n° 15831 | Fiche technique | 59722 caractères | 59722 10304 Temps de lecture estimé : 42 mn |
08/10/13 corrigé 10/06/21 |
Résumé: En septembre 2102, j'ai vécu (réellement vécu) une aventure extraordinaire à Londres. Le début (encore assez soft) de ces événements. | ||||
Critères: #épistolaire #journal fhh vacances sexshop hotel hsoumis fdomine vengeance chantage fellation | ||||
Auteur : camilleM Envoi mini-message |
DEBUT de la série | Série : Pensées pour moi-même Chapitre 01 / 04 | Épisode suivant |
Ce n’est pas sans une certaine réticence que je me suis finalement décidée à mettre sous les yeux de tous le texte qui va suivre. Non pas que ce qu’il contient puisse choquer des sensibilités trop affinées : après tout, le fait que vous vous soyez connecté sur le présent site suppose à tout le moins que vous avez déjà lu des choses bien plus crues que tout ce qui va suivre.
Non. Ma réticence vient du fait qu’il s’agit ici d’un texte très personnel, et d’autant plus personnel qu’il relate un épisode de ma vie que j’ai effectivement vécu. Bref, c’est une sorte de journal intime portant sur cinq jours de mon existence, journal qui détaille tout ce que j’ai pu faire au cours de ladite période.
Autrement dit encore, et pour que les choses soient encore plus claires : ce qui suit est bel et bien un récit autobiographique, et non une œuvre d’imagination comme il est de coutume d’en insérer sur ce site.
Bien entendu, je vous laisse libre d’émettre les commentaires qu’il vous plaira de faire, du style : Pas très original comme truc pour nous inviter à lire ce que tu as écrit que de recourir à cette référence à une histoire soi-disant vécue.
Eh bien, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je vous le dis en pleine face : pensez ce que vous voulez, moi je m’en fous totalement. En ce qui me concerne, j’assume totalement la sincérité de ce que je viens d’écrire, je le proclame, persiste et signe : ce qui se trouve ici est effectivement mon histoire personnelle et je vous autorise à ne pas me croire. Je pense de toute façon qu’à cet égard, la lecture de ce qui suit suffira amplement à me laver de tout soupçon de malhonnêteté intellectuelle. Ceci étant dit une bonne fois pour toutes, passons au reste et n’en parlons plus.
* * *
Comme je viens de l’écrire, les lignes que vous allez parcourir sont le récit de cinq jours de mon existence récente. Plus particulièrement, elles décrivent des choses qui me sont arrivées entre le 3 septembre et le 7 septembre 2012, durant un séjour touristique à Londres.
Ne tournons pas autour du pot : si j’ai posté mon récit sur ce site, ce n’est pas parce qu’il contient des considérations esthétisantes sur les reflets du soleil couchant au-dessus de la cathédrale Saint-Paul ; non, c’est le récit de relations tellement intimes, tellement profondes, qu’elles ont exercé une influence considérable sur la connaissance que j’avais de moi-même. C’est la volonté de partager les fruits de cette leçon de vie qui, finalement, m’a fait éprouver le besoin de donner une diffusion plus large à ce qui, initialement, n’était destiné qu’à ne servir de repères à moi-même et n’avait pas pour vocation d’être mis sous les yeux d’autrui.
Cette décision découle aussi d’une constatation que d’autres ont déjà formulée longtemps avec moi : quoiqu’on en dise, on n’écrit jamais vraiment pour soi-même. D’ailleurs, tout bien réfléchi (vous le verrez vous-mêmes), d’une certaine façon, j’assumais déjà à ce moment-là l’idée que la description de ces événements était destinée à être lue plus tard par d’autres (Alice en l’occurrence).
En plus, j’avoue sans aucune honte que je me sens rassurée par le fait que mon nom n’apparaît nulle part dans le récit et que la publication sur le Net ne m’oblige pas non plus à renoncer à un anonymat ô combien ! tellement commode. Bien entendu enfin, pour permettre la bonne fin de cette condition, tous les prénoms ont été remplacés par des prénoms d’emprunt (c’est tellement facile avec l’option « remplacer tout », même si à la relecture je sens qu’ainsi je me trahis déjà un peu moi-même).
Mais venons-en au texte proprement dit.
* * *
Ce texte a été écrit quelques jours après les événements qu’ils relatent, plus précisément les 9 et 10 septembre 2012. Comme vous pourrez le constater, j’avais délibérément choisi la forme d’une lettre adressée à une de mes amies de collège, que je n’avais plus vue depuis longtemps (et que je n’ai toujours pas revue depuis d’ailleurs). Pendant les trois ou quatre jours qui ont suivi, j’ai corrigé, recorrigé, re-recorrigé ce que je venais d’écrire et ensuite, décidée à tourner une bonne fois la page (sans trop le souhaiter en fait), j’ai laissé ce texte dans un coin de mon ordinateur en me disant que je le relirai lorsque l’évocation de ce qui y était contenu ne me ferait plus si mal.
Par souci de sincérité et d’authenticité, je n’ai strictement rien changé à ce que j’ai écrit alors, si ce n’est que j’ai corrigé les quelques fautes d’orthographe résiduelles inévitables. Mais pour le reste, tout est resté en l’état.
Quand je l’ai rédigé, ce texte, j’étais quasiment en état de « transe littéraire », le besoin d’extériorisation me poussant quasiment à jeter les mots sur le papier et à adopter l’écriture automatique chère à André Breton. Ceci dit, à la relecture, je me suis rendu compte – mais c’est un avis que je partage avec moi-même, comme j’ai coutume de le dire – que le résultat en a valu la peine : non seulement, le fait d’avoir pu restituer tout cela m’a effectivement fait un très grand bien (malgré la grosse déprime – ou la petite dépression, au choix – que je me suis tapée durant les deux mois qui ont suivi), mais en outre je ne regrette pas le résultat strictement littéraire : il y a parfois des images pour lesquelles j’en suis à me demander aujourd’hui comment elles ont pu me venir à l’esprit.
De toute évidence aussi, je pense avoir assez bien évité tant le porno-soft (soit ce genre d’écriture de gare « politiquement correcte » à prétention psychologico-érotique, où finalement on s’ennuie terriblement à force de sentimentalisme décalé), mais j’ai aussi évité le porno-hard (soit ce genre d’écriture de gars « politiquement incorrecte » où on s’ennuie tout aussi terriblement à force de descriptions anatomiques sans intérêt).
Bref, exprimé autrement, je pense avoir trouvé le juste équilibre entre l’écriture féminine (celle où l’amour physique est essentiellement un moyen de trouver l’âme-sœur) et l’écriture masculine (celle où l’amour physique est un but en soi) : en d’autres mots encore, je pense que mon texte est parvenu à montrer que la satisfaction mentale qu’ont occasionnée ces plaisirs particuliers s’est mariée sans trop de difficulté avec la satisfaction purement sexuelle, celle qui ne se laisse pas embarrasser par une pudeur mal placée.
* * *
Un petit bémol quand même : je n’exclus pas que certains lecteurs n’accrochent pas dans les premiers chapitres : je dois avouer effectivement que, peut-être, j’aurais pu réduire un peu la longueur des premières lignes et passer plus rapidement au récit de la dernière nuit – nuit magique et inoubliable. Mais, après tout, cette dernière nuit (qui correspond quand même, rassurez-vous, à la plus grande partie de l’histoire), elle n’aurait pas été possible si elle n’avait pas été amenée par tout ce qui l’a précédée. Et puis, me suis-je dit encore, si j’ai accordé autant de mots à ces préliminaires, c’est probablement parce qu’ils ont eu dans mon esprit une importance que je ne peux, aujourd’hui et a posteriori, relativiser sans me mentir à moi-même.
