n° 15692 | Fiche technique | 10177 caractères | 10177Temps de lecture estimé : 7 mn | 13/07/13 |
Résumé: Le déchirement d'un couple. | ||||
Critères: suspicion tranhison colère méfiance | ||||
Auteur : Diablocor |
Ils s’étaient aimés. Aimés tellement fort que la clarté même du soleil en fut amoindrie.
Elle aurait donné sa vie pour lui ; il ne vivait que pour elle. Les parfaits opposés s’étaient rencontrés un soir d’hiver pour former l’équilibre rêvé, cet équilibre de l’âme et du corps que certains passent une vie à chercher et qu’autant ne trouvent jamais.
Elle était svelte, élancée, blonde et d’un abord froid, une beauté hitchcockienne dans toute sa splendeur. Ses grands yeux bleus légèrement cachés par une mèche vagabonde avaient autrefois été remplis d’étoiles, à la simple perception de la voix de son tendre amour. Ses longues mains fines gardaient en mémoire les douces caresses qu’elles avaient prodiguées sur le corps musclé de son amant.
Cet homme, lui, était fort, grand, athlétique et d’une élégance folle. Aussi brun qu’elle était blonde. Un sublime hidalgo, dont la beauté sombre était rehaussée d’un regard vert pailleté d’or, qui, il y a peu, devait briller de mille feux. Son sourire ravageur avait fait chavirer la belle, à l’époque où la communion entre ces deux êtres prenait naissance.
Que s’était-il donc passé ? Où sourires et regards complices avaient-ils bien pu disparaître ? Pourquoi de cette osmose si idyllique en étaient-ils arrivés à se craindre, se détester et se maudire ?
Elle, si pimpante et chaleureuse, prévenante, câline à souhait, où s’étaient donc envolés ses gestes affectueux ?
C’était un vendredi soir, une veille de week-end en apparence semblable aux autres. Elle l’attendait impatiemment. Une soirée d’été, où la fraîcheur se faisait peu à peu une place de choix, après la chaleur moite qui avait accompagné toute la journée. Dans le patio de leur somptueuse demeure, où se mêlaient mille roses aux effluves entêtants, lys aux couleurs chatoyantes et orchidées sauvages entourant une magnifique fontaine dont les clapotis lui rappelaient Venise sous la pluie, siégeait une table en verre sculptée. Une des nombreuses trouvailles qu’ils avaient chinées ensemble, passionnés qu’ils étaient tous les deux de belles antiquités.
Elle l’avait décorée pour l’occasion, ne laissant rien au hasard. Deux splendides assiettes de porcelaine dont le pourtour était saupoudré de poussière d’or et incrustées de pierres semi-précieuses, des verres dont le pied savamment ciselé, finissait de souligner la fragilité de ce cristal de bohème, ainsi que des couverts en vermeil alanguis de part et d’autre des assiettes. Des pétales de roses avaient été éparpillés avec doigté sur la table richement dressée, mettant une touche finale de romantisme à la composition.
Elle s’était parée d’un petit ensemble affriolant ; une lingerie recherchée qui lui donnait une classe extrême, malgré la transparence un brin coquine de la toilette. Elle savait qu’il adorerait. Un parfum enivrant était niché au creux de ses seins et quelques gouttes perlaient encore sous le lobe de ses oreilles. Elle voulait être parfaite, que tout soit magique. Elle avait une nouvelle d’une grande importance à lui annoncer.
La porte s’ouvrit, claqua et son bel apollon fit son entrée. À la vue de sa femme, il lâcha son porte-document, jeta sa veste et la prit dans ses bras. Ils s’étreignirent un instant, moment pendant lequel il lui redit son amour et combien il la trouvait superbe. Le téléphone sonna. Les deux amants n’y prêtèrent guère attention, tout à leurs affaires. Il sonna à nouveau. Cette fois, elle tendit l’oreille et s’aperçut que la mélodie venait du veston jeté à terre dans la hâte. Il continuait, lui, de l’entourer et de la couvrir de baisers en lui demandant au creux de l’oreille, la raison de sa tenue vestimentaire.
Munie d’un petit sourire, elle se dégagea avec un brin de malice de cette sympathique emprise et l’amena dans le patio. Les yeux de son époux s’écarquillèrent alors en découvrant cette table préparée avec soin et délicatesse. Il était viril, voire même sauvage, mais un rien l’émouvait quand il s’agissait de romantisme. Il en fut troublé. « En quel honneur tout ceci ? » dit-il alors. Elle voulait attendre encore un peu, faire durer le suspens. Le moment de l’annonce qu’elle lui réservait devait arriver à point nommé. Ainsi en avait-elle décidé.
Elle perçut au loin, à nouveau, la sonnerie du portable de son mari. Lui, soit ne l’entendait pas, soit faisait mine de ne point l’entendre. Comme c’était la troisième fois, elle s’enquit auprès de lui de décrocher, pour avoir ensuite le privilège de continuer cette soirée en tête-à-tête, qu’elle avait pris tant de soin à fignoler dans les moindres détails. Mais à son grand étonnement, il n’en fit rien.
