Ce texte, dont la première ligne fut écrite en février 2009, est une uchronie qui n’est en rien un programme électoral. Juste une simple histoire dans un certain décor.
La grande limousine noire s’arrête juste devant l’entrée principale de la banque, sans se soucier aucunement du passage piéton et des autres interdictions de stationner. Posté à l’entrée, l’agent de sécurité esquisse bien un pas en direction de la berline sans gêne, mais il reste vite le pied en l’air devant les quatre gardes du corps qui en descendent. Peu après, c’est un ensemble de cinq personnes qui grimpent les marches et qui s’engouffrent dans le bâtiment devant l’agent qui n’ose plus remuer un petit doigt.
Nettement plus haut, au dernier étage avec ascenseur privé, dans son très vaste bureau avec vue imprenable sur les beaux quartiers de la capitale, le grand et très gros directeur, monsieur Pavel du Pérougny-Passony (surnommé Triple-P, surnom pas forcément dû à ses initiales) lutine avec une bien belle demoiselle uniquement vêtue de lingerie fine. Vêtue est un bien grand mot, tant la dentelle est arachnéenne. D’ailleurs, le piercing de son nombril l’habille beaucoup plus que tout le reste, excepté ses boucles d’oreilles…
C’est au moment précis où le grand ponte, indisponible car très occupé, tente de découvrir ce qui se cache, en tout lisse, plus bas derrière un string minimaliste, que la porte de son bureau s’ouvre après un simple toc-toc de convenance sur les cinq visiteurs.
- — Pavel du Pérougny-Passony, je présume ?
- — Eh !
Sur le moment, complètement outré, Triple-P a une envie furieuse et meurtrière de tonner contre l’importun qui vient d’oser lui adresser la parole sans même se présenter ou de s’annoncer, quand il réalise justement l’identité du dit importun.
- — Le Co-co-coordinateur ! Mais…
- — Coordinateur tout court, ça m’ira très bien. Maxime Atrébate pour l’état civil.
- — Euh… Monsieur le Coordinateur, que… que me vaut le plaisir ?
Un léger sourire aux lèvres, le Coordinateur se tourne vers la demoiselle peu chaudement vêtue qui ne sait plus où se mettre :
- — Plaisir, en effet… En attendant, remettez votre pantalon, je n’ai pas pour habitude de discuter avec des personnes qui exhibent les bijoux de famille, même si la mode reste au bling-bling.
- — Ah… euh… oui…
Maxime Atrébate prend un siège, puis enlève la robe qui s’étalait dessus. Il regarde le bout de tissu qu’il a en main puis sa propriétaire à présent cachée derrière une grande plante verte :
- — Veuillez passer, Mademoiselle, dans la pièce d’à côté, en attendant que je commence et termine ma petite conversation avec votre « employeur ». Je vous ferai dire quand vous pourrez revenir. Merci.
- — Euh… bien, Monsieur le C-Coordi-dinateur…
- — Décidément, personne ne sait retenir ma fonction…
La demoiselle rougit encore un peu plus puis s’en va en trottinant sur des talons un peu trop hauts vers la porte latérale. Le Coordinateur la suit du regard, la donzelle ayant un beau déhanché…
- — Maintenant, à nous, cher Directeur. Je vais faire vite et bien. En ces temps de crise, n’est-il pas indécent de s’octroyer une augmentation de trente-sept pour cent, doublée d’un bonus se calculant en millions d’euros ? Est-ce bien raisonnable ?
- — Je… je suis le PDG de cette banque privée, euh… je ne pense pas avoir de compte à rendre à l’État…
- — Même si ce même État a financé votre trou en caisse ?
- — Avec intérêts, quand même, Monsieur le Coordinateur, avec intérêts !
- — En temps normal, vous ne vous gênez pas d’empocher quelques intérêts quand vous prêtez l’argent de vos clients… Me trompé-je ?
- — Ce… c’est mon métier… Monsieur le Coordinateur, mon métier !
Le Coordinateur se cale dans le fauteuil, la robe courte toujours en main. Il semble jouer avec le « chiffon » soyeux. Il reprend :
- — Mon métier, c’est de faire en sorte que cet État fonctionne. Ce n’est pas pour rien si mes collègues et moi avons fait, il y a quelque temps, un coup d’État pour nettoyer un peu le paysage.
- — Je… je suis au courant… Vous avez surpris tout le monde…
- — En effet, comment oser songer que des députés, des sénateurs de divers bords, des industriels, aidés par des militaires, décident de s’unir afin de restaurer l’ordre perdu. C’était un beau projet à mettre en place ; ça tombait bien : dans une autre vie, j’étais analyste, je suis simplement passé de la théorie à la pratique, tout simplement.
- — Je suis au courant, c’est vous qui avez pour ainsi dire… coordonné ce… projet, comme vous dites.
Le Coordinateur pose la robe sur son genou, son ton se fait moins convivial :
- — Vous avez fait une grosse bêtise, avec votre augmentation et votre bonus. Le pire fut le manque total de discrétion. Mais voilà, tout le monde le sait, et moi, logiquement, je ne puis me permettre que quelqu’un, même vous, sorte du rang.
- — Mais… c’est une banque privée !
- — Peu importe, privée, publique ; j’ai dit « tout le monde », et si quelqu’un commence à n’en faire qu’à sa tête, les autres, comme des moutons, suivront.
- — C’est une banque privée, j’ai le droit de…
- — Rien du tout. Je vous propose un deal : vous rentrez dans le rang, et j’oublie cette incartade. Sinon…
- — Sinon ?
- — Sinon, je me ferai un plaisir de vous jeter en pâture aux médias et à vos petits copains qui n’ont pas vraiment apprécié la « méthodologie » employée par vos soins. Eux aussi, ils se sont « sucrés », mais dans la plus totale discrétion. Même si rien ne m’échappe, voyez-vous… Rien.
