— Salut Véro, dis-moi, sois sincère pour une fois : est-ce que je suis charmante ?
— Bien sûr, Béa, que tu es charmante !
— Tant mieux parce que je vais faire des photos de charme.
— Oh là là ! Tu sais à quoi tu t’exposes ? C’est le cas de le dire !
— Oui, je sais que ce n’est pas de tout repos. Mais j’ai besoin de fric et j’ai trouvé une annonce…
— Ce n’est pas la question du repos… Parce que souvent il faut coucher.
— Il suffit de donner des limites.
— Et c’est quoi tes limites à toi ?
— À poil, mais rien de plus.
— Ah, quand même…
— Oui, on est en 2014, Véro, et je suppose que si je propose de poser en survêtement ou même en sous-vêtements Petit Bateau… Je ne ferai pas l’affaire. Je ne suis pas un canon…
— Tu es quand même sacrément bien foutue !
— Peut-être, mais j’imagine la concurrence.
— Toute nue ? Ça ne te dérange pas plus que ça ?
— Si un peu, mais faut savoir ce qu’on veut à la fin des fins. Après tout, je me suis déjà retrouvée à poil chez toi et devant ton copain en plus.
— Oui, mais on était bien pétés…
— À trois dans la baignoire avec Roland…
— On a bien rigolé !
— Tu vois qu’il n’y a rien de compromettant.
II
— Mademoiselle ?
— Béatrice Bourdat.
— C’est pour quelle annonce ?
— Photos de charme.
— Vous mettez vos coordonnées sur cette feuille et vous montez au troisième étage avec ce badge.
— C’est-à-dire que je voulais d’abord donner mes limites…
— Le troisième étage, c’est trop haut pour vous ?
— Non, mais…
— Alors, je vous en prie, ne perdons pas de temps, il y a vingt-cinq personnes derrière vous.
III
— Bourdat !
— Oui, c’est moi.
— C’est la troisième fois qu’on vous appelle !
— Je n’ai pas entendu. J’étais sur mon portable.
— Mais en quelle langue il faut vous parler ? On avait dit d’éteindre tous les portables ! On est ici pour bosser, non ?
— Bien sûr, mais…
— Alors allez tout de suite au maquillage. Et revenez avec le peignoir qui est pendu là. Je vous donne dix minutes.
— Avant, je voulais qu’on parle un peu, qu’on m’explique et que je m’explique…
— Non, mais vous croyez peut-être tourner dans un film d’Alain Resnais ! Ici, il n’y a pas de scénar, c’est juste une question de feeling. Vous vous laissez guider et tout se passera très bien.
— Mais on peut parler des limites quand même.
— Les limites sont simplement horaires, voyez-vous. On loue le studio 750 euros de l’heure, alors les considérations personnelles, on s’assoit dessus.
IV
— Bon, le maquillage, ça va. Le peignoir est à la bonne taille. Allons-y. Mais Mademoiselle, que faites-vous ? Quand on vous dit d’ouvrir une porte, vous vous déshabillez ! Qui vous a demandé d’ôter le peignoir ? En plus, vous le laissez par terre, il prend la poussière, c’est ridicule. Il faut le changer, il est sali. Vous êtes contente, vous allez rester à poil le temps qu’on vous en apporte un autre. C’est fatigant toutes ces nanas qui veulent toujours en faire plus qu’on ne leur demande. Ce que je recherche, c’est une expression de surprise quand vous ouvrez cette porte. Imaginez que c’est quelqu’un que vous croyez disparu et qui arrive chez vous. Allez, mettez ce nouveau peignoir et on commence. Mais non, Mademoiselle, la porte n’est pas fermée à clef, elle s’ouvre dans l’autre sens ! Allons, un peu de concentration. Troisième prise. Bon, on va arrêter là avec vous, je suis désolé, mais maintenant vous ouvrez la porte et on a une vue splendide sur votre entrejambe !
— Mais c’est le pan du peignoir qui s’est pris dans la poignée de porte…
— Et d’abord qui vous a demandé d’être nue sous le peignoir ?
— C’est une limite que je voulais me donner.
