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Temps de lecture estimé : 30 mn
13/10/13
Résumé:  Suite de mon histoire à Londres en septembre 2012. Où les choses ne se passent pas aussi bien qu'initialement prévu !
Critères:  fhh vacances hotel hsoumis fdomine vengeance journal lettre
Auteur : camilleM            Envoi mini-message

Série : Pensées pour moi-même

Chapitre 03 / 04
Pensées pour moi-même (3)

13. Dies Irae : Miserere




Te rappelles-tu cette party à laquelle nous avions été invitées chez Nicole ? Tout allait super-bien jusqu’à l’arrivée du petit Benoît ; petite cause, grands effets : Nicole a arrêté la musique, lui a demandé de sortir, il a refusé, ils ont échangé des mots et après son départ, l’ambiance n’était plus tout à fait la même – et si je me souviens bien, on a finalement tous fini la soirée dans un café du centre-ville. Eh bien ici c’était un peu pareil : un invité surprise a gâché la soirée. Enfin, quand j’écris « invité surprise », il faut que je nuance ; mais une chose à la fois, il faut d’abord que je t’explique ce qui s’est passé juste après la découverte du passager clandestin.


Bien entendu, dans un premier temps, et dès que j’ai eu compris que l’irruption dans cette partie si intime de mon corps n’était pas le fait de Jean-Philippe, j’ai contracté les fesses dans une réaction instinctive, et j’ai tout aussitôt avancé le dessous de mon corps pour l’éloigner autant que possible du danger potentiel auquel il était exposé. Jean-Philippe a tout naturellement cru que je voulais ainsi accélérer le trajet de sa langue vers sa destination finale et a voulu raccourcir la durée du voyage, mais il a bien dû se rendre vite compte que la vitesse de propulsion de mon ventre sur son front était peu compatible avec la bonne réussite de cette opération.

Et c’est à ce moment que, en tournant la tête derrière moi, j’ai vu dans ma vision périphérique quelque chose que j’ai identifié tout de suite comme un corps d’homme complètement nu, prêt à mettre ses sales pattes sur moi et à me passer son sexe à travers le corps !

Je n’ai eu que le temps de pousser un petit cri, puis j’ai entamé la fuite la plus impressionnante de toute ma vie, fuite qui m’a conduite à l’autre bout de la pièce.


Quand je me suis retournée, le souffle court, et contractée autant que possible contre le mur le plus lointain du lit, j’ai vu Jean-Philippe, qui était toujours à genoux là où je l’avais laissé, me regarder avec des yeux surpris ; mais surtout, je voyais très distinctement l’intrus, de l’autre côté du lit, un pied par terre et un genou sur le matelas, une queue rigidement dressée et les yeux braqués sur mon corps, cet intrus qui s’était permis de s’introduire subrepticement à la fois dans ma chambre et dans mon vagin, cet intrus dont, sans relâche, je ne pouvais m’empêcher, complètement désorientée et désemparée sous le feu de son regard lubrique, de me demander ce qu’il pourrait bien faire ici ; et c’est alors que ma surprise a été décuplée – et mon affolement en même temps – quand mon esprit m’a permis de reconnaître au-dessus de cette masse de chair le visage de ce garçon tout à l’heure si timoré : David !


Tout d’abord, j’ai cru que Jean-Philippe n’avait pas vu que David s’était placé là et j’ai pensé qu’il m’avait d’abord suivie du regard pendant que je m’enfuyais, et qu’une fois remis de sa surprise, il allait remettre sur-le-champ les pendules à l’heure, autrement dit que ces deux rivaux de l’heure allaient se taper dessus : mais quand il s’est retourné sur David et que, contrairement à mon attente, il ne s’est pas levé d’un bond pour aller lui casser la figure, là je me suis dit qu’il y avait non seulement un petit problème d’arithmétique mais surtout un énorme problème de loi des ensembles : que dans le cas présent, un et un ne faisait pas deux, mais plutôt un ensemble soudé composé de deux éléments (rassure-toi : à ce moment-là, je n’envisageais vraiment pas les choses par analogie mathématique, tu peux franchement me croire !). Juge plutôt : d’abord, Jean-Philippe ne se relevait effectivement pas d’un bond, mais en outre il échangeait des mots et des regards rapides avec l’inopportun. Je ne comprenais pas leurs mots, mais ils n’avaient rien qui pouvait entrer de la catégorie de l’insulte ou du règlement de compte : et si un moment, j’ai entendu David dire nerveusement :




* * *



C’est une situation que je ne te souhaite jamais de vivre ! C’est épouvantable : au moment même où tu frôles l’orgasme, où tu te dis que cela devient franchement génial, pour une raison sordide, tu te retrouves en moins d’une seconde, sans aucune transition et sans trop savoir comment, totalement à poil dans un coin d’une pièce d’hôtel, scrutée par deux mecs complètement à poil aussi et en pleine érection, qui te regardent en n’attendant que le moment propice où ils vont te prendre, l’un par les pieds, l’autre par les jambes, et se servir de toi pour te passer à tour de rôle leur queue dans le cul (je pourrais plus posément dire « te faire violer », mais à ce moment c’est l’image qui m’est passée à l’esprit).


