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Temps de lecture estimé : 9 mn
29/06/13
Résumé:  Un homme au physique disgracieux finira par trouver l'amour.
Critères:  fh jeunes complexe campagne amour nopéné nonéro -contes
Auteur : Diablocor      
Une rencontre improbable

Loïc n’était pas homme à planifier son existence. Il vivait au gré du vent, du bruissement des feuilles, des clapotis de la rivière déferlante, du chant des oiseaux, des rayons ardents d’un soleil parfois trop chaud et du doux bêlement de ses moutons. Un beau troupeau comptant 300 têtes dont il était très fier. C’était un homme simple, un homme qui aimait de façon inconditionnelle la vie au grand air, entouré de ses bêtes et de son fidèle Roxy, chien de berger, sans qui il ne serait rien. Il ne se sentait bien et lui-même qu’à leur contact.




— ooOoo—




La vie ne l’avait pas épargné. Il était le dernier d’une fratrie de sept garçons, tous si beaux que leurs parents s’accordaient à dire que c’étaient les sept merveilles du monde. Loïc aimait ses frères d’un amour total et sans faille. Mais la réciproque n’était pas exacte. Étant le dernier fils de cette grande famille, sa mère avait, en son temps, reporté toute son attention sur ce fils chéri, qui n’était pas, à proprement parler, d’une beauté à couper le souffle. Non. Loin de là.


Toute son enfance, il avait dû lutter contre les ricanements de ses frères et des enfants du voisinage. Il était alors maigre, trop grand pour son âge, un grand échalas comme disaient en chœur ses grands frères en riant à pleines dents. Il avait des yeux qui lui mangeaient le visage, sous de fins sourcils blonds-roux qui les faisaient, de ce fait, paraître encore plus grands. Un nez long et fin, presque osseux, lui scindait la face en deux parties quasi identiques. Seule une légère, voire imperceptible déviation de la cloison nasale faisait apparaître le côté gauche un peu plus large, amplifié d’ailleurs par une pommette saillante. Des lèvres fines recouvrant des dents d’une blancheur immaculée et parfaitement alignées finissaient ce portrait.


Certes ce n’était pas un monstre, mais cela suffisait à le distancer des autres enfants de son âge. Il se sentait différent. Introverti. Si délaissé que parfois une montée de tristesse l’envahissait. Il attendait, souvent des heures durant, prostré dans un coin, que le temps passe, qu’enfin le soleil se couche, pour que sa différence soit moins apparente. Il souffrait. Il ne trouvait refuge qu’auprès de sa mère qui l’entourait de tout son amour et compensait son mal-être par de longs dialogues empreints de tendresse. Elle lui parlait doucement, il l’écoutait, sa tête lovée au creux de son épaule. Sa vie s’écoulait ainsi, entre moments de solitude intense mêlée de chuchotements et rires enfantins à son encontre, et tendresse maternelle réconfortante.




— ooOoo—




Le soleil brillait ce matin-là et personne encore n’était levé. Loïc prit un rapide petit déjeuner, mit quelques morceaux de pain dans la poche de son pantalon trop grand et partit en balade. Il avait un grand besoin de respirer l’air frais et il pensa que la communion avec la nature de si bon matin le revigorerait. Il marcha à travers champs, croisa lapins et perdrix, courut même après, histoire de se dégourdir les jambes. Le chant des pinsons et des rossignols accompagnait cette belle matinée d’été. Il ne pensait plus à rien, il était bien. Il continua ainsi un long moment à marcher, fleur à la bouche, écoutant chaque bruit de cette nature qui s’éveillait. Il était avide de beauté, cette beauté qui pour l’instant lui faisait tellement défaut et lui valait tant de moqueries.


Chemin faisant, il vit au loin quelques moutons et tout guilleret qu’il était aujourd’hui, il s’enquit d’aller à leur rencontre. Il entendit le tintement d’une cloche. Puis l’appel du berger qui regroupait très certainement les quelques bêtes qui paissaient un peu trop loin à son goût. C’était un vieux berger, buriné par le soleil et les vents, pipe au bec, dont les rides inspiraient une profonde sagesse. Une cape était posée sur ses frêles épaules, recouvrant un dos voûté, peut-être même était-il bossu.

À la vue de Loïc, un large sourire dénuda ses dents clairsemées.