Bien sûr, il est possible (mais pas certain) que ce choix lasse l’un ou l’autre lecteur (notamment si ce lecteur est du genre masculin, compte tenu du risque plus élevé d’impatience que montrent si souvent les hommes en matière de lecture intimiste). Bien entendu également, je ne peux obliger personne à lire cette partie introductive et si vous estimez – et vous en avez d’ailleurs pleinement le droit – qu’en amour, les choses sérieuses ne commencent que lorsque tombent les vestes et autres inutilités vestimentaires, alors je ne puis que vous conseiller de commencer directement la lecture au chapitre 5 (« Più veloce ») ou au chapitre 56 (« Ornementations chromatiques »).
Mais très sincèrement, ce serait quand même dommage de manquer le début de cette montée progressive vers le plaisir et vers l’orgasme : pour employer une image faussement bucolique, disons que ce serait un peu comme monter vers un refuge de haute montagne au moyen d’un hélicoptère (moyen de locomotion bien propre aux touristes soucieux de rentabiliser sans réel plaisir, et à tout prix, leurs moments de loisir), sans prendre le temps de profiter pleinement de tout ce que peut apporter la randonnée pédestre dans les sentiers plus ou moins sinueux et de jouir avec une satisfaction réelle du fruit de ses efforts. Mais bon, je n’ai pas à vous dire ce qui est le mieux pour vous, faites ce que vous voulez.
Je remarque tout à coup que cette introduction atteint les dimensions d’un discours du maire de Champignac. Allez, courage, j’ai presque fini. Juste une dernière remarque d’ordre stylistique et puis je laisse ma place à mon autre moi-même de l’année dernière.
Mon journal intime est une merveille d’épanchement, digne de figurer dans le livre des records des textes les plus longs : je pense qu’il contient environ 56 mille mots, pas moins (quand je vous disais qu’il fallait absolument que j’externalise mes sentiments, soit environ 200 pages d’un livre de poche) !
À l’origine, il était écrit d’un jet, sans chapitre, les moments forts succédant aux moments forts sans souci de les répartir en chapitres. La publication sur le présent site m’a obligée à reconsidérer cette coulée continue et à créer en quelque sorte des chapitres de circonstance (23 au total). Ce n’était pas toujours évident et, à l’occasion, on trouve des chapitres parfois (trop) longs, parfois (trop) courts. Mais bon, il faudra bien vous y faire, je ne suis pas parvenue à faire mieux que cela.
Enfin, au risque de paraître originale, j’ai opté, comme titres de mes chapitres, pour des références musicales et plus particulièrement pour des références à la musique classique (genre de musique qu’effectivement j’apprécie beaucoup).
Voilà, je pense avoir assez abusé de votre patience. Je termine cette introduction et vous livre, avec le chapitre 2 (« Ouverture »), le début du contenu de ce journal improvisé, autrement dit un pan entier de mon histoire personnelle. Compte tenu de ce qui précède, vous me permettrez évidemment de signer cette introduction avec un prénom qui n’est pas le mien. Et comme j’avais en la matière un choix quasi illimité, je me suis fait plaisir en choisissant celui de Camille, prénom que personnellement je trouve assez joli.
Bien à vous et en espérant qu’à l’issue de votre lecture, j’aurai contribué à ma manière à vous rendre la vie un peu plus belle.
Camille M. (octobre 2013)
Bruxelles, le 9 septembre 2012,
Très chère Alice,
Voici maintenant cinq ou six ans que nous ne nous sommes plus revues. Le temps a passé, nous nous sommes éloignées l’une de l’autre au fil de nos succès et de nos échecs scolaires ; mais cet éloignement n’a pas changé dans mon esprit le fait que tu sois restée à ce jour la personne qui m’ait jamais été – et de loin – la plus proche, l’amie à laquelle on pouvait raconter tout sans craindre d’être jugée ou d’être trahie par des indiscrétions malvenues. Ce statut de meilleure amie n’a à ce jour été repris par personne avec autant de réussite, malheureusement pour moi. Où habites-tu aujourd’hui ?
Qu’es-tu devenue, es-tu finalement devenue logopède, comme tu le souhaitais ? De tout cela, je n’en saurai peut-être jamais rien : je ne parviens pas à retrouver ta trace, dès lors que tu as choisi de ne t’inscrire sur aucun réseau social (toujours ce satané souci de protéger à tout prix ta vie privée). Aussi, je t’écris cette très longue lettre en sachant que tu ne la liras pas.
Ceci dit, je dois te l’avouer, cela m’arrange un peu : elle contient effectivement tous les détails d’un épisode de ma vie dont je me sens obligée de parler, non seulement parce que j’ai peur avec le temps d’en oublier les détails, mais aussi parce que mettre sur papier ce qui m’est arrivé donne un exutoire bienvenu aux sentiments un peu confus qui me perturbent fortement depuis mon retour.
En cela, je reconnais de ma part une certaine hypocrisie : me confier à quelqu’un de confiance sans prendre le risque que cette personne ne livre une partie fort intime de mes secrets : double avantage que je compte bien saisir à pleine main pour ne rien cacher et ne rien omettre !
* * *
Il faut d’abord que tu saches que la semaine dernière je suis partie toute seule, comme une grande, pendant cinq jours, dans la capitale britannique. Cela faisait plusieurs années que je m’étais promis de m’y rendre et, comme toujours, il a fallu le temps que je me décide.
Je suis arrivée samedi matin à la gare de King’s Cross. Comme je ne pouvais pas me poser à mon lieu de destination avant trois heures de l’après-midi, qu’il faisait un temps honnête, j’ai donc décidé d’utiliser cette demi-journée en faisant à pied, sac au dos, la distance qui me séparait de mon point de chute : ballade donc au marché de Cadmen (marché aux puces, d’où s’exhalent les senteurs exotiques et les parfums de l’Orient), Regent’s Canal (avec ces jolis bateaux garnis de fleurs), Bakerstreet (avec le faux policeman d’époque et le Sherlock Holmes de circonstance, bien entendu), Hyde Park, le métro jusqu’au cœur de la City, Tower Bridge, les bords de la Tamise et enfin, au grand soulagement de mes pieds qui commençaient à la trouver un peu saumâtre, le doux logis tant mérité.
En fait, l’endroit où je logeais était vraiment chouette. C’était à peu près au centre de la ville, juste au sud de la Tamise, pas très loin du Shakespeare’s Globe et du Tate Museum (si tu connais). À proprement parler, il ne s’agissait pas d’un hôtel, mais d’une résidence universitaire délestée de ses habitants ordinaires : à Londres, en effet, les chambres mises à la disposition des étudiants pendant l’année académique sont entièrement libérées pendant les mois de juin à octobre et louées aux touristes. Pour une septantaine de livres sterling par jour, tu trouves finalement une chambre assez confortable (bon, il n’y a pas les dorures au plafond, mais ce n’était pas cela qu’on recherche en général), bien tenue, avec une douche individuelle, et, Angleterre oblige, un petit déjeuner bien copieux (porridge, bacon, tomates et fruits divers, haricots rouges…) ; et très sincèrement, si tu veux mon avis, toi qui as toujours eu envie d’aller passer un ou deux jours dans la capitale anglaise sans t’y ruiner (sauf, si je m’en souviens bien, en achat de vêtements, comme de coutume), je te recommande vivement cette formule d’hébergement.