J’avais subitement l’impression – l’identification a fusé en cet instant dans mon esprit – de me retrouver dans la position de cette femme au cinéma tout à l’heure. Cinq secondes – ou dix, ou quinze, je ne sais plus – où tes yeux doivent montrer combien tu es vulnérable et à la merci de ces porcs qui te baisent sans état d’âme en te considérant finalement encore plus mal que toutes les putes qu’ils peuvent avoir sautées dans leur vie. J’avais envie de crier mais, outre que j’aurais été mal à l’aise de prouver le viol avec mon vêtement sexy rouge autour du cou et un tiroir rempli de revues pornos (considérations que dans mon état de folie je n’étais pas en état de formuler et auxquelles je n’ai pensé que bien des jours plus tard), j’étais surtout complètement paralysée par la terreur et dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit. Je me suis mise à trembler, et c’est à ce moment que ce qu’on peut bien appeler la seconde partie de la soirée a démarré, celle qui allait me conduire de désillusion en désillusion sur la nature des hommes – enfin, de certains d’entre eux – et de faire tomber le masque de leurs soi-disant bonnes manières.



* * *



Combien de temps suis-je restée ainsi à attendre qu’ils délibèrent sur mon sort ? Cela a pris, j’en suis certaine, plusieurs minutes ; mais est-ce deux, trois, quatre, dix, vingt ? Je n’en sais plus rien : je tremblais, je me murmurais je ne sais plus trop quoi à moi-même, je me demandais si je ne pourrais pas encore aller plus profondément dans mon coin. Dans mon psychique, tout en souhaitant qu’il ne trouve jamais son terme, ce temps de latence me mettait dans une angoisse sans fond : j’étais convaincue que plus ces deux porcs allaient prendre de temps pour terminer leurs palabres, mieux ils détermineraient une bonne fois pour toutes la façon dont chacun d’eux allait s’y prendre pour me violer et me faire subir leurs pratiques humiliantes. Et quand j’ai vu Jean-Philippe me barrer le chemin de la sortie en se mettant devant la salle de bains, David s’approcher de moi pour me saisir, je me suis plus encore recroquevillée (pour autant que c’était encore possible) et j’ai lancé comme je le pouvais, dans cette paralysie générale qui m’avait totalement figée, une toute petite supplique pour qu’ils m’épargnent ce sort auquel je n’avais jamais imaginé être un jour soumise, mais dont je savais confusément qu’il allait me casser physiquement et psychologiquement pour de nombreuses années, si pas pour tout le reste de ma vie :



C’est alors, sans que je comprenne réellement grand-chose à ce qui s’était produit jusque-là, tant j’étais sonnée par la peur, que David m’a remis, en me le mettant de force dans la main, ce que je pensais être ce bâillon et qui n’était en fait que mon chemisier. Si je n’ai pas beaucoup plus raisonné sur mon sort en ce moment de panique intense, j’en ai néanmoins quelque peu émergé, et me suis accrochée à l’espoir que je disposais tout au moins d’un léger répit.


Le chemisier à la main, ne parvenant toujours pas très bien à comprendre ce qui m’arrivait, j’ai commencé à me hisser lentement, pas à pas, de l’état second si proche de l’évanouissement (ce qui, peut-être, me suis-je naïvement dit, m’aurait permis de passer rapidement l’épreuve). David, lui, ne s’est pas attardé en tout cas à vouloir à tout prix que je remette ce qu’il m’avait apporté, et il s’est éloigné en direction de la porte d’entrée ; là, il s’est adressé à Jean-Philippe.


J’ai rapidement perçu que, contrairement à la sorte d’abandon dans lequel me plongeait mon état second, il y avait de ce côté-là une certaine résistance ou, pour mieux dire, une résistance certaine : Jean-Philippe et David n’étaient plus maintenant ce duo d’amis unis que j’avais connu dans le cours de la journée et – même si l’image était brutale pour moi, elle m’est venue à l’esprit avant la première – quelques minutes auparavant encore. Dans ce moment de lucidité toute relative, j’ai compris que mon cas, loin d’être réglé, n’en était en fait qu’à ce point précis où tout bascule à gauche ou à droite, et je me suis seulement persuadée que mes supplications avaient pu infléchir que la détermination du moins bestial de ces deux violeurs. Je sentais bien toutefois que la partie était mal engagée : David n’était à l’évidence pas physiquement bâti pour résister à une attaque déterminée de la part de son complice d’il y a à peine quelques instants.