- — Et si…
- — Si vous n’obtempérez pas, n’oubliez pas de vous enfuir bien loin de notre beau pays… Le plus loin possible et discrètement, si cet adverbe vous dit quelque chose. Parce que si je vous retrouve, je me ferai un plaisir d’affréter un avion pour vous ramener dare-dare. À moins que ce ne soit l’un de vos collègues qui le fasse avant moi, et ce, de façon moins… légale, dirons-nous.
Triple-P s’affaisse dans son large fauteuil directorial. Il ne sait pas s’il doit plus redouter les sous-entendus du Coordinateur ou ce que pourraient lui faire ses collègues en pareille circonstance. Le Coordinateur se lève, tenant à présent la robe par une fine bretelle. Il lance à l’un des gorilles :
- — Veuillez dire à la demoiselle de revenir parmi nous…
Le grand baraqué pose sa large paluche sur la clenche de la porte ; timidement, la demoiselle en question s’aventure, toujours aussi dévêtue, dans l’immense bureau. Le Coordinateur s’amuse à la voir rentrer à petits pas, gênée par tout ce monde pas prévu initialement. Il demande :
- — Simple question à vous poser… Madame, Mademoiselle ?
- — Mademoiselle…
- — Mademoiselle comment ?
- — Nadine… Nadine Couvreur…
- — C’est amusant, votre nom me dit quelque chose… Votre visage et votre physique aussi…
Il plonge sa main dans sa poche interne pour ressortir une petite tablette tactile qu’il consulte aussitôt. Quelques secondes passent.
- — OK, je me disais aussi…
Il range l’instrument dans sa poche, fait un large sourire, ajuste sa veste. Il lance alors au directeur qui s’éponge le front :
- — Notre conversation est close. Je vous laisse cogiter sur tout ceci. Cependant…
- — Cependant, Monsieur le Coordinateur ?
- — Cependant, je vous inflige quand même une pénalité : je ne repartirai pas les mains vides, en dehors de cette robe particulièrement intéressante, ma foi…
- — Euh… c’est-à-dire, Monsieur le Coordinateur ?
- — Oh, c’est tout simple : je vous emprunte Mademoiselle ! Non, je vous confisque Mademoiselle. Je la nationalise en quelque sorte. Maintenant, allons-y !
Devant un Triple-P abasourdi, il se dirige vers la porte. Il passe devant la femme qui le regarde de ses grands yeux étonnés, bouche bée, et lui dit :
- — Vous aviez bien un manteau en arrivant ?
- — Oui, oui… mais c’est vous qui avez ma robe !
- — En effet, belle robe de surcroît. Je pense que vous pouvez vous en passer, surtout avec un manteau sur vos épaules. Je me trompe ?
- — Euh… C’est que…
- — Je me trompe, Mademoiselle ?
- — Euh, non, Monsieur le Coordinateur…
- — Alors tout est bien !
Et il sort de la pièce.
—ooOoo—
Quelques minutes plus tard dans la limousine noire, sur la large banquette du fond, le Coordinateur est en tête à tête avec la « pénalité » qui n’en mène pas large. Derrière la vitre fumée, elle distingue en ombre ce qui lui semble être les gorilles. La situation lui échappe totalement : moins de dix minutes auparavant, elle était partie pour batifoler avec un gras banquier, maintenant elle est à moitié nue dans une limousine inconnue, avec comme interlocuteur celui dont la presse nationale n’ose pas dire qu’il s’agit d’un dictateur en puissance. La presse étrangère prend nettement moins de gants, néanmoins, tout le monde attend de voir la suite : ça ne fait que quelques semaines que le pouvoir a changé de mains et que les réformes vont bon train, souvent dans le bon sens, à prime vue, pense la demoiselle. Mais bon, ça ne veut rien dire…
Prenant son courage à deux mains, elle pose la question, maintenant que le Coordinateur a reposé son téléphone portable :
- — Euh… je peux savoir ce que… ce que vous avez l’intention de faire ?
- — À votre sujet ou pour notre beau pays ?
- — À mon sujet, c’est ce qui me tient le plus à cœur ! Désolée d’être si égoïste ! répond-elle, les lèvres pincées.
- — Ça me semble un peu logique, vu ce que vous venez de vivre…
- — Et… et aussi…
- — Oui ?
- — J’aimerais récupérer ma robe, vous voyez…
- — Vous êtes très bien ainsi ; j’aime le contraste entre votre manteau et votre peau nue… très agréable à contempler ! Si, si !
- — Ah euh, hem… M-merci mais… vous voyez…
Le portable sonne, le Coordinateur fait un petit geste d’attente. Il répond brièvement, puis repose le téléphone sur le siège de la limousine.
- — Les joies du Pouvoir, voyez-vous… dit-il en souriant.
- — Sauf erreur de ma part, vous y êtes pour quelque chose…
- — C’est-à-dire ?
- — C’est quand même vous qui avez déclenché ce coup d’État, non ?
- — Oui et non, mais passons. Néanmoins, le fait d’avoir, comme vous dites, déclenché un putsch a été profitable.
- — Ah bon ? Vous avez le Pouvoir, la Puissance et pas mal d’autres choses…
- — Oui, en effet, et ça m’a permis de vous rencontrer !
Nadine rougit ; elle s’attendait à pas mal de choses, mais pas à ce genre de réponse. Son interlocuteur reprend :
- — Je me disais bien vous avoir déjà vue quelque part, mais je n’en étais plus très sûr. C’est en consultant ma tablette que je suis tombé sur votre nom d’artiste.
- — Ça commence à dater, vous savez ! Maintenant, je suis une has-been, je suis passée de mode, même si je décroche parfois des petites interventions. Même les supermarchés ne veulent plus de moi pour faire des ménages !
- — Ce qui explique votre « prestation » de tout à l’heure ?
- — Pas tout à fait ; lui, c’est mon banquier depuis de nombreuses années. Je… souscris à ses petites lubies, et en échange les petits trous de mon compte disparaissent.