— Bon, alors, voilà une adresse où vous pourrez vous rendre. C’est un ami qui fait des photos dans le genre que vous semblez apprécier tout particulièrement. Ici, tout ce que vous avez provoqué, c’est un attroupement et on finit par ne plus pouvoir travailler. Suivante !
V
— Alors le photographe, un pro, me dit : allez, à poil !
— Tout de suite, comme ça ?
— Oui, il n’avait pas beaucoup de temps, le studio est cher, tu vois ce que c’est.
— Je lui dis : attention, ce sont mes limites. Je ne vais pas plus loin. Alors, il me regarde avec ce regard de professionnel qui prend conscience qu’il se passe quelque chose et il commence à me canarder de flashes. À la fin, il me dit qu’ici, c’est une petite agence, mais que vu ce que je produis comme impressions positives sur le plateau, il me conseille de m’adresser à un metteur en scène plus introduit dans le métier.
— Putain, l’humilité du mec !
— J’y vais demain.
— Je peux aller avec toi ?
— Si tu veux, mais ça va être d’un autre niveau, je te préviens.
— Je ferai de mon mieux.
— Non, vraiment, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Et puis, il a téléphoné pour une fille, pas pour deux.
— Je t’en prie, Béa, on peut essayer, on verra bien… Si je me fais jeter, tant pis.
VI
— Dis donc, les peignoirs sont vraiment crasseux.
— Oui, mais c’est sûrement pour nous conditionner. Nous faire comprendre qu’on joue des filles pauvres.
— Et souillons.
— Écoute, Véro, je t’ai emmenée ici, mais si tu commences à tout critiquer…
— Non, non, je ferme ma gueule.
— Bonjour, Mesdemoiselles.
— Bonjour (en chœur).
— Dans un quart d’heure, en piste, sur le grand lit rond, pour la scène saphique.
— La scène sadique, qu’il a dit ?
— Mais non saphique !
— Ah bon, et ça veut dire quoi en gros ?
— Je crois que Sapho était une poétesse grecque…
— Génial, c’est un film en costumes, j’adore !
— Allons, Mesdemoiselles, c’est à vous. Allez, allez, allez ! On bavardera plus tard. Oui, sur le lit, évidemment. Mais enfin, enlevez vos peignoirs, vous allez salir le lit. Je sais bien que vous n’avez rien en dessous. J’espère bien, on a assez perdu de temps comme cela. Toi la brune, tu lui lèches les seins pour commencer. Mais de quelles limites vous parlez ? Ce que je sais, c’est que vous allez bientôt atteindre les limites de ma patience ! Allons, au boulot ! Vous êtes payées ou non ? Alors toi, la rousse, tu lui fais un cunnilingus et avec la langue, n’est-ce pas, on n’est pas au cirque ici ! Et la brune, je veux t’entendre jouir, sinon je m’y mets !
VII
— Putain, Béa, dans quel traquenard tu nous as fait tomber ?
— Quand tu verras les rushes, tu t’apercevras que ce n’est pas si mal.
— Les quoi ?
— En fait, le gars connaît le métier. Il nous fait aller le plus loin possible, mais après au montage, il y a tout un travail subtil. Et les actrices sont en quelque sorte sublimées.
— Oui, mais enfin, il n’avait pas besoin de me prendre en levrette quand je te faisais minette !
— Il voulait certainement nous pousser dans nos retranchements.
— Oui, mais si Roland apprend cela, je suis morte.
— Il voyait bien que tu n’y allais pas de bon cœur. C’est la première fois, non ?
— Que je fais cela devant une caméra ?
— Non, que tu baises avec une fille ?
— Ben oui, je découvre.
— Moi, ça m’a plu. Tu m’as procuré du plaisir, tu sais.
— Tant mieux, mais moi, j’avoue… Je préfère les mecs.
— Eh bien ! rassure-toi, l’assistant m’a dit que demain, on avait quatre garçons pour nous toutes seules.
— Ah bon ! mais pas au lit, j’espère !
— Il faut savoir ce que tu dis.
— Quoi ! On va se faire troncher par quatre mecs demain ! Mais il n’y a pas d’autres scènes que ça ? Des scènes d’extérieur ?
— Si !
— Ah quand même…
— Il y a une scène dans la forêt.
— Ah, ça peut être sympa.
— On est attachée chacune à un arbre. Et on nous fouette.