Et pourtant ! Contre toute attente, non seulement David l’emporta, non sans quelques éclats de voix compromettants pour la suite de leur projet douteux (et c’est à ce moment que j’ai commencé à sortir de ma torpeur et de me rendre compte que moi aussi je pourrais au besoin crier) ; et ce qui fut le plus surprenant encore, il ne le fit qu’en usant de la rhétorique : Jean-Philippe était vaincu par les mots et seulement par les mots (finalement, était-ce très différent ce que j’avais fait de lui dans le cours de la soirée ?) ! Une sorte de répétition du combat de David et de Goliath ! Goliath en l’occurrence se replia en maugréant dans la salle de bains et, après s’être assuré que le géant s’en était bel et bien allé dans sa retraite improvisée, celui qui avait mis fin à cet épisode traumatisant de ma vie s’approcha à pas pressés de moi et, après m’avoir appelée deux fois par mon prénom (me permettant ainsi, pour la première fois depuis ma fuite, de ne plus me sentir simplement l’objet charnel d’une tentative de prise de possession physique de mon corps de femme, mais bien comme un être humain), il m’adressa la parole avec des mots qui résonnent encore aujourd’hui dans ma tête comme un acte de délivrance :




* * *



Oui, je sais : on a du mal à imaginer qu’un type prêt à te faire subir des relations sexuelles forcées se mette à peine une minute après, et sans être passé à l’acte, à te demander de le pardonner. Ça, ça n’existe nulle part, même dans le pire des romans de gare. Mais, outre que la nature humaine est imprévisible, le fait de se retrouver dans une situation sans précédent, tant de son point de vue que du mien, pouvait très bien le conduire à ce sentiment atypique. Mais surtout, ton incrédulité, aussi légitime soit-elle, me prouve combien j’ai réussi à te transmettre les sentiments qui m’assaillaient alors, lorsque je ne savais pas encore tous les tenants et tous les aboutissants de l’affaire. Mais laisse-moi le temps de tout t’expliquer, tu comprendras mieux ensuite.





14. Confiteor




J’étais là assise par terre à côté de lui, et lui était là à côté de moi. Lequel des deux était le plus pitoyable à voir : la femme avec cette sorte de foulard rouge, son corps nu, plissé par la position repliée et la mauvaise graisse qu’elle n’avait jamais eu le courage de combattre vraiment ; ou bien ce garçon, nu également, geignant sur son sort, emporté par le remords d’avoir été à deux doigts de violer si pas une amie – et tout cas une personne qui ne lui était pas inconnue – avec qui il avait au moins partagé toute une journée et dont on pouvait penser a priori qu’il en avait apprécié les qualités morales ?


Je ne me suis pas vraiment posé la question : j’ai eu surtout à cet instant un peu honte de ma nudité (et, pour tout te dire, j’avais un peu peur qu’il ne lui vienne à l’idée de recommencer ce à quoi lui et Jean-Philippe avaient renoncé) et, sans mouvement brusque, j’ai profité de cette occasion de relative tranquillité pour enfiler mon chemisier et pour permettre à mon corps de se libérer de la charge émotive qui l’affectait encore. De toute évidence, David se calmait de même ; mais, il faut bien que je le dise, la vue de cet homme si visiblement émotionné et si différent de ce qu’il était il y a peu, tout cela me déroutait complètement : le fait d’avoir sollicité mon pardon ne me faisait oublier que la nature lubrique de David pouvait le submerger à nouveau et je tenais à garder clairement une distance suffisante pour éviter une nouvelle rechute.


J’ai à nouveau perdu le sens du temps. En tout cas, David aurait pu rester des heures comme cela, prostré sur le sol, sans bouger le moindre muscle, sans renoncer à regarder fixement le sol devant lui pour ne pas être obligé de croiser mon regard et pour éviter aussi longtemps que possible de m’adresser la parole. Ce nouveau délai supplémentaire me fut plus qu’utile puisqu’il me permit de me sortir définitivement de la torpeur qui m’avait si brutalement saisie, sentiment qui faisait progressivement place à une colère froide envers ceux qui avaient voulu m’abuser physiquement, mais également à une insondable tristesse d’avoir été trahie par des gens que j’avais cru mes égaux.


Enfin, à un moment, il a bien fallu que nous sortions de cette situation embarrassante. Comme je viens de te le dire, à voir son état d’abattement, il était difficile d’envisager que David prenne la direction des pourparlers de paix. C’était donc à moi de me lancer ; d’autant plus, considération très matérielle mais qui revêtait une importance certaine à ce moment-là, que je me trouvais près de la fenêtre, que cette fenêtre était très mal isolée de la chambre, et qu’à Londres, au mois de septembre, les nuits sont plutôt frisquettes, surtout lorsqu’on est vêtu (mais ne faudrait-il pas plutôt dire : dévêtu ?) avec mon seul chemisier sur le dos.


Je ne pouvais décemment pas dire à David de dégager sans plus : tout d’abord, même si à l’origine il avait contribué à la tentative de viol, je devais quand même reconnaître que, dans un deuxième temps, il s’était fameusement racheté : ne lui devais-je in fine d’avoir assuré ma sauvegarde de façon fort courageuse ? Non seulement il s’était retourné contre son ami, ce qui n’était déjà pas si mal, mais en plus cet ami aurait pu l’envoyer dans les cordes sans aucun effort. Et puis, je n’oubliais pas que Jean-Philippe était toujours dans ma salle de bains ! Et plus que jamais frustré de n’avoir pu s’envoyer en l’air avec moi, que ce soit avec ou sans mon consentement (et très sincèrement, frustré, il devait l’être terriblement, après ce qu’il avait enduré de ma part tout au long de la soirée). Aussi, pour renouer le contact, et plutôt que d’adresser à David la question qui me venait le plus naturellement à la tête (« Pourquoi ? »), je lui ai déposé à titre de remerciement, et après y avoir réfléchi, deux mots finalement mieux adaptés que celui que m’inspiraient à la fois la colère et la tristesse, deux mots tellement importants, deux mots tellement chargés de sens, deux mots à l’origine de tout ce qui va suivre, deux mots enfin sans lesquels nous serions restés profondément meurtris (moi plus que les autres d’ailleurs) pour une période probablement très longue :