- — En clair, vous faites la pute pour survivre.
La « demoiselle » lui lance un regard noir :
- — Vous avez de ces mots ! « Call-girl », je ne dis pas ; mais « pute », quand même !
- — Un chat est un chat. Et dans votre cas, une chatte est une chatte.
- — Vous n’êtes pas très galant, tout homme d’État que vous êtes ! Vous l’étiez beaucoup plus tout à l’heure. La technique de la douche écossaise ? Même si je n’ai rien à me reprocher de grave, je tiens quand même à mettre les points sur les « i » ! Franchement, vous croyez que mon banquier a de quoi me… me satisfaire ? C’est un tel bibendum que même si j’écartais à fond les jambes, il serait infoutu d’aller là où je pense.
- — C’est vrai que j’ai vu plus mince… En clair, mis à part amuser la galerie, vous jouez éventuellement à « touche-pipi » ?
- — Décidément, vous n’êtes plus doué pour la galanterie.
- — Peut-être, mais mes talents sont ailleurs, voyez-vous ; ailleurs…
- — Je ne demande qu’à vous croire ! Euh, pardon, je vous crois !
- — Un lapsus ?
Elle ne répond rien, un certain silence s’installe. Il consulte sa tablette, tapote dessus durant ce temps. C’est elle qui rompt le silence :
- — Vous ne devez pas avoir une belle opinion de moi ! D’ailleurs, vous m’avez embarquée comme si j’étais un simple presse-papier du bureau de Triple-P…
- — Je ne suis pas quelqu’un qui juge rapidement. Mais une belle plante comme vous, nue, face à un gros adipeux, ça ne laisse pas beaucoup de latitude…
Elle se cale sur le siège moelleux ; elle soupire :
- — Pensez ce que vous voulez. Oui, c’est vrai, je suis souvent nue, ou peu vêtue. Vous savez, je suis dans le circuit depuis l’âge de mes trois mois, pour une marque de couche-culotte, puis j’ai fait un tas de pubs, des apparitions dans des téléfilms jusqu’à mon premier album dans lequel on m’a fait chanter des trucs, mélange d’Annie aime les sucettes et de Banana Split.
- — La lolita du moment, notre Ange Bleu national…
- — Sauf que je ne suis certainement pas Marlène Dietrich ! Oh, j’aurais bien aimé avoir au moins le dixième, le vingtième de son talent ou de sa carrière, mais là, je pense que c’est raté. Vous savez, c’est pas facile ! Pour se faire un nom, faut souvent dire « oui ». Je ne l’ai pas dit trop souvent, ce fameux « oui » qu’on attendait de moi ! Résultat : maintenant, je me coltine mon gros banquier ; grandeur et décadence…
- — Grandeur et décadence… Ça me fait songer à une chose… Au point où vous en êtes, pourriez-vous retirer votre manteau que je vérifie une petite chose ?
- — Ici ? Dans la voiture ?
- — Les vitres sont teintées, nous voyons l’extérieur, l’extérieur ne nous voit pas. Idem quant à mes gardes du corps, et ils ne nous entendent que si je branche l’interphone.
- — Mais pourquoi vous voulez que… vous n’en ayez pas assez vu tout à l’heure ?
- — Comme je vous le disais : au point où vous en êtes… Éventuellement, je monte le chauffage…
Et il joint l’acte à la parole.
Nadine ne sait pas quoi faire, la situation lui échappe ; cet homme n’a pas haussé la voix, il reste poli, mais elle sent qu’il n’est guère bon de l’indisposer. Un dernier soupir et elle laisse tomber le manteau.
Il la regarde avec attention ; elle ne sent pas sur elle la salissure classique de la convoitise. Non, on dirait qu’il la scrute comme on regarderait une statue ou un tableau. Après quelques longues secondes où elle est au supplice d’une situation incongrue, le Coordinateur parle :
- — Très intéressant… J’ai confirmation d’une petite chose : tout est naturel, n’est-ce pas ?
- — Vous auriez pu le demander !
- — Et me priver du plaisir de le vérifier par moi-même ? Vous êtes naïve. Passons ; vous êtes parfaite pour jouer un petit rôle, ou plutôt, un grand rôle.
- — Comment ça ? Je ne comprends pas.
- — Joindre l’utile à l’agréable… Il me faut un symbole pour notre cher pays, un peu comme la Marianne française, et je pense que vous seriez parfaite dans ce rôle. Un peu comme Alice pour l’ex-opérateur Internet du même nom.
- — Moi !
- — Oui, vous ! Qu’en pensez-vous ?
- — Moi ! Mais… je…
- — Je vous offre dans la foulée un autre rôle, moins écrasant : celui d’être ma maîtresse.
Cette fois-ci, Nadine ne sait plus quoi répondre. La limousine s’enfonce dans la capitale.
—ooOoo—
Debout face à la vaste baie vitrée, le Coordinateur s’exprime ; la grande salle semble être totalement remplie de sa présence. Ça va faire une bonne semaine qu’elle le côtoie, tout s’est passé si vite ! Assise légèrement sur le côté, Nadine se sent tout petite dans cette immensité.
- — Comme vous le savez, la précédente crise financière a explosé à la figure de tout ce petit monde, une bulle spéculative fondée sur la fuite en avant. Les États sont intervenus massivement pour empêcher que tout le système soit à ramasser par terre à la petite cuillère, et ce, à grands coups de millions et de milliards. Le menu peuple n’avait pas trop apprécié qu’on trouve l’argent pour ceux qui avaient déconné sur toute la ligne et quasiment rien pour eux qui n’avaient rien à se reprocher.