* * *
Je ne sais pas si tu te souviens encore que les cours d’anglais étaient pour moi un passe-temps agréable : Madame Mottart (tu te rappelles, celle dont les garçons, pas toujours très distingués dans ce genre de propos, disaient qu’elle avait un beau…), Madame Mottart donc n’était peut-être pas très aimable avec ses grands airs, mais elle nous a quand même appris à nous débrouiller avec des anglophones, enfin c’est ce que je croyais.
Car en effet, moi qui était très fière de tout ce que j’avais reçu au cours de mes études, j’ai dû rapidement déchanter en découvrant que finalement les gens du cru ne comprenaient quasiment rien à ce que je tentais de leur expliquer : de toute évidence, ma prononciation laissait beaucoup à désirer, sans parler du fait que l’accent des Londoniens lui-même n’est pas toujours aussi limpide qu’on pourrait a priori le supposer. Ceci dit, avec beaucoup de concentration, j’ai finalement compris que ma chambre se trouvait au cinquième étage, porte 515.
Le temps de monter (« Doors opening », « Doors closing », comme me l’a dit pendant tout le séjour la voix stupide et monocorde de l’ascenseur), de prendre une douche, de ranger mes petites affaires, je suis allée déambuler dans les rues alentour et faire ce que font stupidement tous les touristes dans les premiers moments de leur arrivée à Londres : regarder les façades, les bâtiments au loin, les impériales si jolies dans leur rouge si frappant ; m’étonner du nombre (incroyable !) de taxis (il paraît même qu’il y en a de spéciaux pour nous, les femmes), de la concentration des Londoniens dans les célèbres pubs une fois quatre heures passées : impressionnante cette sensation de voir cette sorte de gigantesque réception mondaine permanente, dans laquelle tous ces gens restent debout un verre de bière à main, au lieu de rentrer sagement chez eux.
C’est à ce moment que je me suis rendu compte, totalement déconfite, que dans l’espace de cinq jours qui m’était imparti, je ne pourrais jamais trouver le temps de me faire correctement comprendre par les indigènes et que je devrais me résigner en conséquence à les regarder de loin s’égailler dans un idiome qui, franchement, m’était quasiment incompréhensible. L’air de la chanson qui surgit toujours dans ma tête quand je commence à déprimer m’est alors revenu ; tu sais : « Mais au bout du compte, on se rend compte qu’on est toujours tout seul au monde. ».
Merde ! Je ne vais quand même pas devoir passer ces cinq longues journées ici à me morfondre en me parlant à moi-même !
Et c’est à ce moment que…
* * *
J’ignore, Alice, si tu crois en l’existence des anges gardiens. En tout cas, je peux te dire qu’il en existe un pour les femmes seules à Londres ! Constate toi-même : alors que je m’étais arrêtée devant un snack au nom bien français de Prêt à manger, situé à moins de cent mètres de l’hôtel (enfin de la résidence universitaire), me demandant avec une certaine angoisse comment j’allais me débrouiller pour commander mon dîner (malgré le nom, le personnel ne s’exprimait qu’en anglais, bien entendu), j’ai perçu derrière moi des mots que je comprenais sans effort : des gens qui parlaient français ! Et merveille, ils avaient l’air aussi perdu que moi :
(Je t’écris à peu près phonétiquement, of course, ce que j’ai entendu).
Le temps de leur confirmer que ce n’était pas exactement comme cela qu’on devait formuler la demande, de faire la queue avec eux et de leur demander d’où ils venaient (si tu veux tout savoir, ils venaient d’Arras), de leur dire à mon tour d’où moi je venais, il se confirma que nous étions tous de véritables handicapés linguistiques dans cette grande capitale, aussi embarrassés les uns que les autres et ne sachant comment nous orienter dans un pays qui, s’il ne nous était pas hostile (il ne faut pas exagérer), était en tous cas passablement indifférent à notre sentiment d’isolement.
Ceci dit, nous ne nous sommes pas laissés abattre et avons fait preuve du pragmatisme nécessaire à notre survie à court terme, en concluant que passer commande avec les doigts pointés sur les plats du menu était nettement plus efficace que les premiers exercices oraux auxquels nous nous sommes livrés avec fort peu de réussite. Ensuite (comme je te l’ai dit : il y a un ange gardien pour les femmes perdues à Londres !) la méprise de la vendeuse qui globalisa les trois commandes sur un même compte nous donna une occasion de nous asseoir tous ensemble à une même table.
Ah oui, j’ai oublié de te le préciser : les Français en question, ils sont deux ; et en plus, je dois bien te le dire (allez, je te lance le mot en plein visage), ils étaient « beaux » ! Enfin de mon point de vue s’entend. Toi, tu aurais peut-être eu un avis différent ; mais en ce qui me concerne, je le dis sans réserve : je les trouvais vraiment beaux.
Le premier s’appelait Jean-Philippe : il est grand (l,85 m ou un peu plus) et devait avoir dans le début de la vingtaine, il avait une véritable carrure d’athlète (il pratiquait notamment l’alpiniste) et des cheveux blonds bouclés. Le second lui s’appelait David : il est nettement plus petit (comme moi quoi, environ 1,70 m), avait plus ou moins le même âge que l’autre (un peu plus peut-être), et présentait un léger début d’embonpoint ; mais il avait un sourire à te faire craquer, je ne te dis que cela.
Mais finalement, à ce moment-là en tout cas, tout cela n’avait pas le moindre intérêt. Ce qui comptait, c’était le fait de savoir que j’allais peut-être pouvoir vivre pendant les quelques jours à Londres autrement que seule, c’était que j’allais peut-être pouvoir me rassurer sur mon avenir immédiat. Il ne restait plus qu’à dénicher le point commun qui aurait permis de nous revoir par la suite.
Ce qui ne manqua pas : de parlottes en parlottes, nous sommes tombés sur ce que je cherchais : le point commun, c’est que nous avions loué des chambres dans la même résidence universitaire. (Si tu veux mon avis, ce n’est pas l’ange gardien qui a agi ici, c’est plutôt tout simplement la conséquence du fait que le snack où nous nous trouvions se situait à moins de cent mètres de là). Repapottes bien entendu, émerveillement (non feint), et à force, ils m’ont demandé si j’apprécierais d’aller visiter Londres avec eux, tout en m’expliquant qu’ils ne connaissaient pas grand-chose de cette ville et qu’ils avaient eux aussi tout à y découvrir.
Bien entendu, j’ai saisi la perche qu’ils me tendaient et comme j’étais quelque peu usée par la trotte du matin et la petite déprime que je m’étais offerte pendant l’autre moitié de la journée, je leur ai proposé de nous donner rendez-vous le lendemain à 9 heures au mess de notre résidence commune. De toute évidence, ils étaient également ravis de pouvoir partager leurs moments avec une troisième personne, surtout (je ne me faisais pas d’illusion sur la gent masculine) si cette troisième personne était du sexe opposé au leur.