* * *



Au début, cela n’a rien changé : David et moi sommes restés immobiles comme nous l’avions été jusqu’alors (et, à tout prendre, je ne suis pas très sûre que la place de Jean-Philippe, dans cette mini-salle de bains, assis sur la planche ou la cuvette du WC, ait été beaucoup plus confortable que la nôtre). Qu’y avait-il à dire d’ailleurs ? David enregistrait le message, il le réécouterait à tête reposée plus tard, se consolant de ce que sa victime lui ait finalement accordé son pardon et ait reconnu à sa juste valeur son revirement de dernière minute. Il s’agissait avant tout de rompre le silence devenu oppressant, le temps que nous reprenions tous nos esprits, et que nous trouvions une façon originale, si possible, de nous tirer de cet embarras sans que personne n’y perdre trop la face. Aussi je ne m’attendais pas à ce que David se mette dans l’immédiat à me répondre. Mais cela ne prit pourtant que quelques secondes.



« Soit il me joue le rôle du type qui assume désormais son statut de repenti sans souci de récompense, soit il a chopé Alzheimer. » me suis-je dit sur le moment.



Et c’est là que David a enfin levé la tête, qu’il m’a enfin regardée dans les yeux (les siens étaient franchement hagards), et avec cet air d’étonnement qui, vu le contexte, ne pouvait apparemment qu’être sincère, il a prononcé cette parole qui m’a paru totalement en déphasage avec tout ce qui venait de se produire :



Je cherchais mes mots : je n’avais effectivement pas très envie d’invoquer à haute voix l’épisode traumatisant que je venais de vivre. Mais il a insisté :



Il s’est alors interrompu (de toute évidence, lui aussi avait du mal à invoquer les incidents) et est revenu au sujet principal de la conversation.



C’était sa leçon de thérapie freudienne ou quoi ? Il voulait vraiment que nous entamions une conversation de cette nature ? Mais, tout bien réfléchi, me suis-je dit, j’en avais peut-être moi-même besoin ; et puis, entamer une conversation, quelle qu’elle soit, nous permettrait de trouver cette sortie honorable dont je viens juste de te parler. Aussi, j’ai répondu dans une sorte de murmure :



Bien entendu, j’ai soigneusement évité d’évoquer son rôle ambigu dans l’histoire. Et au lieu du conventionnel « De rien. », il a gardé longtemps le silence sans me quitter un seul instant des yeux et m’a lancé :



Les mots sortaient de sa bouche sur un débit saccadé, avec des interruptions brèves et des reprises vigoureuses. De toute évidence, son cerveau travaillait à la vitesse V’. J’étais de mon côté pour le moins étonnée : il y avait quelque chose qui se passait là, sous mes yeux ; je le sentais bien, mais je ne discernais pas encore ce qui allait sortir de ses cogitations pour le moins agitées. Et c’est alors qu’il me lança, complètement abasourdi :



« Ca y est, nous revoici dans la phase de déni : il va finir par me dire que j’étais consentante, et patati et patata ! »



Alors, profitant du court répit qu’il m’avait de facto octroyé pour lui répondre, j’ai réenclenché les rouages de ma pauvre machine cérébrale, la poussant en un temps record à dix mille tours/seconde : et si j’avais mal perçu le cours des événements de cette soirée ; si, malgré tout ce que j’avais vu, malgré toutes ces apparences à charge, se cachait une vérité qui m’avait échappée ? « Mais non, il essaie de t’embobiner pour pouvoir s’en sortir honorablement, comme tu l’avais prévu ! » me susurra ma petite voix. Il n’empêche : son argument avait un certain poids et il venait de marquer un point. Mais, fondamentalement, cela ne changeait rien au fait qu’il était venu dans ma chambre sans que je l’y invite, et avec la complicité pleine et entière de celui à qui je me donnais corps et âme (corps surtout), et qu’ils avaient eu pour intention, sans mon consentement, de faire revivre la pratique antique du partage des femmes. D’une certaine façon, si viol physique (ou intention de viol physique) il pouvait ne plus en être question (mais sur ce point je n’étais pas encore rassurée) : le fait de s’être glissé dans ma chambre au milieu de mes ébats et d’avoir fait le voyeur à mon insu était une sorte de viol psychologique dont la mise en œuvre avait été facilitée par l’action d’un traître dans la place. Sans oublier en outre que si David ne s’était pas repris, il en serait probablement revenu à l’hypothèse de départ.

En attendant, il fallait que j’en aie le cœur net :



Il commençait à me taper sur les nerfs maintenant, sérieusement :



(Il fallait que je me maîtrise, sinon nous risquions d’attirer les voisins ; et franchement, ce n’était ni l’instant ni l’endroit.)