- — Vous ne m’apprenez rien ; c’est de l’histoire toute récente, trop récente, hélas. J’aurais préféré que ce soit resté au stade du roman…
- — Je ne vous le fais pas dire. Je continue : avec les robinets à fric qui s’étaient déversés sur eux, beaucoup de financiers ont cru que c’était reparti comme avant, qu’ils étaient absous, purifiés, lavés et rebaptisés. Bon, au début, ils ont fait attention, mais la nature profonde a repris ses droits en peu de temps, et la machine est repartie de plus belle et a généré une belle bulle, une magnifique bulle qui a relancé toute l’économie en assez peu de temps, pour la plus grande gloire du Capitalisme libéralo-étatique.
- — Une bulle…
- — Une bulle qui a claqué en deux temps, trois mouvements, pour une vulgaire peccadille de « golden hello ». On parle souvent de parachute doré, on oublie trop les primes de bienvenue. Celle-ci a jeté le doute dans l’esprit de certains fonds qui ont retiré leur confiance ; l’action a donc chuté, mais c’est alors que la théorie des dominos a fait sa plus éclatante démonstration !
- — Oui, c’était il y a quelques semaines, la bérézina la plus absolue !
Le Coordinateur ouvre un petit meuble et en ressort deux boissons fraîches. Il tend la première bouteille, qu’il décapsule, à son interlocutrice et boit d’un seul trait la sienne. Il reprend :
- — Oui mais voilà, les États avaient déjà mis plein de liquidités dans le système, et là, ils étaient à court : plus moyen de trouver de quoi re-huiler les rouages. Les banquiers, les financiers, les actionnaires ont supplié, ont promis de s’amender ; mais rien à faire, les caisses étaient vides et les déficits déjà creusés. Ils ont bien suggéré d’augmenter un peu les impôts, mais, là déjà, c’était limite, et les boucliers fiscaux protégeaient justement ceux qui pouvaient mettre le plus la main à la poche : seule la classe moyenne, déjà pressurisée, pouvait payer.
- — Toujours les mêmes…
- — Mais voilà, ces mêmes classes moyennes ne pouvaient plus payer leurs nouveaux impôts et autres taxes diverses inventées entretemps, et en même temps consommer.
- — Logique, non ? L’argent, ça ne pousse pas sur les arbres.
- — En effet, mais avouez que ça serait bien, non ? Alors les gouvernements ont cherché des palliatifs comme diminuer les retraites, les allocations diverses, les revenus minimums et autres subventions. Les plus riches menaçaient d’aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte, si on menaçait leurs petites économies. Et en plus, les membres du pouvoir avaient toujours droit à leurs diverses primes et avantages, d’où la grande grève d’Avril.
- — Une réédition du Mai 68 en pire.
- — Bonne comparaison : tout le système a été ébranlé. Et c’est là que nous intervenons : le gouvernement de notre beau pays était dans une panade d’enfer ; tout était bloqué, le peuple exaspéré, les riches aux aguets, les analystes désemparés et la route du pouvoir droit devant nous.
- — Et vous vous êtes servis, je me trompe ?
- — Napoléon a dit : la couronne était par terre, je l’ai ramassée. Les gens ont besoin de directives fermes, et du sentiment de sécurité et d’équité, du moment que, eux, ils n’y perdent pas trop ; en tout cas, moins que le voisin. Nous avons fait table rase, viré les lois, les règlements et tout reconstruit par paliers. Et comme tout le monde avait peur du chaos, tout le monde a applaudi.
Il s’arrête, les yeux perdus dans le vague, se souvenant… C’est elle qui demande :
- — Le système des pourcentages, vous voulez dire ? Vous avez la manie des équations et des formules mathématiques, à ce que j’ai pu comprendre depuis une bonne semaine que je vous fréquente de plus… près…
- — Pas d’assez près, à mon goût, chère Nadine…
- — Passons, comme vous dites… Vous avez décrété alors que toutes les anciennes lois avaient une priorité de dix pour cent, les nouvelles s’étalaient de vingt à quatre-vingt dix…
- — Exact. Mon propre statut vaut quatre-vingt quinze ; on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !
- — Vous me l’ôtez de la… euh… pardon !
- — Pas de quoi : je préfère les gens qui affichent leurs opinions à ceux qui ne font qu’opiner du chef. D’ailleurs, ça m’arrange que vous soyez ainsi ; vous n’êtes pas une faible femme, une potiche, et je préfère, surtout pour le rôle auquel je vous destine.
- — Toujours avec ça ? Jouer les égéries du pays, placardée en long et en large, je ne dis pas non, pour diverses raisons. Oui, ça me flatte, c’est tout bénéfice pour moi aussi, mais…
- — « Pourvou qué ça doure » ?
- — Pardon ?
- — C’est ce que disait, avec son accent, la mère de Napoléon.
Nadine se lève :
- — Le jour où vous ne serez plus au pouvoir, je deviens quoi, moi ? Je saute dans le premier avion qui passe ? S’il y a une chasse aux sorcières, je suis en première ligne, surtout si tout le monde est persuadé que je suis votre… enfin, vous voyez quoi.
- — Dites les mots comme ils sont : que vous êtes ma maîtresse.
- — Avouez que ce n’est pas courant comme situation : vous débarquez un beau jour comme ça et, hop, je devrais me coucher, pour ne pas dire, je devrais coucher ! Monsieur décrète et moi, j’opine du chef, comme vous dites !
- — Vous me plaisez encore plus ainsi ! sourit-il.
- — Allez vous faire foutre !
- — Pas sans vous ! Pas sans vous, assurément ! Votre réputation est faite ; vous êtes presque partout sur les murs de la capitale et dans les grandes villes, sans parler des écrans de télévision.
- — J’aurais jamais dû me laisser embarquer dans cette galère ! Jamais ! Le pire dans l’histoire, c’est que vraiment tout le monde est persuadé que je suis justement votre maîtresse ! Alors qu’il n’y a rien de rien entre nous !
Maxime s’assied dans le fauteuil du coin. Il s’approche d’elle :
- — Qu’est-ce qui vous déplaît réellement dans l’histoire ? Que vous n’ayez pas bien contrôlé ce qui vient de vous arriver, ma personne, votre avenir possible ?
