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n° 15776Fiche technique76014 caractères76014
Temps de lecture estimé : 45 mn
01/09/13
Résumé:  Je me suis fourrée dans une histoire impossible et prie pour m'en sortir : « Mon Dieu, sors-moi de ce guêpier, je promets d'être fidèle pour toujours. ». J'aurais pu ajouter : «...et d'arrêter mes extravagances et autres folies. », mais cela va de soi.
Critères:  fh fhhh couleurs vacances pénétratio gangbang init
Auteur : ADaya  (L'été est toujours chaud.)      Envoi mini-message
Une souris et des hommes

Depuis un an, Greg bosse pour la remise en état d’un vieux camping-car. C’est un touche-à-tout : mécanique, tôlerie, peinture, menuiserie, électricité… rien ne lui fait peur. Moi, je fais les comptes et vu ce qu’on a déjà dépensé, je me demande si on a fait une bonne affaire. Et encore, je ne compte pas les heures qu’il y passe… pas plus que je ne compte les sorties que nous avons reportées ou annulées à cause de ce foutu tacot. Même les câlins en pâtissent ; c’est plus pareil, je vis sur les souvenirs. Des fois, ça me manque, la branlette n’est qu’un pis-aller. Autrefois, j’avais Chantal, ma Copine avec un grand « C »… J’imagine qu’on se serait fait une virée entre filles, à faire la noce et draguer des mecs.








C’est parti ! Allô, allô, Chantal, nous voilà ! Direction le grand Sud, huit cent bornes de bitume. On roule trois ou quatre heures sans problème. Il n’est pas tout à fait midi lorsque des signes préoccupants se manifestent ; Greg dit que ce n’est pas normal. Nous sommes dans le Massif Central, j’aperçois une petite ville en contre-bas dans la vallée. Nous nous garons sur le parking d’une supérette sise à l’entrée de l’agglomération. J’y fais mes courses pendant que mon homme mécanique. Au retour, il est encore dans son cambouis. Je prépare le repas et ensuite je tue le temps et fume cigarette sur cigarette ; il m’énerve à ne pas vouloir manger avant d’avoir fini de réparer. Mes pas me conduisent dans le centre du bourg ; c’est jour de foire : cinq, six bancs, pas plus. Le chaland est rare. C’est la fin ou presque, les commerçants commencent à remballer.


Sans doute serais-je passée devant l’étal des Sénégalais sans même y jeter un œil si je n’avais pas du temps à tuer. Ils sont trois dont un beaucoup plus âgé, plus imposant aussi, en volume et en charisme. Son boniment n’est pas dénué d’humour ; il est gai, grivois aussi, mais avec rondeur. Le bonhomme est malin et garde la tête près du bonnet. Normal : il veut vendre et il le fait avec art. Il m’amuse ; je prends le temps d’examiner ses pacotilles. Les objets défilent : tissu, confection, maroquinerie, colifichets, bronzes, ébènes, ils ont un peu de tout. Rien ne retient mon attention, sinon la jupe… Et encore, est-ce parce que – il n’y a pas longtemps – j’en ai vu une presque identique sur une de mes élèves et je m’en fais la réflexion et puis… je suis sûre qu’elle plairait à Chantal, c’est son genre.


Le cuir est doux et très souple ; de l’antilope, prétend mon vendeur, travaillé façon daim, d’une couleur Camel très tendance. La coupe est droite ; elle est entièrement boutonnée devant. Je n’ai pas l’intention d’acheter, mais il a tant de bagout… J’accepte de l’essayer. Ils ont aménagé une cabine à l’arrière de leur fourgon. Le lascar a le compas dans l’œil : juste la bonne taille. Le résultat est assez piquant, je me trouve de l’allure. C’est du pif, bien sûr ; si j’ai de la place, je manque de lumière, et qui plus est je n’ai pas ôté ma robe ; je la maintiens retroussée au niveau de la poitrine. Ce n’est pas l’idéal pour me rendre compte, mais bien assez pour nourrir mon imagination et je n’ai pas d’autres intentions. Cette jupette n’est pas pour moi : trop courte, trop jeune.


Je le savais, bien sûr, avant même d’essayer ; le vendeur use sa salive pour rien. Il est là pour ça, me direz-vous. Malgré tout, je sens poindre un vague sentiment de culpabilité à la pensée que je lui fais perdre son temps. Aussi conviens-je en mon for intérieur que je prendrai une babiole pour compenser.


L’homme frappe sur la tôle, attend mon invite puis passe le museau par l’entrebâillement.



Nichon ? Un terme presqu’ordurier dans ma bouche ; je me surprends à éprouver du plaisir à user d’un mot cru. Ma poitrine est effectivement libre ; je m’autorise cette liberté de temps en temps pendant les vacances, et d’autant plus pour le cas que ma robe est dos-nu. Le coquin me charrie.



Il rit, puis sans transition, bascule sur le registre professionnel :



Deux minutes plus tard, à nouveau : « toc, toc » ; j’autorise. Le messie apparaît ; les rayons du soleil font une aura lumineuse autour de la silhouette du bonhomme.



Normal, il est dans son rôle. N’empêche que je ne suis pas mécontente : je n’aurais pas cru que je pouvais encore porter ce genre de tenue. Je me demande ce que dirait ma fille si elle me voyait là-dedans. Le lascar interrompt mes réflexions.



Ils ont disposé un miroir en appui du fourgon qui permet de se voir de pied en cap. Je me mire, devant, derrière ; la jupe se porte taille basse, mais de toute façon je n’ai pas le choix, sinon c’est godiche et les reflets du miroir sont prompts à dénoncer la couleur de mon slip.



Le compliment est aussi gros que sa panse ! J’en ai vingt de plus, et il le sait ou le soupçonne ; mais c’est un fait que j’ai le sentiment de faire plus jeune. J’ai la chance d’avoir gardé une silhouette svelte. Mes gènes y sont sans doute pour quelque chose ; ma mère est pareille, mais il y a aussi que je surveille la balance et mène une vie spartiate : yaourt, salade, sport, jamais d’alcool. Mon seul vice : le tabac. Je projette d’arrêter, rapport à la santé, mais je n’arrive pas à me décider, rapport au poids : on dit que ça fait grossir. Quoi qu’il en soit, je n’ai plus dix-huit ans et on le sait tous les deux. Il pressent que je vais refuser :



Surprise, je retiens sur le fil les condoléances que j’allais dégoiser. Le malin enregistre mon hésitation, enfonce le clou :



Si je ne suis pas tout à fait dupe, je ne suis pas non plus très au fait de ce genre de marchandage ; je me laisse embobiner et calcule que dans ces conditions, je peux avoir la jupe sans débourser beaucoup plus que ce que, de toute façon, j’étais prête à sacrifier en peccadilles uniquement pour lui faire plaisir. Tope là ! J’embarque le tutu, quitte à nourrir les mites si je n’en fais pas autre chose ; peut-être pour Chantal… Un subtil enchaînement d’idées m’amène à penser que je pourrais en user pour réveiller la libido de mon homme.








Greg a bien mécaniqué ; nous reprenons la route après la sieste. Je n’ai rien dit à mon époux concernant mon emplette, je me réserve de lui en faire la surprise à l’étape du soir.


L’incident mécanique a un peu chamboulé notre programme, mais peu importe : nous sommes en vacances. Le moment venu, nous nous mettons en chasse d’un camping, et optons pour un site qui offre un point de vue remarquable. À perte de vue, un relief tourmenté, parsemé de bocages et de forêts, et les Monts d’Auvergne à l’horizon. Des panneaux indiquent un terrain à proximité. Il domine un lac ; à vue de nez et me fiant aux miroitements de l’eau, je l’estime à quelques centaines de mètres en contre-bas. La réception et les sanitaires ont été installés sur le plateau, nivelé et plan. Les emplacements pour les tentes et les caravanes sont dans les alentours immédiats tandis que la pente en direction du lac a été aménagée et construite ; on aperçoit les toitures des bungalows, ici et là, noyées dans un écrin de verdure. Une piste de desserte déroule ses lacets jusqu’à mourir sur la plage en bordure du lac.