Te dire que je suis tombée comme une stupide adolescente sous le charme de ces deux gars-là, ce serait te mentir : certes, ils étaient drôles (et beaux), et ils avaient tout fait pour me faire passer un dîner aussi agréable que possible, mais enfin, ce n’est pas spontanément qu’on peut se mettre en tête de transformer une rencontre fortuite et sympathique dans un snack en une relation sentimentale ou en une relation plus intime encore.
Ceci dit aussi, ce serait aussi te mentir que de te dire que la première nuit fut pour moi l’occasion de vivre simplement le voyage nocturne entre l’état de veille et l’état de sommeil. Ce dernier ne vint finalement que fort tard (vers deux heures ou quelque chose comme cela), la pensée de passer mon temps à faire une visite touristique faisant très progressivement place à la pensée de me décider à en choisir un des deux pour organiser un voyage nocturne qui ne se résumerait pas, lui, à un simple passage entre la veille et le sommeil !
* * *
Je sais ce que tu vas penser : tu vas probablement te dire que l’image que tu avais de moi était franchement très différente et que tu ne me connaissais pas ces comportements pervers. Ne te méprends pas : certes, je ne vais pas jouer la sainte-nitouche et faire mon hypocrite : comme tout le monde (enfin, je le suppose), j’ai aussi mes petits secrets, mes petites escapades nocturnes. Certes, comme toutes les femmes, il m’arrive de fantasmer (à qui cela n’arrive-t-il pas ?). Mais il ne me vient quand même pas régulièrement à l’idée de coucher ainsi avec le premier type que je croise dans la rue.
Quand je fais le compte, du haut de mes 28 ans, le nombre de garçons qui ont fait le voyage à Cythère avec moi est très réduit (jusqu’à la semaine dernière, ils n’étaient que quatre, et ce compris Nicolas avec qui je suis restée pendant quatre ans). Aussi, en tant que meilleure amie, laisse-moi te donner l’occasion de me justifier et suspends ton jugement le temps que je m’explique.
* * *
Mets-toi une seconde à ma place : le fait de me sentir ainsi délaissée m’avait profondément mise à plat et les moments (fort courts au demeurant) que je venais de passer à rire de tout et de rien avaient en quelque sorte permis à mon taux d’adrénaline de se refaire une petite santé. Et puis, zut, je te le dis pour qu’il n’y ait aucune incertitude : cela faisait trop longtemps que j’avais envie, un point c’était tout : la dernière fois, c’était au cours de l’hiver dernier et cela ne s’était pas très bien passé : le type avait une fâcheuse tendance à considérer que la femme avec qui il couchait était sa possession personnelle et la rupture immédiate avait pris un tour assez violent et tourmenté. Ici, au moins, cela ne s’est pas produit ; en tout cas, j’ai fait tout pour qu’il en soit ainsi.
Et puis, plus fondamentalement (et j’espère qu’un jour tu pourras vivre cela, si tu ne l’as pas déjà vécu d’ailleurs) : malgré les inconvénients psychologiques que je viens de décrire, le fait de se retrouver seule dans une ville immense, et en quelque sorte détachée de toi, ce fait offre au moins une contrepartie exaltante : quoi que tu fasses, personne ne te connaît, personne ne te remarque, personne ne trouve l’occasion de te faire ensuite le reproche d’avoir agi de telle ou de telle manière (pour autant bien entendu que tu respectes au minimum les coutumes et les lois du lieu où tu te trouves).
J’aurais pu m’habiller n’importe comment (à Londres surtout, où la tolérance en matière vestimentaire est extraordinairement large), me balader main dans la main avec une autre fille, vêtue d’un tee-shirt sur lequel aurait été écrit « Jesus loves lesbians » (ne rigole pas, j’en ai vus !), cela n’aurait pas eu d’effets secondaires à mon retour sur le continent (sauf à supposer, ce qui est quand même difficilement imaginable dans une ville de 8 millions d’habitants, la rencontre avec un de mes compatriotes qui, de plus, me connaîtrait). Bref, la liberté totale, exceptionnelle, soûlante même, de faire ce qu’il te plaît de faire. Et pour le dire en un mot : cette liberté me grisait !
Mais dois-je me justifier auprès de mon amie ? Après tout, je ne sais pas ce que tu es devenue : les 5 ou 6 années qui nous séparent auront peut-être contribué à faire de toi une femme qui s’assume sans devoir rendre de comptes à qui que ce soit, sauf à elle-même. Sache en tout cas que cette situation inédite explique beaucoup mon comportement durant ces quelques jours.
Une fois ma folle résolution prise, j’avais une toute première question à résoudre : qui, de David ou de Jean-Philippe, serait le plus à même de me plaire ? Les deux avaient des qualités indéniables mais contradictoires. Le premier était en apparence plus timide que le second, mais les paroles qu’il prononçait tombaient généralement plus justes que celles de Jean-Philippe. Il semblait aussi avoir un tact que n’avait pas non plus le second. Jean-Philippe pour sa part était plus spontané et plus jovial, mais en contrepartie, il parlait beaucoup de lui, était moins raffiné et nettement porté à mettre en évidence les travers de ses proches.
Ceci dit, Jean-Philippe avait un physique et une apparence conformes à ce qui suscite généralement l’approbation des femmes : large carrure, grandes mains mobiles ainsi qu’un visage qui donnait envie d’y poser le regard. David, comme je te l’ai dit, était au contraire plus petit et un peu bedonnant ; mais il avait ce petit air réservé qui éveille chez nous, les femmes, un certain instinct maternel, tu sais, celui qui donne envie de les dorloter et de leur faire découvrir, la première, ces sensations fortes qui accompagnent toute rencontre charnelle…
Mais avais-je vraiment besoin de choisir tout de suite ? Après tout, j’avais encore bien le temps pour me décider. Dans l’immédiat, j’allais me promener avec eux pendant trois jours, j’allais pouvoir mieux les apprécier et faire mon choix (ou ne pas faire de choix, après tout, j’étais libre de faire ce que je voulais) en toute connaissance de cause. C’est sur cette réflexion ultime que finalement je pus trouver le sommeil, mon esprit étant ainsi arrivé au terme du parcours de ses fantasmes, dans les méandres tortueux de mes neurones et synapses.
* * *
Ces fantasmes ne furent pas accompagnés de rêves, du moins je n’en avais aucun souvenir en me réveillant le lendemain matin. Je n’avais pas oublié bien entendu ma résolution de la nuit précédente, et ce fut en me préparant à descendre prendre mon petit déjeuner que je me suis fortifiée une toute dernière fois dans l’intention de profiter délibérément de mes dispositions d’esprit de la veille, me faisant des réflexions à haute voix à moi-même, dans le miroir de la mini-salle de bains, sur mon caractère lubrique et renvoyant au diable les sentiments de pruderie qui résistaient encore.
Bien entendu, ils m’attendaient au rez-de-chaussée. Nous avons pris ce qu’il fallait pour tenir la journée (pas de souci, ici, tu as de quoi manger, ce n’est pas comme dans les hôtels français où tu dois aller ensuite chercher un petit pain à la boulangerie du coin), puis nous avons décidé de notre journée. De toute évidence, ces deux-là aimaient bien marcher : les musées n’étaient pas vraiment leur centre d’intérêt pas plus que les magasins ; ce qui les intéressait, c’était, comme ils le disaient, « de s’imprégner de l’ambiance de la ville. » Ils avaient juste un souci : moi.
