuser une sodomie par le grand manitou du porno canadien qui lui a dit : « Je regrette, mais ça me rappelle trop le boulot. ».
Le Palais de Congrès – Le Hall Patria peut accueillir jusqu’à 2000 personnes.
À l’occasion d’une rénovation en 2005, le centre de conférences fut équipé avec une technique moderne. Aussi, chaque intervenant peut non seulement parler et se faire traduire dans toutes les langues, mais il a à sa disposition un système vidéo performant. Le premier à prendre la parole fut l’Allemand, Hans Weird, dont on connaît le goût pour les films un peu salaces :
- — Mesdames, Messieurs, si nous en sommes arrivés à cette crise, c’est un peu de notre faute, il faut bien le reconnaître. Enfin, tout le monde en a assez de ces vidéos tellement prévisibles, à savoir : fellation, sodomie, éjac’ faciale. Pas la moindre surprise, et aujourd’hui n’importe quel amateur est capable de filmer et de mettre en ligne ce genre de scénarios. Je vous en donne la preuve en images. Voici un jeune couple que vous trouverez facilement sur Internet.
La salle s’assombrit et on découvre sur l’écran géant Bertha et Jürgen, étudiants. Bertha est en train de descendre le pantalon de son ami, qui travaille sur l’architecture médiévale. Il continue du reste son étude pendant que la jeune fille entreprend la rituelle fellation d’usage. Quand il a fini son chapitre sur la cathédrale de Cologne, il pousse un peu son ouvrage et soulève la jupe de Bertha qui s’est mise à genoux. Il saisit le gel lubrifiant sur l’étagère et enduit largement l’anus propret. Et pendant la sempiternelle sodomie, elle a ouvert son cahier de langues vivantes et s’est exercée à la prononciation des phrases en mandarin que diffuse son magnétophone. Il est vrai que lorsqu’on est étudiant, il n’y a pas une minute à perdre. Jürgen pose aussi son manuel sur le dos de Bertha et continue ainsi sa pénétration intime du bas du dos et du bas moyen-âge. Puis, il pousse un petit grognement, Bertha se retourne pour prendre sa giclée faciale avec un sourire blasé, typiquement bavarois, comme lors de la clôture de la fête de la Bière à Munich.
- — Vous le constatez comme moi. Des amateurs font aussi bien que nous, et sans se détourner de leurs études, ce qui est encore plus vexant. Ils ne demandent même pas d’argent la plupart du temps, ils font cela pour le fun, comme on dit. Alors, vous me direz que c’est un peu bâclé, que l’éclairage est parfois insuffisant, que la musique laisse à désirer. Oui, oui, je sais bien que vous avez remarqué tout cela. Mais nos clients ne sont pas des esthètes et pour eux tout est bon pourvu qu’ils arrivent à se satisfaire en deux temps trois mouvements.
Le Français, Jean Dildo, prend alors la parole :
- — Pendant des siècles, les tragédies ont comporté cinq actes et les dialogues étaient en alexandrins, sans que personne n’en soit indisposé. Ce n’est pas le scénario qui est en cause, mais la réalisation. Vous connaissez notre marque de fabrique : les films en costumes d’époque. Ils connaissent un grand succès. Je ne peux que vous en présenter un extrait, mais il est tout à fait révélateur de ce que recherche le grand public.
On voit alors un court-métrage durant lequel une marquise se fait gamahucher par sa servante, elle-même empalée par le jardinier et tout cela sous la crinoline, au point qu’on se demande comment on a pu placer la caméra. Le marquis entre dans le salon et ne remarque rien d’anormal. Il bande les yeux de son épouse et lui présente ses testicules à lécher. Pendant que la marquise s’exécute et que ça s’agite sous le jupon rigide, arrive une religieuse qui se fait prendre par le marquis dans la position du Judas dépendu. Un général russe en grand uniforme viendra ensuite fouetter la bonne sœur et lui déchiqueter la cornette avec son sabre.
- — Voilà du bon cinéma et de quoi satisfaire les plus difficiles. Vos jeunes étudiants peuvent aller se rhabiller ! Mais évidemment, il faut un peu d’imagination et de fantaisie française.