- — Mon avenir putatif !
- — Beau jeu de mots ! Si je peux, j’essaierai de le caser un de ces jours !
- — C’est ça, foutez-vous de moi ! Franchement, je ne suis pas une marchandise ! Bon, d’accord, j’ai fait quelques privautés pour maintenir mon compte en banque à flots, mais de là à…
- — Ce n’était que des galipettes et du touche-pipi ; moi, je vous propose autre chose.
- — Je sais : que je devienne votre maîtresse officielle, la seule et unique. Pourquoi pas le mariage pendant que vous y êtes ? persifle-t-elle.
- — Je me suis déjà exprimé à ce sujet…
- — Je sais ! Le pire, c’est que je suis d’accord avec vous ! Ah, mais pourquoi moi ? Pourquoi ça m’est tombé dessus ?
- — Parce que je suis tombé amoureux de vous.
Surprise, Nadine reste suspendue quelques secondes. En soupirant, elle reprend :
- — Vous parlez d’une circonstance ! Vous avez des mœurs bien bizarres, Monsieur le Coordinateur ! Au moins, vous n’êtes pas trompé sur la marchandise puisque vous avez déjà tout vu ce qu’il y avait à voir !
- — Vous vous dévalorisez…
- — Mais merde, il y a de quoi, non ? Je ne sais pas sur quel pied danser ! Vous m’embarquez comme un vulgaire souvenir du bureau de mon banquier, je m’attends au pire ensuite, et voilà que vous jouez les parfaits gentlemen depuis une bonne semaine et je me retrouve placardée partout, à la télé, sur les murs, les magazines, les papiers à en-tête et j’en passe ! Mais merde, foutez-vous à ma place !
- — Vous dites des gros mots, Nadine !
- — Oh, ces murs ont dû en voir bien d’autres…
- — Sans doute… Par contre, parmi les femmes qu’ils ont pu voir, vous êtes allègrement dans le lot de tête.
- — Vous êtes impossible !
Un léger silence, elle reprend :
- — Oui, vous êtes impossible ! Je ne suis pas aussi belle que vous semblez l’affirmer, je sais très bien ce que je vaux. Je ne suis pas aveugle. Le pire dans l’histoire, c’est que… ah, et puis zut ! Laissez tomber !
- — Vous en avez trop dit ou pas assez… Moi aussi, je ne suis pas aveugle. Voulez-vous que je complète ce que vous avez failli avouer ?
- — J’ai rien à avouer ! lance-t-elle vivement.
- — Dans ce cas, qu’avez-vous à perdre ou à craindre que je complète votre phrase ?
- — Vous aimez avoir le dernier mot ? Et si je dis non ? Bonne question, vous faites quoi ?
- — Essayez, vous verrez bien…
Elle fait un geste las de la main :
- — De toute façon, vous n’en ferez qu’à votre tête, surtout si c’est « logique » comme vous dites. C’est un ordinateur que vous auriez dû être !
- — Les ordis ne peuvent apprécier, comme les hommes, le charme des femmes.
- — C’est bien ce que je disais : toujours le dernier mot !
Elle s’assied à nouveau, fatiguée, les jambes tendues devant elle, les bras ballants :
- — Allez-y, puisque vous en mourez d’envie…
- — Je reprends à une phrase qui commencera par « le pire » ?
- — C’est ça, enfoncez le clou ! Vous êtes ignoble dans votre genre !
- — Un ignoble qui vous adore…
- — …
- — Alors ? insiste-t-il.
- — Le pire, c’est que dans d’autres circonstances…
- — Oui ?
- — Dans d’autres circonstances, je… je serais tombée sans résistance dans vos bras…
- — Merci.
Elle lève la tête, étonnée :
- — Comment ça, « merci » ?
- — Je sais que ce n’est pas toujours évident à dire. Donc je vous remercie.
Il s’approche d’elle, son visage très près du sien ; elle esquisse un pauvre sourire :
- — Pourquoi êtes-vous ce type ?
- — C’est-à-dire ?
- — À la fois un mec qui m’émeut et ce… dictateur ?
- — Dictateur, vous y allez un peu fort, mais j’apprécie de vous émouvoir.
- — Si je voulais être méchante, je dirais que ce n’est pas très difficile ; la plupart des hommes que j’ai croisés étaient des salauds. Vous êtes l’un des rares qui m’ayez respectée et qui n’ayez pas tourné autour du pot. Pour un peu, je me verrais bien en mère de famille au coin du feu !
- — C’est… concrétisable très facilement : il suffit d’un seul mot de trois lettres…
- — « Haine-oh-haine »… ça fait bien trois lettres, non ?
- — Qui se moque de qui, ici ? dit-il en souriant.
Puis il l’embrasse sur le front.
- — Vous êtes décidément adorable dans votre catégorie !
Elle ne réagit pas, elle ne répond rien, toujours enfoncée dans le fauteuil. Avec un grand sourire, il se relève, il s’éloigne d’elle puis il regarde par la fenêtre, songeur :
- — Quand je pense qu’il y a quelques mois, je n’étais rien…
- — Vous avez eu une belle promotion, mais c’est bien vous qui l’avez voulue !
- — C’est vrai, si je n’avais pas trempé dans l’organisation de ce coup d’État, je n’en serais pas là. Si je n’avais pas consolidé les bases du premier gouvernement de transition, si je n’avais pas mis en place le second, et si je n’avais pas éliminé certains collègues, je n’en serais certainement pas là.
- — Je vais finir par croire que vous le regrettez ! Il ne fallait pas lever le petit doigt dans ce cas…
- — Ce fut une belle expérience, vous savez…
Elle répond, étonnée :
- — Une belle expérience ? Vous voulez dire que vous avez expérimenté tout ça ?
- — Oui, en effet ; je me suis pris au jeu et j’ai voulu savoir jusqu’où aller. J’ai même trop bien réussi !