En me proposant de nous grouper pour la visite de la ville, ils n’avaient pas pris en compte le fait que peut-être je n’étais pas intéressée par ce genre de démarche touristique et qu’en outre je n’étais pas physiquement bâtie pour être en mesure de les suivre. Ceci dit, sportive j’étais au lycée, sportive je suis restée. De toute façon, j’étais résolue à ne pas renoncer à mes projets. Ils furent donc soulagés d’apprendre que cela ne présentait strictement aucun problème et, un quart d’heure plus tard, nous sommes tous les trois retournés dans nos chambres y chercher nos sacs à dos pour partir hardiment à la conquête (touristique) de la grande capitale anglaise.
* * *
Je ne vais pas t’embêter à te donner tout le détail de nos visites durant ces trois jours : après tout, c’est d’une banalité presque affligeante. Comme c’était la première fois que nous visitions cette ville, nous avons suivi ce que nous proposaient les guides touristiques, notre seule dérogation à la conformité commerciale étant de toujours aller d’un endroit à l’autre, autant que possible, en utilisant nos pieds plutôt que les transports en commun. Il continuait à faire beau, ce fut donc très agréable.
Les heures passées à visiter les monuments et à parcourir les rues de Londres ne me furent pas vraiment décisives pour me permettre de faire choix entre l’un et l’autre. Il se confirma au fur et à mesure des jours que la psychologie rapidement tracée de ces deux caractères opposés était bien conforme à la réalité. Et puis j’étais quand même embarrassée : je ne pouvais pas décemment leur demander de but en blanc : « J’ai envie de coucher avec l’un de vous deux : lequel me proposez-vous de choisir ? ».
Ce n’est pas, je pense, que j’aurais essuyé un refus (surtout de la part de Jean-Philippe) : après tout, entendre une femme proposer cela, cela fait partie du bagage des fantasmes masculins. Mais le jeu de la séduction a sa part de conventions et de règles qu’il vaut mieux respecter sous peine de perdre tout ce qui sépare le bestial passage à l’acte des subtilités de l’art érotique.
Ceci dit, j’avais pourtant préparé quelque peu le terrain : je m’étais arrangée pour toujours paraître à mon avantage, m’étais généreusement appliqué les effluves du parfum que j’avais pris avec moi (tout en me disant d’ailleurs au moment du départ que c’était stupide de porter une charge supplémentaire dont je n’aurais probablement pas besoin : coquetterie salutaire dont je me félicite aujourd’hui), avais choisi le rouge rubis pour mes lèvres. Côté habillement, le grand soleil me permettait de sortir avec des vêtements assez légers, notamment ma jupe courte (pas une mini-jupe, non, mais une jupe de 30 à 40 de centimètres) de couleur bordeaux, avec des petits cœurs blancs et, must du must, des tee-shirts avec de mignons décolletés : certes, pour y voir, il aurait fallu se pencher ostensiblement au-dessus de mon épaule ou de ma gorge, mais j’ai pensé qu’à la longue, un tel paysage (ainsi que la vision perpétuelle de mes longues jambes) exercerait quand même un effet déterminant sur leur libido latente.
Ce ne fut que le quatrième et avant-dernier jour que me fut livrée la première occasion de harponner l’un de mes compagnons, aux environs de deux heures de l’après-midi (peut-être à nouveau par l’ange gardien pour femme seule de la veille, bien qu’en l’occurrence on devrait plutôt parler d’un démon libidineux). Après le déjeuner, dérogeant à la règle qu’ils avaient eux-mêmes proclamée, les deux garçons ont décidé de prendre le métro pour se rendre à l’observatoire de Greenwich. C’était loin du centre de la ville, l’enfreinte à la règle se justifiait donc pleinement. Le métro était peu peuplé : à cette heure-là, les Londoniens étaient encore au travail. Nous nous sommes donc assis les uns à côté des autres, puisqu’il y avait de la place pour le faire.
Au début, je ne me suis aperçue de rien mais, est-ce l’instinct féminin qui s’est manifesté à ce moment-là, le sentiment que quelque chose clochait s’insinua petit à petit en moi. De fait : alors que pendant plus de quatre heures, ils n’avaient cessé de parler entre eux ou avec moi de choses passionnantes (les corbeaux fonctionnaires de la tour de Londres, la personnalité trouble de Jack l’Éventreur, par exemple) ou moins passionnantes (le prix de l’entrée de la boîte de nuit principale d’Arras, entre autres), tout à coup, de façon inattendue, le silence s’est établi et leurs regards sont devenus fuyants. De toute évidence, il y avait un malaise.
Était-ce le métro, l’un d’entre eux était-il claustrophobe (ce qui aurait expliqué le souci de ne pas prendre de transports en commun), une chose à me demander qu’aucun des deux n’osait aborder ? Ces questions me trottaient dans la tête depuis quelques minutes quand brusquement je pris conscience qu’en fait ils regardaient tous les deux du même côté droit, pas de façon continue, non, mais en quelque sorte comme s’ils étaient forcés de le faire tout en prenant le risque d’être pris en faute.
C’est alors que je compris ! Cela n’aurait pas été des hommes s’ils n’avaient pas réagi exactement comme cela d’ailleurs ! De fait, sur la banquette opposée à la nôtre (nous étions à gauche dans le sens de la marché, ce qu’ils regardaient était à droite), était assise une jeune fille (apparemment d’origine indienne ou pakistanaise), elle devait avoir une vingtaine d’années (ou peut-être même moins). Je ne m’en étais pas rendu compte immédiatement mais en fait, sa robe légèrement remontée (pas beaucoup mais suffisamment) laissait apparaître qu’elle ne portait pas de petite culotte. Enfin, c’est ce qu’il semblait (il n’est pas exclu en effet que ce que l’on voyait n’était pas plutôt l’effet d’un jeu troublant et trompeur de couleur du tissu). En tout cas, l’effet avait été immédiat : mutisme général.
Ceci dit, il est quand même arrivé un moment où la fille en question a dû senti le poids de ces regards probablement trop lourds : aussi discrètement que possible, elle a donc remis en place le pan coupable de sa robe et est ensuite immédiatement sortie à la station suivante, soit parce qu’elle était arrivée, soit parce qu’elle voulait stopper net ce flux de concupiscence malsaine dont elle était l’objet. Génial ! Les éléments se mettaient d’eux-mêmes en place, mais il ne fallait toujours pas encore brusquer les choses ; surtout que, même dans un métro anglais, rien n’excluait qu’un passager ne comprenne ce que j’avais à dire, et très sincèrement ce que j’avais à dire ne concernait que nous.
Mon Dieu, comme c’était difficile à vivre ! J’avais vraiment envie que l’un d’eux me dise :
« Et si nous sortions ce soir ? ».
Mais de toute évidence, aucun n’était prêt à prendre une telle initiative. Peut-être le fait que ce soit deux copains ensemble ne leur donnait pas la force morale de dire à l’autre : « Tu m’excuses, mais je te laisse te débrouiller seul ce soir, j’ai à m’occuper d’une affaire importante que je ne veux pas laisser passer. ».
Non, effectivement, c’était inconcevable, je ne m’en étais pas rendu compte assez tôt. Il fallait donc que je me débrouille, dans le respect encore et toujours des traditions érotiques qui font la spécificité (et la richesse) des relations humaines. Bref, l’attitude passive que j’avais gardée jusque-là devait maintenant céder la place, si je voulais avoir une chance de concrétiser mes intentions, à un changement de rôle capable de provoquer les réactions attendues auprès de ces hommes somme toute peu entreprenants.