Et là, stupeur totale quand il m’a répliqué :




* * *



Il fallait que nous nous calmions, absolument. Je me suis levée et me suis empressée de prendre le pantalon qui traînait par terre (en regardant avec un dégoût profond la scène où le massacre venait de se dérouler) et de l’enfiler, retrouvant non seulement ma dignité perdue mais aussi, par la même occasion, un peu plus de lucidité.

Je voulais bien croire que David essayait de sauver la face, mais je ne pouvais quand même pas me permettre de perdre la mienne. Alors, je l’ai regardé droit dans les yeux, fixement, intensément, prête à bondir s’il tentait encore de me faire passer pour ce que je ne suis pas, et en lui lançant :



Et alors, là, j’ai compris : Jean-Philippe, dans sa bonté d’âme très phallocratique, avait proposé à son ami de se joindre aux petites agapes auxquelles je le conviais, sans s’inquiéter de ce que moi j’en aurais pensé ! C’était vraiment un salaud.



Dans un premier temps je me suis de nouveau dit « Un vrai salaud, ce Jean-Philippe ! » Puis, puis, lentement mais sûrement, me focalisant sur ce moment particulier où j’avais fait ma proposition cet après-midi, l’évidence de la méprise m’est apparue. « Que lui ai-je dit exactement ? C’était il y a longtemps (avant ma peur panique, avant la mise en scène de cette soirée et tout ce qui en a suivi d’attente, de manipulation, de plaisir et d’angoisse ; bref, avant tout ce condensé d’émotions fortes où les minutes s’éternisent et où ce qui a eu lieu avant n’a plus d’important). Allez, fais un effort, nom de nom : que lui as-tu vraiment dit, exactement ? Qu’il pouvait me rejoindre ce soir dans ma chambre ? Oui, d’accord ; mais pour David, qu’il pouvait… Nom de Dieu : qu’il pouvait nous rejoindre après. » Mais moi, je voulais dire : une fois tout fini, pas pour qu’il nous accompagne dans une partie à trois !


Tu vois Alice, j’étais un peu dans la situation où tu te mets à engueuler ton voisin parce qu’il a parqué sa voiture devant ton garage et que tu te rends compte, d’abord, que ce n’est pas sa voiture et, ensuite, que c’est celle d’une de tes amies qui est venue te rendre visite et qui vient justement à ta rencontre pour t’embrasser : tu voudrais bien te faire oublier au plus vite, t’excuser en t’abaissant bien bas, offrir un cadeau de réconciliation, t’enfuir en courant pour éloigner de toi cette gaffe monumentale et te cacher dans ta maison, que sais-je encore ? Mais tu ne le peux pas : d’abord parce que tu ne peux pas courir à cause de tes hauts talons (moi, dans ma situation, c’était plutôt parce que je n’avais pas de chaussures et que j’étais déjà dans ma chambre), ensuite parce que d’une façon ou d’une autre, nous sommes tous des êtres humains et que nous nous sentons moralement obligés de nous réconcilier pour éviter de tomber dans la guerre civile.



Et je me suis mise à marcher de long en large, la main sur la bouche, passablement énervée par ce que je venais de découvrir et par la méprise qui nous avait conduits tous les trois au carnage. Mon Dieu ! Comme un mot prononcé incidemment au mauvais moment peut ruiner une existence ! Comme une pensée mal interprétée peut avoir des conséquences aussi désastreuses que celles-là ! J’aurais dû être plus prudente dans mes propos (qu’avais-je vraiment dit, d’ailleurs ? Je n’en avais plus aucune certitude.) et prendre en compte que lancer cette invitation n’aurait pu être compris que dans un sens conforme à ce tout qui entourait en ce moment précis Jean-Philippe : après tout, sur l’écran, il y avait une sorte de répétition de ce qui lui avait été promis : une femme entourée de plusieurs hommes !



Je suis alors sortie du tréfonds de mes pensées, me suis rendu compte que David était nu et n’avait, contrairement à moi, aucun vêtement à se mettre et je me suis mise à envisager que mon sort, s’il était malheureux, n’était pas peut-être le plus difficile à vivre. Aussi, dans un mouvement de commisération pour ce pauvre garçon, je me suis approchée du lit, en ai arraché l’édredon et le lui ai déposé sur les épaules, cadeau qu’il a accepté en me remerciant pour cette reprise en compte de son humanité à lui. Et puis, une fois cette garniture de lit posée sur ses épaules, je l’ai supplié de me raconter ce qui s’était passé et ai bien dû me rendre à l’évidence : les faits ne s’étaient pas tout à fait déroulés comme je les avais prévus, et moins encore comme je m’étais imaginée les voir !

Et David se mit à me mettre sous les yeux le récit de l’après-midi de ces deux célibataires aux tempéraments si différents, voire opposés, mais néanmoins amis depuis si longtemps.