Abasourdie, elle lâche :
- — Ah ben ça, pour réussir, vous avez réussi !
- — N’est-ce pas ?
Elle se lève d’un bond ; il la contemple, le sourcil levé. Elle fronce les siens, les poings et les dents serrés, les yeux pleins d’éclairs. Après un certain temps à le dévisager, elle finit par ouvrir la bouche pour lancer :
- — Mais vous êtes qui, vous ? Vous jouez avec la vie de tout un pays juste pour vérifier une hypothèse ? Faire une expérience ? Je sais bien que tous ces cons de financiers et de banquiers à la noix n’ont pas fait mieux, mais quand même !
- — Oh, ça ne pouvait pas être pire ! Mais voilà, l’expérience a réussi ; d’ailleurs, je savais que la probabilité de…
Elle tape du pied sur le parquet et lance :
- — Vos probabilités à la con, vous savez où je me les fous ?
- — J’imagine, j’imagine ; bel endroit à explorer, d’ailleurs…
- — Oh, vous ne pouvez pas être sérieux un instant ? C’est trop vous demander ?
D’un large mouvement de la main, un demi-sourire sur les lèvres, il désigne par la fenêtre la capitale qui s’étend à perte de vue :
- — Pour réussir ce qui fut réussi, vous ne croyez pas qu’il fallait quand même un minimum de sérieux ?
Furieuse, les cheveux défaits, agitée, elle rétorque :
- — Tu parles ! La situation était telle que ces moutons de Panurge auraient suivi n’importe qui, du moment que celui-ci leur promettait juste un peu de chaleur ! Et moi, j’ai fait pareil, comme une conne !
Pour toute réponse, il s’approche d’elle ; elle rugit :
- — Oui, comme une conne, je vous ai fait confiance, même si j’avais peur ! Et tout ça pour un type qui menait une expérience !
Il s’approche toujours d’elle ; instinctivement, elle recule un peu, mettant ses bras en position de défense, sans toutefois cesser de crier :
- — Un sale type qui menait une expérience foireuse ! Oui, je suis une conne d’avoir cru en ce sale type !
Pour toute réponse, il ouvre les bras. Elle reste interloquée quelques secondes, et à sa propre stupéfaction, elle se jette sur lui et se met à pleurer. Il referme ses bras autour d’elle et la console, tout naturellement. Brisée, elle se laisse aller.
—ooOoo—
Depuis longtemps, deux corps qui se cherchent, qui se trouvent, qui se combattent, qui fusionnent, dans un grand lit complètement défait, les draps froissés, les oreillers au sol ; et dehors, le soleil qui se couche, projetant ses derniers rayons dans la chambre.
Elle l’attire à lui, le veut, veut sentir son souffle, ses formes, son poids. Elle s’agrippe à lui, nouant ses membres autour des siens, s’enroulant telle une liane.
Lui emprisonnant les mains, obligeant à placer les bras au-dessus la tête, il se dégage lentement mais fermement, tout en déposant des baisers humides sur le corps frémissant de sa maîtresse qui se laisse faire.
Agenouillé, ses genoux encadrant le bassin de son amante, l’homme la surplombe ; il la regarde intensément. Puis lentement, il se penche vers elle, pose sa bouche sur ses lèvres tandis qu’une main s’empare d’un de ses seins. Elle gémit, sa bouche bâillonnée par une autre qui devient de plus en plus avide. Des doigts jouent avec la masse tendre de son sein, titillent un téton érigé, suivent le cercle de l’aréole…
Puis la bouche de l’homme glisse sur le menton de la femme, déposant mille baisers enfiévrés, descend doucement le long du cou pour en goûter toutes les saveurs. Il s’attarde sur les épaules, dans le creux du cou, puis glisse vers les seins aux tétons dressés. Laissant sa main avide sur le même sein depuis tout à l’heure, les lèvres inassouvies épousent insidieusement les courbes douces, gravissant lentement le mont sucré vers sa pointe dure.
Elle soupire d’aise, ses mains agrippées aux bras de l’homme.
Puis posément, la bouche se pose sur le téton, le suçant lentement, avec application, jouant des lèvres, de la langue. Puis la caresse toute douce devient plus pressante, le téton de plus en plus exaspéré, malmené.
Elle gémit, attendant la suite, ses bras enroulés autour de celui qui la surplombe.
Les lèvres deviennent exigeantes, maltraitant délibérément le téton en érection, tandis que l’autre main presse impérieusement l’autre sein, ses doigts rapaces pénétrant dans les tendres chairs.
Elle soupire ; elle aime être désirée ainsi, entre câlinerie et possession…
Soudain elle sent quelque chose de dur sur son pubis ; elle devine très vite ce que cela peut être. Elle éprouve alors le besoin de le posséder rien que pour elle, de l’absorber et d’en profiter pleinement !
En attendant, l’homme utilise son sexe dressé pour venir taquiner son clitoris ; il se frotte sur le petit bouton qui, peu à peu, se dégage de son capuchon afin de jaillir en pleine lumière et profiter de la tige de chair chaude qui le frôle depuis quelques instants savoureux.
Elle frémit sous cette caresse, la pensée de ce sexe contre elle, son clitoris doucement mis en feu, puis de savoir que cette même queue aguicheuse ira se blottir ensuite en elle pour la faire jouir et encore jouir !
Elle ne se savait pas si impudique. Pourtant, le sexe, elle connaît ; elle sait que c’est une source de plaisir et que ça fait du bien. Pourtant, là, c’est autrement, c’est différent : c’est plus intense, sans recourir à des folies, des lubies ou des toys insolites ou démesurés. Non, c’est tout simple, naturel et néanmoins très jouissif…
Ces larges mains qui sont sur elle, celle sur ses seins, son téton étiré et malaxé dans cette bouche avide, deux ventres qui se frôlent, se caressent, ce bâton chaud qui la taquine éhontément plus bas, ses jambes inassouvies en liane, ses bras insatiables qui enserrent, ses mains avides qui palpent un vaste dos, ses ongles accapareurs qui griffent délicatement, laissant leurs marques…
Puis sans prévenir, la tige dure glisse plus bas et entre sans effort en elle ; elle tressaille, il s’inquiète :
- — Tu as mal ?