Loïc lui rendit son sourire et pensa que c’était bien la première fois que son physique ingrat ne repoussait pas son interlocuteur. Il en fut aussi troublé qu’heureux.



Et ainsi commença la plus longue et sympathique discussion que Loïc n’avait jamais eue à part sa mère. Ils partagèrent le pain qu’il avait pris soin de prendre avant de partir, le vieux berger tailla des rondelles de saucisson et emplit une tasse de bon lait frais de brebis fraîchement traites d’il y avait une heure à peine. « Un vrai festin ! » se dit le jeune garçon. Ce n’était pas tant pour les victuailles, qui en soit demeuraient, somme toute très simples ; non, c’était surtout pour la bonne compagnie et le sentiment de bien-être qui en ressortait. Il avait enfin trouvé un homme qui le traitait en égal.


Le berger, au fil des échanges, discerna en son jeune convive, un garçon tout à fait digne de pouvoir lui succéder.



Loïc le regarda, surpris de cette question si inattendue, ses yeux déjà si grands au demeurant qui là, prenaient du coup une toute autre dimension.



Le jeune homme le regarda, cette fois, avec insistance et intérêt. Son cerveau était en ébullition. Sûrement une opportunité comme celle-là ne se reproduirait pas deux fois. Il demanda cependant un temps de réflexion au vieux monsieur, histoire de se remettre les idées dans le bon sens. Il le remercia de son hospitalité improvisée et reprit sa balade. Il marcha le sourire aux lèvres, sifflotant, l’esprit tout à l’offre du berger. Tellement qu’il ne se rendit même pas compte que le soleil commençait à descendre à l’horizon. Il était temps de rentrer se dit-il. Mais cette fois, il irait juste embrasser sa mère se prit-il à penser. Il n’avait plus besoin de ce réconfort qu’elle lui apportait depuis sa plus tendre enfance. Il se sentait pousser des ailes intérieurement. Il était un homme à présent, avec d’ici demain, un troupeau à mener.


Après un repas autour de la lourde table en bois familiale, couverte de rayures du canif du père, où railleries fraternelles ne l’effleuraient plus comme par magie, il s’en alla se coucher, la tête remplie d’étoiles. Il n’avait subitement plus quinze ans.




— ooOoo—




Il se réveilla très tôt à nouveau, tout à la hâte qu’il avait de rejoindre son nouvel ami, et tout à la joie de lui donner sa réponse. Il reprit quelques pains, les fourra dans le fond de sa poche et prit la route. Il trouva le vieux berger exactement où il l’avait laissé la veille. Même position, même pipe au bec, le regard vague et tranquille, aspiré par la vue de son paisible troupeau. À la perception du bruit de l’herbe foulée, il leva les yeux et vit Loïc. Il se targua d’un large sourire.



Ainsi Loïc se retrouva, à quinze ans, l’heureux père de pas moins de 300 moutons et brebis, un superbe cheptel qu’il avait devoir de mener à bien. Sa fierté dépassait de loin ce à quoi il avait aspiré. Il s’en occupa jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, se promenant à côté de ses bêtes, sans relâche, les guidant, les trayant, les cajolant, les regroupant, les sifflant, et tout cela naturellement avec l’aide de Roxy, le chien de berger que son ami lui avait légué avec le troupeau. Une aide d’une importance sans commune mesure avec celle qu’un homme prodiguerait. Pas de jugement, pas de mesquinerie, pas d’amitié intéressée, juste une aide pleine de reconnaissance, tout dévoué qu’il était à son nouveau maître.


Lui qui n’avait jamais eu d’amis avait trouvé en Roxy, un compagnon, un confident de tous les instants, infaillible, toujours à l’écoute, et qui parfois lui répondait d’un lapement sur le visage, ce visage qui l’avait tellement tourmenté sa vie antérieure. Ils entretenaient de fameux tête-à-tête où Roxy avait des fois son mot à dire et qui se concrétisaient par des grands aboiements presque empreints d’humanité. Une amitié hors du commun les reliait, indestructible, magique. Quand le troupeau paissait, il leur arrivait de s’enfuir tous les deux, le temps de quelques heures, escaladant les rochers, disparaissant dans la verdure des champs, où l’homme laissait la nature vaquer à ses occupations. Les herbes hautes s’emmêlaient autour des jambes du berger.