La saison bat son plein, il n’y a plus beaucoup de place. On nous alloue un emplacement près des sanitaires ; ce n’est pas le meilleur, mais c’est seulement pour une nuit, et du moins sommes-nous près des douches. J’y vais, et au retour procède à la mise en scène que je mijote depuis mon achat extravagant. J’attends que mon mari soit installé puis déboule avec mes couverts, parée de ma récente acquisition et d’un petit débardeur ; et, comme si rien n’était, m’affaire à dresser la table en vue de servir le dîner. Je voulais faire la surprise : c’est gagné !



Douche froide ! Après la chaude que j’ai prise, ça fait une douche écossaise. Écossaise ou pas, je suis sacrément douchée. J’aurais dû deviner : mon mari n’a jamais été porté sur la fantaisie.



Je vous épargne la suite, elle est du même tonneau. Après la colère, le mutisme. Monsieur boude, moi aussi… Si je boude, je n’en sers pas moins le repas. Le silence est à couper au couteau. En parlant de couteau, celui de Greg crisse sur l’émail de son assiette, il s’énerve. Moi, je plonge le nez dans ma salade. Sitôt qu’il a fini de jouer des mandibules, monsieur s’engouffre comme un fou dans l’habitacle du camion et n’en ressort plus. Le salaud m’a laissée en plan avec la vaisselle. Tout ça parce que j’ai refusé d’obéir à son dictat : je voulais bien me changer, mais à la condition qu’il me le demande sur un autre ton. Il s’est buté, moi aussi ; mais je ne suis pas conne au point de laisser traîner la vaisselle.


J’hésite un instant, cependant. Vais-je me changer ? Mettre une culotte ? Pour cela, il me faudrait rentrer, donner l’impression de baisser culotte… l’expression me vient à l’esprit mais le jeu de mots ne m’amuse pas. Je ne veux pas faire amende honorable, je n’ai pas envie de lui donner ce plaisir. Je garde mes distances. S’est-il seulement rendu compte que je n’avais pas de culotte ? Sûrement pas, il ne me regarde plus. Faites preuve de bonne volonté, voilà où ça mène. Je m’imaginais en train de roucouler dans des bras accueillants ; résultat : j’hérite de l’hôtel du cul tourné… Ma hargne se nourrit de mon dépit.


Il me faut pourtant récupérer les ustensiles et produits d’entretien ; je le fais façon « tornade blanche », avec le dédain qui convient. Il me regarde faire sans un mot. Je repars furieuse, et plus déterminée que jamais à ne pas m’en laisser compter. Ma rage persiste pendant que je trace mon chemin vers les sanitaires, ma bassine de vaisselle sale sous le bras.


Toujours brassant mes sombres pensées, je récure, lave et rince sans me rendre compte que mon voisin m’adresse la parole. Il me parle. Il me faut un moment avant de réaliser qu’il me fait du gringue. Je réagis de manière exagérée et déverse ma bile.



Le type, vexé, se détourne puis s’éloigne. Ma colère est tombée quand je reviens vers le camping-car ; j’ai l’intention de faire la paix. Greg est allongé sur le lit, il tapote sur son portable. Je pose la bassine sur l’évier et engage les pourparlers en quête d’un armistice :



J’ai l’intention de lui dire : « … on se chamaille pour rien, je voulais qu’on fasse l’amour, pas la guerre. Je t’aime ! » Une reddition sans condition en somme, pas facile à faire : on a sa fierté. J’hésite, cherche les mots… Suffirait d’un geste de bonne volonté de la part de mon conjoint mais il m’ignore, et pire, me tourne ostensiblement le cul alors que je cherchais son regard. Mes heureuses dispositions s’évaporent, la moutarde me monte au nez. Je ravale ma tirade et tourne les talons, non sans avoir auparavant récupéré mes cigarettes et mon briquet.


C’est dans ces moments-là que le tabac m’est indispensable. Je tire nerveusement sur ma clope en faisant les cent pas le long de l’allée principale et la parcours plusieurs fois avant de prendre conscience que je suscite la curiosité. Je me sens ridicule et m’apprête à rebrousser chemin, torturée mais pas encore tout à fait décidée à rendre les armes. Ai-je une alternative ? Le destin me la sert sur un plateau.


Un grand plateau, parce que le sumo sénégalais n’est pas moins volumineux depuis que je l’ai quitté en début d’après-midi. Je suis passée devant le fourgon plusieurs fois sans le reconnaître ; mais dès lors que son propriétaire est à son côté, l’évidence me saute aux yeux.



J’apprends qu’ils font de l’itinérance et privilégient un mode d’hébergement aussi peu onéreux que possible en excluant toutefois le camping sauvage, parce qu’ils ne veulent pas finir au trou.



Il parle de la jupe, bien sûr. Il m’examine, avec insistance ; réflexe professionnel ? Je ne connais pas cet homme depuis longtemps, mais il m’est néanmoins sympathique et il m’inspire confiance. En d’autres circonstances, j’aurais sans doute été embarrassée ; mais avec lui, je ne ressens pas de malaise, juste un peu de chaleur à la pensée qu’il pourrait me deviner nue sous ce minuscule habit. Mon énervement a disparu comme par magie, faisant place à la curiosité, pimentée par le piquant de la situation.



La flagornerie fait partie de son métier, mais je suis néanmoins flattée ; je minaude en retour :



Cet homme a une machine à calculer dans la tête, et en plus c’est un sacré comédien. Charmée par sa pantomime, j’en oublie mes déboires mais n’oublie pas mon indécence. J’accepte néanmoins de le suivre, bravant mes réticences autant que les risques, car il y en a à m’aventurer ainsi en territoire inconnu aussi peu vêtue.


Ils ont dressé une tente, en partie masquée par le fourgon dont les portes arrière sont grandes ouvertes et dont le plateau sert de siège sur lequel on m’invite à prendre place. Ibrahim, le sumo – je viens d’apprendre son prénom – fait de même, immédiatement à ma gauche, tandis que les deux plus jeunes se rassoient en face de nous sur des nattes posées à même le sol. L’un d’eux, Ahmed, prépare du thé selon la façon traditionnelle dans leur pays ; l’autre, Boubacar, m’explique. La procédure est curieuse et spectaculaire, mais au final la boisson est délicieuse. Je lippe du bout des lèvres : c’est très chaud, très sucré et parfumé à la menthe. Ils m’ont servie dans un petit verre, que Boubacar récupère lorsqu’il est vide. Une fois tous les verres rassemblés, Ahmed les remplit à nouveau, sans se soucier de les laver ou de les repérer. J’hérite d’un verre dont je suis sûre qu’il n’était pas le mien lors de la tournée précédente ; l’interversion ne semble pas les préoccuper. J’essaie de paraître aussi détachée à cet égard qu’ils le sont eux-mêmes et surmonte ma répugnance née de l’idée de poser mes lèvres sur des traces qui ne sont pas les miennes.


À la troisième tournée, j’y suis déjà moins sensible. Nous sirotons nos thés tout en bavardant du Sénégal, d’eux, de moi ; de mon mari aussi. Au sujet de ce dernier, j’en avais trop dit mais pas assez : il me faut revenir sur sa réaction face à la jupe que je porte. Et par la même occasion, je relate la raison pour laquelle je la porte, j’ai besoin de me justifier ; j’omets cependant de préciser que pour émoustiller mon zigoto, j’ai un peu anticipé le strip-tease projeté. Une petite cachotterie bien légitime ; du reste, cela me donne à penser que j’ai tort d’étaler ma vie : ma mère dit toujours que je parle trop, c’est mon côté fofolle, ça me joue des tours. Pauvre Greg ! Que dirait-il, s’il savait que je parle de lui ?



Je pense comme lui, mais j’éprouve néanmoins le besoin de défendre mon époux.