Akira Toutenku, le célèbre pornographe japonais, se doit de réagir :
- — Cher confrère, je ne partage pas votre analyse. Les costumes, c’est bien joli, mais de toute façon, ils tombent au bout de cinq minutes sinon ça devient une émission historique ou une réplique de votre fameux Musée Grévin. Alors tant de frais juste pour les emballages… Chez nous, les liens comptent davantage. On attache, on ficelle, on cordonne, on cordage. Un bondage et la femme devient une œuvre d’art. Et plutôt que de vous convaincre avec un petit film qui peut toujours être truqué, j’appelle sur scène mon assistante-démonstratrice et son modèle Satura Enema.
C’est ainsi que nous voyons monter ces deux Japonaises. La première élégante comme une épouse de chef d’État à un défilé de mode d’Yves Saint-Laurent et l’autre transformée en rouleau de corde ambulant. On ne distingue que ses yeux, la pointe de ses seins et ses pieds. Le reste du corps est complètement couvert par des liens que l’on soupçonne assez serrés. L’assistante fait tourner et retourner le modèle. Puis, elle libère les cordes qui couvrent la poitrine, faisant apparaître des traces rouge vif sur tout le buste ; la jeune fille respire difficilement. Puis elle coupe les cordages qui cachaient les grandes et les petites lèvres ainsi que le pubis. Aussitôt, monsieur Toutenku place des verres opaques qui dissimulent le sexe à la vision des spectateurs, car vous les savez, au Japon, on ne peut montrer les parties intimes, ce qui indispose l’ensemble des congressistes. En revanche, on voit les fesses striées par un fouet récent et l’anus est encombré d’un rosebud.
Monsieur John Felching prit alors la parole au nom des érotomen anglais :
- — Il semble que nous faisions fausse route avec nos différentes démonstrations. De quoi est-il question en réalité ? De notre perte dans le domaine financier et de la récession qui frappe le milieu. Avouons-le, le sexe ça distrait, mais ce qui nous fait réellement bander, c’est l’argent. Il ne faut pas se cacher derrière notre petit doigt. Alors, on constate une baisse de nos revenus pour tout un tas de raisons que vous avez évoquées. Ce qui nous inquiète, c’est qu’aujourd’hui, des tas de gens prennent leur plaisir sans que nous prenions notre bénéfice. Voilà où est le scandale. C’est comme si les automobilistes empruntaient gratuitement l’autoroute. Ce que je crois possible, moi, c’est le recours aux subventions, comme pour le cinéma et le théâtre. Je savais bien que vous seriez sceptiques, alors je m’explique. Si dans nos productions, nous envisageons par exemple l’emploi systématique du préservatif, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas recevoir une aide substantielle de nos gouvernements respectifs, tant il est vrai que notre rôle devient alors éducatif, incitatif et préventif. Au lieu de dépenser des millions d’euros pour soigner le SIDA et les autres maladies vénériennes, il serait bien plus rentable et intelligent de montrer aux jeunes comment s’en préserver avec habileté et délicatesse. Je vous propose cette petite vidéo pour vous en convaincre.
Le film est à peine commencé qu’une jeune fille vient face à la caméra et explique :
- — J’ai vraiment l’âge de faire l’amour avec mon amoureux. Mais j’hésite encore. Si j’attrapais un gosse ou une maladie, quel dommage!
C’est alors que le garçon arrive et lui dit :
- — Mais non, grosse gourde, car je vais mettre une capote anglaise.
La fille :
- — Ça alors ?! C’est vraiment une bonne idée ! Mais comment faire ?
Le garçon :
- — Je vais te montrer, charmante idiote. Regarde, c’est comme un ballon de ton enfance. On peut même le gonfler.
La fille :
- — Mais comment il va tenir ? Je suis sûre que ça va tomber.
Le garçon :
- — Évidemment parce que je ne suis pas encore en érection. Et comment l’être avec tes réflexions ridicules ?
La fille :
- — Mais alors quoi faire ?