15. Échos en forme de contrepoint




Il commença bien entendu par me raconter ce qui s’était passé juste au moment où je les avais quittés aux alentours de 4-5 heures de l’après-midi. Une fois que je m’en suis éloignée par vaquer à mes petites affaires, Jean-Philippe a bien entendu dare-dare rappliqué près de David pour lui faire part de ce que je lui avais proposé (enfin, pour être plus précise, de ce qu’il avait cru entendre). Jean-Philippe parlait fort ; mais dans ce genre de cinéma, avec ce genre de propos (même si personne probablement ne comprenait le français), cela ne devait pas déranger beaucoup les deux autres spectateurs du moment. Au début, David n’y a pas trop cru : une histoire comme celle-là, ça n’arrive que dans les films (et pas dans tous, seulement dans ceux que l’on vendait dans la boutique où ils se trouvaient). Mais il fallait reconnaître que son ami avait de fameux atouts dans sa manche : d’abord, lui avait-il expliqué, je m’étais habillée de façon plutôt provocante. Mais avec beaucoup d’à-propos, David lui avait fait remarquer que la plupart des femmes croisées dans la journée étaient ainsi vêtues, que ce n’était là que la conséquence du beau temps, et que ce n’était pas une raison pour en conclure qu’elles avaient toutes envie de passer la nuit avec les hommes qui avaient vue sur leur gorge profonde. Le premier essai n’ayant pas abouti, Jean-Philippe s’y prit autrement en rappelant l’histoire du métro, et surtout l’allusion au fait qu’à moi-même il arrivait de me promener sans soutif : là, les certitudes de David se sont très légèrement fissurées mais, comme je m’y attendais un peu, il n’en est pas arrivé aux mêmes conclusions que l’autre.



Et là, David a craqué et a bien dû admettre que toute cette histoire, malgré son invraisemblance, avait peut-être bien finalement un véritable fond de vérité.

Pour autant, il n’a pas dit oui à son ami : après tout, c’était quand même passer un stade au-dessus de la simple douche entre hommes après un match de foot. Il n’avait jamais vu Jean-Philippe jouer (c’est le mot qu’il a employé) avec sa queue que pour faire de ces allusions stupides que font tous les ados (ils avaient été au collège ensemble) et encore moins avec son sexe en érection. De plus, David avait un peu de mal à s’imaginer participant à une telle scène. Mais Jean-Philippe insistait, insistait, insistait tellement : pour lui, c’était vraiment une histoire unique qu’il s’apprêtait à vivre. Alors, ne pouvant prendre sa décision sur un simple coup de tête et dans un tel endroit, David avait demandé à Jean-Philippe de le rejoindre dehors.


Bon, inutile que je m’attarde sur le fait que Jean-Philippe a pris son temps pour ressortir et que quand il l’a fait, c’était avec un gros paquet opaque sous le bras, paquet dont le contenu se trouvait maintenant dans mon tiroir. Après avoir demandé qu’il lui donne sa parole d’honneur quant au fait que j’avais effectivement proposé de nous constituer en trio nocturne, David a demandé encore un autre délai de réflexion. Et c’est alors qu’il a entamé devant moi une sorte de soliloque dont je comprenais très bien tous les éléments, une histoire que je pouvais comprendre sans effort, autrement dit : qu’il était à Londres en pays étranger, loin de tous ses repères continentaux, que la liberté que cela lui apportait lui donnait l’impression d’avoir tous les droits, etc., etc. Tu vois mon émotion : exactement ce que je m’étais dit hier soir avant de partir à leur conquête ! Mais, contrairement à moi, il ressentait encore un peu de cette barrière morale, et rien à faire. Le pauvre… Même si son corps lui disait « Va-y, vas-y ! », son esprit lui disait « Respect de toi-même, respect de toi-même. ». Il était franchement tiraillé, ne sachant que faire. J’ignore dans quelle mesure il en a été effectivement ainsi. Je ne fais que rapporter ici ce dont je me souviens et ce qu’il a bien voulu me raconter.


Bien entendu, pour Jean-Philippe, les choses étaient très différentes : il n’envisageait qu’une chose : se préparer au plus tôt moralement et physiquement à entrer dans la danse (tiens, « dans la danse » : elle pourrait très bien être ajoutée à ma liste de vocabulaire du corps féminin, cette expression-là, maintenant que je l’ai écrite). Et c’est là que le leadership naturel de David sur son ami s’est mis à s’affirmer. Il lui a d’abord fait remarquer qu’il ne pouvait quand même pas me sauter en deux temps trois mouvements, et qu’il fallait au minimum soigner les formes : en conséquence, il l’a obligé à louer un costume (c’est pour cela qu’il était si beau !) et à acheter un bouquet de fleurs auprès d’un marchand ambulant le long de la Tamise (même réflexion de ma part, bien évidemment).



* * *



Ensuite, David est rentré à l’hôtel toujours aussi indécis. Et quand une heure après Jean-Philippe s’est amené hyper-excité, il lui a suggéré de se calmer, de respirer un grand coup, et de se dire qu’il avait tout son temps.



Et David lui a alors fait part de sa décision ; voilà, c’était décidé : il préférait rester tout seul.



Et sur ce, Jean-Philippe est parti avec son bouquet de fleurs. Trois minutes après, au grand amusement de David qui trouvait que je menais très bien son ami en bateau, le voilà de retour, venant rechercher les bières qu’il avait oubliées et demandant au passage si, vraiment, il ne voudrait quand même pas l’accompagner. Deuxième non, et le voilà reparti.