Nous en sommes venus au tutoiement un peu plus tôt ; mais, même si nous usons de cette familiarité, la question n’en frappe pas moins à cœur d’un domaine réservé qui ne le regarde pas. J’ai des choses à cacher dont je ne suis pas fière, ni honteuse d’ailleurs : c’est juste que ça ne regarde que moi. J’ai connu des aventures ; l’une a duré plusieurs mois et m’a laissé un souvenir douloureux : le salaud m’a larguée. Un con… Vais-je énumérer mes griefs sur la gent masculine ? Il s’en faut d’un rien…


Dans quel guêpier me suis-je fourrée ? Il est tellement agréable de parler de soi quand on a un auditoire complaisant ; j’éprouve du plaisir à m’exhiber de la sorte, à déballer ma vie, et pas que ma vie, d’ailleurs… Depuis le début, je me méfie des deux jeunes gens assis en face de nous ; je crains qu’ils n’en apprennent plus que je ne voudrais sur mon compte : ils sont idéalement placés pour découvrir ce que je m’efforce de dissimuler ; du moins, la pénombre de fin du jour est-elle une alliée. Je devrais briser là et rentrer, mais je ne le fais pas ; la situation et ces gens m’émoustillent. Je résiste au moins à la tentation de m’épancher davantage et évacue la question importune autant qu’indiscrète :



Je peux bien finasser et rabâcher, ma réponse n’en est pas moins à la fois trop laconique et pas assez spontanée. Mon interlocuteur a tôt fait de flairer le mensonge.



L’inquisition m’agace, je m’empêtre dans mes contradictions. J’ai envie de faire mon intéressante et clamer combien je suis libre, mais je devine l’exercice assez vain face à un public africain dont le machisme est proverbial. Pourquoi ce besoin de briller ? Ai-je besoin de séduire ? Je dois admettre que mes attentes sont pour le moins équivoques. Si j’ai oublié le ressentiment contre mon mari, c’est moins le fruit de ma mansuétude qu’un sous-produit heureux parce que j’ai d’autres grains à moudre. Un désir diffus né je ne sais où, ni comment, alimente une douce euphorie, et vibre au diapason d’arrière-pensées inavouables truffées d’exotisme. J’ai lu quelque part que l’hypothalamus pouvait être mêlé à l’affaire ; je veux bien croire que le mien tourne à plein régime, dopé à la dopamine et enivré de fragrances subliminales. L’intervention opportune d’Ahmed m’évite d’approfondir : il procède à une énième tournée de thé. On m’a expliqué que la règle prévoyait de servir au moins trois verres. Mais pour honorer l’invitée, c’est jour de fête ; « festivités nocturnes » est sans doute plus approprié : service à volonté. Je suis flattée de tant d’honneur, encore que je soupçonne que la théine pourrait bien avoir les mêmes effets que la caféine. Qui se soucie de dormir ?


Le sumo ne lâche pas son morceau.



La question tombe, abrupte, précise, incontournable, et dans le même temps le Noir a posé sa paluche sur ma cuisse. Ferais-je l’amour avec lui ? Je ne me suis même pas posé la question. En revanche, je me suis surprise à penser que Boubacar ferait bien mon affaire ; mais ils sont trois – on ne peut exclure la manigance – et je n’ai pas envie de me lancer dans une aventure compliquée. Il m’arrive de m’imaginer faire l’amour avec deux hommes, mais ce n’est qu’un fantasme, juste un fantasme.



Les ordres fusent en wolof, leur langue, m’ont-ils appris. Dans la foulée, les deux jeunes gens disparaissent sous la tente, emportant avec eux une des deux lampes à pétrole. La pénombre s’épaissit un peu mais je devine néanmoins l’interrogation dans le regard de celui qui est resté. Sa main est toujours sur ma cuisse ; il l’a ostensiblement rapprochée de la lisière de ma jupe et sa pression se fait plus lourde. Je suis assise, seule et vulnérable, à côté d’un homme qui transpire de désir pour moi. Une incompréhensible envie de rire monte dans ma poitrine ; je ne la retiens pas, je glousse. Il glousse aussi. Je suis sûre qu’il ne saurait, pas plus que moi, exprimer la raison profonde de son hilarité ; nos rires évacuent la tension, et en même temps contribuent à nouer une certaine connivence.


Ibrahim n’est pas mon premier choix ; il n’est même pas mon choix du tout. Je ne sais quelle alchimie commande le désir, mais le fait est : je suis volontaire pour le plongeon dans l’exotisme, quand bien même ce serait avec un sumo. Et à la réflexion, je me demande si mon subconscient n’a pas anticipé ce choix… Peut-être suis-je portée vers les gros : Greg lui-même n’est pas un modèle de minceur.


Le Noir devine que je suis consentante ; il délaisse ma cuisse, m’étreint et s’empare de mes lèvres. Sa langue m’envahit, véhiculant avec elle une saveur pimentée qui ne me déplaît pas. Je le laisse prendre la mesure du palais et passer la revue des détails : pas une dent ne manque, le voilà rassuré. Il ne me demande pas de lui rendre la pareille, et c’est aussi bien : je ne suis pas mûre pour prolonger les embrassades baveuses. Pendant qu’il m’embrassait, il a retroussé mon débardeur et découvert mes seins qu’il pelote avec une certaine vigueur. Ce n’est pas douloureux, mais pas agréable non plus ; je l’invite à plus de retenue, plus de douceur. Dès lors il se fait timoré, trop… C’est con un homme ! Si j’osais…


Comment lui dire que je ne déteste pas un peu de brutalité, mesurée, ponctuelle… C’est compliqué, je ne sais même pas ce que j’aime. Un jour, il me faudra réfléchir à ce sujet. Par exemple, je prends mon pied quand on martyrise mes tétons. J’adore quand on les étire, les roule ou les pince sans ménagement. C’est pour moi une douleur tellement jouissive : orgasme garanti si elle est appliquée au bon moment. Mais si on va trop loin, trop vite, à contretemps, ou que sais-je encore… Ça fait mal, trop mal, ça gâche ; allez y comprendre quelque chose… Ce genre de chose est difficile à expliquer et plus encore à maîtriser, surtout avec un amant de passage.


Si je suis à l’écoute de mes sens, je ne me fais pas pour autant d’illusions ; je n’attends pas d’Ibrahim plus de plaisir qu’il ne peut me donner : celui de l’incongruité, à coup sûr, et peut-être celui de la découverte. Espérer davantage est utopique, je le sais ; il faudrait que nos corps s’apprivoisent, et nous n’en avons pas le temps.


Sur ces entrefaites, Ibrahim entreprend de m’ôter le débardeur. Docile, je lève les bras quand nécessaire. J’en profite pour dénouer ma queue de cheval et réarranger ma coiffure. Ce faisant, l’idée me vient : j’en rajoute un peu et brandis ma poitrine en appas ; il n’y résiste pas, y plonge le nez, suçote un téton, le lèche et le mordille alternativement. Pas mal… Il n’est pas manchot : dans le même temps il caresse mon ventre, la hanche, à nouveau mon ventre, le nombril. Ses doigts viennent buter sur mon dernier vêtement, glissent sous le cuir… Je pressens qu’il vise ce foyer que guignent les hommes. Sans doute est-ce le cas, mais auparavant l’homme prend le temps de déboutonner ma jupe. Il commence par la ceinture, puis le deuxième bouton, puis le suivant… et découvre que je suis nue. Il s’est raidi, je l’ai ressenti. J’aurais aimé en savoir plus, mais je ne peux voir son visage et son sexe n’est pas à ma portée. Son sexe ? Je ne sais pas trop à quoi je peux m’attendre ; mais l’exotisme aidant… Je pourrais partir en quête et satisfaire ma curiosité, mais je ne suis pas assez délurée, pas assez volontaire. Lui n’est pas de cet avis.



Si ça lui chante ! Et ce disant, il écarte mes cuisses. Ses doigts s’insèrent dans ma fente, déjà passablement humide, font deux ou trois allers-retours de haut en bas, de bas en haut avant de repérer et déloger le clitoris qu’ils étirent, roulent et triturent avec une certaine vigueur. Je gémis sous le supplice. Il n’a cure de ma plainte dont il s’amuse à moduler la tonalité, puis soudain :



Et après ça, on me dira que les hommes sont concentrés sur le plaisir qu’ils nous donnent ; comme si c’était le moment de débattre de l’excision de ses compatriotes ! Je ne lui en veux pas ; mes propres pensées se dispersent aussi.