* * *
C’est dans le parc à Greenwich que cette métamorphose s’est opérée. Oh ! non pas que je sois alors devenue une bête lubrique et scandaleuse, passant du statut d’observatrice à celui de grande fornicatrice sans contrôle. Non, j’ai plutôt mis en place, étape par étape, marche par marche, la montée vers le désir.
D’abord, il me fallait profiter de la circonstance bienvenue de tout à l’heure.
Question à brûle-pourpoint qui les a laissés sans voix dans un premier temps. Puis est venue tout d’abord la phase du déni (« Ah bon ! On regardait quelque chose ? Non, non. »), ensuite celle de l’embarras (« Rien d’important, ça ne vaut pas la peine d’en parler. »). Et on en est venu à la question plus précise, appuyée d’un petit sourire entendu, et déclinée sous diverses formes par moi :
Ils n’ont pas rougi mais finalement, l’un d’entre eux, Jean-Philippe (bien entendu) a lâché le mot :
Pas farouche, j’ai répliqué immédiatement, sans lui laisser le temps de se reprendre :
Cette dernière phrase arriva très vite et contrairement à mon attente, c’était David qui la prononça.
Quelques secondes de silence : pour les garçons de toute évidence, ces mots qui donnaient l’apparence d’avoir été prononcés de façon purement anecdotique les avaient surpris et ils n’ont pas su comment réagir ; pour moi, le silence visait avant tout à donner vraiment l’impression que ces paroles étaient effectivement spontanées et à ne pas déraper par un autre propos. Mais je te le jure : j’avais pourtant le cœur qui battait plus fort qu’à l’ordinaire, la conscience d’avoir fait une chose qui ne me permettrait probablement plus de faire marche arrière, le sentiment aussi que le plus dur était presque fait, à savoir faire le premier pas.
* * *
Ceci dit, sur le moment, les deux garçons n’ont rien laissé paraître. J’ai supposé qu’ils se sont contentés d’enregistrer l’information, mais sans en tirer de conclusions déterminantes quant à la fille avec laquelle ils passaient agréablement une demi-journée dans un parc anglais. Bien entendu, je me suis couchée dans l’herbe sous prétexte de profiter moi aussi pleinement de cette journée ensoleillée, en leur demandant d’attendre une petite demi-heure, le temps de reprendre un peu de force, et en leur laissant ainsi l’occasion éventuellement de vérifier si, par hasard, je n’aurais pas été moi aussi imprudente comme la jeune fille pakistanaise de tout à l’heure.
Pourtant, je suis persuadée qu’ils n’ont rien osé faire : après tout, ma réflexion était ambiguë et pouvait être tout aussi bien interprétée dans le sens d’un certain niveau de pudeur ou au contraire comment le signe d’un début de dérèglement moral. En tout cas, moi je le savais et j’ai adoré alors pouvoir user de cette ambiguïté pour les embarquer dans la trajectoire que je m’étais tracée et que j’avais bien l’intention de mener jusqu’à son terme.
* * *
Cette petite demi-heure de silence relatif accomplie (je dis relatif parce que si de l’extérieur personne ne parlait, je pense qu’en interne, chacun devait se raconter à soi-même quelque chose de très personnel), nous avons décidé d’un commun accord de passer le reste de l’après-midi à visiter le quartier de Soho, et notamment Oxford Street. Si tu l’ignores, Oxford Street, c’est un peu notre rue Neuve, celle sur laquelle on trouve toutes les grandes marques de prêt-à-porter.
Enfin, quand je dis que « nous » avons décidé « d’un commun accord », je dirais plutôt que j’ai fait la proposition de nous y rendre et qu’ils ont accepté. J’ignore jusqu’à quel point je leur ai fait de l’effet avec mes armes toute féminines (je veux dire mes « ouvertures » vestimentaires et verbales), mais de toute évidence j’avais le sentiment de disposer à ce moment précis d’un petit pouvoir d’influence qui m’avait mise à même de prendre sur eux un léger ascendant psychologique. À vrai dire, je ne savais pas non plus jusqu’à quel point le shopping était une occupation qu’ils cultivaient ou non, mais je pense que cette pratique commerciale ne faisait pas vraiment partie de leurs habitudes.
Bien entendu, nous sommes revenus vers le centre-ville au moyen du métro, mais le bon petit diable libidineux de tout à l’heure n’a plus manifesté sa présence. Ce genre d’occasion n’arriva qu’une seule fois et ma foi, c’était très bien ainsi.
* * *
Oxford Street. Rue bondée de monde, interdite aux voitures particulières pour éviter les embouteillages (mais malgré ce fait, les bus et les taxis contribuent à eux seuls à ralentir considérablement le flot de la circulation).
M’excusant auprès d’eux pour les avoir emmenés dans une rue somme toute très banale, une rue semblable à toutes celles qu’on peut découvrir au moins une fois dans toutes les villes d’une certaine importance, je me suis empressée de leur expliquer qu’en fait j’avais eu pour intention en venant là de leur offrir à chacun un petit cadeau et que cela ne durerait pas longtemps.
Je suis donc entrée chez Marks & Spencer avec eux, nous sommes montés au premier étage et j’ai choisi à leur intention dans les rayons deux cravates, une pour chacun : j’ai fait un double choix : d’abord une cravate assortie à leur chemise (autrement dit une cravate rouge bordeaux pour Jean-Philippe et une bleu clair pour David), puis, comme une stupide touriste de base, une cravate décorée d’un très kitch drapeau britannique. Ils m’ont fait plus ou moins comprendre qu’ils préféraient de loin ces dernières cravates, va savoir pourquoi : peut-être est-ce le sentiment que celles-ci seraient pour toujours liées à leur visite londonienne tandis que les premières auraient un jour ou l’autre sombré dans l’anonymat vestimentaire. Ils ont bien entendu insisté pour m’offrir à leur tour quelque chose, proposition à laquelle je n’ai pas pu m’opposer sinon pour la forme : j’ai donc reçu une paire de boucle d’oreilles en argent, de longues boucles d’oreilles pendantes comme je les aime. Et nous sommes sortis bras dessus, bras dessous, David à ma gauche, Jean-Philippe à ma droite.
Mmm ! Délicieux à nouveau ce sentiment d’être libre de marcher au bras de qui j’avais envie, et surtout entre deux mecs qui devaient, je l’espérais, probablement comprendre petit à petit où je voulais en venir avec mes réflexions engageantes peut-être mais pas suffisamment déterminantes. Mais rien à faire, il fallait que la proposition vienne de l’un d’eux : tout le féminisme que j’ai pu accumuler depuis mon enfance n’a pas pu éliminer chez moi cette nécessité de donner aux hommes l’impression que c’est eux qui proposent et que c’est nous, les femmes, qui disposons.
Ce moment délicat – et tu vas le voir, très délicat même – aurait pu avoir lieu dans un square pas très loin des magasins d’où nous venions de sortir.
En fait, si tu y vas un jour, tu te rendras compte que dès que tu sors de cette artère commerçante qu’est Oxford Street, tu te retrouves presque aussitôt dans un de ces quartiers londoniens assez cossus et surtout très calmes. Après deux ou trois minutes de marche, tu arrives près d’un petit parc très agréable, Grosvenor Square. Nous nous y sommes assis sur l’herbe et c’est là que Jean-Philippe s’est lâché : mais ce qu’il m’a dit ne m’a pas vraiment satisfaite.