Et puis, est venu le troisième retour, celui où Jean-Philippe a été renvoyé pour avoir omis d’amener un peu de littérature illustrée. Alors là, les dispositions de Jean-Philippe ont commencé à changer : après tout, il faut bien le reconnaître, tout ce qui se passait sous ses yeux ne pouvait être que l’œuvre d’une nymphomane (ce qui, il est vrai, était assez proche de la réalité : à ce moment-là, j’étais en train de faire bouillir la marmite). Les livres rassemblés (David ne m’a bien entendu pas dit s’il avait dû arrêter ses petites lectures, pudeur bien masculine quand un homme s’adresse à une femme), et Jean-Philippe reparti pour la troisième fois. Il s’est dit :



Contrairement à ce qu’il m’avait semblé alors, il ne fut pas facile à David de convaincre mon prétendant de repartir et, pour y parvenir, il avait dû l’accompagner jusqu’à mon étage où, à quelques pas de ma porte, son acolyte s’est déshabillé (j’étais, tu t’en doutes bien, complètement estomaquée ! M’être ainsi fait rouler par celui qui m’avait menti sans vergogne sur son aventureuse promenade dans les couloirs de l’ascenseur ! Le salaud !) et, une fois resté seul dans le couloir, il était redescendu, les vêtements de Jean-Philippe sous le bras non sans m’avoir entendue auparavant demander à l’autre avec combien de femmes il avait fait l’amour.


Il avait juste attendu ce qui lui semblait être un délai moral raisonnable et était monté nu comme un ver, estimant qu’il ne pouvait honnêtement (enfin, si l’on peut dire) faire moins que Jean-Philippe en prenant réellement le risque, lui, de se faire attraper. La porte ouverte lui a confirmé qu’il était le bienvenu (c’est vrai, on n’avait vraiment pas pensé à fermer la porte derrière nous) ; et, quand il a entrebâillé la porte, il m’a vue en train de danser sur le lit, mon i-Pod dans les oreilles, vêtue de mon filet rouge dont émergeaient mes fesses si tentantes pour une main baladeuse, avec en face de moi un Jean-Philippe à genoux qui probablement ne l’avait pas entendu entrer. Et même s’il s’est dit qu’il avait raté une bonne partie du spectacle, il a estimé que ce qui en restait valait plus que probablement la peine pour qu’il s’y attarde un petit peu. Et c’est alors qu’il a avancé la main.



* * *



Que devais-je retenir de tout cela, sinon que Jean-Philippe n’était pas vraiment à la hauteur de l’image de l’homme viril qu’il s’efforçait de vouloir me montrer et que, de son côté, David n’était finalement pas si peu intéressé que cela par les femmes, son principal défaut étant de se montrer parfois trop attentionné envers elles (plutôt par timidité d’ailleurs que par déférence sociale) ? Ce qui changeait finalement pas mal les choses. Ceci dit, pour Jean-Philippe, la suite de l’histoire ne devait vraiment pas arranger son cas.


Passons sur ma surprise de voir David et mon accès de panique (qu’il s’est contenté très pudiquement de mentionner en parlant de « l’incident »). Une fois dans mon coin, j’étais certes témoin oculaire mais, comme on le dit dans les séries policières, témoin oculaire sous influence. Autrement dit, tout me paraissait biaisé par mon état d’esprit du moment.


En cet instant fatal, les deux garçons ont bel et bien compris que les choses avaient tourné autrement que ce qui avait été prévu ; mais à cause unique, effets divers : pendant que l’un s’efforçait tant bien que mal de me ramener à la raison, le second s’est mis à envisager le moyen le plus expéditif de régler cette situation difficile : la fuite à l’anglaise. Et il aurait réalisé son plan sans aucun état d’âme quant à la fille qu’il venait de laisser filer, si un petit détail – oh ! presque rien – ne l’avait retenu : Jack était à l’air libre !


Pas plus courageux à l’aller qu’au retour, il voulait absolument que David l’accompagne pour éviter de devoir affronter sans escorte les coins de couloir remplis de mystérieuses créatures. Mais devant le refus de celui qui me narrait tout cela, et après une altercation que j’avais – encore une fois – mal interprétée, il s’était ravisé (mais avait-il vraiment le choix ?), s’était tapi dans la salle de bains et attendait depuis lors, comme un gros balourd, que l’on veuille bien le ramener, lui et son fidèle appendice, dans ses appartements privés.

Voilà : ça, c’était la vraie histoire !



* * *



Comme tout cela était stupide : c’en était à pleurer… ou à rire. J’étais maintenant à côté de David, appuyée comme lui contre le mur (rester accroupie m’avait donné des crampes aux genoux) et en train de me soumettre à une autocritique sévère. Comment me faire pardonner, maintenant ?


Alice, je t’en prie, ne me soumets pas encore une fois à une de tes réflexions favorites :



Bien entendu, il lui était difficile de boire et, en même temps, de retenir sa housse. Malheureusement pour lui, il était inimaginable que je lui prête un de mes vêtements : les gabarits n’étaient absolument pas les mêmes, mais par politesse je lui ai quand même proposé.



Après tout, il avait raison et, devant mon signe d’acquiescement, il a déposé l’édredon par terre, estimant néanmoins nécessaire de s’asseoir (tout en faisant en passant le geste plus ou moins discret de cacher autant que possible son sexe entre ses jambes).