Le garçon :
- — Tu vas me sucer. C’est pour cela, tu vois, qu’il faut toujours commencer par faire une pipe au garçon. Sinon, tu risques d’attraper un gosse ou une maladie.
La fille :
- — Heureusement que tu m’expliques, j’aurais fait une grosse bêtise.
Le garçon :
Et c’est sur cette merveilleuse fellation que commence leur idylle, dit le commentaire. Une fois de plus, le garçon avait raison. Son membre devient plus imposant et surtout il pointe vers le haut ; on ne peut donc plus perdre le préservatif. Avec une adresse diabolique, il en couvre son pénis gonflé. La fille n’en croit pas ses yeux. On voit alors la même manœuvre sous un autre angle et au ralenti. On se croirait dans une salle d’Art et d’Essai. Puis, il culbute la fille sur le divan, la fille qui déclare à la caméra :
- — C’est super ! Et aucun risque d’avoir un gosse ou une maladie !
Le garçon ajoute :
- — Existe en différentes coloris, vendu dans toutes les bonnes pharmacies.
C’est alors qu’intervient Aldo Maldobaiso, l’importateur de films à petits budgets et grosses poitrines :
- — Vous perdez la raison, mon cher John. Aujourd’hui, les jeunes font l’amour de plus en plus tôt, comme le démontre tous les jours notre valeureux Berlusconi. Alors, vous produisez des films interdits aux moins de 18 ans pour des gamins de 14-15 ans et vous prétendez qu’on va les subventionner ! Non, ce qui marche, croyez-moi, c’est le développement de la poitrine. J’ai un cheptel de comédiennes qui font pousser leurs seins et je peux vous dire que c’est impressionnant. Et de ce point de vue, les amateurs ne peuvent pas nous concurrencer. À partir de 120 de tour de poitrine, et quand chaque sein pèse trois kilos, vous n’avez plus d’étudiantes sur le marché. Je vous le garantis.
- — Je me demande quand même si on ne pourrait pas être… comment dire… un peu plus vicieux ?
C’est le délégué russe qui pose la question.
- — Un peu plus vicelard… Un peu plus dégueulasse, quoi. Des machins bien crades, bien pourris… J’ai des idées… Avec de la pisse, de la merde, du vomi… Ou alors avec des animaux… Des animaux malades… Ou des légumes pas frais… Des lavements avec du lait qui aurait tourné… Des trucs qui dégoûteraient tout le monde… C’est pas con… Des choses un peu borderline ou qui dépasseraient même la limite… Bien écœurant, quoi…
C’est maintenant l’heure de la conclusion et Florian Hulster, le roi de la porno-connexion hongroise, se devait de mettre un terme aux débats en tant que puissance invitante :
- — Mes chers amis, je crois qu’on peut dire que le niveau de la discussion a été d’un très bon niveau cette année et je vous en félicite. Je voudrais répondre à notre dernier intervenant, ce qui va me permettre de proposer quelques perspectives. Certes, on peut toujours aller plus loin, pour ne pas dire plus bas, mais il importe principalement de faire de notre industrie une entreprise certes sans tabous, mais qui permet à chacun de se retrouver, de se développer, de trouver son équilibre sexuel et psychique. C’est un philosophe qui me faisait remarquer que si nous dépassons certaines limites, nous tombons dans l’intellectuel. Et vous savez bien que c’est là le danger. L’intellectuel, aucun de nous n’y résisterait. Alors, même si parfois nous sombrons dans le conventionnel, il vaut mieux s’y tenir. Quitte à être un peu plus inventifs en ce qui concerne notamment les titres de nos productions. Je viens de terminer le tournage d’un film très réjouissant : Les pets de Dame Oclaisse. Je vous laisse y réfléchir. Là-dessus, je vous souhaite une bonne faim autour du buffet et je vous dis à l’an prochain à Chicago pour la 52ème Assemblée Mondiale de la Pornographie Audio-Visuelle (A.M.P.A.V.) !
À la sortie du Palais des Congrès, les FEMEN protestaient. Par moins 8 degrés, elles portaient sur leurs poitrines nues un slogan en lettres rouges :
LE SEXE ? VOUS N’Y COMPRENDREZ JAMAIS RIEN !