Le mobile sonna une quatrième fois et là, elle décida d’aller elle-même le chercher. Quand soudain, elle fut stoppée nette dans son élan. Sa très chère moitié lui entravait le poignet et lui fit signe, l’index sur la bouche, de ne pas répondre à cet appel qui semblait pourtant, on ne peut plus insistant. La main se voulait brutale, la pression ferme et soutenue, et son poignet commençait à réclamer délivrance. Elle fit mine de se rendre en usant de son regard de biche et de ses courbes voluptueuses, en feintant une douleur cuisante.
La sonnerie retentit à nouveau, cette fois succédée de plusieurs autres. Il avait succombé à tant de charmes et baissé sa garde. Le temps nécessaire à sa belle de lui échapper, se munir du téléphone et de décrocher. Enfin.
Une voix de femme se fit alors entendre, à la fois sensuel et violent, déclamant une tirade ininterrompue de grossièretés, qui, elle venait de le comprendre, émanait d’une maîtresse qui exprimait là, la plus grande impatience, mêlée d’une colère sans nom à l’encontre de son cher époux. Tandis qu’elle continuait à écouter les dires de l’interlocutrice hors d’elle, elle planta un regard hagard et désapprobateur dans le vert des yeux embués et interloqués de son mari. Il s’en était douté, cause de son désintéressement aux appels répétés. Mais ce à quoi il n’avait pas pensé, c’est que sa sublime femme, son amour de toujours, celle qui il le sentait avait une chose importante à lui dire en ce vendredi soir, allait décrocher à sa place. Non, ça, il ne l’avait même pas imaginé.
Il vit alors le regard si bleu profond et limpide en temps normal, si rieur et plein d’espoir il y a encore quelques minutes, s’assombrir d’un coup. Elle s’avança, quasi titubante, lui tendant le combiné à bout de bras. Il put voir, durant ce court trajet qui la séparait d’elle, quelques pas au final, des éclairs de rage et de désespoir, un nombre incalculable de mots de mépris qu’elle n’eut pas besoin de prononcer. La guerre était déclarée, il le savait.
Les éclairs furent bientôt éteints par des larmes. Retenues au départ, puis très vite si affluentes qu’elle perdit pied. Il continuait de la dévisager. Cette moitié qu’il avait tant cherchée et qu’il voyait disparaître à jamais. Dans sa main, injures et insultes pleuvaient sans discontinuer, mais il n’y accordait plus aucune attention depuis un long moment déjà. Elle était tétanisée, choquée, presque stupide de se montrer à lui dans une tenue si élégamment provocante en une telle circonstance.
Elle lui en voulait tellement, de lui devoir l’écroulement total de sa vie qui allait réellement prendre forme en cette soirée et qu’elle avait souhaitée si magique. Les larmes avaient cessé et son compagnon, cet homme qu’elle avait supposé l’amour de sa vie, put à nouveau déceler au plus profond de ses yeux bleu acier, la détermination d’une guerre sans merci. Il avait lâché l’appareil. Sûrement cette maîtresse destructrice avait-elle raccroché depuis longtemps. Qu’importe au fond. Tout était mort à présent.
Ils se fixaient sans un mot, sans un cri, pas même l’ombre d’un gémissement ou d’une plainte. Rien. Juste un regard rempli de dégoût et de rancœur dans un autre regard plein de doutes et d’impuissance. Le duel était d’une rare intensité, voire même exceptionnel. Quand soudain, une main fine effleura un ventre mis à nu par une dentelle ajourée minutieusement filée ; ce fut alors une lente danse en rond sur ce ventre encore si plat, si affolant de sensualité. Une autre main la rejoignit et se fixa, elle, sur le bas-ventre.
Elle regarda son homme. Elle le regarda longuement, intensément. Ses yeux disaient maintenant ce que sa bouche exprimait quelques instants auparavant, avant que ce maudit téléphone ne se manifeste. Il n’osait supposer ce que son cœur comprenait. Il refusait même d’essayer de visualiser cette vie qui arrivait et à laquelle il n’aurait jamais le loisir d’avoir accès. Par sa bêtise, son inqualifiable inconséquence ; il avait joué avec le feu et il allait périr dans les flammes du regard inquisiteur de cette femme qu’il avait choisi de choyer entre toutes, jusqu’à la fin des temps.
Il était littéralement effondré. La douceur de vivre, l’insouciance et la volupté d’une vie aux côtés de sa bien-aimée laissait place à une guerre de tranchées sans appel. Il en était conscient maintenant. Pour les beaux yeux d’une maîtresse sans envergure, il perdait pour toujours ceux de sa tendre moitié et ne verrait jamais ceux de son enfant à venir s’ouvrir un jour.
Un affrontement long, dur et âpre commençait le jour même où une future naissance devait être annoncée. Ainsi était donc leur destin : une fin d’amour allait donner un commencement de vie. Ces deux êtres s’étaient aimés. Aimés tellement fort que la clarté même de l’astre suprême en eût été altérée.