J’anticipe la suite, déjà dans ma tête, et me soucie de sécurité. Le voici qui beugle, un échange oral, puis Ahmed rapplique et me tend une boîte de capotes. On nage en plein délire, je suis ébahie. J’ai beau ne pas être pudique, ce n’est quand même pas tous les jours que je me montre à poil devant le premier venu. Et on me réserve encore une surprise.



Il me fait mal. Je me rebelle, referme le compas. De son côté, le jeune homme manœuvre. Je ne le vois pas, mais je sens qu’il saisit mes chevilles, place mes jambes sur ses épaules. Je proteste, regimbe…


La prise a pour effet de surélever mon bassin ; je me retrouve dans un équilibre atypique, en appui sur mes omoplates, tête en bas. Je n’ai pas encore pleinement réalisé ce qui m’arrivait ; je sens la tête du jeune homme forcer mes cuisses, il prend position, sa langue remplace les doigts de son aîné : elle est diabolique. En mon for intérieur, je sais déjà qu’ils ont gagné la partie mais je gigote encore, sans conviction. Du cinéma, histoire de garder la face. En vérité, je n’ai plus que le désir de me montrer obéissante. Insensiblement, je relâche mes muscles, desserre l’étau de mes cuisses et tends le bassin, désireuse d’offrir ma fleur à butiner. Le mâle fouille de la truffe et déniche le bouton déjà passablement sensible. Je sens qu’il s’en empare, le roule de sa langue et aspire, aspire… La Terre peut arrêter de tourner, je m’en fiche.


Ibrahim ne reste pas inactif ; il s’installe sur le téton qu’il n’a pas encore honoré. La sensation n’est pas aussi puissante que celle que me procure son cadet, mais les deux se complètent délicieusement, l’orgasme pointe à l’horizon. Je ne fais rien, juste attendre et guetter l’éclosion ; c’est divin.


La suite n’est pas moins géniale : ils m’ont gratifiée d’un premier orgasme, un autre s’annonce… Je pense qu’ils s’en sont rendu compte. Ils me savent à leur merci et redoublent d’énergie. Ahmed s’empiffre pire que jamais, le groin dans mon marécage, et Ibrahim n’en finit pas de me téter l’un et l’autre à tel point que mes bouts sont gonflés et douloureux.


Fatal qu’après un tel traitement, les appendices sollicités par l’un et l’autre soient hypersensibles ; l’épreuve vire au supplice, un réel supplice où la souffrance l’emporte sur la jouissance : je ne peux simplement plus supporter qu’on touche mon clito ou l’un de mes tétons. Greg serait à l’ouvrage, je l’inviterais à cesser sur le champ puis à me couvrir pour me pénétrer sans manière ; j’en ai envie, terriblement envie. Greg ! Greg ! Grrr… Cela aurait dû être lui s’il n’avait pas été si con… Depuis combien de temps ne m’a-t-il pas fait une lichette ? Un an… Plus peut-être.


La vindicte n’est pas absente dans ma décision d’engager la suite. Il m’est loisible d’amener le visage du sumo à ma portée ; c’est à mon tour de m’emparer de ses lèvres et ce que je lui ai refusé, je le lui offre maintenant. J’expédie ma langue en éclaireuse. Il me laisse pénétrer ; nos langues s’apparient et luttent un moment, assez longtemps, puis je décide de me retirer. Je ne sais pas si j’ai aimé – pas tellement à vrai dire – et la référence à Greg est toujours là dans un coin de ma tête. J’ai des regrets de m’être embarquée dans cette aventure et mon désir est un peu tombé ; je suis pressée d’en finir.



Je n’ai pas pris la peine de jouer l’énamourée. L’idée d’en rester là m’a effleurée, mais je ne suis pas du genre à me défiler à mi-parcours.


Si je suis nue, lui ne l’est pas. L’exécution de mon injonction implique des préalables pendant lesquels survient une controverse à laquelle je ne comprends goutte, vu que je ne parle pas wolof. Le maître m’explique que son assistant veut me photographier et que lui ne veut pas.



Qu’a-t-il donc de si remarquable ? Je vérifie à l’aveugle : une boule gorgée de sang, bien ronde et très sensible jusqu’à en être douloureuse. Le prendre en photo ? Cela m’amuse plutôt ; pourquoi pas ? Pourvu que la chose reste anonyme.



Je n’ai pas du tout envie de retrouver ma bobine sur Facebook ou ailleurs. Sitôt dit, sitôt fait : les flashes crépitent ; je demande à voir. Plus porno, tu meurs ! On parle parfois de « moule » pour désigner le sexe féminin, je comprends pourquoi. Des photos d’une moule géante, béante et écarlate, parée d’une perle phénoménale, défilent sous mes yeux. Je sais : ordinairement, les perles sont associées avec les huîtres, pas avec les moules. Mais ma moule à moi est un hybride à part.


Pendant ce temps, Ibrahim a fini de se déshabiller ; on pressent le muscle sous la graisse : il dégage une impression de puissance, de force, et j’ai déjà remarqué combien il est agile malgré son embonpoint ; mais question sexe, il n’est pas mieux loti que monsieur tout-le-monde. Dans un sens, je suis déçue : j’étais persuadée que les Noirs en avaient une plus grosse. Je ne sais pas où je suis allée pêcher cette idée. Des fois, il y a des utopies qui s’enracinent dans un coin du cerveau et qui ne vous lâchent plus. Par exemple, je ne peux pas me défaire de l’opinion qu’un grand costaud en a davantage dans le slip qu’un petit malingre, alors que ça n’a rien à voir ; et je suis pourtant bien placée pour savoir : Greg est une force de la Nature ; mais comparativement, son zizi est immature. Je ne veux pas donner l’impression d’être obnubilée par les queues, mais comment éviter d’en parler ? C’est un facteur important. Avec Chantal, on en parlait souvent ; on se disait tout. Alors, les quéquettes, vous pensez, on les passait aussi sous la toise.


Tout compte fait, je suis tarte ; j’aurais pu deviner depuis longtemps : la boîte de capotes est devant mon nez, estampillée « taille standard ». Ibrahim opte pour une rose : c’est drôle, un sexe de Noir vêtu de rose.


J’ai toujours été convaincue que les amours à la sauvette n’étaient qu’un pis-aller. Il y manque la complicité amoureuse que l’on a avec l’être aimé, comme celle que j’ai connue avec Charles durant les quelques mois où l’on s’est aimé, ou comme celle que j’avais autrefois avec Greg quand il daignait me regarder. A contrario, les coucheries d’un soir marient les égoïsmes : on n’a pas besoin de se connaître, on ne veut surtout pas se connaître. Ces soirs-là, ce n’est pas le moment pour se faire plaindre ; mieux vaut oublier, exunt les petits bobos et autres handicaps.


En vérité, le sumo ne se plaint pas de son handicap ; moi si ! Je ne l’ignorais pas, mais je n’en avais pas pleinement pris la mesure. Ce type pèse au moins cent-cinquante kilos ; il m’immobilise. Ma camisole est cependant assez confortable, moelleuse et douce, quand il s’efforce de la rendre légère. Ce n’est pas toujours le cas : je sens la charge dès lors qu’il se laisse aller. Il me pénètre, mais cela ne va pas sans peine ; il me faut le guider. Le plus dur est pour parvenir à glisser mon bras entre nos deux corps, si bien qu’à la troisième fois – car il a des ratés – je l’y laisse, en position au cas où, et j’en profite pour lui masser les testicules, l’un après l’autre, à tour de rôle. On dit que les hommes adorent ça ; a priori, cela contribue à accélérer la venue de l’éjaculation. Je crois que c’est vrai :



Tu parles ! Je continue de plus belle ; il se retire et se redresse. Loupé : il n’a pas éjaculé. Il souffle quelques secondes et s’apprête à reprendre le collier. Je dois avoir un drôle d’air ; il comprend que je suis lasse.



Il se marre face à mon incompréhension mais ne m’éclaire pas. Il prend les choses en mains, dit-il ; et pour commencer, il me fait sortir du véhicule le temps de dégager suffisamment de place. À l’extérieur, Boubacar et Ahmed, assis sur les nattes, fument et regardent le dernier tube à la mode. Les photos du mollusque avec sa perle phénoménale défilent sur l’écran du portable ; d’autres suivent où l’on devine une blanche embrochée par un Noir obèse. Mon visage est parfois visible, mais par bonheur les traits sont noyés dans la pénombre.