À force d’excursions intensives, à courir avec Roxy ou à driver son cheptel dans la montagne, il s’était peu à peu forgé une carrure d’athlète. Ses jambes autrefois maigrichonnes, qu’une simple brise aurait fait vaciller, étaient devenues de solides appuis musclés sur lesquels il pouvait à présent se reposer. Ses longs bras chétifs d’antan avaient laissé place à des membres superbement dessinés par une musculature que bien des jeunes hommes jalousaient. Il était fier. Il se remémorait souvent la fabuleuse histoire qui avait enchantée son enfance, ce conte du Vilain Petit Canard que sa mère lui lisait quand il avait trop de chagrin d’être si différent. Il se sentait comme son héros. De la chrysalide était né un majestueux papillon qui faisait bien des envieux.




— ooOoo—




Il avait maintenant vingt ans. Son visage s’était transformé. Les yeux immenses qui prenaient trop d’importance jadis avaient désormais une place légitime. Leur couleur brune auréolée d’ambre s’en trouvait transcendée. Ses pommettes naguère saillantes s’étaient renflouées, ce qui achevait de lui donner un faciès plus qu’acceptable. Il commençait à s’apprécier, il se surprenait même à se trouver beau. Enfin il était aussi agréable à regarder que ses frères qui l’avaient tellement critiqué dans sa prime jeunesse. Il devait ce changement aux années écoulées, à son fidèle compagnon, à ce fabuleux troupeau sans qui rien n’aurait été possible. Il les aimait pour tout ça. Et aimer le rendait beau. Il avait enfin trouvé sa vraie place dans cette vie qui avait tant tardé à être belle pour lui.


Un soir qu’il hélait ses bêtes, un galop se fit entendre et une somptueuse amazone juchée sur une jument à la robe baie apparut. Elle portait une tunique de soie rouge ornée de fleurs multicolores agrémentée d’un sautoir que Loïc discerna comme étant de l’or serti de pierreries. Rubis et saphirs, pensa-t-il. Un pantalon noir retroussé dont le revers rappelait la tunique. Sa chevelure était couleur de jais, lisse, retenue par un chapeau noir et rouge, digne des plus grands créateurs. Une broche, ornée elle aussi de rubis et saphirs entourant certainement un diamant de plusieurs carats, finissait de mettre la coiffe en valeur.


Le berger était subjugué. Jamais il n’avait vu une pareille beauté. Elle le fixait de ses grands yeux bruns entourés d’un filet d’ambre, pareils aux siens, soulignés par des fins sourcils noirs. Ils avaient une forme en amande ravissante. « Les mêmes yeux que moi, pensa-t-il, juste avec une forme variante. » Et ça le rendit heureux. Lui qui venait de si loin, avoir des yeux identiques à cette beauté venue de nulle part, c’était tout bonnement irréel.


Elle dit s’appeler Julia, s’être perdue le temps de sa chevauchée, et être en villégiature au château de Miriadas, où ses parents et autres domestiques avaient élu domicile pour les deux mois à venir. Loïc la pria de glisser de sa monture le temps de partager un repas frugal en sa compagnie. Bien sûr si elle le souhaitait. Elle acquiesça au grand bonheur de notre berger. Roxy, lui, s’était levé, entourant la belle et jappant à la vue de l’écuyère. Lui aussi paraissait heureux, en parfaite osmose avec son maître.


Ils parlèrent beaucoup, de leur vie avant leur rencontre, elle qui avait vingt ans et lui qui avait vingt ans. Au fil des mots, ils se rendirent compte qu’ils avaient, l’un en face de l’autre, leur âme sœur, cela ne faisait aucun doute. Lui simple berger, venant d’une famille très modeste et très nombreuse et elle, fille unique de prince d’une lointaine contrée mandchoue, installée en France depuis plusieurs générations. Ses yeux en amande se plissaient au gré des sourires prodigués au jeune homme. Lui était littéralement ensorcelé.


Il se souvint tout à coup de la prédiction du vieux berger, comme quoi s’il acceptait son offre, sa vie en serait à jamais changée. Le vieillard avait vu juste. Loïc se demandait si au final il n’était pas tombé sur la Providence faite homme et se jura, en remerciement, de prier pour sa mémoire jusqu’à la fin de sa vie.