En fait, la bonne nouvelle, c’est qu’il voulait m’inviter à passer prendre un verre ce soir à la résidence universitaire. Comme il me l’a dit lui-même alors, et avec un certain humour :
La mauvaise nouvelle, c’est que la population locale en question ne se limitait pas à nous deux seulement, mais qu’elle comprenait aussi David. Bref, l’invitation à boire un verre risquait de n’être effectivement… qu’une simple invitation à boire un verre : tout mon plan risquait donc de tomber à l’eau.
Mais je ne pouvais décemment pas refuser. Il m’a donc fallu dire oui avec un grand sourire, au grand contentement du grand crétin (et de son acolyte) qui ne comprenait pas la chance à côté de laquelle il était en train de passer. De toute évidence, la lutte était encore loin d’être gagnée. Il fallait encore que je trouve le moyen de convaincre l’un de ces messieurs de me laisser seule avec l’autre monsieur, à moins que ce dernier ne l’explique lui-même à l’autre ; après tout, ce sont deux amis, ils doivent suffisamment se comprendre pour accepter que l’un d’entre eux puisse passer un temps agréable (surtout de cette nature) en l’absence de l’autre. Mais on verra ce soir : si vraiment ce n’est pas envisageable, me disais-je à moi-même, j’en serais pour mes frais et je rentrerais à la maison, frustrée d’avoir pu m’imaginer les intéresser avec mes appâts et mon sourire un peu fripon.
* * *
Et si, après tout, il s’agissait non pas d’amis mais d’amants ! Cela expliquerait peut-être bien des choses. Je n’avais pas pensé à cette éventualité : nous sommes à Londres, la ville d’Europe la plus tolérante pour les lesbiennes et les gays. Mais non, ce n’était pas possible, je les avais observés toute la journée : ils avaient un penchant tous les deux pour la gent féminine. Rien à faire, il fallait que je sois plus claire encore mais, pour cela, il fallait que je trouve le moyen de parler seule à seul, pendant quelques minutes, avec Jean-Philippe ou David. Jusqu’à présent, une telle occasion ne s’était pas encore présentée.
* * *
Nous nous sommes remis alors en route : puisque j’avais obtenu satisfaction pour Oxford Street, c’était à leur tour de proposer un endroit où nous rendre. David voulait pour sa part visiter le Chinatown londonien qui, il est vrai, n’était pas très loin et poursuivre ainsi jusqu’à Charing Cross, quartier où, paraît-il, foisonnent les bouquineries (qu’il apprécie beaucoup). Ceci dit, à part des restaurants (asiatiques), des gens (asiatiques), des boutiques (asiatiques) de tatouage et de piercing, je dois te dire que je n’y ai rien vu personnellement de très intéressant. J’ai pensé que David avait dû se dire la même chose parce que nous sommes passés au travers de ce quartier en un temps record : au bout de trois minutes, la visite était terminée. Mais comme Charing Cross était sur le chemin, cela ne nous a pas trop gênés.
Et puis nous sommes tombés sur le fameux quartier, tu sais, celui qu’on trouve dans toute ville moderne digne de ce nom : pas le quartier de la prostitution (je pense que les autorités municipales les ont chassées des quartiers du centre-ville), mais le quartier des boutiques dites érotiques : peep-shows, librairies spécialisées, sex-shops. Il y en avait une rue entière ! Nous nous sommes retrouvés dans cette rue sans quasiment nous en rendre compte et c’est une fois bien avancés dans celle-ci que nous nous sommes aperçus de la nature particulière de ces commerces « de charme ».
Ah, les hommes ! Je les ai vus passer devant les trois ou quatre premiers sex-shops sans s’arrêter : c’était exactement la répétition de ce qui s’était passé tout à l’heure avec la fille dans le métro : combien ils sont faciles à percer à ces moments-là ! Je les imaginais bien en cet instant regretter ma compagnie et ne pouvoir assouvir ce petit moment de curiosité bien propre à leur masculinité. Mais cette fois, j’avais bien l’intention de les coincer tout de suite.
David s’est arrêté le premier et après un moment il s’est retourné pour me dire avec un léger sourire :
Et j’y suis donc entrée, encadrée par ces deux hommes heureux pas seulement d’y pénétrer, mais surtout de pénétrer accompagnés par une femme bien réelle, dans un lieu où généralement on ne pouvait les voir que sur un support à deux dimensions.
* * *
En fait, tu ne vas pas me croire, mais c’était pour moi la première fois : je n’ai jamais mis les pieds dans une de ces boutiques. Ce n’était pas par position de principe mais très sincèrement cela ne m’intéressait pas : j’avais bien vu à l’occasion, sur Internet, des extraits de films pornographiques mais j’avais toujours trouvé cela un peu abusif : aucune femme un peu sensée n’adopterait jamais le comportement de ces femmes-modèles qui succombent à la première seconde au pouvoir sexuel de l’homme (ou des hommes) avec lequel elles couchent, et qui se mettent sur-le-champ à entreprendre tout ce qu’un homme exige d’elle quand elles ne prennent pas d’ailleurs immédiatement l’initiative d’anticiper ses moindres désirs de phallocrate.
Ceci dit, j’en ai bien conscience, ces films sont faits pour flatter les hommes : dans ces productions, les hommes sont toujours irrésistibles, les femmes craquent toujours et elles sont en outre la plupart du temps les victimes consentantes d’un mâle dominant plus ou moins violent. Ces films projettent donc les désirs primitifs des mecs et il est finalement logique qu’une femme n’y retrouve pas ses propres aspirations.
Même en sachant tout cela, je dois te le dire, le choc est assez brutal : au premier abord, tu ne perçois pas très bien ce qui se trouve devant toi : puis après une ou deux secondes, tu comprends que toutes ces couleurs, ce sont des livres ou des pochettes de DVD où les femmes sont mises en évidence de toutes les manières possibles et imaginables. Ça, c’est le premier choc.
Le deuxième choc, ce fut de me rendre compte que j’étais la seule femme dans ce magasin. Tu vas me dire qu’après ce que j’ai écrit il y a quelques lignes, c’était plutôt prévisible. Mais je n’avais pas fait le lien entre l’idée et les conséquences de cette idée. Pense ce que tu veux à ce sujet.
Ensuite, tes yeux se portent spontanément vers des boîtes derrière le comptoir dont tu ne sais très bien ce qu’elles contiennent (les garçons m’ont appris par la suite ce qu’il y avait dedans). Enfin, dans le fond, tu trouves du « matériel » pour des soirées mouvementées : il y a notamment les quelques objets sado-maso d’usage (et je dois dire que je n’ai pas compris à quoi servaient quelques-uns d’entre eux) mais aussi – et ça je ne m’y attendais vraiment pas – des phallus artificiels : et là, je dois le reconnaître, j’ai été pour le moins impressionnée quand j’ai vu, à ma grande surprise, que certains d’entre eux étaient recopiés « à l’identique » : je veux dire que ce n’était pas à première vue de stupides répliques en plastique mais que ces choses avaient un air naturel qui, franchement, aurait pu les faire confondre avec ce que la Nature produit de mieux en la matière. Les garçons ont-ils vu mon étonnement passager ? Je n’en sais rien, ils étaient très accaparés par ce qui les entourait, mais je ne pouvais l’exclure.