Net et sans bavures ! Cette histoire de photos me reste en travers de la gorge. Qu’est-ce qui me garantit qu’ils ne vont pas dépasser les bornes ? Je tiens à mon anonymat. Ibrahim, auquel j’en touche un mot, me rassure : plus de photos, il fait le nécessaire.


Il baragouine un moment puis on en revient à nos affaires. Il dicte ses directives et me place dos sur le plateau, jambes en l’air. Lui s’agenouille devant moi ; je comprends enfin où il veut en venir. L’entracte et l’épisode des photos m’ont quelque peu refroidie : le thermomètre de ma libido indique le froid. Monsieur titille du doigt et du gland et ne dédaigne pas d’y cracher un peu. Il ne doit pas aimer les fruits de mer, à moins qu’il n’y soit allergique ; en tout cas, il n’y goûte pas. Je sens bientôt son doigt s’enfoncer dans mon vagin. Il s’y affaire un moment puis se retire et introduit son membre ganté, lequel pénètre sans difficulté. Cette position est plus confortable, plus efficace aussi. Mon désir qui a timidement refait surface pendant qu’il me branlait, grandit et reprend les rênes. C’est lui qui conduit quand j’accompagne le mâle dans sa quête et porte mon bassin à la rencontre de ses bourrades. Une fois dans le rythme, le maintien de la cadence se fait sans effort ; je m’agrippe à ses cuisses pour renforcer mon appui et impulser plus d’élan. Quand les signes annonciateurs de sa prochaine éjaculation se manifestent, j’accélère encore le mouvement, course désespérée pour le rattraper ; en vain. Il explose, puis relâche dans la foulée. Pourquoi ai-je feint l’extase et mimé quelques gémissements alors que je suis frustrée ?



Il est content, il va me foutre la paix : voilà pourquoi ! Sinon, il aurait été foutu de vouloir recommencer. J’essaie de me finir en me branlant. Je me croyais discrète et n’imaginais pas être démasquée. Tout faux ! Je ne l’ai pas vu approcher et le découvre seulement quand il ajoute son doigt pour seconder le mien. Boubacar est probablement le plus jeune des trois, et à coup sûr le plus beau. S’il y a place pour des dieux noirs au sein de l’Olympe, alors son sosie y est, à n’en pas douter. Son teint est très noir, un noir uniforme et sans nuance ; de ce point de vue, il ne peut renier son origine. En revanche, ses traits sont fins, réguliers et symétriques, effigie rare d’un Apollon noir. Le genre de personnage que l’on ne croise pas avec indifférence, sur lequel on se retourne. L’attrait de sa présence avait contribué à donner du lustre aux camelotes dont Ibrahim me faisait l’article. Quel âge a-t-il ? Vingt ans tout au plus, plus jeune que ma fille. J’ai honte de me laisser branler par un gamin, mais je ne me sens pas la force de le chasser : il est si beau ! Je peux l’admirer tout à loisir pendant qu’il opère ; j’ai ouvert le compas au maximum pour lui permettre d’œuvrer à l’aise. Il alterne : tantôt il roule le clito, tantôt il introduit deux doigts, puis trois, puis quatre, distendant mon vagin dans tous les sens. Le plaisir monte…


Il monte bien plus encore quand il s’avise de planter le nez dans ma vulve. À l’instar de son compatriote, il se concentre sur mon bouton d’amour ; je le soupçonne d’engager la compétition, quêtant le même genre de trophée que l’autre a immortalisé. Je n’ai pas l’intention de m’en laisser compter, j’ai d’autres projets.



Il a tôt fait de se débarrasser de son boubou : il est nu, modèle parfait pour les artistes de la Grèce antique. La boîte de préservatifs est à portée ; j’en récupère un que j’extrais de son emballage de protection : il s’avère être de couleur vert pomme. Va pour le vert pomme, taille standard, du reste bien suffisante. J’ai connu des Blancs mieux dotés. Mais comme chacun sait, la taille ne fait rien à l’affaire ; n’empêche…


La position du missionnaire ne lui convient pas, il me veut en levrette. Va pour la levrette. Un vrai lapin : il s’enfonce et me défonce à cent à l’heure. La fusée décolle et je n’ai rien vu venir ; je ne suis même pas absolument sûre qu’il ait éjaculé.


Me prend-on pour une barge ? Le mouvement de troupe ne me trompe pas. Du reste, c’est du gros calibre, du très gros calibre qui s’est logé dans mon vagin ; rien à voir avec le précédent. Je me rebiffe, me dégage et me retourne : Ahmed est là, face à moi, nu, bras ballants. Je ne vois qu’une chose : un mandrin colossal dressé à la verticale. Je suis éberluée, époustouflée. Je l’ai eu dans le ventre, mais je n’avais pas imaginé qu’il puisse être aussi énorme. J’ai failli ne pas voir qu’il n’avait pas mis de protection, défaut rédhibitoire.



Coup de folie ! Je n’ai plus ma tête ; je m’entends proposer de régler le problème. Le latex, par nature, n’est-il pas extensible ? Et quel plaisir de procéder ! Ensuite je le branle pour mettre tout bien en place et m’amuser avec un aussi beau jouet. Je n’en ai jamais vus d’aussi arrogants, sinon sur des vidéos pornos, des machins probablement retouchés. Là, j’en ai un en vrai ; un vrai de vrai dont je peux vérifier l’authenticité : il est dans mes mains ; et bientôt à nouveau dans ma chatte. J’en salive. Je n’avais pas prévu de me taper trois types ; mais là, c’est un cas de force majeure, une occasion comme celle-là ne se représentera plus jamais. L’engin est superbe, légèrement courbé, magnifiquement impertinent et délicieusement nerveux. Manque de bol ! La capote bâille : elle s’est éventrée sans bruit, sans prévenir. Le deuxième essai conduit à la même catastrophe. Je suis effondrée : adieu veaux, vaches, cochons, couvées…



Tant que je tenais une piste, je n’ai pas prêté attention à ses allégations. Maintenant, je suis moins hermétique ; je dois me rendre à l’évidence : la chance de ma vie va me passer sous le nez. Ça fait réfléchir quand même. Sûr que Chantal me dira que j’ai été trop conne si je lui raconte que j’ai laissé tomber. Il fonce dans la cabine et revient avec un portefeuille de la taille d’un agenda, dans lequel il farfouille un moment avant de dégotter une feuille qu’il déplie, puis une autre et une autre… Elles sont toutes à l’en-tête du même laboratoire, et toutes spécifient qu’il a été dépisté négatif au VIH. Ces récépissés font état de contrôles réguliers ; le dernier est daté du 16 juillet, soit quinze jours d’ancienneté tout au plus. Pourquoi tant de contrôles ? Je m’inquiète.



Il n’a pas très bien compris ma question : je m’enquérais de l’utilité de la conservation et non du lieu de la conservation ; mais peu importe, j’en profite pour satisfaire ma curiosité.



J’avais bien vu que le fourgon servait de résidence, mais je n’imaginais pas que c’était à longueur d’année ou presque. Les aménagements comportent des niches où j’aperçois des choses personnelles qui ne sont manifestement pas destinées à la vente : brosses à dents, dentifrices, rasoirs, savons, shampoing, couverts, biscuits ; de tout : les bricoles de tous les jours… Cela me paraît quand même assez bordélique. Devant moi, sous mon nez, un réveil : il est tard. Il me vient à l’idée que Greg doit se faire du mouron ; tant mieux ! Qu’il marine un peu dans son jus, cela lui fera le plus grand bien.


Il me faut trancher : c’est oui ou c’est non. Suis-je objective ? Mon inclination fredonne la mélopée des sirènes. Autant dire qu’Ahmed prêche une convaincue, et dès lors que je suis décidée, rien ne pourra plus me faire abandonner la partie. Un zouave aussi bien monté, nombre de femmes se feraient damner pour être à ma place. Certes, il n’est pas si beau que Boubacar ; vingt-cinq, peut-être vingt-six ans, trapu, plutôt court sur pattes. Espérons qu’il aura du punch. De toute façon, il ne fera pas pire que son copain. Celui-là, tout beau qu’il est, n’est vraiment pas un bon coup. Ou bien… pas encore. Peut-être faudrait-il le prendre en main ? Quoi qu’il en soit, ce ne sera pas moi.