- — Oh non ! Pas du tout ! Continue !
Ôtant ses lèvres de son téton, il se couche un peu plus sur elle pour mieux la pénétrer et profiter de ce vagin si accueillant. Sans effort, la barre de chair coulisse dans l’antre chaud et lubrifié. Elle soupire d’aise ; elle adore être comblée ainsi ! Ses ongles s’enfoncent un peu plus dans la peau du vaste dos de l’homme presque vautré sur elle.
- — Oh oui, comme ça… oui… oui…
- — Tu es complètement détrempée, petite cochonne !
- — Je devrais avoir honte ?
- — Non, pas du tout ! J’aime que tu aies envie ! Fortement envie !
- — Alors ne me déçois pas !
Il coulisse en elle, se frottant sur son clitoris érigé, écrasant ses seins aux durs tétons sous sa large poitrine. Puis il s’empare de sa bouche dans un long baiser tendre qui devient de plus en plus passionné et vorace.
Elle adore être aimée ainsi, simplement, posément et sincèrement. Non, elle sait qu’il ne triche pas : il l’aime, il la veut. Tout semble si naturel… Alors elle se laisse aller, elle capture le moment présent pour en profiter au maximum, en jouir sans retenue. De quoi sera fait demain ? Elle ne le sait pas. Tout ce qu’elle sait est que cet homme la désire et que, elle aussi, elle désire cet homme.
Alors elle profite pleinement de cet homme qui la possède et qu’elle possède aussi. Elle écarte plus encore les cuisses pour l’accueillir pleinement en elle, sentir cette tige chaude dans la moiteur de son intimité, se sentir capturée, livrée et en même temps si puissante.
- — Oh oui… oui… oui… comme ça… oui…
Les mots s’échappent sans complexe de ses lèvres que son amant a délaissées pour son cou, le lobe de son oreille. Tout est si simple…
C’est alors qu’à sa grande surprise, elle sent quelque chose bouillonner en elle, monter irrésistiblement tel un tsunami. Avant qu’elle ait eu vraiment le temps de s’étonner, la puissante déferlante s’abat sur elle, la bouscule, l’éclate, la dévaste et elle crie son plaisir sans retenue, totalement ballottée par son immense plaisir qui fait à la fois tant de bien et si mal.
Son corps tremble, ses bras et ses jambes se convulsent dans cet orgasme qui la balaie sans pitié, la voix cassée, l’esprit égaré…
Elle sombre irrémédiablement dans un immense trou noir, une petite mort…
Il y aura bien d’autres moments de félicité, de béatitude, de jouissance ; des corps épuisés, agités, vaincus, d’autres petites morts durant cette longue nuit…
Mais ni la femme ni l’homme ne désirent que ça finisse…
—ooOoo—
Sexe bien dressé, l’homme se vautre impudiquement sur la femme alanguie et allongée sur le dos. Celle-ci proteste faussement :
- — Encore ! Mais c’est pas possible ! Tu as avalé une boîte complète de Viagra ou quoi ?
- — Avec une femme comme toi, pas besoin de Viagra !
- — C’est un slogan érectoral ?
- — Exactement ! C’est mon programme : « Toujours plus, toujours en forme pour un max de satisfaction ! ».
- — Tu te vantes ! Et ton slogan ne rime pas !
Il l’embrasse dans le cou, elle frémit.
- — Alors, chère Madame, je rectifie ma phrase en : « Toujours en érection pour un max de satisfaction ! ».
- — C’est bien ce que je disais : vantard !
- — Ça ne rime pas !
- — Vantard et queutard !
Pour toute réponse, il cale son sexe entre les fesses offertes de la femme sous lui. Elle se laisse faire sans problème. Puis il l’embrasse à nouveau dans le cou, tout en lui saisissant les seins, les mains glissées entre draps défaits et chair alanguie. Lentement, ses lèvres déposent mille baisers le long du long sillon du dos, faisant frémir de plus belle sa partenaire.
Arrivé au creux des reins, il en profite pour la chatouiller du bout de la langue tandis qu’elle vibre sous cette caresse. Puis, doucement, il descend pour aller s’introduire entre les fesses rebondies et accueillantes de sa maîtresse qui se laisse faire, écartant même un peu les jambes pour lui faciliter la tâche…
Toujours du bout de sa langue, il vient à présent taquiner une sombre rondelle qui s’évase peu à peu, l’humidifiant de salive, titillant les rebords ourlés. La tête dans l’oreiller, consentante, la femme se soumet à cette caresse insolite pour elle mais plaisante. Devant son acquiescement implicite, son amant s’enhardit et écarte de ses mains ses fesses dodues pour mieux accéder au puits luisant. Puis durant de longs moments, la caresse insidieuse continue, le petit trou sombre devenant lentement de plus en plus dilaté à la grande satisfaction du tourmenteur…
Puis contemplant son œuvre, ce puits débordant à présent de salive luisante et lubrifiante, l’homme chevauche posément le bassin de la femme et dirige sa tige bien dure vers cette entrée attirante. C’est sans effort que le bâton de chair glisse son gland rouge jusqu’au frein. Abandonnée, la femme ne dit rien, attendant la suite.
L’homme respire un grand coup, se positionne au mieux puis, posément, il force l’entrée pour venir y coulisser une bonne partie de son pieu. La femme tressaille un peu ; il s’arrête, attendant un peu. Puis quand il sent un certain relâchement autour de sa tige déjà nichée dans les profondeurs, il continue son offensive plus loin encore. La femme soupire quand elle sent qu’il est à présent complètement en elle, bien fiché.