* * *
Enfin, le fond du magasin invitait les indécis à visionner un film dont je n’ai pas compris le titre (il était en anglais) mais que Jean-Philippe a pu traduire sans aucun effort : comme quoi, on peut très bien ne pas pouvoir se débrouiller en anglais courant mais bien maîtriser l’anglais technique ! Il s’est en tout cas abstenu de me le dire, me laissant, m’a-t-il soufflé dans l’oreille, l’occasion de découvrir par moi-même, si je le voulais, la signification des mots en question. Et voici que pour 10 livres chacun – ce n’était pas donné ! – nous nous retrouvons tous trois derrière un rideau à chercher une place dans le noir.
Les premiers moments, c’est assez paniquant pour une femme : tu te demandes comment les mecs qui sont là, probablement en train de s’astiquer vigoureusement, vont résister à l’envie de venir te sauter dessus ! Mais non : d’abord, il s’est avéré qu’il n’y avait que deux personnes dans la salle, et de plus, elles étaient sagement assises à fixer des yeux les ébats amoureux offerts à leurs prunelles avides. Je me suis en tout cas empressée de m’installer sur la dernière rangée de fauteuils : on a beau être curieuse, ce n’est pas pour cela qu’il faut être téméraire.
Quant aux ébats amoureux, je ne sais si c’est vraiment le terme adéquat : en fait, l’écran offrait la vision d’une femme (déshabillée cela va de soi) entourée de quatre hommes (déshabillés aussi évidemment et en plein rut), dont deux étaient occupés à… Bon, je ne suis pas une spécialiste des reportages sportifs, j’ai de toute façon peur de me rendre vulgaire en utilisant des termes spécifiques. Mais la seule réflexion utile qui m’est alors venue à l’esprit, c’est de savoir si un tel film pouvait effectivement flatter à ce point le sentiment de supériorité sexuelle des hommes, qu’ils en oublient même que la femme qu’il voyait là pouvait très bien être leur sœur, leur femme, leur mère ou leur fille. Je pense que c’est le genre de réflexion qu’ils ne se font probablement jamais.
J’ai été tout de suite fixée : bien entendu dans la pénombre je ne pouvais pas distinguer si la réaction anatomique traditionnelle (tu sais, ce raidissement localisé…) s’était ou non amorcée, mais, après quelques minutes, je pouvais au moins en percevoir les autres symptômes : une concentration extrême et, paradoxe, une sorte d’agitation générale (ils me donnaient l’impression d’être assis sur une aiguille de tricot), une respiration courte et bruyante accompagnée de quelques raclements de gorge, et puis, ce qui là, c’était sûr !, ne m’a plus laissé le moindre doute, la main de Jean-Philippe qui s’est posée sur mon genou et qui s’est mise à remonter lentement le long de ma jambe en direction de ce que tu devines aisément !
J’ai bien entendu mis immédiatement le holà en bloquant sa main avec la mienne, il y a des limites quand même et faire l’amour (enfin, si on peut dire) dans un cinéma porno était vraiment trop pour moi. (Tu vas me dire que je l’ai bien cherché, à force justement de repousser les limites : c’est vrai, je le reconnais.) Je l’ai donc juste autorisé à laisser ma main sur ma cuisse naissante (ce qui en soit était déjà beaucoup puisque après tout, c’était quand même le premier contact charnel) mais je me sentais quand même en situation de danger à moyen terme.
On ne pouvait pas rester comme ça. Et puisque David se trouvait de l’autre côté de Jean-Philippe, c’était donc l’occasion de souffler à l’oreille les quelques informations nécessaires à la bonne mise en œuvre de ma soirée avec celui qui s’était montré le plus empressé à me rendre les hommages dus à mon statut de femme. Jouant d’abord sur la fausse pudeur, je lui ai d’abord susurré à l’oreille une espèce de « non » qui ne se voulait pas impératif. Puis amorçant immédiatement la réplique suivante, je lui ai inoculé dans l’oreille l’espoir du meilleur avenir possible en ajoutant :
* * *
Voilà, tout était dit, les dés étaient jetés et les apparences étaient sauves : il m’avait draguée, j’avais répondu : certes, j’en étais peut-être quitte pour apparaître comme une femme facile (comme on dit), mais je m’en fichais un peu, je dois bien te le dire.
Il ne restait qu’à conclure en trouvant un endroit pour y remiser David, mais cela, ce n’était plus mon affaire. Je me suis alors levée pour quitter le spectacle d’une femme (qui, pour le dire très crûment, avalait une substance liquide qui n’était ni de l’eau, ni du vin), et, sans surprise, Jean-Philippe m’a suivie pour établir au mieux les quelques dernières modalités pratiques (en essayant à nouveau au passage de glisser subrepticement sa main sur mes fesses, ce que je l’ai autorisé d’ailleurs à faire mais juste le temps nécessaire).
* * *
David, de toute évidence, ne s’était pas vraiment aperçu de ce qui s’était produit et a continué à regarder les images plutôt peu flatteuses de cette fille au visage maintenant complètement maculé, se disant qu’il nous rattraperait une fois cet outrage à l’amour définitivement achevé : ce qui nous a donné l’occasion à Jean-Philippe et moi de nous accorder.
Il fut d’abord convenu que cela se passerait dans ma chambre, qu’il y amènerait les bières initialement prévues pour le petit pub improvisé et que David nous rejoindrait plus tard, une fois les festivités achevées. Jean-Philippe s’arrangerait avec lui pour lui expliquer la situation.
Toutefois, avant de prendre congé, je lui ai insinué une petite réflexion à laquelle je tenais beaucoup : celle que dans les jeux amoureux auxquels nous allions succomber, c’est moi qui tiendrai la barre et qui dirigerai seule le navire. Là, il a été déstabilisé, franchement. Il n’a pas je crois immédiatement compris de quoi il retournait. Une deuxième explication fut donc nécessaire :
Et puis, sur un ton qui se voulait malicieux, j’ai ajouté :
Cette fois, à la bonne heure, il a compris ! Il a poursuivi en me disant :
Ce dernier argument l’a apparemment convaincu puisqu’il m’a lâché alors un OK qui a scellé son sort. Ceci dit, même s’il me donnait l’impression d’être content, il ne semblait pas être très à l’aise avec ce contrat aux clauses mal définies.
Bon, c’est vrai, il faut bien reconnaître que la fixation d’un rendez-vous galant, ou coquin si tu préfères, dans une salle de cinéma porno ne correspond pas vraiment à l’image romantique que l’on peut se faire de l’amour (même quand il n’est que de passage) : mais que veux-tu, on ne fait pas toujours ce que l’on veut, et l’on est parfois bien content de pouvoir se contenter de ce que l’on peut.
À court terme, en tous cas, il fallait que je dégage, sinon Jean-Philippe ne pourrait effectivement pas expliquer à l’autre de quoi il retournait ; et puis, il valait sûrement mieux faire retomber la tension psychologique (et la tension anatomique aussi soit dit en passant). Je lui ai donc donné rendez-vous à 6 heures et demie au snack de la veille, proposant à Jean-Philippe de rester ici encore un peu avec David et de « profiter » de l’endroit où il se trouvait. Il a bien compris, je crois, qu’après tout, le plaisir de l’attente est tout autant un plaisir que le plaisir lui-même. En plus, il fallait effectivement que je sorte : j’avais des choses à faire pour que tout se déroule comme je le voulais.