Le spécimen me nargue, il est encore vêtu de la protection défectueuse ; je l’en débarrasse puis, une fois nu, entreprends d’en faire le tour. Mon examen est aussi bien visuel que tactile et gustatif. Je goûte, je lèche, je mâchouille, je palpe et branle à ne plus savoir où donner de la tête et de la main. Je ne me lasse pas d’explorer ce mât somptueux. Lui est plus impatient ; mes mignardises l’agacent, il sent venir le jus et craint de gicler avant d’avoir tiré son coup.


L’annonce m’alarme ; je stoppe mes agaceries et fais en sorte de faire baisser la pression. Dès lors, je le laisse décider. Il dit avoir un faible pour la position dite de l’Amazone ; à croire que les Sénégalais apprennent tous le Kâma-Sûtra… Pour une fois, je sais de quoi il retourne et suis d’accord. Il n’est pas long et apporte un solide tabouret sur lequel il prend place ; je m’assois à califourchon sur lui. Dans le mouvement, j’ai placé le gland de son sexe à l’entrée de ma grotte. Je l’y introduis à petits coups de reins ; lui joue les touristes : une de ses mains explore ma fesse, l’autre mon sein ou tantôt titille le téton.


Dans cette position, c’est moi qui commande. Je m’arrange pour conduire une pénétration lente et continue, puis m’attarde en bout de course, savourant l’impression enivrante d’être remplie, et bien remplie ! Si je ne me retire pas, je ne reste pas pour autant inactive, loin de là. J’alterne des ondulations du bassin et la contraction des muscles vaginaux ; je m’inscris dans la durée : marre des éjaculateurs précoces ! Dans le même temps, je lui donne mes tétons à lécher, puis mes lèvres. Je viens de réaliser que je ne l’ai pas encore embrassé et que j’en ai envie. C’est parti pour la galoche ; la visite de son palais me laisse un goût pimenté semblable à celui que j’ai trouvé chez son aîné, ce qui me donne à penser que je sais désormais ce qu’ils ont mangé pour dîner. Ne ferais-je pas un excellent détective ? À part ça, il lui manque une molaire. J’y cale le bout de ma langue quand la sienne cherche à me déloger. Elle est plus costaud que la mienne ; du coup, il me refoule dans mes quartiers et vient y dicter sa loi.


Ce type a de la ressource, il lutte sur plusieurs fronts. Pendant que nos langues bataillent, il entreprend de mouvoir mon bassin. J’imagine qu’il me trouve un peu trop statique ; il assure sa prise au niveau des hanches, et alternativement m’attire et me repousse, m’invitant à poursuivre moi-même ces mouvements d’avant en arrière que je suis censée conduire. Puisqu’il le veut… Je m’y colle. Je ne nie pas le plaisir que j’y trouve, mais le prix à payer se mesure en litres de sueur. Je transpire par tous les pores, je fonds, je dégouline. Il m’aide, c’est vrai… Ses battoirs plaqués sur chacune de mes fesses accompagnent ma poussée à chaque rentrée sur le piston ; il se réserve surtout pour la fin de course : il donne alors la puissance et fait en sorte que son sexe s’enchâsse au plus profond dans le mien. Je voulais des sensations, je suis servie… Je monte au septième ciel bien avant qu’il n’éjacule et j’y reste, âme errante en stratosphère. Ma félicité gagne un nouveau sommet quand sa verge soubresaute en moi et largue sa semence. Portée par l’élan de communion et la reconnaissance, je baise ses paupières, ses joues, ses lèvres et partout sur son visage.


Nous sommes toujours dans les bras l’un de l’autre, lui sur son tabouret, moi à califourchon sur ses cuisses. Il s’est laissé aller le nez dans ma poitrine, je sens la chaleur de son haleine sur mon sein. Moi, je suis lessivée ; je souffle, le menton en appui sur la tête crépue. Je récupère, les yeux fermés pour plus de concentration, et j’aurais très bien pu ne pas les rouvrir. Je l’ai fait cependant : une tête dépasse au-dessus de la haie de séparation. Je n’en distingue pas les traits, noyés dans la pénombre de la nuit ; ce n’est pas un Noir. À dire vrai, je m’en fous, mais l’impudence du voyeur m’irrite ; je suis sûre qu’il sait que je l’ai vu. Ahmed prend conscience de ma distraction et l’aperçoit à son tour. Son sang ne fait qu’un tour, il est déjà en chasse. Une altercation, des mots, c’est fini…


Moi ? Je râle… Je m’efforçais de garder la bête en moi. Le vide me donne une impression bizarre ; des pertes s’écoulent, du sperme. Il poisse mes cuisses et ajoute au sentiment d’inconfort né de ma transpiration, abondante après tant de fougue.


Ahmed est de retour ; la bête est devant moi : elle luit et pendouille, mais reste un sacré morceau, même au repos. Il me vient à l’idée qu’il me faut une preuve pour Chantal, sinon elle ne me croira jamais.



J’adore ce mot : bite, bite, bite… Je ne me lasse pas de le répéter, mentalement s’entend. Il me passe son appareil ; je cadre et recadre…



Vingt photos, c’est du lourd ! Je fractionne l’envoi : pas envie qu’il y ait de la déperdition pour cause des filtres des serveurs de la messagerie électronique. Je lui rends son portable. Il jette un œil, puis tapote.



J’y compte bien ! Il ne m’a pas échappé que je lui donnais mes coordonnées en utilisant son propre logiciel ; et pour faire bonne mesure, j’ai même laissé traîner le numéro de mon téléphone portable. J’entrevois l’éventualité d’une suite…



L’exclamation vient du cœur ; pendant un bref instant, je m’imaginais lui plaire… J’oubliais la copine ! J’ai un talent certain pour m’illusionner ; cela va de pair avec mon côté schizophrénique. Cela fait mal ; il ne faut pas s’étonner si en règle générale je préfère me prémunir et étouffer les bouffées de sentimentalisme intempestives.








Il n’est pas loin de deux heures du matin ; de temps en temps, on entend les ronflements des deux autres : ils dorment dans la tente.



Lui-même marque aussi la fatigue, je le sens impatient de se débarrasser de moi. Il est en train de préparer sa couche au cul du camion, là où j’ai souvenir d’avoir fait des galipettes avec le sumo. J’y récupère mon débardeur. Ma jupe a ripé au sol, sur les nattes ; elle est souillée par un préservatif bréneux dont le réservoir s’est partiellement déversé. Cela fait une large tache sur le cuir ; je crains que ce soit irrémédiable.



Me voilà dotée d’une serviette dans laquelle je m’enroule et du nécessaire pour la toilette.



Congédiée, je suis congédiée… Un Kleenex qu’on jette ; tous pareils ! Tristes à mourir. Je ramasse mes affaires. Il me consent un bisou distrait puis il s’allonge et me tourne le dos ; tout juste si je ne l’entends pas déjà ronfler. Les veilleuses du camping et la voûte étoilée éclairent mon chemin. J’ai le cœur gros ; solitude, mélancolie… Je m’éloigne, mal dans ma peau, pitoyable, et n’entrevois pas d’emblée le voisin près de sa caravane : il m’attend, le visage enlaidi par la haine.



La peur au ventre, je passe à petits pas rapide, mon barda sous le bras, une main pinçant la serviette sur ma poitrine. J’attends d’être à bonne distance avant de cracher mon fiel et évacuer ma frousse autant que mes contrariétés.



Pluriel de rigueur : je m’adresse à lui et à tous les cons de la terre.








Il y a de lumière dans le camping-car ; Greg ne dort pas. Je passe en douce et file direct jusqu’aux sanitaires. Au retour, j’approche avec des ruses de Sioux ; mon intention est d’espionner au travers d’une vitre. Pas nécessaire : Greg est assis à l’extérieur, affalé sur la table ; il dort. Je me glisse en silence à l’intérieur de l’habitacle. En d’autres circonstances, je l’aurais réveillé pour qu’il rejoigne notre lit, mais là je ne peux pas me le permettre. Demain, il aura mal partout.