(Plus facile à dire qu’à faire, vu notre état de vulnérabilité psychologique et, dans une certaine mesure, corporelle, surtout pour David.) Mais c’est ce que nous avons fait.

En même temps, je m’en voulais : tout cela était trop bête, il fallait que je me reprenne ; l’occasion que le destin m’avait donnée était unique : je venais de découvrir un garçon qui avait de l’estime pour moi. Alors, oui, excuse-moi, Alice ; maintenant, je t’autorise à me soumettre ta réflexion favorite : oui, je l’ai embrassé !


Pourquoi ai-je fait cela ? C’est difficile à expliquer : il y a un tas de raisons : parce que j’avais besoin de lâcher la pression, parce que j’avais juste envie de le remercier autrement qu’avec des mots, parce que je le trouvais merveilleux d’avoir tenu son rôle dans la pièce qui venait de se jouer, parce que confusément je sentais que pour mon bien-être, il fallait que cela finisse bien, parce que nous sommes des primates apparentés aux bonobos, parce que…, que sais-je, moi ?


En tout cas, je l’ai fait et je me suis senti la nécessité de le faire. C’était romantique et très différent de ce que j’avais vécu avec le gros balourd de la salle de bains. (Je pense que c’est à partir de ce moment-là que j’ai associé définitivement Jean-Philippe avec ce surnom qui lui allait comme un gant.) Il fallait en tout cas qu’il reste près de moi : si je l’avais laissé partir, il y aurait eu gros à parier que le lendemain matin (ou le matin, je ne savais absolument plus l’heure qu’il était) il aurait disparu pour ne plus devoir affronter l’image de cette fille qu’il avait tellement mal considérée. Alors, je me suis blottie dans ses bras et nous nous sommes à nouveau embrassés. Mais cette fois, même si c’était encore romantique, il y a eu un petit quelque chose d’érotique en plus…


Pouvait-on faire l’amour dans cette chambre, après ce qui s’y était passé, et avec surtout le gros balourd dans la salle de bains (allez, Alice ! D’accord ! Si tu insistes, je veux bien encore faire mention de lui au moyen de son prénom, mais ce sera juste pour ne pas avoir des phrases trop longues !) ? En outre, je sentais confusément que David aurait perçu dans cette faveur une attaque en règle contre la personne même de Jean-Philippe. Alors, nous ne sommes pas allés plus loin. Mais l’impulsion était donnée : ce mouvement lent de la nuit allait prendre fin et ce drôle de trio amoureux allait entamer le scherzo final. Mais avant d’en arriver là, il faut que je t’explique ce qui m’est passé par la tête : oui, tu peux là maintenant me la répéter en boucle, si tu le souhaites, ta réflexion favorite.



* * *



En fait, je n’avais pas seulement découvert que David était un garçon attentionné. Certes, c’est la seule chose qui comptait (et aujourd’hui encore, au moment d’écrire ces mots, c’est la seule chose qui compte encore). Il y avait en plus, comme en arrière-fond, la sensation fondée d’avoir été flouée par l’autre, par ce Don Juan à la petite semaine. Et j’avais une envie bien ancrée en moi de lui rendre la monnaie de sa pièce. Et lui non plus, il ne fallait pas le laisser partir, de peur qu’il prenne également la poudre d’escampette, même si c’était pour des raisons très différentes ! Alors, blottie dans les bras de David, j’ai échafaudé mon plan machiavélique : je ferais l’amour avec David et je baiserais jusqu’à ce qu’il en bave, le balourd qui… pardon : Jean-Philippe.

Il me fallut d’abord – et avant tout – obtenir l’accord de David ; et pour ce faire, il fallait également beaucoup de délicatesse.



Qu’a-t-il imaginé ? Je l’ignore, mais il a promis. Deuxième étape :



Demander à quelqu’un ce qu’il pense d’un ami, c’était une chose bien sensible ; alors j’ai précisé ma pensée :



Et il s’est lancé pendant trois minutes dans une sorte de condamnation morale sur l’attitude de son ami envers l’autre sexe, tout en lui trouvant plusieurs circonstances atténuantes, dont l’une n’est pas tombée inerte dans mon oreille.



Et de m’expliquer que Jean-Philippe avait effectivement eu les honneurs d’une femme plus âgée que lui (on dit maintenant une couguar) qui lui avait fait des tas de trucs mais qu’il ne savait pas lesquels, et que depuis il n’a pas cessé de se vanter de ses exploits sexuels avec chacune des filles qu’il a rencontrées (bien entendu, il y en avait bien plus que huit !). Qu’il était vrai que dans le passé, des différends avaient surgi entre eux deux quand ils évoquaient le sujet.

Dans de telles conditions, ce qui venait de se passer n’était évidemment pas de nature à les rapprocher.



Il m’a répondu oui, et alors je me suis lancée :



Là, je le sens sautiller, il va me dire non. Alors je coupe tout de suite :



Il hésite, je le sens bien.



Et puis j’ajoute, en le regardant bien dans les yeux :



Une dernière respiration :



Et c’est soulagée que j’ai entendu le mot libérateur donner le ton de la suite de cette soirée complètement disjonctée !