Alors, toujours rivé à elle, il se couche sur son dos, venant l’embrasser à nouveau dans le cou, tout en commençant un léger mouvement de va-et-vient. La femme respire fortement, cette chose en elle lui faisant un effet étrange, mélange d’appréhension, de douleur et aussi de plaisir.
- — Masturbe-toi ! ordonne-t-il.
Les fins doigts de la femme s’agitent à présent dans une chatte détrempée, le bout des ongles venant souvent agacer les testicules ballants de l’agresseur. Quelques instants après, celui-ci se redresse et commence un pistonnage en règle, coulissant sans vergogne dans l’anus dilaté, entrant, sortant, pour mieux replonger plus loin, tandis que la femme gémit sous ces coups de boutoir bestiaux mais excitants.
Et elle tend ses fesses à son tourmenteur en offrande. Celui-ci s’empresse de l’exaucer et c’est presque avec fureur qu’il coulisse à présent en elle, tel un piston déchaîné.
L’homme grogne, se pince les lèvres ; il faut résister encore un peu, tenir encore quelques instants ! La femme sous lui ne lui facilite pas la besogne en se trémoussant sous ses coups, en gémissant si lascivement et bestialement ! « Une véritable chienne en chaleur ! » songe-t-il.
Il serre les dents ; il n’aurait pas dû avoir cette pensée. Oui, c’est une chienne en chaleur, mais rien que le fait d’y penser a singulièrement abaissé son niveau de self-control ! Pour un peu, il en éjaculerait tout de suite ! Il respire bruyamment, aspirant l’air comme pour se refroidir.
La voix de la femme se fait encore plus charnelle, abandonnée ; il sait qu’elle va jouir dans peu de temps, qu’elle va être secouée de spasmes, qu’elle va clamer son plaisir, dans d’innombrables sursauts de son corps couvert de sueur…
- — Aaah… oui… oui… oui… encore… ENCORE !
Puisque cette chienne le veut, elle l’aura ! Se redressant un peu plus, son sexe presque sorti du sombre fourreau, il plonge cruellement en elle, la pistonnant sans retenue, comme pour l’éclater, l’exploser, la fendre !
Un cri rauque. Elle jouit vigoureusement, secouée de convulsions, criant son plaisir, le corps luisant couvert de sueur.
Un cri rauque. Il éjacule en elle, la remplissant, le corps lui aussi en convulsions, se vidant en elle dans un ultime coup de reins pour s’enfoncer au plus profond de ses entrailles !
—ooOoo—
Une entreprise comme tant d’autres ; une salle de repos avec l’éternelle machine à café qui trône à la meilleure place. Deux salariées, gobelet en main.
- — Au fait, Léa ? Tu t’en sors de ton dossier ?
- — Pff, m’en parle pas ! Ce dossier est pourri, à donf ! C’est parce que je n’ai pas pu faire autrement que je me le coltine, sinon direction poubelle !
- — Je vois, je vois, Léa. Ah oui, j’y pense : ça te fait quoi d’être affichée partout ?
- — Ah là là ! M’en parle pas non plus ! Pourquoi j’ai la même tronche que cette pouffiasse ?
Agacée, Léa fait un tel mouvement que son gobelet de café est limite pour déverser son contenu sur le sol. Son interlocutrice s’amuse :
- — Eh ! T’es pas en train de dire que, quelque part, tu en es une aussi ?
- — Tu rigoles ou quoi, Martine ? Moi, une pouffiasse comme cette… Tu parles !
- — En tout cas, les hommes, eux, ils aiment bien !
- — Ouais, ben les hommes, ce sont rien que des porcs ! Du moment qu’ils voient un nichon ou que ça écarte les jambes, ils sont contents ! Point barre !
- — Oui, oui… n’empêche qu’on ne parle que de ça actuellement ! Je me demande si ça ne cache pas quelque chose ! Car depuis qu’on a ce – euh – gouvernement avec ces Directeurs et ce Coordinateur, les choses bougent à vitesse grand V.
- — Ben quelque part, c’est pas plus mal : au moins, ça bouge et on a des résultats. Pas comme ces pourris d’avant ! N’empêche que cette gonzesse partout sur les murs, moi, ça m’énerve grave !
Martine s’agite :
- — Oui, mais bon, ce n’est quand même pas très démocratique tout ça !
- — Ah ouais ? Tes démocrates d’avant, ils faisaient quoi pour nous ? Ils s’en foutaient plein les poches, et nous, on pouvait crever la gueule ouverte ! Y’en avait que pour ces gros bourges de banquiers ! Eux, ils ont eu du fric quand ils ont fait leurs conneries. Mais toi, si tu oublies de payer ton loyer, t’as les huissiers à ta porte le lendemain !
- — T’exagères, Léa !
- — On voit bien que t’as jamais eu de problème de fin de mois ! Mon mec, il travaille en intérim ; moi, je me casse le cul pour un salaire de misère, et j’ai trois gosses. Eh bien, depuis que tes « dictateurs », ils ont pris le pouvoir, j’ai nettement moins de problèmes avec les banques et moins d’emmerdes avec l’administration. Avant, les fonctionnaires n’en avaient rien à foutre de toi, même s’il y en avait qui faisaient quand même leur boulot correctement. Maintenant, ça tourne nickel, huilé !
- — Oui mais, nos droits dans tout ça, ils sont…
- — Cause toujours avec tes droits ! Tu crois qu’on en avait plus avant ? Je préfère un bon dictateur avec lequel tout tourne bien qu’un gentil démocrate avec lequel ça foire !
- — Tu es démagogique, Léa !
- — M’en fous, et je ne suis pas la seule à penser comme ça ! Bon, c’est pas tout ; moi, j’ai du pain sur la planche !
Et Léa s’en va, gobelet en main. Martine songe alors à l’efficace conditionnement des esprits depuis quelques mois. C’est vrai que tout va mieux, mais au prix d’un certain nivellement… Elle soupire et finit son café avant d’aller, elle-aussi, s’occuper de son pain sur la planche.