Je dors mal, l’énervement, la chaleur… Greg est collé à moi, nu lui aussi ; je ne l’ai pas entendu se coucher. Son bras est en travers de ma poitrine. J’essaie de me dégager ; il ne dort pas.



Sa voix est chaude, engageante, la voix de quelqu’un qui en a gros sur la patate et veut se faire pardonner. Je ne suis pas rancunière, et quoi qu’il en soit ma conduite a effacé l’ardoise : désormais, c’est moi qui suis débitrice. Au diable les comptes d’apothicaire !



Je le connais : il est capable de me préparer un buffet. Je ne veux rien manger. Pendant qu’il toupine près de la cafetière, il engage les dernières formalités de la réconciliation.



Tout à fait crédible ! Je mets quiconque au défi de prouver que j’ai menti. Le voisin des Sénégalais n’a pas tort : je ne suis qu’une salope, une grosse salope.








Il n’est pas tard, mais on décide malgré tout de ne pas reprendre la route et de s’accorder une journée de repos pour récupérer ; nous avons tous les deux la tête dans le cul, si vous me passez cette expression familière. La direction de l’établissement nous confirme son accord et nous informe que la plus proche épicerie est en ville, à moins de trente minutes à pied. Le camping propose un service de navettes à la demande, un peu moins chères qu’un taxi.


La navette de midi nous dépose sur le parking d’un supermarché à l’entrée de la ville. Le magasin est ouvert ; nous projetons de faire des courses, mais plus tard, juste avant le retour, ce qui évite d’avoir à se les coltiner trop longtemps. Nous entrons malgré tout pour nous rafraîchir : la clim souffle un air glacé et mon ogre souhaite acheter des sandwiches, il a la dalle. Moi ? Rien, merci : la hantise du kilo me suffit.


En chemin, nous traversons le champ des nippes ; je musarde, déplace un ou deux cintres. Je n’ai pas l’intention de faire chauffer la carte mais je regarde ; c’est mon habitude et ça ne coûte rien. Habituellement, mon mari ne supporte pas que je batifole, il me laisse en plan et nous nous retrouvons plus tard ; cette fois, pas du tout : il fouille et farfouille avec moi au point que je me sens obligée de rappeler :



Il est posté devant une rangée de jupettes en jean, à peu près aussi courtes que celle en daim qu’il dénigrait la veille, point de départ des suites que j’ai contées plus avant.



D’ailleurs, pour ne pas lui déplaire, je me suis habillée en nonne. Pas tout à fait quand même, mais c’est du long : une robe portefeuille, mi-mollets, croisée derrière façon dos-nu et liens à nouer devant. Je la porte sur une culotte en coton, très sage, genre barboteuse que j’achète par lots : c’est affreux, mais confortable. En vérité, il ne m’est même pas venu à l’esprit de mettre plus affriolant, car au matin je me suis aperçue que j’avais encore des pertes douteuses ; j’ai donc assuré.



J’ai dû louper un épisode. Je baisse les bras et lui rappelle simplement que je n’ai pas l’habitude de porter mes habits deux jours de suite. Il devrait savoir ça, lui qui chante à la cantonade que je ne possède pas moins d’une tenue pour chaque jour de l’année. À mon avis, il est encore en dessous de la vérité mais je ne vais pas lui dire. Il m’a aménagé un dressing uniquement pour moi et il n’y suffit pas ; je mords encore sur ses quartiers, et il râle qu’il n’a plus de place pour ses affaires.


En ce qui concerne la jupe en cause, je préfère en rester là : je ne vais évidemment pas lui dire qu’elle a été souillée par une capote embrenée. Mais Greg n’en est déjà plus là ; c’est un pragmatique, et son sujet du moment c’est ce qu‘il a devant les yeux.



Quand il a quelque chose en tête, il ne l’a pas au cul ; il a toujours été têtu, mais son attitude défie les lois de notre ordinaire. Qu’est-ce que ça cache ? Perplexe et sur mes gardes, j’obtempère et sélectionne trois unités, puis me dirige vers la cabine. Celle-ci est unique et donne directement sur l’aire de vente ; elle est vaste et équipée d’une porte. Elle est libre ; au demeurant, il y a peu de monde dans le magasin : c’est manifestement une heure creuse.


Complètement frappé, mon bonhomme ! Lui qui n’assiste jamais à mes essayages, se targue de donner son avis ; et pour mieux se rendre compte, il insiste pour que j’ôte ma robe, s’il vous plaît, quand bien même ma poitrine serait libre. Ce modèle de jupe ne me va pas mal du tout ; la deuxième que j’ai essayée est sans doute la mieux à ma taille. J’envisage de la réessayer et m’apprête à ôter celle que je porte quand Greg me bouscule et me coince dans l’angle de la cabine.



Ça fait plus d’un mois qu’on n’a pas fait cric-crac ; si vous ajoutez le lieu, avouez qu’il y a de quoi être abasourdie. Je vérifie, et de fait il est dur, très dur. Même s’il n’est pas énorme. Mais il est vrai que depuis quelque temps, je suis un peu déboussolée ; mes références et mes repères sont en pleine restructuration. Quoi qu’il en soit, il bande. Il me fait des bisous partout sur le visage et dans le cou, et ses mains ne sont pas en reste. Je ne suis pas chienne, ou bien le suis-je ? Toujours est-il que je lève la jambe puis l’autre, tout ceci afin de l’aider à s’emparer du butin dont il embarque la défroque, non sans quelque dédain.



Quand je vous disais qu’il ne me regarde plus ! Ça fait des années que je suis abonnée à ce genre de dessous et il lui a fallu attendre dix ans avant de me faire sa remarque. Il est vrai qu’il ne les voit pas beaucoup : il se couche toujours deux ou trois heures après moi, si pas plus. Alors… Bon, ce n’est pas le moment de récapituler mon réquisitoire. Procédons par ordre.



Elle ouvre vers l’extérieur, il faut plus que tendre le bras ; quand il s’en revient, il est déjà débraguetté, sexe brandi. Il retrousse ma jupe et me pénètre. C’est un rapide, mon Greg, et une force de la nature : il supporte tout mon poids. Je plaisante… Je contribue à cette précipitation car, tout comme lui, le désir m’embrase ; il y a du piquant dans ces amours subreptices.


Pas si clandestines que ça, malheureusement : on frappe plusieurs fois à la porte ; les coups sont forts, alarmants.



On obtempère à la deuxième sommation ; entre temps, j’ai réenfilé ma robe. La mine outrée d’une vendeuse apparaît dans l’entrebâillement et derrière elle, la face sévère d’un vigile.



Greg sort ; le vigile lui demande des comptes. Nous restons face à face, la femme et moi. Je lui tends les deux jupes que je ne veux pas garder.



Elle nous épiait ? Mon sang bout : qu’elle aille se faire foutre ! Je renonce à me disculper. Je soulève ma robe et me débarrasse de l’objet du prétendu délit. L’employée prend un air pincé en me découvrant nue, ramasse la pièce à conviction et tourne les talons en affichant ostensiblement son dédain.


Il n’y a pas de suite, sinon un sermon bien superflu… N’importe ! Une fois dehors, nous nous esclaffons dans les bras l’un de l’autre. Il y a longtemps que nous n’avons pas partagé une telle complicité. Nous n’avons rien acheté, Greg n’a pas mangé, il a faim, nous verrons ailleurs. En attendant.



Inutile d’essayer de le raisonner ; et tout compte fait, son initiative me réjouit : je retrouve le Greg d’il y a dix ans, insouciant, pétillant, joyeux et… à mes pieds. Un type à ma botte, quoi !








J’ai bu du thé vert, Greg une bière et un sandwich ; la vie est belle, le soleil brille. Nous reprenons la route. Passé l’église, sur le parvis : la foire ; je n’ose pas écrire que je suis surprise, vu que je le savais : les Sénégalais m’en avaient parlé la veille ; je suis néanmoins déconcertée… Je les avais chassés de mon esprit et ne pensais plus tomber sur eux… Je les aperçois non loin, en bordure de la route. Je manœuvre pour les éviter mais Greg va se fourrer dans la gueule du loup. Il n’en loupe jamais une… Grosse angoisse ; mon pouls bat la chamade, mes jambes sont en coton et le monde extérieur ne me parvient plus qu’au travers d’un filtre assourdi.


Le sumo a entrepris mon mari. Étrange : même taille, même corpulence ; j’aurais cru le Sénégalais plus gros, plus lourd. Je lui donnais cent-cinquante kilos, et aux dernières nouvelles son sosie blanc – que j’ai épousé en justes noces – ne dépasse pas cent-quinze ; comme quoi les impressions sont très subjectives. « Y a pas, me faut y aller avant qu’il n’arrive d’autres catastrophes, genre une jupe en daim inopportune. La première a causé tant de charivari, inutile de tenter à nouveau le diable. »



J’esquive et me pends de toutes mes forces au bras de mon balaise.



Ibrahim nous laisse aller ; Ahmed et Boubacar, que j’aperçois près du camion, ne mouftent pas non plus. Je souffle : nous sommes passés à deux doigts de l’incident diplomatique. Greg s’étonne.



On en reste là. Il a passé sa main sous le pan de ma robe et caresse ma fesse nue ; je le laisse faire. Nous quittons la place et nous enfilons dans une ruelle sombre en légère déclivité. Nous ne l’avions même pas vue, coincée entre un jardin en surplomb et la salle des fêtes. C’est en passant devant que nous découvrons le passage et en supputons la potentialité. Nous longeons le mur borgne du cinéma ; derrière celui-ci, un terre-plein ombragé, bordé par une rivière en contre-bas, et à l’abri sous la canopée d’un énorme platane. En face, le jardin : pas l’ombre d’une habitation en vue, pas un bruit, hormis la comptine de l’eau qui ruisselle. Deux voitures y sont garées, il y a place pour une autre mais pas plus ; l’endroit est néanmoins discret. Mon zigoto est le premier à réagir, il m’encoigne ; je me rebiffe, ça pue l’urine.



Qu’à cela ne tienne ; nous nous déplaçons de quelques mètres et nous plaçons à l’abri entre une voiture et le parapet. Moi aussi, j’ai la grosse envie : nous sommes en phase. Je le laisse dénouer le lien. Un simple effet d’épaule, la robe chute ; c’est l’avantage d’une robe portefeuille : facile à mettre et encore plus facile à ôter. Je la range sur mon cabas. Me voilà nue, entièrement nue, en pleine ville. « Faut le faire… » que je me pense en moi-même ; cela ajoute du piment à l’aventure.


Greg est comme fou ; son désir est dur, il est impatient. Il précipite la mise en place, pose mon cul sur le parapet et me pénètre. J’aime son empressement, son impétuosité. Je sais que ce sera rapide, trop rapide ; tant pis : le pendant est un plaisir plus intense, un concentré de félicité. Je vibre au diapason. Nous explosons simultanément puis, assouvis et sans force, nous nous amollissons dans les bras l’un de l’autre, jusqu’à nous fondre pour ne faire qu’un. C’est du moins la sensation que j’avais jusqu’à ce que les contingences me ramènent sur Terre.


Mon téléphone grésille. L’appareil est dans mon sac, au sol. Réflexe : je saute et le regrette aussitôt. À quoi bon ? Du reste, la sonnerie est celle des messages. Sans doute Chantal, qui m’envoie un SMS. Il sera temps plus tard. Je reviens vers Greg et entreprends de le caresser pour tester l’éventualité d’une rebelote. On ne sait jamais… Je branle ou essaie ; la quéquette est flaccide. Ce n’est pas elle qui m’alerte, mais le changement d’attitude de Greg ; le bruit de portière confirme mes craintes : nous ne sommes plus seuls. Un vieil homme, soixante-quinze ans au bas mot, vient de prendre place derrière son volant. Il baisse sa vitre.



« Ai-je bien entendu ? Greg a dit ça… » Je n’en suis pas certaine, distraite que je suis, tant je me précipite pour me rhabiller.



Et sur ce, il démarre, recule et s’éloigne en agitant la main dans un geste d’adieu. Greg, mouché, réarrange sa tenue ; quant à moi, c’est déjà fait.








Plus tard, alors que nous attendons la navette retour sur le parking du supermarché, je consulte mon message. Ce n’est pas Chantal comme je le pensais mais Ahmed ; il m’envoie un MMS : deux photos, pas de commentaire.


La première photo me représente de dos à califourchon sur les cuisses d’Ahmed. On ne le reconnaît pas car son visage est caché par mon épaule. Quant au mien, pris légèrement de profil, l’identification est également difficile ; seuls ceux qui me connaissent vraiment pourraient y parvenir, et encore pas formellement. Entre les cuisses d’Ahmed et mon cul, la hampe sur laquelle on devine que je suis en train de m’empaler. Ce n’est qu’une photo, mais on jurerait voir le mouvement. La deuxième montre le couple carrément pris de profil. Nous y sommes reconnaissables tous les deux, moi semblant hurler une complainte à la lune et lui léchouillant mes tétons et pelotant mes fesses.


Manquait plus que ça ! Qu’est-ce qu’ils me veulent ? L’absence de message engendre un suspens angoissant ; j’imagine toutes les hypothèses. Ma première réaction est de tout plaquer là et d’aller leur dire deux mots. Puis je me rends compte que ma démarche n’apportera rien : ils sont les maîtres du jeu, sans compter que je devrai me justifier vis-à-vis de Greg. Autant laisser pisser et voir venir.








Avant de ranger mon clavier et d’éteindre mon ordi, il me faut faire une confession : je ne suis pas svelte, comme j’ai écrit, mais plutôt grassouillette. Au moindre écart, je prends trois kilos. J’aimerais être comme ma mère, grande et mince, mais je n’ai pas hérité des bons gènes.


Même s’il a désormais viré sa cuti, Greg avait raison : la jupe en daim est exagérément courte, j’ai réellement l’air d’une catin. Du reste, le type qui m’emmerdait pendant que je lavais ma vaisselle dans les sanitaires du camping, ce n’était pas du gringue qu’il me faisait : il me demandait combien je voulais pour lui tailler une pipe.


Je ne dis pas que je suis malheureuse ; il y a des types qui aiment les boudins : c’est vrai qu’ils ont de quoi faire avec mes mamelles et mon gros cul. Mais moi, je sais que c’est moche. Paraît que j’ai quand même un mignon minois ; ça rattrape. N’empêche que j’aimerais bien – ne serait-ce qu’un soir – me glisser dans une robe griffée et jouer la reine de la soirée avec un corps de rêve et avoir tous les gandins à mes pieds. Moi, je n’ai droit qu’à la lie, du genre à me dire « Putain… Qu’est-ce que t’es bonne ! » en guise de mots d’amour.


Bien sûr, j’ai Greg. Une crème, Greg. Il connaît mes qualités et défauts comme personne. Que se passerait-il s’il connaissait aussi mes turpitudes ? Ce qui a toutes les chances d’arriver si les Sénégalais jouent aux cons. Sûr et certain que mon sumo de mari me laissera tomber et je me retrouverai seule. Je ne peux compter sur personne, et surtout pas sur ma fille, sur Chantal ou sur ma mère. La première n’en a que pour son chéri ; la deuxième est à huit cents bornes, et la dernière, je ne vais pas trop la voir, vu qu’elle n’arrête pas de me bassiner avec sa rengaine : « Quand est-ce que tu te décides à faire un régime ? »


Comme si je n’y étais pas, au régime… Je ne fais que ça, tous les jours, à longueur d’année. J’emmerde les régimes ! Excusez l’éclat, mais je ne peux mieux dire. Et puis il y a maintenant cette épée de Damoclès qui me rend folle.


Il y a bien longtemps que je n’étais pas entrée dans une église ; j’ai payé un cierge et psalmodié ma prière à voix basse : « Mon Dieu, je suis une brebis égarée ; sors-moi de ce guêpier, je promets d’être fidèle pour le restant de ma vie… »